matrimonio all’improvviso, o inferno o paradiso ft. Raphaël

tw; anxiété, famille toxique, rupture amoureuse

“Où est ta copine, piccolino mon petit ? Tu sais, celle qui s’habillait si bien… - On est plus ensemble, Nonna, - Oh, vraiment ? Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il faut les garder, les trésors comme ça, tu sais ? - Je sais Nonna, - C’était il y a combien de temps rappelle-moi ? C’est récent, non, hein ? - Sept ans… et trois mois. - Ohh…”

La bise sur la tempe de sa nonna ne se passe pas comme prévu, comme d’habitude, et Raphael se félicite d’avoir prit un anxiolytique avant de venir, ne serait-ce que pour s’éviter une hyperventilation ridicule face au sujet tant difficile qu’est sa dernière relation en date. Relation qu’il croyait être de l’histoire ancienne pour tout le monde sauf lui, la mémoire gruyère de sa grand-mère adoptive lui prouvant bien le contraire. Ce n’était pas franchement la meilleure solution pour faire son deuil, ni s’ôter ça de la tête. Lorsqu’on parle de son prochain concert, ce qu’elle fait juste après, il est plus détendu ; débite dans un italien qui n’aurait pas su trouver le panneau stop s’ils ne s’étaient pas tous et toutes fait convier à rentrer dans l’église pour la cérémonie.

En rentrant, un signe de croix qu’il ne feint pas, après avoir trempé ses doigts d’eau bénite. Ici, Raphael est persuadé qu’il n’y a que des humains, parce qu’il est naturellement le raté de la portée, la tâche après une machine mal paramétrée. Ses parents et sa fratrie sont présents, mais il s’est assez rapidement détaché d’eux, comme c’est le cas depuis le début de son âge adulte. Depuis que tout a changé, à vrai dire. Les Selvaggi savent. Ce qui n’est certainement pas le cas de toute la smala pressée pour assister à ce mariage. Ils s'adaptent pourtant très bien, à l'instar du sorcier, au moins en public.

Pour une fois, il ne fait pas office de star, ou pas trop, là où il daigne poser le pied. Qui plus est, le rappel de son célibat à ce genre de célébrations était d’un mauvais goût qui ne lui donnait pas grande envie de profiter du moment. Tout ce à quoi il songeait, en s’installant naturellement au fond, c’était de pouvoir déguster les antipastis qu’un traiteur leur avait préparé et les vins de chez eux qui lui feront oublier au moins qu’il était mal à l’aise, au fond. Ce qui ne se percevait pas, ni se traduisait vraiment sur ses traits, malgré son expressivité à toute épreuve au quotidien.

“Euh… Vous ne seriez pas un Savinelli par hasard ?”

C’est la voix de l’homme assit à ses côtés qui l’interpelle, et Raphael se rappelle de lui comme si c’était hier. Son nom en dernière ligne, parce que c’est son look indémodable qui lui avait toujours fait particulièrement plaisir. Le musicien se sentait outsider par nature, quant bien même il ne fréquentait pas les bas fonds. Les personnes ayant un sens du style singulier et leur personnalité tranchant avec la normalité avaient son respect, en plus de sa sympathie.

“Selvaggi. Mais vous, je vous reconnais. Lorenzo ? Pourquoi on se vouvoie, d’ailleurs ? La dernière fois, je t'ai fait un bisou sur la tête comme les footballeurs.” s’étonne t-il lui-même, oubliant que sa pensée ne devait pas être tout le temps exprimée verbalement. Sans doute penserait-il qu'il avait été ivre, mais en réalité, il était surtout bien jeune à l'époque où ils s'étaient vu pour la dernière fois. Sauf s'il ne se rappelait pas des plus récentes, ce qui était tout à fait possible aussi au demeurant. L'alcool comme garde-fou, assurément. “Raphael. Je me rappelle qu’on avait fait une cabane avec ta sœur, quand on était plus jeunes. Au fond du parc d’une propriété qui avait été louée pour…” à l’engouement ne peut lui résister l’énième constat que… “…un mariage.”

Ils ne sont pas les seuls à bavasser, les rangées continuant de s’installer et d’attendre le feu vert de l’orga. Prit dans ses souvenirs qui défilent à toute vitesse dans sa tête et devant ses yeux, Raphael regarde loin devant lui, l'air de retourner des années en arrière et se détacher temporairement de l'instant présent. Happé.

“Y'avait même un mot de passe pour rentrer. C'était Shakira.”

Et rien qu'à lâcher ça, il se met à rire. La belle époque, on peut le dire.

tw; dissociation, religion

“C'est ça, Lorenzo. Et ma sœur, Diana. Pour le mariage des Barbieri je crois ? - Ca, c’est trop me demander” pour sûr, sa mémoire avait été sélective, et à juste titre : de toute façon, toutes ces célébrations où il avait été traîné sans qu’on lui demande son avis, à l’instar des enfants Hyde, il avait fallu les endurer. Jeune, c’était plus simple, semble t-il, que dans cet aujourd’hui où on aimerait fouetter d’autres chats que ceux qui nous appartiennent pas. “Si ça se trouve c’est des Barbieri aussi, aujourd’hui” glisse t-il, pas très respectueux sur le papier, léger dans les faits. L’auto-dérision était la seule arme dont il disposait, parfois. S’il s’agissait de tacler un peu sa propre communauté qui plus est, alors pourquoi pas ? Ca rendrait peut-être le moment moins pénible, et la présence d’un bon souvenir à ses côtés était déjà un grand pas.

“Elle a toujours une cabane. - Ah oui ?”

Raphael rit, parce qu’il ne prend pas l’information au premier degré. Non, sérieusement, Diana Hyde, continuer à faire la vigie dans une cabane au fond d’un parc ou d’un jardin ? Sacrée blague s’il en… “C'est juste un peu plus stable maintenant, elle a appris de ses erreurs mais travaille toujours le bois. C'est son truc, son hobby. Cette fois-ci, on ne serait pas tombés par terre, mais à l'époque ?” Merde, il plaisante pas en fait. Il s’essaie à reprendre vaguement une tenue sérieuse, au moins mentalement, en espérant que Lorenzo n’ait rien calculé de ce qu’il aurait pu laisser transparaître. Manquerait plus qu’il se mette à se moquer de sa sœur - grand bien lui fasse d’ailleurs qu’elle ne soit pas là, par principe. Déjà en position de leader telle la barbare dans un groupe de jeu de rôle, Raphael était loin de s’imaginer que rien avait changé sur ce sujet. “C’était quand même vachement plus drôle qu’aujourd’hui, j’admets” et avec tout le respect pour les mariés, il savait que tout était différent par le seul fait d’être plus âgé. Raphael n’avait pas vraiment perdu son âme d’enfant, pourtant ; quant bien même elle avait été abîmée.

“On ne se voit qu'aux mariages et aux enterrements de toute manière, c'est bien connu. - Et c’est bien dommage.” C’est qu’il n’a pas envie de le laisser s’enfuir dans un autre souvenir dont il se rappellerait vingt ans plus tard, à dire vrai. Alors il lui glisse, tant qu’il l’a en tête : “Si tu ne restes pas pour le repas après, laisse-moi au moins te donner mon numéro, ok ?” et se ravise un peu juste après, “Enfin, si tu veux.” De toute façon, mariages comme enterrements, il finissait toujours pas pleurer pour des raisons qui étaient étonnamment connexes.

Prendre pour acquis la sympathie de l’autre, une très mauvaise idée. Peut-être que Lorenzo Hyde faisait semblant, comme c’est le cas de beaucoup d’autres à ce genre de rassemblements. Raphael était biaisé socialement, ainsi et pour toujours. Il ne pouvait pas croire en ce qu’il voyait, pas plus que la sympathie de l’autre ne pouvait pas être poison. Un sourire cachait bien des choses, parfois. L’orgue commence à jouer, mais l’esprit du musicien est toujours happé par leur échange.

“Shakira est toujours la bonne réponse, dans le doute. Même si parfois it's Britney bitch.”

La remarque le fait rire, peut-être un peu trop fort à vrai dire : la rangée de devant se retourne un peu vers eux, et Raphael baisse la tête en se mordant l’intérieur de la joue. Il a toujours aimé Britney, bien plus que Shakira. Il est persuadé que c’était Diana qui avait choisi le blase.
Les portes finissent par s’ouvrir sur les mariés qui font leur entrée, tandis que Raphael dissocie dans un réflexe psychologique. Il songe plutôt à l’acoustique des lieux, à son dernier concert, au sacré. Pas réellement au reste, à cet amour qui s’en va être acté devant Dieu, là où il n’y aura plus droit lui-même.

Aussi ignore t-il que Lorenzo est quelque peu perdu quant à la marche à suivre et, d’après le peu qu’il avait calculé, il n’y aurait pas grand chose à faire. Ecouter ou faire semblant pendant la prêche, les vœux des mariés et tutti quanti. D’ici quelques minutes, ils se seraient échappés d’ici, sauf si le prêtre se sentait inspiré à tartiner encore derrière. Ce qui n’était pas impossible. Vraiment pas impossible.

Arrivés à cette étape, il ne le fait pourtant pas. Grand bien leur fasse, Raphael a l’estomac qui commence à crier famine, et il se sent plutôt fébrile, maintenant qu’il a la sensation de revenir sur Terre sans parachute. Les craquements de bois caractéristiques de personnes se levant l’informe assez vite que c’était le moment ou jamais de partir.

“Et, du coup,” réflexe un peu maladroit, plutôt que de commenter ne serait-ce qu’un peu l’horreur de la célébration qui s’était déroulée un peu plus tôt sous ses yeux creux ; “Pardon, je me rappelle plus si tu m’as dit si tu restais ou pas après ?”

Au fond, il serait pas contre qu’il reste, même s’il comprendrait que tout à chacun avait ses activités voire priorités ; mais Raphael était un Selvaggi en tant que ces derniers n’avaient pas tacitement décidé qu’il s’en irait, il ne pourrait pas s’en aller. Alors, si Lorenzo était de la partie pour se remplir l’estomac et passer un moment sans avoir à trop réfléchir, ce serait pas du luxe pour lui. Une bouée de sauvetage, pour ainsi dire.

tw; aucun

“Rester… Oui, c’est prévu.”

Le musicien ne se rappelle même plus s’il lui a échangé son numéro, s’il y a eu une réponse, même vague, ou toute autre chose à ce sujet. La réponse à sa dernière question, après son black-out psychique, avait raison de tout le reste. Il y avait cependant un écart entre le prévu et le souhaité ; comme c’était le cas pour Raphael qui resterait sans franchement vouloir y aller. La seule présence de sa famille le laissait pour le moins sous tension, quant bien même elle ne transparaissait pas, ou plus - sans doute la terrifiante habitude de s’adapter au pire.

“J'espère juste pouvoir manger quelque chose, c'est difficile quand on est Vegan. Mais dans le pire des cas, il y a toujours des gressins pour patienter. - Y’aura au moins de la salade, mais faudra trier la mozza…” réfléchit t-il un peu à voix haute, en espérant sincèrement qu’il y ait le nécessaire. Les traiteurs faisaient souvent tout et trop, à tel point qu’il en restait à la fin - même quand les after s’éternisaient. Raphael voulait croire qu’il serait servi, même si statistiquement moins bien que tous les autres qui ne se restreignaient pas sur les origines animales ou végétales.

Il le suit dans son mouvement pour se lever, le laissant sortir du rang exiguë pour ensuite se faufiler vers l’extérieur, distancé de quelques bons mètres par sa fratrie, qui devait avoir une vue prenante sur leur dos.

“J'y pense d'ailleurs. Tu es venu avec tes parents ? Avec une seule voiture ou ?” Ne dit pas la vérité. “Ils sont là oui, avec la plupart de mes adelphes” les Selvaggi sont une fratrie de six, autant dire qu’il est difficile de les louper, quant bien même il manquait une ou deux têtes à l’appel ce jour-ci.

Peut-être pour le mieux, ceci dit.

“Je suis venu en Uber. J’aime pas conduire.” Il n’aime pas, a peur aussi, mais il n’irait pas lui étaler ce genre d’informations aussi aisément. Raphael passera sans doute pour un petit nantis, sa notoriété lui permettant de se déplacer ainsi plutôt qu’en transports en commun ou dans un véhicule individuel. Les voitures font du bruit, il n’aime pas vraiment ça. Sauf les électriques, même si elles avaient un arrière-goût futuriste qui l’inquiétait un peu, lui qui avait depuis toujours connu des moteurs ronronnant et l’odeur de fuel, il s’imaginait paradoxalement moins sécure avec l’innovant.

“J'ai de la place dans la mienne, si tu veux rester au calme le temps du trajet avant d'affronter l'armée des nonnas. - Je préfère autant, merci.”

Lorenzo ne le saura peut-être jamais, mais il venait d’aider Raphael là où il aurait passé un énième et mauvais quart d’heure à l’arrière de la voiture de sa sœur, qui aurait tôt fait de lui passer un interrogatoire. C’était sa façon à elle de deal avec le dérangeant que représentait Raphael à lui seul, depuis… depuis qu’il s’était avéré être différent.

Est-ce par tous les hasards, les Hyde-Panzani avaient quelque chose sous le tapis, eux aussi ? Quelque chose d’indicible, un secret de famille qui régnait en maître jusqu’à pervertir chaque ficelle de leurs interactions ? Raphael se sentait bien incapable ne serait-ce que de l’imaginer, ayant toujours perçu ces gens comme des crèmes, bien que ces crèmes là étaient particulièrement… dynamiques, pour ne pas dire parfois bizarres.

Le trajet est un peu plus silencieux, mais pas pour un mal. De son côté, il s’essaie à digérer les dernières émotions, et se prépare mentalement à les noyer dans de l’alcool. Le cycle infini de la guérison mal apprêtée.

Une fois sortis du bolide électrique, que la Hyundai est sécurisée, il s’adresse à nouveau à Lorenzo.

“On va à l’opposé des nonnas, ok ?” Une œillade dans sa direction. Si on me demande encore une fois comment elle va, je vais caner. “Je pars en mission pour aller chercher à boire, qu’est-ce que tu prends ?”

Se rendre utile, maintenant qu’il lui avait rendu service, c’était la moindre des choses ; autant en profiter tant qu’il s’en souvienne encore.