The lust for life's the lust for blood ft. Isaac
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Saint Patrick
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Tuer le temps : Expert en pierres précieuses et semi précieuses, Lazarus en estime la valeur et le prix, identifie le vrai du faux. Membre de la garde de l'Ordre bien malgré lui depuis août dernier.
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La nuit fut longue et compliquée. Il est dix huit heures, lorsque Lazarus se lève enfin de son lit qu'il n'a retrouvé qu'au petit matin, après un passage chez un médecin de l'ordre travaillant au CHU d'Edimbourg. Il n'aura probablement pas de séquelles. Il s'en remettras.
Un vrai soldat de dieu.
La vérité, c'est que Lazarus a sourit poliment sans rien répondre. Parce qu'il n'y a rien à dire, ni rien à ajouter à cette connerie monumentale. Il a vu, maintenant. De ses propres yeux. Il a vu et expérimenté la violence, est ressorti rempli d'incompréhension et blessé. Il s'en est sorti. Gabriel aussi. Non sans y avoir laissé quelques plumes, ils se sont néanmoins tenu leur promesse : terminer la nuit vivants. Il ne reste plus qu'à aller prendre une cuite au pub pour s'en remettre, non pas sans des béquilles et une écharpe pour l'autre garde. Ou deux écharpes ? Comment vont gérer les médecins, avec une épaule blessée et un bras cassé, de chaque côté ?
Etirant ses muscles encore fatigués et endoloris, baissant les yeux sur le pansement ornant sa cuisse et les bleus sur le reste de son corps, le fils Matthews soupire au bord de son matelas. Il ne veut pas y retourner. Jamais. Il n'est pas fait pour ça. En plein questionnement de sa foi soudainement, il en vient même à se demander si vraiment, c'est le chemin que Dieu a choisi pour lui. Pour quelle raison ? Pour le mettre à l'épreuve ? Et pourquoi faire preuve d'une telle violence, si c'était le cas ? On lui a toujours dit que l'Ordre de Saint Patrick était là pour combattre le mal. Sauver les âmes des sorcier·ères ayant été corrompues par la magie du malin. La magie, il l'a constatée de ses propres yeux. Mais les paroles de Gabriel résonnent dans son esprit : Ils arriveront jusqu'ici et ils attaqueront, car on les a attaqué en premier. On a leur a tellement pris, qu'ils ont que cette possibilité maintenant. Attaqués en premier. On leur a tellement pris.
Son jésus à lui tend l'autre joue, au lieu de brandir une arme. Son jésus à lui aurait prié pour leurs âmes plutôt que de les cribler de balles. Est-ce que c'est vraiment une mission divine ?...
Son regard se pose sur son livre de chevet, sa bible reliée. Nouveau soupire, avant qu'il se boite vers son armoire pour s'habiller et être un minimum présentable. Cacher les dégâts, le plus possible. Son visage est creusé par les cernes. Sa joue est entaillée par la glace lancée par un·e sorcier·ère maîtrisant l'eau. Son front est gonflé d'une belle bosse avec la balle que le casque a arrêté. Sa collection de cailloux lui semble désormais fade, mais tout lui semble fade. Il sent pourtant l'odeur du café à l'étage du bas remonter vers sa chambre depuis la cuisine. Son père l'a probablement entendu se lever.
Son père d'ailleurs. Son propre père, qui ne l'a pas reconnu. Lazarus tente de rationaliser. De se dire que c'est à cause du casque. Mais dans le fond, ça fait mal. Lui n'a même qu'un seul parent. A nouveau, le jeune homme en enfilant son tee-shirt -non sans un grognement de douleur- regarde justement une photo de mariage de ses deux parents. Les seules qu'il ait, pour se rappeler de cette mère qu'il n'a pourtant pas connue. Et il préfère poser le cadre face contre sa table de nuit. Affronter son père en bas sera déjà bien assez éprouvant.
La descente des escaliers se fait dans la douleur. Peut-être devrait il demander à s'installer sur le canapé du salon, au moins quelques temps, pour simplifier. Il lui doit bien ça, non ? Comme s'il avait de nouveau quinze ans, Lazarus se retrouve plein de ressentiments. Mais presque dix ans plus tard, c'est au moins justifié. Parfaitement justifié. Arrivé dans la cuisine, le fils Matthews regarde son paternel. Glisse ses prunelles sur une tasse de café frais, tout en tirant une chaise pour s'y asseoir. Tire le cendrier, pour s'allumer une clope bien méritée. Qu'Isaac ne fasse pas de remarques. Ce n'est pas le moment.
« Merci pour le café. »
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Coups de téléphone sur coups de téléphone. Emails sur emails. La journée d'Isaac avait commencé très tôt, et ce n'était pas le genre de réveil qu'il appréciait en général. Pour la première fois depuis des années, il avait sauté son sport matinal, écourté sa prière et s'était fait excuser auprès de ses confrères et consoeurs de la paroisse. En tant que Conseiller, le fiasco qui s'était produit au Château d'Edimbourg était de sa responsabilité, comme elle incombait également à l'Opus Dei. L'Eminence, quant à elle, devait absolument être lavée de tout soupçon ; et c'était pour cette raison que depuis sept heures du matin, le pasteur Matthews épluchait à la fois tous les textes de loi possibles et imaginables, se rapprochait de diverses autres poches de l'Ordre et espérait réduire l'impact de l'attaque des sorciers sur leur organisation.
Mais plus que cette contrariété, c'était l'inquiétude qui le rongeait et lui faisait perdre le sommeil. Cette inquiétude qui l'avait poussé à confronter l'Opus Dei, à donner de la voix même si ce n'était pas son rôle. Cette inquiétude qui lui avait fait participer au débriefe de la mission des Gardes, là où les survivants avaient été félicités pour leur exploit - quand bien même on leur cachait la gravité de la situation - simplement pour leur remonter le moral et leur faire oublier leurs camarades tombés au combat. On tentait de sauver les apparences, dans l'Ordre, mais même les têtes pensantes commençaient à douter. Et le doute n'était pas permis, pas dans ce genre de situation.
Il avait failli le perdre, ce soir-là. Perdre la prunelle de ses yeux, la seule personne qui comptait encore sur cette planète pour un Isaac lessivé par ses obligations et ces apparences qu'il devait conserver. Voir Lazarus dans cet état, sentir son sang sur ses mains l'avait meurtri au plus profond de son âme. Aucune prière n'était parvenu à effacer cette image de son engeance aux portes de la mort, pris entre deux feux. Il avait conservé les apparences, Matthews père ; avait pris sur lui, gardé le dos droit et donné des ordres plutôt que de s'effondrer. Mais dans l'intimité de son domicile, au coeur de la nuit, sa colère et sa frustration avaient explosées.
Lazarus n'aurait pas dû se trouver sur place.
Il avait négocié dur, Isaac, pour protéger son fils du mieux qu'il pouvait. Avait fait promettre à l'Opus Dei d'assigner l'enfant à une autre mission, bien loin d'ici. Il aurait dû s'en assurer plus en amont, communiquer avec Lazarus sur ce qu'il allait faire...mais non, une fois de plus sa confiance avait été trahie. Il aurait dû mettre son nez dans des affaires qui ne le regardaient pas, cette fois encore. S'il avait été plus insistant, aurait-on abandonné l'idée de placer Lazarus dans cette mascarade ? Aurait-il été épargné, aurait-il toujours confiance en lui...?
Car il n'était pas dupe, Isaac. Il sentait la défiance de son fils, depuis qu'il était rentré à la maison. Sentait sa méfiance aussi, ses doutes. Il ne l'avait pas reconnu. Ne l'avait pas protégé, et pire : avait failli le laisser en arrière, au risque de réellement le perdre. C'était une faute impardonnable, et évidemment le Conseiller ne se le pardonnait pas. Pourtant, il avait toutes les excuses du monde...mais même pour lui, elles ne tenaient pas la route. La vérité, c'était que la victoire était si proche, le triomphe si total qu'il s'était laissé emporter par l'euphorie du moment. Voir la Relique commencer à réagir comme indiqué dans les vieux écrits de Saint Patrick, savoir qu'ils allaient forcément réussir leur coup lui avait fait perdre toute notion de la réalité pendant un instant fatidique. Il avait abandonné son fils, et jamais rien ne pourrait réparer cette erreur.
Il commençait à se faire tard, et Lazarus n'était toujours pas éveillé. Ses médicaments devaient l'assommer, mais surtout le traumatisme de cette nuit-là devait avoir été puissant. Si bien que lorsqu'il entendit enfin le bruit des pas sur le plancher au-dessus de sa tête, Isaac n'attendit pas pour faire couler une tasse de café et commencer à réchauffer de la nourriture. D'ordinaire, il n'avait pas à s'occuper de lui ; Lazarus était un adulte désormais, et pouvait subvenir à ses propres besoins sans aide. Mais pas cette fois. Comme si le temps était retourné en arrière, Isaac avait l'impression de retomber dans ces années infernales de l'adolescence. "Infernales"...pas tant, puisque l'enfant n'avait jamais été très rebelle, même durant cette période. Tout au plus avait-il testé les limites quelques rares fois, sans pour autant se prendre un mur en face. Mais cette fois ? Oh, il ne savait quelle serait sa réaction.
Silencieux, Isaac salua son fils d'un signe de tête et un sourire avenant. L'hostilité dont Lazarus faisait preuve le heurtait toujours, mais il décida de passer outre. Il passa également outre la cigarette, grimaçant simplement en sentant l'odeur arriver jusqu'à ses narines et se levant pour ouvrir la fenêtre à laquelle il resta. Ses yeux clairs étaient posés sur la tignasse brune de l'enfant, et il était évident qu'il cherchait quoi dire. Devait-il s'excuser ? Pourquoi faire ? Les excuses ne suffiraient pas à faire oublier ce qu'il s'était passé. Devait-il lui dire la vérité ? Inutile, également. On lui avait fait un résumé du débrief, et la vérité n'en faisait pas partie. Alors Matthews restait là, les bras croisés, cherchant à renouer un contact qu'il sentait brisé avec son engeance.
La question était d'une banalité navrante, bien loin de ce dont il l'avait habitué. Isaac ne parlait jamais pour ne rien dire, le "small talk" était généralement réservé à ceux qu'il tentait de charmer. Sa mâchoire se crispa et il changea de position, signe d'inconfort chez lui.
Il tournait autour du pot, une fois de plus. Toucher le vif du sujet lui faisait mal d'avance, et il hésitait terriblement à cette idée. Quelle réaction pourrait-il obtenir de la part de son fils ? Serait-il en colère ? Désespéré ? Compréhensif ? Isaac était tiraillé entre trois rôles essentiels à sa vie : celui du père, protecteur envers son engeance, détruit par la simple vision de son corps mutilé par les combats. Celui du Pasteur, pacifique figure de proue de sa communauté, à l'âme et au coeur immaculés. Celui du Conseiller de l'Ordre, personnage ambigu aux motivations incertaines, dont le but s'éloignait de la pureté qu'il prônait pour ses sujets. Son devoir de père était d'éloigner Lazarus de ce qui risquait de lui faire du mal, donc de l'éloigner de l'Ordre. Mais son rôle en tant que Matthews, en particulier un Matthews si bien placé dans l'Ordre, était de pousser l'enfant à rester englué dans sa toile. Et ça, c'était une perspective qui l'effrayait plus qu'il n'osait l'admettre.
La vérité effleurée, une fois de plus. Le Conseiller s'éloigna de sa fenêtre pour revenir aux fourneaux, tournant le dos à un Lazarus qu'il n'osait même pas regarder dans les yeux. L'omelette cuisait lentement d'un côté, les saucisses de l'autre, les haricots attendaient sagement dans leur plat et les toasts grillaient lentement dans le grille-pain. Il n'avait pas encore à affronter son regard.
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Bien dormi est un euphémisme. Maintenant que le fils du Conseiller est à peu près réveillé, que ses yeux se sont décollés et qu'il a pu boire une gorgée de café, il n'est même pas certain de la date. Sortant son téléphone de sa poche, il constate donc qu'ils sont aujourd'hui le dix huit septembre. Trois jours. Trois jours sont passés. Est-ce qu'il a été trop médicamenté ? Est-ce que c'est psychologique ? Lazarus n'a que peu de souvenirs, après son passage à l'hôpital. Il ne se rappelle plus d'être rentré, encore mois des journées passées au lit. Son ventre se rappelle d'ailleurs à lui en grognant lorsque l'odeur du petit déjeuner (à dix huit heures) lui arrive aux narines.
« Oui. »
Qu'est-ce qu'il peut répondre d'autres ? La politesse incombe de répondre toujours oui, quand on vous demande si ça va ou si vous avez bien dormi, ou si le café est bon. Pour ne pas vexer son vis à vis ou l'hôte qui vous reçoit. La véritable réponse, c'est plutôt Je ne sais pas. C'est la première fois qu'il a une pareille amnésie. Oh, ça lui est déjà arrivé comme à beaucoup d'autres jeunes, de ne plus se souvenir de tous les détails d'une soirée avec ses amis. Mais ça n'a rien de comparable. Est-ce que son esprit a totalement bloqué les dernières soixante douze heures ? Le cerveau fait ça parfois, pour se protéger. Ou peut-être qu'il était juste trop fatigué émotionnellement et mentalement.
« Hm. Je suppose qu'ils m'ont fait un arrêt maladie et que mon employeur a été prévenu ? »
ça fait trois jours, qu'il devrait être au cabinet d'expertise. Il aurait dû y aller, comme toutes les semaines. Ses journées se ressemblent et ça lui conviens parfaitement, à Lazarus. Il préfère nettement sa petite routine, que beaucoup qualifieraient de chiantes, à cette amnésie soudaine. Mrs Lovewell vient même à lui manquer, lui qui d'ordinaire est ennuyé par cette vieille dame un peu trop à l'aise sous prétexte qu'elle fait partie des murs du cabinet. Lazarus s'est même plus d'une fois demandé si l'on avait pas construit le bâtiment autour d'elle, un peu comme dans les sims, quand les personnages sont sur le terrain.
Les paroles de son père le sortent de sa torpeur. Oui, il n'aurait jamais dû être là. Il lui avait promis, qu'il ne serait pas envoyé sur ce genre de missions quand l'été dernier, le fils Matthews a fait son entrée dans la Garde de l'Ordre. Il lui avait promis qu'il ferait son possible pour ne pas l'envoyer au front, conscient que ce rôle qu'on avait attribué à son fils n'était nettement pas fait pour lui. Résultat ? S'il s'est probablement fait un allié pour la vie en la personne du Selvaggi, il se retrouve estropié physiquement. Mentalement aussi, mais Lazarus n'en a pas réellement conscience pour l'instant.
« Ton merveilleux plan n'a donc pas fonctionné. »
Grimaçant lorsqu'il tend le bras en éteignant son mégot, faisant passer le goût du tabac par une gorgée de café amer, le fils du Pasteur passe une main sur son visage fatigué.
« Et j'imagine que l'Ordre n'accepte pas les lettres de démission. Qu'il n'y a pas non plus de syndicat de la garde pour demander une meilleure prise en charge à l'Opus Dei et à Son Eminence. »
Puisque toi, le Conseiller, n'a à priori aucun putain de pouvoir dans cet Ordre. Cette pensée, le bouclé préfère la garder pour lui. Il en veut encore à son père. N'est pas prêt de pardonner. Mais n'a pas envie non plus d'aller immédiatement contre ses principes et cette éducation si encrée en lui, demandant de respecter ses aînés. Et surtout le père de famille, surtout un Pasteur qui plus est, qui est hiérarchiquement juste en dessous du Seigneur.
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Le sarcasme était le mécanisme de défense préféré de Lazarus. Depuis le temps qu'il le connaissait - toute sa vie en vérité - Isaac avait appris à détecter celui-ci, et ne réagissait donc pas à ce que d'autres prendraient pour un affront. Le flegme du pasteur était certainement la raison pour laquelle son fils n'avait jamais réussi à déclencher de colère en lui, n'avait jamais fait face à de la maltraitance, n'avait jamais eu de raison de le détester. Et pourtant, la violence qu'il venait de subir était la pire des maltraitances à ses yeux. Comme si Matthews était un direct responsable des blessures qui couvraient son corps, comme si le traumatisme d'avoir vu des cadavres tomber comme des mouches venait de l'homme debout en face de lui.
Toujours sans se retourner, Isaac termina de préparer le repas de Lazarus avec un soin tout particulier. Comme lorsqu'il était encore enfant, et que son père pouvait enfin s'occuper de lui entre deux cours - entre deux stages. Comme lorsqu'il rentrait après des semaines d'absence à l'autre bout du monde, pour passer tout son temps avec lui et rattraper le temps perdu. Ces moments de partages qui paraissaient doux-amers aujourd'hui, lorsqu'il y songeait. Le Conseiller versa le tout dans une assiette, se retourna enfin et la posa doucement devant le blessé. Mais alors qu'il allait lui aussi s'installer à table devant une tasse de thé, de nouvelles paroles le figèrent sur place.
Ce n'était pas du sarcasme, cette fois. Il pouvait le sentir. Par ces simples mots, Lazarus montrait son vrai visage. Il pensait réellement n'avoir été qu'un simple pion dans les plans de son père, et lui en voulait pour cela. Mais au fond, ce n'était pas tant cette triste constatation qui blessait l'aîné des Matthews : c'était plutôt ce qu'elle cachait derrière, une vérité plus cruelle encore à laquelle il n'osait pas songer. Il n'avait aucun pouvoir. Ses décisions, bien que drastiques et impactante pour l'Ordre, ne restaient que des suggestions à prendre ou non en compte. Lui qui se targuait de posséder le réel pouvoir sur cette organisation, planqué dans l'ombre comme il préférait l'être, se rendait compte que certains préféraient ignorer royalement ses demandes. Pire encore : il ne serait pas étonné de savoir que l'Opus Dei ait agi ainsi spécifiquement pour le viser lui. Placer son fils en première ligne...c'était personnel.
Isaac avait déjà refusé par deux fois la proposition de prendre la tête de la Garde, prendre ce fameux rôle qui avait été si crucial ce soir-là. L'Eminence lui faisait confiance, assez pour continuer de le lui proposer. Mais le choix avait dû être posé sur l'actuel détenteur du titre, qui devait ressentir son rival principal aujourd'hui. Etait-ce pour cela qu'il avait agi ainsi ? Le recrutement de Lazarus, ses missions, sa mise en danger...tout semblait clair désormais. On s'était servi de lui pour atteindre le Conseiller. Si Lazarus avait perdu la vie au château, Isaac en aurait probablement voulu à l'Ordre. Peut-être aurait-il oeuvré contre l'organisation même, contre son Eminence bien-aimée. Et ensuite ? Le seul être de confiance autour de la couronne aurait été l'Opus Dei. Un homme manipulateur, vindicte. Peut-être même que celui-ci ne visait pas que la déchéance du Conseiller. Peut-être visait-il plus haut...
Le sarcasme revint chez Lazarus, et rappela au pasteur qu'il était en pleine conversation avec lui. Il se fit violence pour revenir sur terre, et esquissa un sourire contrit à son engeance.
Du moins, c'était ce qu'il espérait. Car avec cette soudaine réalisation, il se demandait si son collègue n'allait pas en profiter pour achever ce qu'il avait commencé. Peut-être allait-il assigner Lazarus à un nouvel endroit, le mettre de nouveau en danger alors qu'il n'était pas encore rétabli...et là, c'était signer son arrêt de mort. Les poings d'Isaac se serrèrent, sa mâchoire se crispa et il fixa son thé sans vraiment le voir. Une colère sourde lui nouait les entrailles. Un sentiment d'impuissance pire encore que lorsqu'il avait vu son fils être enrôlé dans la Garde cet été. Là n'était pas la volonté de son Dieu ; il s'agissait d'une épreuve, certes, mais il ne pouvait pas la traverser de manière pacifiste. Pas cette fois.
Tant au niveau physique que mental, d'ailleurs. Car le dernier né des Matthews semblait perdu, comme si quelque chose manquait à sa vie. Les mensonges dans lesquels il avait été bercé depuis sa naissance commençaient à prendre leur dû dans sa psyché. L'homme soupira longuement, avala une gorgée de thé sans grande conviction et releva le regard vers son vis-à-vis.
Etait-il sécurisé de parler sincèrement à un enfant des problèmes d'adultes ? Lazarus l'était, adulte, mais ne pouvait pas encore saisir à quel point le monde dans lequel il vivait pouvait se montrer cruel. Isaac, pour sa part, craignait par-dessus tout de le perdre. Et ce qu'il allait lui dévoiler risquait d'être la limite à ne pas dépasser pour conserver une bonne entente avec son fils.
La solution serait simple, pourtant : renoncer au pouvoir au sein de l'Ordre, et laisser le champ libre à un Opus Dei prêt à tout pour en prendre le monopole. C'était le seul moyen d'assurer la sécurité de son engeance. Mais Isaac n'était pas prêt à laisser sa place, loin de là ; au fond, il se demandait s'il ne pouvait pas au contraire devenir le sauveur de l'organisation.
La malédiction des Matthews. Celle qui menaçait leur lignée de s'éteindre dans d'atroces souffrances, celle qui avait eu raison déjà de ses aînés et qui continuait de faire des siennes aujourd'hui encore. Celle dont il n'avait pourtant jamais parlé à Lazarus, de peur de détruire son innocence. De peur également que la vérité déclenche quelque chose, et lui enlève la seule personne qui comptait encore à ses yeux. Si son fils venait à trépasser, rejoignant sa défunte femme dont le fantôme le hantait toujours, Isaac risquait d'arriver à un point de rupture.
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Son assiette face à lui, par habitude et par mécanisme, Lazarus joint ses mains un instant pour remercier le seigneur de ce repas. C'est usuel, chez les Matthews. Un mécanisme bien ancré dans leur quotidien et on s'est parfois un peu moqué le lui lorsqu'avec des amis, il sort par exemple manger dans un fast food. C'est rare de voir une jeune personne faire ça, mais pourtant, lui le fait. Explique simplement que son père est pasteur pour celleux qui ne seraient pas au courant et qu'il a juste été éduqué comme ça. Généralement, ça suffit à ce que les gens comprennent et ne s'en formalisent pas d'avantage. Jouant avec ses beans du bout de sa fourchette, le bouclé qui a éteint sa cigarette écoute avec patience les explications de son père. En long, en large et en travers. Préfère le laisser terminer.
Lui expliquer qu'il est pacifiste, tout comme lui. Qu'il a refusé un poste d'Opus Dei non pas une fois mais deux. Que l'actuelle personne à la tête de la garde en veut personnellement aux Matthews. Et qu'à défaut de pouvoir attaquer Isaac de front il s'en prend donc à lui. L'Ordre est en crise, selon les dires de son père. Soupirant en prenant une gorgée de café, Lazarus qui n'a pas la force de se battre, plus la force après cette nuit d'horreur hausse simplement les épaules :
« C'est vrai qu'une désertion ça fait une tâche sur le CV. »
C'est comme un abandon de poste, c'est légal mais il vaut mieux s'arranger autrement lorsque c'est possible. Trouver un autre emploi, établir une rupture conventionnelle. Lui n'a jamais vraiment eu à faire ce genre de choses, a simplement effectué des stages avant de prendre un poste dans un cabinet d'expertise. Un cabinet qui lui a ouvert ses portes bien volontiers avec la réputation de sa famille sur Londres, et sa rolex au poignet avant même d'avoir trente ans. Le tout avec des bonnes références, et un diplôme décerné avec les honneurs en géologie.
S'il ne peut pas déserter son travail, il peut en changer. C'est plus compliqué pour les affaires religieuses et la garde. Car sans la foi, il n'y aurait pas tout ça. Il ne pourrait pas réellement se convertir à l'Islam ou au Judaïsme qui sont trop strictes. Le Catholicisme ne règlerais pas son problème. Il ne reste que le bouddhisme qu'il ne connaît que très peu et de loin. Peut-être qu'il pourrait essayer de rentrer chez les Amish de l'autre côté de l'Océan, et encore, il faudrait qu'ils l'acceptent parmi eux. Vivre à la ferme, tout compte fait, ça ne l'enchante pas non plus bien qu'ils partagent le même dieu et des croyances assez proches.
« Je suis donc en sursis, si on résume la situation, c'est bien ça ?... Le temps que je me remettes de mes blessures. Ensuite, il s'en prendras encore à moi. A moins que je n'ai une promotion dans un autre poste au sein de l'Ordre. »
Ce qui est aussi complexe. Il a beau s'appeler Matthews il faut aussi qu'il fasses ses preuves. Peut-être même d'avantage que quelqu'un d'autre, car on attend beaucoup de lui tout comme on compte beaucoup sur son père. Bouchée de petit déjeuner pour se remplis un estomac résolument vide.
« Malheureusement, ces choses là prennent du temps. »
Souriant amèrement malgré le petit déjeuner qui il faut l'avouer, lui fait beaucoup de bien après trois jours de semi conscience à cause des médicaments et de la fatigue psychologique l'ayant conduit à dormir sans réellement se rendre compte du temps qui passait, le voilà à secouer la tête :
« Sinon, je peux continuer de faire vraiment très mal mon travail pour être renvoyé. »
Il n'a pas été efficace. Il n'a pas fait ce que l'on attendait de lui, cette nuit du 15 septembre. Il n'a tué personne, n'a fait que tirer dans les murs et être un poids pour Gabriel en étant blessé dès que l'eau a tourné au vinaigre. Des gardes présents, Lazarus était sans doute le plus mauvais.
« Je n'aimais pas jouer à la guerre quand j'étais petit de toute manière, je préférais le foot à la récréation. »
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Lazarus avait bien compris la situation, et comprenait même peut-être sa gravité entre les lignes des paroles de son père. Isaac ne pouvait décemment pas parler de la toile tendue tout autour de son fils, sous peine d'à la fois faire du mal à l'Ordre mais également de tendre encore un peu plus les relations que les deux Matthews entretenaient. Une chose était certaine : il ne voulait pas le perdre, que ce soit dans le sens littéral comme figuratif. Aveuglé par cette malédiction qui le terrifiait, le Conseiller peinait à masquer son inquiétude en voyant qu'il avait oublié un élément crucial dans l'équation. Il était techniquement hors d'atteinte, certes...mais Lazarus, lui, se retrouvait en première ligne. A sa place peut-être ? Est-ce que son fils allait être sacrifié sur l'autel du destin parce qu'il avait osé s'en éloigner ? C'était encore trop tôt pour le dire. Il pourrait tout aussi bien l'aider, le sortir de là sans lui brûler les ailes.
Muter son engeance dans un autre corps de l'Ordre ne pourra pas se faire sans froisser quelques plumes, et avec la chance qui ne semblait pas leur sourire, les mauvaises personnes risquaient d'être touchées. Le seul moyen de forcer le destin était de remanier entièrement le groupe...chose qui ne pourrait absolument pas se faire sans l'aval de l'Eminence, qui elle-même se contentait bien de l'organisation héritée des siècles précédents. Isaac était pieds et poings liés, pour le moment.
Mais ça ne voulait pas dire qu'il s'avouait vaincu.
Le Pasteur avait quelques idées qui pourraient les sortir de cette impasse sanglante, des idées qui redoreraient en même temps le blason de l'Ordre auprès de ceux qui semblaient en avoir perdu la foi. Lui qui voyageait souvent s'était constitué de nombreux alliés hors des frontières du Royaume Uni, plus d'alliés que Son Eminence ne connaissaient d'ailleurs. Nul doute que s'il le souhaitait, évincer le chef de leur organisation serait un jeu d'enfant. Il ne se contenterait que d'éliminer l'Opus Dei bien entendu : être l'image publique de l'Ordre ne lui seyait guère, lui qui préférait tant le diriger dans l'ombre. Mais c'était tout de même une hypothèse à ne pas éliminer tout de suite.
Isaac posa les coudes sur la table - blasphème diraient certains - et joignit ses mains, le regard posé sur son fils avec cette lueur véhémente en eux. Le feu de la rage qui brûlait en lui, celle qu'il ne laissait jamais s'exprimer et qui pourtant le consumait chaque jour. Etait-il sage de partager ses plans théoriques à un Lazarus encore faible d'esprit ? Celui-ci comprendrait-il l'étendue de ses décisions ? Peu importait. Il ne pouvait pas le laisser dans le flou, avec cette crainte d'être envoyé au front à tout instant.
A demi mot, le marionnettiste dévoilait ses ficelles - nombreuses et solidement accrochées - à celui qui aurait dû être son héritier. Peut-être était-ce là sa plus grande erreur : à tenter de protéger Lazarus de l'avenir sombre qui pouvait l'attendre, il s'était coupé l'herbe sous le pied et voyait son empire fragile sans personne pour reprendre sa place. Mais il avait encore le temps. Bien longtemps, même, avant de se voir lui-même mettre un pied dans la tombe. Le temps de partager cet empire avec ceux qu'il déterminerait digne de confiance. Et qui sait ? Peut-être que Lazarus aurait les épaules pour le remplacer, finalement.
Et cela signifiait également que l'Opus Dei cesserait probablement d'exister...et que le Conseiller pourrait prendre beaucoup plus d'ampleur, contrôler beaucoup plus d'aspect de la vie des adhérents. Isaac ne perdait jamais le nord.
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