From light comes darkness, and from darkness light ft. Lucius

La vie suivait son cours, et Isaac naviguait entre ses eaux en se laissant porter. Tout allait relativement bien, les recherches de l'Ordre se poursuivaient concernant la relique, ils avaient même de fortes suspicion concernant son emplacement en plein centre d'Edimbourg. L'organisation qui avait longtemps peiné à recruter avait retrouvé son essor, et en tant qu'ancien Chasseur de Têtes, Isaac en ressentait le plaisir du travail accompli. Pour sa part, ses journées étaient toujours aussi remplies : tant par ses occupations officielles à la paroisse que celles plus officieuses. Car le Conseiller passait énormément de temps au Château d'Edimbourg, le centre névralgique des activités de l'Ordre, le nez dans un bouquin. Depuis la découverte des archives, il avait passé davantage de temps à s'instruire sur les recherches de ses prédécesseurs qu'à s'occuper du reste. Surtout lorsque son nom de famille était aussi récurrent dans lesdites archives ; elles avaient, après tout, été les premières à lui ouvrir les yeux sur les secrets de son ascendance et ceux qui l'entouraient. C'était grâce à elles qu'il avait découvert la véritable nature de Mary. Grâce à elles qu'il avait sauvé son fils de la corruption.

Malgré les années, penser à son ex femme était toujours aussi douloureux. Il n'avait pas eu d'autre choix que de l'éliminer, mais ce squelette dans le placard était une épreuve à surmonter qui continuait de le tirer vers le bas. C'était une épreuve de son Seigneur, évidemment. Une épreuve à passer pour prouver sa foi et ses convictions, lui qui prônait le pacifisme plutôt que la guerre ouverte contre les sorciers. Il n'était pas comme Adam, tempérament de feu qui avait toujours eu tendance à foncer tête baissée. Lui était du genre prudent. Mais c'était cette prudence qui l'avait fait tomber dans le piège d'une sorcière. Son manque de méfiance, dut à son jeune âge, qui avait laissé la porte ouverte au malin. Aujourd'hui encore il en portait les cicatrices, et chaque regard posé sur son engeance était un nouveau deuil pour cette relation qui l'avait tant blessé. S'en remettrait-il un jour ? Rien n'était moins sûr.

Mais le passage d'une sorcière dans sa vie avait eu un effet incroyable malgré tout. Elle avait été sa première victime, la première qu'il avait tenté de "sauver" tout du moins. Et ce pouvoir qu'il exerçait sur leurs captifs avait un côté jouissif pour lui. Il savait être sur le droit chemin, que ses efforts pour retirer la sorcellerie des veines de ceux qui la maniaient finiraient par payer. Il ne se réjouissait pas de leur décès, lorsque celui-ci survenait à l'issue des expériences ; mais il ne les pleurait pas pour autant. Il ne pleurait pas non plus les activités d'une Garde plutôt véhémente, et espérait d'ailleurs que son fils la rejoigne dans un avenir proche pour le renforcer davantage - et surtout l'exposer plus en avant à cette sorcellerie maudite, l'ultime test qu'il souhaitait lui faire passer en espérant que son sang vicié ne se réveille pas à ce moment-là. Comment pourrait-il agir si la magie s'insinuait dans les veines de Lazarus ? Il ne pourrait pas l'éliminer, lui aussi...pas après tant d'années. Mais il n'y avait aucune raison pour que ce soit le cas, n'est-ce pas ? Ce n'était qu'une pensée parmi tant d'autres. Il avait besoin de repos, son cerveau était bien trop brouillé par ce qu'il lisait dans les archives.

Pour la première fois depuis des semaines, l’homme de foi avait du temps pour lui. Oh, il n’allait certainement pas rien faire pendant tout ce temps ; monsieur Matthews était un homme très occupé, il était donc normal de le voir courir partout lors de ses rares moments de calme. Un rendez-vous par-ci, un rassemblement par-là, peut-on réellement considérer cela comme du temps libre ?

Son premier arrêt en ce début d’après-midi se trouvait en plein centre-ville, dans une boutique qu’il affectionne particulièrement. Un tailleur qui commençait à bien le connaître depuis le temps, et fréquentait d’ailleurs ses sermons de temps en temps. C’est qu’il avait l’oeil, le Pasteur, pour repérer les visages connus. Ce fut donc avec un sourire commercial qu’il salua l’homme en question en pénétrant dans la boutique.

L’endroit était désert, quoi de plus normal pour une heure pareille. Isaac s’installa au fond de la boutique comme demandé, et laissa l’employé prendre ses mesures. Cependant alors qu’il pensait rester seul durant tout le processus, la clochette de la porte d’entrée sonna et attira immédiatement son attention.

“Ah, monsieur Jager ! Vous êtes en avance…mais c’est pas grave. CORALINE ! CORA…bon, je vais la chercher. Veuillez m’excuser monsieur Matthews…”
“Il n’y a pas de mal, je ne suis pas pressé.”

Le gérant s’éloigna dans l’arrière boutique, laissant les deux hommes seuls à se regarder en chien de faïence. Le pasteur finit par faire un signe de tête poli, et s’amusa de l’expression sur le visage du nouveau venu. Jager, c’était bien cela ? Il ne l’avait encore jamais croisé, mais Edimbourg était une ville bien vaste et peuplée.

“Vous semblez perturbé, jeune homme. Est-ce votre première fois ici ?”

Jager lui semblait jeune, peut-être pas encore la trentaine. Isaac le dévisagea du regard sans jugement ; avec sa taille et ses yeux en amande, il ne devait pas passer inaperçu. Il lui semblait l’avoir déjà vu pourtant, maintenant qu’il s’attardait sur sa dégaine générale qui, il fallait l’avouer, ne collait pas tellement au reste de la boutique. Le Pasteur esquissa un sourire avenant.

“Les Bergsen savent ce qu’ils font, ne vous inquiétez pas. Cela fait des années que j’ai recours à leurs services.”
Crédits ; Becky Jorgensen, Bella

Lucius a fait un effort considérable aujourd'hui. Nero lui a fait un cadeau, qu'il ne peut pas réellement refuser pour son anniversaire le mois dernier. Il a fallu trouver un moment qui convenait aux deux parties, pour établir d'un rendez-vous. Un mois après ses vingt neuf ans, mais qu'importe, c'est aujourd'hui que le petit poisson* devenu grand doit y aller. Ayant laissé de côté ses habituels vêtements décontractés qu'il aborde lorsqu'il n'est pas au travail, le fleuriste a fait l'effort de mettre un pantalon à coupe droite ainsi qu'une chemise. Il n'a pas envie qu'on le regarde trop de travers, lorsqu'il se rendra chez le tailleur. Pourtant, il sait bien qu'il y aura peut-être du jugement. Ce sont des gens qui viennent du même milieu que Nero, qui se rendent dans ce genre de lieux. Lui naïvement pensait qu'il était bien habillé en allant chez Uniqlo ou H&M afin de se fournir - comme il le peut, étant donné sa taille imposante. Mais non, ça reste une dégaine de prolétaire aux yeux des gens bien nés comme son amant. Alors, il appréhende ce rendez-vous. Se questionne soudainement en se demandant s'il a bien fait de venir avec un semblant de pantalon chic et une chemise. Peut-être qu'il aurait du mettre un col roulé en haut ? Ou un jean en bas ? Il est trop tard, Lucius n'a plus le temps de retourner se changer chez lui de l'autre côté à Old Town. Le passage est un peu encombré pour les voitures que l'on contrôle de manière aléatoire afin de s'assurer que personne ne fait de contrebande d'objets magiques de l'autre côté. C'est un vrai business, si celui-ci est toléré à Salem où beaucoup de sorciers se font un extra en arnaquant les touristes humains (jouant sur l'histoire tristement célèbre de la ville), ici ça ne plaisante pas. Encore moins depuis que l'ordre de Saint Patrick semble avoir repris ses activités. Tout le monde est inquiet, l'ambiance devient plus tendue et même paranoïaque pour certains.

D'un naturel anxieux, il est déjà garé dans la rue indiquée. Tapote sur son volant en se demandant à quel point il peut être en avance sans que ça ait l'air étrange, tout en chantonnant sur l'air sortant de son autoradio*. Une heure, c'est trop. Il a donc attendu une demi heure de plus dans sa fidèle Kia, avant de se décider à sortir de là. Il fait bon, en ce mois d'avril : le Printemps* accompagné de ses bourgeons* arrive, le parfum* des fleurs est plus prononcé et ça fait du bien à tout le monde d'avoir enfin un peu de soleil. Même lui apprécie qu'il fasse un peu plus chaud, sans avoir pour autant besoin de déjà ressortir la crème solaire indice quatre vingt dix pour ne pas être brûlé vif.

Poussant la porte du tailleur, il est accueilli sans avoir le temps de dire quoi que ce soit. Oui il est en avance, et s'excuse immédiatement en bafouillant :

« Oui, excusez-moi. »

Qu'importe, on va chercher Cora ou Coraline, il ne sait pas trop. Il n'avait d'ailleurs pas remarqué l'autre client présent, un dénommé Monsieur Matthews. Ici tout le monde s'appelle par son nom de famille. Il a appris avec Nero que c'était une fierté pour les gens de ce milieu, que c'était la norme et bien plus poli que d'utiliser un prénom. Jager est pourtant perturbé de ne pas être appellé Lucius par son petit ami, étant donné la relation qui les lie. Adressant un sourire poli mais timide au Monsieur Matthews donc, Monsieur Jager se retiens de rougir lorsqu'il lui adresse la parole. Oh, il voudrait disparaître. Il s'est fait remarqué et il n'apprécie pas forcément qu'on lui accorde trop d'attention. Mais il veut sans doute être poli, ne pas rendre ça bizarre en restant silencieux. ça aussi, c'est quelque chose que Lucius ne comprend pas toujours. Pourquoi les gens veulent à tout prix meubler le silence ?

« C'est la première fois que je viens chez un tailleur, oui... »

Est-ce que c'est si évident que ça ?... Sans doute oui, quand on a l'œil on doit pouvoir reconnaître que ses vêtements sont du prêt à porter.

« C'est un cadeau que l'on m'a offert pour mon anniversaire le mois dernier, on m'a un petit peu expliqué comment ça allait se passer. Ma petite amie m'a aussi dit beaucoup de bien du travail des Bergsen. »

Et l'autre client confirme, en appuyant qu'il vient ici depuis longtemps. Ah, vraiment, Lucius ne se sent pas réellement à sa place ici. Comprend enfin ce que Nero voulait dire : Lucius qui pensait être un jeune-homme poli et bien éduqué saisit toute la différence entre son milieu social et celui plus élevé des gens présents dans cette échoppe. Il n'est pourtant pas un rustre. Jure très rarement, dit toujours bonjour et merci et sait se montrer poli sans faire trop d'efforts. Jager est un gentil garçon, mais manque d'éducation. Ou du moins... N'a pas tous les codes qu'observent les gens nés avec beaucoup de pognon et de l'influence. Sa famille pourtant n'est pas pauvre, ils ne sont pas dans le besoin.

De l'autre côté de l'Atlantique à Salem, son nom est respecté et synonyme d'appartenance et de dévotion au coven des enfants des volcans. Lui est né avec la mauvaise magie, mais qu'importe : il reste l'un d'entre eux et l'un des petits enfants de l'ancienne Oracle. Ici, on les respecte aussi. Sa mère s'est mariée à un Médecin respectable, ils vivent simplement et sobrement à Leith, mais ont l'image d'une famille ordinaire et unie, toujours polie et prête à aider ses voisins. C'est pourtant une douche froide qu'il subit actuellement, en se rendant compte d'à quel point il fait tâche dans le décors ici. 

Au moins, même s'il vient de mentir sur le genre de la personne lui ayant offert ce cadeau, celà offre assez d'informations à Monsieur Matthews : Lucius sort avec une jeune femme venant d'un milieu social plus élevé que le sien. Une jeune femme mystérieuse, à qui il n'a pas encore trouvé de faux prénom malgré le temps; car Nero n'a pas réellement d'équivalent contrairement à lui qui se transforme avec aise en Lucia.
Crédits ; Becky Jorgensen, Bella

Voir qui que ce soit mal à l'aise en sa présence déclenchait des émotions conflictuelles chez Isaac. Il prenait un peu ce gamin en pitié, se voyant à son âge peut-être, mal à l'aise dans un corps qui a grandi trop vite. Bon, peut-être pas à son âge finalement, un poil plus jeune ; la fin d'adolescence à tout casser. Lorsqu'il avait dû lui-même s'occuper de ses vêtements, avec en tête la simple consigne de ne pas faire de vagues. C'était justement très vague comme consigne, n'est-ce pas ? Quoi qu'il en fut, Isaac avait vite dû s'y habituer.

D'un autre côté, c'était amusant de le voir qui n'en menait pas large. Un cadeau, disait-il ? Cet individu n'avait pas le profil pour se faire tailler le costume de la sorte, mais ce n'était pas un jugement qu'émettait Isaac en le dévisageant. En réalité, il était souvent plus observant que jugeant, et appréciait de voir les plus modestes s'essayer à une vie qu'ils ne connaissaient pas. Ca avait quelque chose d'inspirant d'observer ceux qui ne roulaient pas sur l'or économiser pour pouvoir s'offrir ce que lui pouvait obtenir d'un claquement de doigt, comme une leçon d'humilité qu'on lui avait inculqué dès tout petit et qu'il tentait de faire passer à son fils en retour.

"C'est un très beau cadeau. Original également, on offre rarement un costume sur mesure à quelqu'un !"

Du moins, dans le monde d'où vient ce jeune homme. Pour un Matthews, il était courant de payer le tailleur pour quelqu'un en vue d'une cérémonie quelconque. Un sourire au coin des lèvres, Isaac songea à ses propres intentions lors d'un tel présent ; la plupart du temps, il ne faisait qu'emmener son fils dans cette boutique, souhaitant qu'il présente bien et fasse honneur à son nom lors d'une cérémonie importante. Comme celle qui aurait lieu dans quelques mois et qu'il commençait déjà à préparer de son côté, par exemple.

"Votre petite amie, si elle est l'instigatrice de ce présent, doit avoir quelque chose en tête pour vous. Peut-être souhaite-t-elle vous inviter quelque part ?"

Ou peut-être qu'elle attendait une demande en mariage, mais le Conseiller n'était pas assez intrusif pour mentionner cette possibilité à un inconnu total. Il se contenta d'un regard appuyé, avant d'être interrompu par une jeune femme tout juste débarquée.

"Pardonnez mon retard monsieur Jager ! Venez par ici, j'ai des mesures à prendre. C'est que vous êtes tout de même très grand..."

Coraline était le genre de personne qui ne mâchait pas ses mots, une caractéristique qui avait toujours amusé Isaac. Ce qui l'amusait également, était cette petite rougeur sur ses joues lorsqu'elle posait le regard sur lui. Du haut de sa quarantaine bien entamée, le Pasteur continuait de faire rêver des minettes de son genre. Il ne l'avouerait probablement jamais, mais il aimait particulièrement l'effet qu'il procurait aux foules, quand bien même il ne répondrait jamais favorablement à quelque sollicitations que ce soit de la part de la gente féminine. C'était peut-être ça qui les intéressaient, finalement ; son côté inaccessible.

"Coraline fait des prouesses, il est certain qu'elle tiendrait cet établissement avec brio."
"Humpf, mouais, elle a encore le temps de voir venir hein ! Je suis pas encore prêt à passer l'arme à gauche !"

Monsieur Bergsen réapparut depuis l'arrière boutique, la mine renfrognée comme s'il venait d'être insulté dans sa propre demeure. Affichant une mine polie, Isaac fixa l'homme de ses yeux clairs et froids, avant d'acquiescer doucement.

"Bien entendu, monsieur. Vous avez encore de longues années devant vous, si vous continuez dans cette lancée, malgré vos quelques soucis de santé récents. Cependant votre fille ne démérite pas, n'est-ce pas ?"
"Oui oui, je lui ai tout appris. Mais quand même !"

Il avait l'habitude du tempérament soupe au lait du tailleur, Isaac, mais l'échange semblait perturber le nouveau venu. Un nouveau regard vers sa direction lui apprit qu'il n'en menait pas large, tentait presque de se faire tout petit - ce qui était perdu d'avance, étant donné sa stature. Une fois de plus, le Conseiller ressentit cet amusement face au malaise.

"Vous voyez monsieur Jager, cette boutique est si singulière que vous avez le droit à un spectacle digne des meilleures pièces de théâtre inclus dans le package !"

La jeune Coraline était définitivement rouge, à la fois honteuse que son père se donne en spectacle et fière d'avoir été encensée par l'homme qu'elle semblait admirer. Bergsen pour sa part grommelait dans sa barbe, mais n'osait pas aller plus loin. La famille Matthews faisait partie de ses clients les plus fidèles, ceux qui payaient généreusement sans faire d'histoire, et se les mettre à dos sur un caprice était une mauvaise idée. C'était peut-être pour cela que derrière sa politesse Isaac se permettait quelques piques envers celui qui était à deux doigts de lui manquer de respect par fierté. Ce n'était pas de l'arrogance que de savoir qu'il avait l'ascendant sur ces petites gens.
Crédits ; Becky Jorgensen, Bella

Alors comme ça, même chez les bourgeois c'est un cadeau atypique ? Lucius n'en a aucune idée. C'est bien ce qui lui semblait mais le fait que l'homme présent confirme lui fait hocher la tête poliment.

« C'est possible, oui. »

Un évènement de quelle sorte ? Il pense sans doute à un mariage, non, vu le contexte ? Le fleuriste a une fois de plus menti sur le genre de la personne qu'il fréquente. Pas par honte, mais par habitude et parce que c'est Nero qui le lui a demandé. C'est assez facile pour lui, de parler d'une femme (qui n'existe pas). C'est la première fois, qu'il est avec un autre homme dans sa vie, si bien que l'inverse est inhabituel pour Jager. Jager, qui ne risque pas de s'y habituer puisqu'on lui a expressément demandé de ne rien dire, sous entendant de le genrer faussement au féminin au près d'inconnus.

Lucius qui s'excuse encore et toujours d'être grand, de prendre de la place, de devoir utiliser plus de tissus que le reste des clients. Il s'excuse en permanence de ne serait-ce que respirer le même air que quelqu'un d'autre, lorsqu'il est mal à l'aise. Et il l'est, à l'instant T. L'Oniromancien n'est pas à sa place et pour tout un tas de raisons. Premièrement, il est de l'autre côté du miroir dans un monde où naturellement en tant que sorcier, le rêveur reste sur le qui-vive. C'est un prudent de nature, l'Américain est de ceux qui savent se faire discrets pour ne pas éveiller le moindre soupçon. On le pense secret sur sa vie privée, un peu timide aussi, mais rarement bizarre. Du moins, pas dans le sens surnaturel du terme. Sa magie est plus facile à cacher, semblerait il. Jamais Lucius ne risqueras de faire souffler une petite brise par accident, ni de faire quelques étincelles en claquant des doigts pour tendre du feu à quelqu'un. Quand à son aversion pour le soleil, le vagabond ment simplement en prétextant protéger ses nombreux tatouages.

Tatouages que l'on va voir d'ailleurs. Ses vêtements gênent et il est actuellement très heureux d'avoir mis un marcel sous sa chemise ce matin. Monsieur Bergsen père lui demandant de retirer le haut si possible, sentant qu'il y a anguille sous roche dans sa carrure.

« Je me suis peut-être trompé de carrière, j'aurais du être gigolo. »

Puisqu'à priori on tente l'humour ici, histoire de détendre l'ambiance. Chemise tombée et retirée, la couturière le regarde un peu surprise. Il n'en a pas forcément l'air quand il porte sa chemise. Mais en plus des nombreux tatouages que l'on pouvait naturellement supposer présents sur sa peau, on découvre une carrure plus imposante que ce qu'il laisserait paraître.

« Ou bien mannequin... »
« Je ne suis pas assez grand malheureusement, c'est le genre de métier dans le quel on ne peut pas être petit. »

Tout comme il répond 1m60 quand on lui demande quelle taille il fait exactement, Jager adopte le ton de l'humour que l'autre a lancé. Il lui en est reconnaissant, dans le fond. Au moins, tout le monde a pu se dérider. A part la jeune Cora, qui soudainement, à l'air de se demander qui choisir entre Isaac et Lucius. L'un n'a rien à voir avec l'autre pourtant.

« Du coup je suis devenu fleuriste. Il n'y avait pas besoin d'une taille minimum pour l'être. »
« Et tenez vous droit mon garçon, ça aideras... »
« Pardon. »

Encore des excuses, mais Lucius s'exécute en tentant de ne pas essayer de disparaître comme il le faut toujours. Est-ce qu'il est allé trop loin dans les blagues ? Est-ce que le vieil homme est fâché, Cora offensée et Monsieur Matthews choqué ?
Crédits ; Becky Jorgensen, Bella

Le pauvre jeune homme semblait de plus en plus mal à l'aise, à en juger par la rougeur qui commençait à apparaître sur ses joues. Isaac ne put s'empêcher de sourire en le voyant ainsi dans la tourmente ; c'était l'un de ses plus gros péchés, sur lequel il n'avait malheureusement pas évolué d'un pouce depuis son enfance. Peut-être que le simple fait de masquer ce qu'il pensait réellement était une évolution, quand on y pense ; au moins, il ne se moquait plus ouvertement d'eux, et collait ainsi parfaitement à l'image qu'il tentait de montrer de lui. L'image d'un homme foncièrement bon, dénué de tout jugement, bien sous tout rapport, quand bien même son coeur était gangréné par le jugement.

Et du jugement, il en avait à revendre sur Jager. S'il s'amusait de son comportement, c'est une pointe de déception qui vient l'envahir lorsqu'il aperçoit de très - trop -nombreux tatouages sous ses vêtements désormais retirés. Son observation lui avait fait défaut, ou peut-être qu'il avait été dans une sorte de déni, puisqu'il voyait désormais très bien que ceux-ci débordaient sur ses mains et sa gorge en même temps. "Les tatouages font mauvais genre", qu'on lui répétait à longueur de journée lorsqu'il était encore adolescent. "Mais voir une peau tatouée est un signe de détresse divine. Un tatoué hurle au monde qu'il a besoin d'aide, mais n'ira jamais en chercher de lui-même. La douleur du tatouage est similaire à celle d'une auto-flagellation. Les tatoués sont les flagellés de notre temps. Ne les juge pas, montre leur de la compassion. Guide-les vers le chemin de la lumière qu'ils ont perdue."

Un enseignement qu'Isaac avait reçu et passé à son fils, pourtant les deux portaient le même regard de jugement sur ces gens qu'ils espéraient sortir des abysses et dont l'âme réclamait d'être sauvée. Il esquissa un sourire à l'adresse du jeune homme, forçant son regard à ne pas le fixer trop longtemps pour ne pas avoir à se justifier devant son Seigneur. Sans compter que Jager, malgré ses petites blagues, semblait toujours aussi tendu et sur le point de s'effondrer sur place. Ce pauvre jeune homme aurait bien besoin d'un moment de détente après cette épreuve !

"Fleuriste ? C'est bien la dernière profession à laquelle j'aurais pensé en vous voyant !"

Les apparences sont trompeuses, ou peut-être que le jugement avait été un peu trop hâtif une fois de plus. Un type de sa carrure, recouvert d'encre de la sorte, ne pouvait qu'être dans le monde de l'art ou du tatouage pour Isaac. Fleuriste n'était certes pas un métier de bureau où on exigeait une certaine tenue, mais tout de même ! Au fond, le Conseiller se demandait ce que pensaient les parents de sa petite amie, si elle était effectivement issue d'une famille riche. Lui ne verrait pas d'un bon oeil la fréquentation de Lazarus avec une jeune fille de la même trempe, bien qu'il garderait ses réflexions pour lui. Peut-être qu'ils étaient tout aussi compréhensifs, après tout ? Peut-être qu'eux aussi suivaient les enseignements du Seigneur et tâchaient de ne pas se montrer trop...jugeant.

Les mesures prises, monsieur Bergsen disparut de nouveau dans l'arrière boutique pour s'occuper de la découpe. Sa fille resta un instant, officiellement pour continuer de s'occuper des derniers détails, mais Isaac n'était pas dupe ; elle profitait simplement de ce moment pour se rincer l'oeil une fois encore. Ce n'était pas la première fois qu'il la voyait faire, certainement pas la dernière. Au moins pour une fois, elle avait autre chose à admirer qu'un quadragénaire qui pourrait aisément être son père.

"Votre costume sera prêt dans une petite heure et demi, mais si vous voulez nous pouvons le garder jusqu'à ce que vous puissiez revenir le chercher monsieur !"
"Une heure et demi ? C'est inhabituellement long."
"Oui, euh...eh bien en fait, je...nous...

La jeune femme rougit de plus belle, perturbée par le regard d'acier de l'homme qui la mettait tant mal à l'aise. Un sourire poli au visage, Isaac laissa échapper un petit rire. Oh, il ne devrait pas tant apprécier de la tourmenter de la sorte. Surtout devant un nouveau venu.

"Je vous taquine très chère, ne soyez pas désolée. Monsieur Jager, ce fut un plaisir de vous rencontrer. J'espère bien vous revoir dans un avenir proche."

Le Pasteur n'avait pas tant envie de laisser cet individu s'enfuir si rapidement. Quelque chose en lui l'attirait - sans double sens - comme s'il ressentait une étrange connexion avec lui. Peut-être était-ce un signe divin pour le pousser à sauver son âme ? Peut-être qu'il ferait une bonne recrue pour l'Ordre, avec son air paumé et son côté bonne pâte. C'était précisément les individus que recherchait l'organisation, lorsqu'ils devaient renflouer leurs rangs. Certes, il n'était plus Chasseur de Têtes ; mais ça ne l'empêchait pas de continuer à recruter dans son coin comme si rien n'avait changé. Malheureusement, il avait des obligations ailleurs ; et c'était donc à regret qu'il devait prendre congé, espérant malgré tout retrouver ce cher petit et apprendre au passage le fin mot de l'histoire concernant sa relation.
Crédits ; Becky Jorgensen, Bella