[Terminé] Wait...what?

Il s’était rendu à une soirée networking, comme il n’en faisait plus depuis des années, uniquement pour revoir l’une de ses amies venues de São Paulo. Son agenda était aussi rempli que le dressing de Judd et la banquière n’avait pu lui accorder que quelques heures, entre mocktails et discussions de boulot. C’était toujours ça de pris même si l’ancien lapidaire ne s’était pas fait prier pour lui rappeler que les amis “trouvaient toujours du temps pour se voir, même quand le boulot prenait trop de place dans le quotidien”. Heureusement, la soirée s’était déroulée sans encombre et la revoir, aussi rayonnante que l’étoile du Nord, avait réparé l’égo touché de Judd.

Il était près d’une heure du matin quand il sortit du club réservé pour l’occasion, la fatigue pesant sur ses épaules et ses lombaires. Il avait fait attention à ne pas rester trop longtemps debout, mais malgré tout, les douleurs chroniques ne prenaient jamais de repos, surtout quand la vieillesse s’invitait à la soirée. Le regard haut, dardé sur la file de taxis et de voitures réservées qui attendaient que les convives daignent sortir pour les emporter à leur hôtel ou résidence, Judd trouva le Uber qu’il avait précommandé : une Mercedes flambant neuve, d’un noir obsidienne qui reflétait les néons du quartier humain animé.
Il tombait des trombes d’eau et Nilsa était déjà réfugiée sous son manteau long, protégée des gouttes glaciales qui tombaient du ciel sombre. Cette fois-ci, il avait préféré une veste légère de nuance sable, lui tombant jusqu’aux chevilles plutôt que sa parka noire habituelle : la seconde lui portait plus chaud, mais Judd n’était pas censé rester dehors longtemps lors de ce type de soirée. Alors il avait avait primer l'esthétisme sur le confort pour une fois.

Il lui fallut prendre son courage à deux mains (et remercier d’avoir pensé à prendre un parapluie) pour se lancer dans la rue et s’engouffrer dans la voiture sans attendre la moindre invitation.

- Et bien, quelle pluie ! Heureusement que vous étiez proche de la sortie, je me serais transformé en chat mouillé sinon.

Le ton se voulait joyeux même si l’heure lui donnait plutôt envie de bâiller et de rentrer fissa chez lui.

- J’ai déjà rentré l’adresse lors de ma réservation mais au cas où, Old Town sur 18B Albany Street s’il vous plait.

Il s’engouffrerait dans un portail à deux mètres de là et appellerait un autre Uber pour le ramener chez lui !

tw; aucun

S’il y avait bien des soirées qui paraissaient interminables, celle-ci était bien une des nominées. Il pouvait se considérer chanceux que ces soirées ne soient pas si courantes, ne serait-ce que pour son équilibre personnel. Levé à six heures du matin, parfois plus tôt, il fallait pouvoir tenir toute une journée durant sans siester, et surtout, sur plusieurs années successives. S’il convient de dire que Frank n’a jamais vraiment eu besoin de dormir beaucoup pour se sentir en capacité, il restait humain et ses réserves pouvaient elles aussi finir limitées. Piquant un peu du nez, stationné là depuis dix minutes pour attendre l’un des fils de son employeur qui lui avait envoyé un message pour l’alerter qu’il valait mieux commencer à remonter vers le lieu de sa soirée professionnelle, ne serait-ce que parce qu’il avait supposé que le temps ingrat le ralentirait.

C’est précisément sous cette berceuse de pluie contre la Mercedes au repos qu’il essaie de ne pas s’endormir, se motivant enfin à mettre un peu de musique pour s’éviter une pareille maladresse. L’aléatoire lâche un Gloria flambant d’Umberto Tozzi, lui arrachant un sourire, un soupir, et même un massage de la gueule pour faire passer une gêne vis à vis de lui-même. Parce qu’il adorait ce morceau, tout comme la culture italienne, qui plus est leur variété musicale, mais cela générait (à raison) aussi sa dose de honte à l’allure de réflexe, même lorsqu’il se trouvait seul dans une voiture. Un des ces plaisirs coupables vers lesquels on finissait toujours par se noyer, quant bien même le son n’était pas bien fort pour le faire.

Frank reçoit le SMS, un J’arrive assez sommaire, comme il est coutume lorsque l’on est aux prises avec toute une smala à pas d’heure, une seule main pour écrire sur son smartphone. Raison pour laquelle il déverrouille les portières, démarrant la voiture par la même. Il ne faudrait pas bien longtemps pour que…

La portière s’ouvre, un poids anormalement lourd se glisse sur la banquette arrière, claque sur le son de la pluie qui bat les pavés.

“Et bien, quelle pluie ! Heureusement que vous étiez proche de la sortie, je me serais transformé en chat mouillé sinon.”

Le réflexe est instantané, Frank passe du regard dans le rétroviseur central au regard planté par dessus son épaule, vers le concerné, comme s’il venait de voir un fantôme.

“J’ai déjà rentré l’adresse lors de ma réservation mais au cas où, Old Town sur 18B Albany Street s’il vous plait. — Monsieur, je crois que vous vous êtes…”

La portière de l’autre côté s’ouvre, la personne qu’il attendait cette fois se glisse aux côtés de l’étranger, et les trois personnes se scrutent en chiens de faïences pour quelques secondes.

“Je… — Frank ? Bonsoir. C’est… euh, si je peux me permettre : qui êtes-vous ? C’est un ami à toi ?” lance Samuel à la personne à moitié trempée à côté de lui, et puis scappa senza far rumore dal lavoro, dal tuo letto, dai gradini di un altare… “Navré, si vous attendiez un chauffeur, ce n’est pas moi” se justifie t-il auprès de l’homme, désormais aux prises avec deux paires d’yeux pour l’observer. Il n'a pas besoin d'en dire davantage, l'homme de vingt-trois ans a déjà suffisamment d'informations en sa possession.

La bonne humeur du concerné, en arrivant là, rendait pourtant la démarche un brin plus difficile pour Frank qui… était d’ores et déjà en train de se demander s’il ne pourrait pas… “Oh, vous vous êtes trompés ? Annulez votre réservation, vous devez aller où ? Frank va vous y emmener — ça te va aussi ?” que Samuel demande au concerné sur la fin, avec un peu plus de familiarité. La réponse est naturelle, va même de soi en vérité. “Oui, vous êtes trempés, et l’adresse que vous avez mentionné n’est pas si loin que ça, alors…” il ne fallait plus que l’accord du concerné pour pouvoir se mettre à rouler.

- Monsieur, je crois que vous vous êtes…

Il n’écoutait plus vraiment, avait déjà le nez sur son téléphone en train d’envoyer un message à Armand, qui surement ne le lira que demain matin. Mais au moins l’aura-t-il prévenu de son arrivée imminente ! Seule la portière de devant qui s’ouvrit brutalement lui fit relever la tête dans un froncement de sourcils. Un jeune homme, habillé d’un complet gris anthracite de bonne facture et qu’il avait aperçu à la soirée, venait de s’engouffrer dans sa Mercedes. Pendant un temps, Judd resta silencieux, écoutant attentivement la question du vingtenaire au conducteur avant de finalement comprendre ce qui venait de se passer : ce n’était pas du tout sa Mercedes. Même Nilsa sortit un bout de museau invisible à l’œil des humains pour venir renifler la gêne de la situation.

- Oh, vous vous êtes trompés ? Annulez votre réservation, vous devez aller où ? Frank va vous y emmener — ça te va aussi ?”
- Je…
- Oui, vous êtes trempés, et l’adresse que vous avez mentionnée n’est pas si loin que ça, alors…

Le téléphone en main, les jambes croisées comme s’il était un invité prestigieux dans une limousine - pour une fois qu’il avait de la place pour ses guiboles - le regard du pyromancien passait de l’un à l’autre, dans un silence malaisant. Il était toujours abasourdi par la situation qui lui avait échappé à cause d’un manque d’attention de sa part. Espérons que personne ne l'apprendrait et que Nilsa garderait les babines closes.
Il jeta un coup d’oeil vers l’écran de son portable avant de finalement répondre, d’un ton aussi sérieux que possible.

- C’est vrai que vous ne ressemblez pas à Jean-Marc, l’Uber que j’avais réservé. Je suis désolé pour cette erreur, j’ai… Enfin, je vais vous laisser mais merci de la proposititon. Bonne soirée messieurs.

Ouvrant la portière par laquelle il s’était engouffré comme l’oxygène par une fenêtre en plein incendie, il sortit la tête en première sans attendre de réponse. À peine avait-il extrait le reste de son mètre quatre-vingt-dix qu’une voiture passa à vive allure et l’arrosa d’une vague digne de ses collègues Lanciers de la froideur. Dégoulinant des pieds à la tête, il hésita à peine trois secondes avant de rentrer à nouveau dans la Mercedes.

- Finalement... C'est une proposition que je vais accepter avec grand plaisir ! Quoi de mieux que de nouvelles rencontres pour finir la soirée ! Je payerai la note pour le nettoyage. Merci beaucoup… Frank et… M. Matthews je crois me rappeler, non ? En plus d’être sympathiques, vous avez d’excellents goûts en matière de musique ! Rien de mieux qu’Umberto Tozzi par un tel temps.

Et rien de mieux que des compliments pour se faire bien voir après s’être approprié une voiture qui tenait plus du privé que d’un Uber en attente d’un client prêt à débourser 120£ pour rentrer. Judd aurait dû le voir, la Mercedes qu'il avait commandé n'était même pas noire mais bleue nuit et ce n'était pas le modèle renseigné dans la fiche Uber. Si le temps y avait été propice, certainement que la Sentinelle serait venu avec sa Ducati. Mais non, il avait fallu qu'il pleuve et qu'il oublie de mettre ses lentilles.

tw; aucun

“C’est vrai que vous ne ressemblez pas à Jean-Marc, l’Uber que j’avais réservé. Je suis désolé pour cette erreur, j’ai… Enfin, je vais vous laisser mais merci de la proposititon. Bonne soirée messieurs.”

Frank entrouvre les lèvres pour le saluer, et lui dire de faire attention, mais le drame se déroule au ralenti devant ses yeux, ainsi que ceux de Samuel, qui laisse échapper un “ouhhh” compatissant, mais sans doute un peu trop vocalisé pour l’heure. Les deux hommes ont une idée en commun, qui n’arrive pas à aller au bout pour se matérialiser : insister par politesse, en s’excusant pour le concerné. Frank voulait même lui demander si… tout allait bien, même si, de toute évidence, son égo avait lui aussi prit une douche froide. Il n’en fallait même pas plus pour que l’homme retrouve le siège, qu’il faudra probablement éponger ne serait-ce que dans le doute. Ceux à l’arrière n’étaient pas chauffants, mais peut-être que ceux de l’autre Mercedes auraient pu l’être…

“Finalement... C'est une proposition que je vais accepter avec grand plaisir ! Quoi de mieux que de nouvelles rencontres pour finir la soirée ! Je payerai la note pour le nettoyage. Merci beaucoup… Frank et… M. Matthews je crois me rappeler, non ? En plus d’être sympathiques, vous avez d’excellents goûts en matière de musique ! Rien de mieux qu’Umberto Tozzi par un tel temps. — C’est moi, et… M. Rivera ?”

Léger silence alors que la portière se referme, échange de regards entre Samuel et Frank, et puis une œillade vers le passager de fortune. 1h42 du matin. Rien que pour ça, il aurait fallu l’inventer.

Samuel lui murmure. “Depuis quand tu écoutes Umberto Tozzi ? — Depuis toujours. — Mais tu parles italien ? — Non, allemand…,” pour sa défense, Frank a paniqué, baisse même davantage le son qui n’était pourtant pas si fort que ça à la base. De quoi se redonner un peu plus de contenance, il s’adresse à l’homme à l’arrière. “Vous voulez que j’augmente le chauffage à l’arrière ?” demande Frank en s’engageant sur la chaussée, les essuie-glaces barrant le pare-brise à une rythme plutôt soutenu, vu la giboulée. Avec une telle projection d'eau, que lui-même ne pouvait mesurer qu'au peu qu'il avait pu observer, il aurait lui-même eu quelques frissons dans les jambes après ça. “Ou changer de musique ?” parce qu'il y en avait au moins un du trio qui n'aimait pas ça, et qui ne faisait pas vraiment semblant de le dire. Elle était loin l'époque où il lui demandait de lui faire réciter ses poésies de primaire.

- C’est moi, et… M. Rivera ?

Sympathiques et une bonne mémoire pour le jeune Matthews en plus ! Cette course non prévue sera peut-être tout aussi agréable que dans le Uber qu’il avait réservé finalement. Il acquiesça d’un mince sourire, avant de ranger son téléphone. C’était plus poli, même si Judd comprit rapidement au vu des murmures entre les deux hommes qu’il ne s’agissait pas d’amis, mais plutôt d’une relation employé-employeur. Malgré un compte en banque fourni, Judd n’avait jamais ressenti le besoin de déléguer une partie de son ancien métier ou même de sa vie d’aujourd’hui. Oh il pourrait bien employer quelqu’un pour l’aider au ménage ou rangement de son appartement (mais il n’appréciait pas qu’on touche à ses affaires personnelles), pour cuisiner quotidiennement (il aimait trop suivre à la lettre une recette), s’occuper de la blanchisserie (le fer à repasser était sa passion secrète, surtout quand il y avait beaucoup de vapeur)… Il y avait bien certains sujets de comptabilité où il faisait appel à des professionnel·les pour l’aider à prendre les meilleures décisions en termes de patrimoine ou de revenus passifs. Mais avoir une personne l’attendant à chaque sortie ou rendez-vous, même quand il était encore lapidaire… Non merci. Il préférait de loin les taxis ou Uber !

- Vous voulez que j’augmente le chauffage à l’arrière ?
- Ou changer de musique ?
- Je ne vais pas refuser le chauffage, merci, M. Frank. Et pour la musique… N’est-ce pas agréable de découvrir une autre culture musicale et d’en discuter après avoir passé 4h à déblatérer autour des banques, des prêts et des façons d’améliorer nos patrimoines, M. Matthews ? J’aime beaucoup Umberto Tozzi et je crois me rappeler que vous, vous étiez intéressé pour m’accompagner sur la diversification de mes investissements. Nous pouvons en discuter maintenant si vous avez encore un peu de jus ?

En d’autres termes : s’il voulait que Judd signe son futur devis, ils allaient devoir garder Umberto Tozzi et arrêter de glisser entre les lignes que la musique du conducteur n’était pas à son goût. Employé ou non, il pouvait bien lui laisser ce petit plaisir !

- Ou alors, quels types de musiques aimez-vous, M. Matthews ? Je crois n'avait jamais rencontré quelqu'un n'appréciait pas Tozzi ! Plutôt pop, rock’n roll… Et vous Frank d’autres passions que l’Italo-disco ?

Sourire toujours aussi discret mais qui se voulait avenant alors que son dos s’avançait légèrement vers le devant de la voiture. Il espérait que le jeune homme s’engouffre dans l’une des deux brèches qu’il lui avait offertes pour laisser le conducteur tranquillement à son boulot.

tw; aucun

Cela fait bien des années que Frank s’est adapté à ce que lui-même pourrait interpréter des jugements extérieurs, en ce qui concerne son activité. Cela semblait venu d’une autre époque pour beaucoup, là où c’était la norme dans les riches familles nord-africaines, par exemple. Il ne restait pas réellement de ces nantis en Europe, sinon qu’ils préféraient ne pas ébruiter ce genre de choses. Ils n’étaient guère en France mais dans une société qui avait aujourd’hui pleinement accepté la couronne et la noblesse que cela pouvait représenter ; ce qui en disait malheureusement long sur beaucoup de choses à ce sujet.

Dans cette Mercedes comme autre part, Frank a conscience qu’il n’est pas tout à fait dans la norme, et ne le sera probablement jamais vraiment. Il a accepté ce rapport de force évident entre lui et ses employeurs, qui prend parfois la forme de paraphrases comme l’a fait un peu plus tôt Samuel. Le choix, le cadet Verstappen ne l’avait pas vraiment fait en apparence, alors que ses pensées s’étaient bel et bien alignées sur celles du gamin. Ce seul fait pourrait donner grain à moudre pour les interprétations extérieures, là où la notion de hiérarchie se serait ressentie pleinement au delà même de ce pseudo art de vivre bourgeois.

“Je ne vais pas refuser le chauffage, merci, M. Frank. (Il s’exécute.) Et pour la musique… N’est-ce pas agréable de découvrir une autre culture musicale et d’en discuter après avoir passé 4h à déblatérer autour des banques, des prêts et des façons d’améliorer nos patrimoines, M. Matthews ? (Frank se pince la lèvre inférieure, réflexe d’adolescent coincé au fond de la salle de classe pour ne pas rire face à un élève insolent roasté devant toute l’assemblée.) J’aime beaucoup Umberto Tozzi et je crois me rappeler que vous, vous étiez intéressé pour m’accompagner sur la diversification de mes investissements. Nous pouvons en discuter maintenant si vous avez encore un peu de jus ?”

Le jus semble vraisemblablement manquer chez le jeune Matthews, qui a la chance d’être à l’avant, là où M. Rivera ne pourrait pas le voir se décomposer sur place, puis se reconstruire dans un hypocrite mais mielleux : “Vous avez raison M. Rivera, oui ; en revanche, je vous propose que l’on s’octroie une pause bien méritée à ce sujet, qu’en pensez-vous ?”

Frank, lui, ne sait pas trop de quoi ils parlent, et s’en fout même plus qu’il ne devrait sur le moment.

“Ou alors, quels types de musiques aimez-vous, M. Matthews ? Je crois n'avait jamais rencontré quelqu'un n'appréciait pas Tozzi ! Plutôt pop, rock’n roll… Et vous Frank d’autres passions que l’Italo-disco ? — Oh, vaste sujet…” l’œil de Samuel va se loger sur le profil du conducteur, à qui il demande sans un mot un peu d’aide sociale, sur le moment. Il parvient à le capter plus ou moins tôt (ce qui sera toujours trop tard pour le jeune homme). Une œillade vers M. Rivera dans le rétroviseur central, qu’il accompagne de ces quelques mots. “Vous pouvez m’appeler M. Verstappen. Ou Frank, comme vous préférez, je suis plus à ça près.” La fin de sa phrase n’était pas nécessaire, mais pour sa défense, il était fatigué. Samuel, dans son silence, a l’air de lui dire de quoi tu parles, c’était pas la question, alors que, bien entendu, il allait y venir.

“J’écoute de tout, monsieur. Et si vous avez des suggestions vous n’avez qu’à demander, il reste suffisamment de minutes ensemble pour nous en écouter au moins une sur le trajet.”

Réponse qui semble a minima combler le vide gêné qu’aurait laissé le môme à ses côtés, réponse qui n’en dit pas beaucoup et offre plutôt la main à l’autre. C’était de toute façon une manière pour lui de se remettre à sa place, M. Matthews et M. Rivera se connaissaient, alors que M. Verstappen lui, n’était qu’un meuble Ikea parmi des Napoléon III.

Il sentait déjà la chaleur revigorer son corps et réchauffer ses longues pattes trempées. Même Nilsa se laissa glisser le long de son cou, comme un serpent en quête d’un soleil revigorant. Judd laissa échapper un souffle de satisfaction alors que la conversation prenait une direction qui lui plaisait sincèrement : il était bien trop tard pour discuter encore d’argent et Judd avait une flemme monstre de se faire désirer en hésitant sur tel ou tel placement.

- Oh, vaste sujet…

Pas si vaste que ça étant donné sa méconnaissance de l’italo-disco mais Judd se garda la remarque pour une autre fois. Ce serait dommage de se voir mettre dehors pour une sincérité un peu trop… piquante. Surtout que la pluie ne semblait pas s’arrêter. Quant au regard dans le rétroviseur du chauffeur, le pyromancien le remarqua sans le relever : il n’était visiblement pas le seul à se rendre compte de la playlist vide de ce cher M.Matthews. C’était ça de passer son début de vie à lécher les chaussures des gars comme Judd.

- Vous pouvez m’appeler M. Verstappen. Ou Frank, comme vous préférez, je suis plus à ça près. J’écoute de tout, monsieur. Et si vous avez des suggestions, vous n’avez qu’à demander, il reste suffisamment de minutes ensemble pour nous en écouter au moins une sur le trajet.

- Attendez…

Il se rapprocha d’un coup vers les sièges de devant, les bras posés sur les dossiers, telle une poule, les ailes grandes ouvertes pour tenter de s'envoler. Judd était quelqu’un de calme, sauf quand il était question de ses passions. Et si la vitesse en tant que tel n'en était pas une, le pyromancien avait plaisir à regarder des courses de F1 sur son temps libre : c'était électrisant, de sentir l'adrénaline à travers un simple écran.

- Verstappen. Vous êtes de la famille de Max Verstappen ?! Vraiment, vous… Ce gars est une petite pépite de la F1 ! Je suis davantage moto mais là…

Il siffla sans se laisser arrêter dans sa tirade, aussi vif que la Mercedes.

- Quel talent, quelles aptitudes et quelle insolence parfois, un vrai bijou ce type. Et je vois que c’est de famille, votre conduite est impeccable M.Verstappen. Pas une secousse, une tenue du volant parfaite, vraiment… Allez, question piège : BMW ou Mercedes ?

M.Matthew n'existait déjà plus, tout comme la proposition de changer la musique. Nilsa était déjà debout sur le siège, prête à se faire virer de la voiture au prochain stop.

tw; aucun

“Attendez…”

Frank sent le poids sur son siège arrière, puis la présence entre lui et Samuel. Il ne sait pas vraiment s’il s’agit des prémices de l’énonce d’une chanson à mettre, ou si quelque chose d’autre l’avait chiffonné. La seconde hypothèse lui plairait un peu moins, mais le conducteur garde son sang-froid exemplaire (tout rictus précédent mis à part, ce dernier a de toute façon disparu). Finalement, il y a comme des éclats de brillance dans la voix du passager initialement non convié. Il était d’ailleurs particulièrement à l’aise, et sans mal le prendre, Frank trouvait ça plutôt agréable et allégeait l’air.

“Verstappen. Vous êtes de la famille de Max Verstappen ?! Vraiment, vous… Ce gars est une petite pépite de la F1 ! Je suis davantage moto mais là…” Il y a une sensation de chaud-froid qui prend Frank, comme à chaque fois, comme s’il venait d’être découvert. Il suffirait de rétorquer la même chose : non, nous ne sommes pas de la même famille. Il y a pourtant la fatigue, et puis l’ambiance étrange qui soulève l’inquiétude que cela sorte de l’habitacle. Sans doute une erreur qu’il irait regretter, et Samuel lui, avait l’air aussi peu intéressé, connaissant d’ores et déjà la réponse. “Quel talent, quelles aptitudes et quelle insolence parfois, un vrai bijou ce type. Et je vois que c’est de famille, votre conduite est impeccable M.Verstappen. Pas une secousse, une tenue du volant parfaite, vraiment… Allez, question piège : BMW ou Mercedes ?”

Ca fait beaucoup de questions en si peu de temps, et il doit se débattre avec plusieurs choses à la fois : la route, l’attente de M. Rivera, son secret qui ne demandait qu’à sortir d’entre ses lèvres, et ça sans compter la gueule délavée de Samuel qui avait fini par regarder par delà la fenêtre.

“Nissan.” répond t-il avec l’insolence quiète de celui qu’il a nommé un peu plus tôt, l’œil souriant. Il se sent quelque peu gêné d’être au centre de l’attention toutefois, Frank doit bien l’admettre. Sans que cela ne transpire de ses expressions ou son non-verbal, c’était quelque chose qu’il ressentait et pas qu’à moitié. “Si vous me promettez de garder ça pour vous, cela fait des années que…” un coup d’oeil vers le Rivera, c’est déjà trop tard, pense t-il, il a déjà comprit. Des années qu’il s’efforce à taire l’information pour s’éviter des écueils. Jan n’a de toute façon jamais vraiment accepté ses ascendances néerlandaises, plus prompt à favoriser les allemandes, pour des raisons qui lui sont propres. Frank lui, n’a eu que peu de contacts, et vit au travers du pilote qu’il aurait rêvé rejoindre, mais sur des circuits bien différents.

“C’est un cousin, oui. J’achète ma paix en disant l’inverse… je compte sur vous pour respecter ça, s’il vous plaît.”

Il appuie sur ses derniers mots, pas bien assuré si cela suffira à tarir le feu qui semblait s’amonceler à ses côtés. M. Matthews lui, fait les gros yeux, conscient qu’un mensonge a été proféré par Frank depuis toutes ces années : pas le pire d’entre eux, mais un mensonge quand même, ce qui était bien assez pour le considérer comme péché. Un nouveau morceau, diffusé toujours aussi bas, arrive pourtant lui aussi sur les ondes : si certains se taisaient, sa playlist elle, n’avait pas dit son dernier mot. Mystify de INXS s’invite au même titre que le sujet de conversation.

“Désolé,” s’excuse par principe, et puis, “Et vous, BMW ou Mercedes ?”

Un faux pas et il pourrait percevoir M. Rivera bien différemment. Là encore, il ne serait plus à ça près, tant il a entendu la mauvaise réponse à chaque fois.

- Nissan.

La lueur de taquinerie, Judd l’aperçut grâce au retroviseur - encore lui - et ne put s’empêcher d’y répondre par un “vous êtes drôle” soufflé au dessus des épaules. Oh oui, il était drôle, M. Verstappen, bien plus que son passager qui ne bronchait plus, bien trop occupé à se la jouer fiston maudit, le regard dans le vide contre la vitre teintée.

- Si vous me promettez de garder ça pour vous, cela fait des années que…C’est un cousin, oui. J’achète ma paix en disant l’inverse… je compte sur vous pour respecter ça, s’il vous plaît.

Même Nilsa s’est rapprochée, la belette appréciant aussi la conduite effrontée du Verstappen-pilote qui était vraiment le cousin de l’homme devant lui. Quelle chance ! Quelle heureuse et superbe chance ! Sur le visage de Judd, il y avait un mélange de joie et de respect, qui se muait en une forme de sourire enfantin scellé par deux doigts de la main gauche.

- Promis juré, je garderai le secret jusqu’à ma tombe !

Et il le pensait sincèrement. Judd était de celleux qui gardaient les secrets confiés comme s’ils lui appartenaient et mettaient sa vie en péril s’ils devenaient publiques. Et puis, il pouvait totalement comprendre que le conducteur devant lui garde cette information secrète : cela pourrait lui amener bien des problèmes en plus d’un potentiel harcèlement de certain·es fans qui trouvaient toujours des idées saugrenues pour se rapprocher de leur idole (oui, même aller emmerder un cousin). Quant aux yeux exorbités du Matthews à côté… Judd espérait aussi ne pas avoir causé de problème à M. Vestarppen-italo-disco. Ça devenait compliqué dans son esprit pour dissocier le pilote du conducteur…. Surtout si le conducteur était aussi pilote. Bizarrement, le pyromancien se doutait qu'entre ses doigts, un autre type de volant prenait sa place lorsqu'il ne travaillait pas.

- Désolé. Et vous, BMW ou Mercedes ?
- Pourquoi vous vous excusez ? Pour votre playlist de qualité ou le fait de préférer mentir pour vous protéger des rapaces qui viendraient vous emmerder car vous êtes un Verstappen ?

Coup d’oeil long et appuyé vers le passager de droite vers qui il n’irait finalement jamais placer la moindre piécette. Judd trouverait bien un profil plus… agréable et avec qu’il partageait davantage que le goût de l’argent.

- Et Mercedes pour vous répondre. BMW, en plus de faire du tape à l’oeil, le coût de leurs réparations sont toujours exorbitantes. Et je ne fais pas confiance aux marques qui ont d’abord construit les moteurs d’avion. C’est comme si d’un coup, je devenais sertisseur alors que je suis lapidaire. Bwarf, vraiment….

Il reprit sa place dans son siège, d’un air agacé par sa propre remarque, les bras clos. Parfois, il avait tendance à oublier que son domaine était aussi méconnu que la réalité familiale du conducteur. Nilsa lui fit comprendre par un murmure que le monde ne tournait pas autour des rubis et des turquoises, même si le sien gravitait particulièrement autour du quartz fantome. Mais ça… La société n’était pas prête à entendre qu’il n’y avait aucune pierre plus précieuse.

- Pardon, je m’emporte. Je polissais des pierres précieuses avant d’être en retraite. Sertisseur, c’est quand on met des pierres en monture. Donc rien à voir mais on a la même base. Et puis, par transparence, j’ai une Ducati.

tw; aucun

Si M. Rivera le gratifie d’un humour qu’il n’a pas vraiment en ces circonstances, il doit bien avouer que le second passager a du cachet. Il va dans son sens en promettant qu’il ne dira rien à qui que ce soit concernant son secret familial, ce qui saurait devenir rapidement un sujet une fois à nouveau seul avec le Matthews. Un moment qu’il ne redoutait pas, mais qui n’avait pas vraiment de ragoûtant pour autant, cela va sans dire.

“Pourquoi vous vous excusez ? Pour votre playlist de qualité ou le fait de préférer mentir pour vous protéger des rapaces qui viendraient vous emmerder car vous êtes un Verstappen ?”

Face à cette question, Frank l’estime rhétorique et préfère alors ne rien dire. Il y a probablement des deux, et même plus encore que ça mais, comme toujours, cela restera à sa discrétion : personne n’était capable de comprendre toute la culpabilité intrinsèque à son existence, pas même lui.

“Et Mercedes pour vous répondre. BMW, en plus de faire du tape à l’oeil, le coût de leurs réparations sont toujours exorbitantes. Et je ne fais pas confiance aux marques qui ont d’abord construit les moteurs d’avion. C’est comme si d’un coup, je devenais sertisseur alors que je suis lapidaire. Bwarf, vraiment…. — Yamaha faisait de bons pianos avant de faire de bonnes motos…”

S’il est satisfait de la réponse ? Oui. Pour autant, Frank ne s’attendait pas à la métaphore en guise d’apothéose. En miroir, l’homme s’excuse une fois rassit au fond de son siège chauffant.

“Pardon, je m’emporte. Je polissais des pierres précieuses avant d’être en retraite. Sertisseur, c’est quand on met des pierres en monture. Donc rien à voir mais on a la même base. Et puis, par transparence, j’ai une Ducati. — On est bientôt arrivé il me semble ?”, se permet Samuel, l’air d’émerger d’une courte période dissociative, probablement due à la fatigue. Albany St.

En réponse, Frank acquiesce.

“Oui, c’est au bout de la rue.”

La Mercedes décélère, va se ranger près d’un trottoir sans pour autant faire grimper son pneu dessus. Le crachin suivant l’averse est moins agressif mais tout aussi désagréable, qui plus est à cette heure tardive. Samuel reprend la parole, se retournant au possible vers M. Rivera, arborant son plus beau sourire et un bout de sa main pour lui serrer la pince :

“Merci pour ces échanges M. Rivera, nous aurons probablement l’occasion de nous revoir.”

- On est bientôt arrivé il me semble.

M. Matthew se réveilla comme la princesse des contes de fées : après la partie la plus intéressante et sans rien comprendre de l’importance du moment partagé. Judd se détourna légèrement pour le regarder de haut en bas et eut du mal à retenir un souffle exaspéré. Mais à nouveau, il n’était pas dans sa voiture et le jeune homme avait eu la gentillesse de l’inviter à y rester alors... À défaut de le respecter, il pouvait bien tenir sa langue quelques minutes de plus.

- Oui, c’est au bout de la rue.

Le pyromancien aurait pu converser encore quelques temps avec le conducteur mais l’idée de rejoindre son nid douillet lui était tout aussi réconfortante : il se faisait tard et Judd sentait son dos le lancer de plus en plus. Le confort de la voiture n’y faisait pas grand chose, le pyromancien avait besoin de repos et d’une bouillotte bien chaude, pas d’une conversation qualitative.

La voiture se gara sur le bord d’un trottoir où les passants se faisaient rares à cette heure-ci : parfait pour disparaitre au détour d’un portail !
Ceinture défaite, il attrapa Nilsa avec douceur pour la loger contre son épaule. La boule de poils invisible commençait à se montrer impatiente face à l’humain ronchon. Alors Judd ne se fit pas prier pour attraper la main tendue de ce dernier :

- Merci pour ces échanges M. Rivera, nous aurons probablement l’occasion de nous revoir.
- Merci à vous M.Matthew, cette petite course a sauvé mon manteau et ma fierté.

Judd n’était pas menteur pour un sou alors non, il ne dira pas qu’il avait hâte de le revoir.

- Quand à M. Verstappan, je le redis mais quelle efficacité dans votre conduite. Vraiment, un plaisir d’être votre humble passager. Si un jour vous avez envie de discuter Histoire et industrie automobile, je vous laisse ma carte.

Rectangle en papier de 600 g/m² posé sur l’accoudoir du conducteur, la sobriété du contenu textuel et du design était réhaussée par un reflet irisé, qui donnait une allure pétillante à la carte de visite. Un prénom, un nom, un métier, un numéro de téléphone. La réputation faisait tout et Judd n’avait pas besoin d’en dire plus pour qu’on le contacte.
Abandonnant enfin son siège, certainement au grand soulagement du fils Matthews, le pyromancien passa une dernière foisl a tête par la porte ouverte.

- À très vite et rentrez bien surtout.

Oh il n’en avait pas le moindre doute avec quelqu’un comme M. Verstappen au volant. Quand au très vite…. Il n’était ciblé que sur un seul et unique homme.

tw; aucun

Les remerciements vont en premier au Matthews, que Frank a un peu de mal à véritablement écouter, tant le sas de décompensation de fatigue n’était pas loin. Son attention est à nouveau happée, un peu frustré de ne pas avoir pu poursuivre la conversation, une autre part de lui étant tout à fait dans l’acceptation vis à vis de la chose : il y aurait moments plus opportuns que ça pour le faire. Et c’est cette pensée secrète cultivée qui eut réponse dans le geste de M. Rivera, qui dépose sa carte de visite non pas à Samuel, mais à lui.

“Quand à M. Verstappen, je le redis mais quelle efficacité dans votre conduite. Vraiment, un plaisir d’être votre humble passager. Si un jour vous avez envie de discuter Histoire et industrie automobile, je vous laisse ma carte.”

Frank ne relève la bonne facture de ladite carte de visite qu’en s’en emparant, pas très sensible à ce genre de choses - pour l’émouvoir, il s’agirait de lui faire écouter le turbo de la dernière GT-R r34 ou bien le mettre devant un film à l’eau de rose. Un bout de papier, qui plus est à cette heure là, ne pourrait pas avoir ses honneurs. A défaut, c’est l’homme dont le nom est inscrit là-dessus qui les reçoit silencieusement.

“Merci monsieur, je n’hésiterais pas.” Ou peut-être que si, finalement : il sent comme le poids d’un jugement sur un de ses profils, en disant ça. L’homme s’extirpe de l’arrière de la Mercedes et se penche une dernière fois, les saluant aimablement. “À très vite et rentrez bien surtout. — Merci, vous de même.”

Le à très vite se suffit de lui-même, la portière claque et le conducteur patiente quelques secondes afin de s’assurer que M. Rivera ait fait une partie de son chemin sans encombre. “Qu’est-ce qui s’est passé, là ? — Je sais pas. — Tu es vraiment de la famille de… — On rentre à 50 ou à 110 ?” réplique t-il en se réinsérant sur la voie. Sa façon de faire comprendre que l’affaire était close, au moins pour ce soir. Il n’arriverait pas à argumenter face à Samuel, pas dans son état. Tout ce à quoi il aspirait était désormais une douche à 40°c et finir sous sa couverture lestée de trois tonnes.

Les mph énoncés font froncer du nez le Matthews, qui n’avait pas grandi non plus à ce niveau là. “Pourquoi pas 120 ? — Il pleut.” et il y a un passager dans cette voiture qui ne lui appartient pas. L’allemande s’élance, sort de la ville pour tracer telle la fusée pour retrouver le satellite d'Edimbourg qu'est la propriété.