TW : mention de drogue/rejet maternelAu milieu de la nuit, il ferme les yeux, quelques instants seulement, c'est malheureux. Il aimerait s'éteindre, pourtant, définitivement. Ne plus être hanté par tous ces souvenirs, ne plus penser, ne plus voir, de plus étouffer sous les déboires, ne plus entendre maman qui crie, qui hurle dans ses oreilles qu'il n’est qu’un bon à rien et qu’il n’a pas fini, pas fini d’apprendre ses leçons, pas fini d'apprendre le solfège et qu’il ne le connaîtra d’ailleurs jamais, pas fini de réciter ses gammes et le solo de Schumann, celui que son père aimait tant et auquel il fait honte à présent. Alors Sílas questionne, il aimerait demander pardon, pardon d’exister, il aimerait ne pas avoir a demandé pardon d’être venu au monde, il aimerait juste être un enfant, maman a peut-être oublié qu’il l’était ?
Étendu sur son lit aux draps froissés, son esprit brumeux et brisé se disperse sous les couvertures entassées. Le venin est injecté, l'aiguille a insufflé le poison comme un murmure funeste, il va s’étourdir et s’enlaidir à force de ne pas pouvoir grandir. Mais ses chaînes le retiennent et il ne peut plus avancer, bloqué entre un passé précaire et un avenir velléitaire, il ne peut pas renaître pour recommencer. Sous le sommeil qui vient lentement le quérir, il garde les yeux fermés, car ses paupières sont trop lourdes pour se maintenir ouvertes. C’est une douce camisole construite autour de l’horreur de la réalité, et il ne ressent bientôt plus que l’ombre d’un vague sentiment léthargique, qui efface tout sur son passage… Les applaudissements recueillis, les éloges reçus, les récompenses raflées et, surtout, surtout, les mots pernicieux de sa mère, qui ne quittent jamais ses pensées.
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Trois coups contre la porte. Bien trop timides pour être entendus par l’homme qui, allongé sur le ventre, la joue contre son oreiller, une main sur ce dernier et l’autre en dessous, inspire paisiblement dans son sommeil.
Trois coups contre la porte, encore. Plus assurés et affirmés, mais rien de suffisant pour le réveiller.
Trois coups contre la porte, une nouvelle fois. Mais aucune réponse ne vient, alors le visiteur, qui se lasse d’attendre derrière la porte, décide de la franchir sans y avoir été invité.
« Réveillé ? » Puisque la silhouette endormie ne se targue d’aucun mouvement, Eli peut considérer que, non, toutes ses manoeuvres n’ont pas été suffisantes pour l’extirper de son repos. En revanche, le soleil vient suffisamment l’importuner pour qu’elle émette un premier grognement agacé, en enfouissant sa figure sous son oreiller.
« Il est déjà midi, Sílas. » Un deuxième grognement se fait entendre tandis qu’il roule avec paresse sur ses flancs, en apportant l’une de ses mains contre son visage pour frotter ses paupières, répondant alors d’une voix grave et aussi irritable qu’irritée :
« Je ne me souviens pas t’avoir demandé l’heure. » Retombant sur son oreiller, il referme les yeux quelques secondes et, c’est sans même le regarder qu’il reprend aussitôt.
« Et je ne me souviens pas non plus t’avoir donné l’autorisation de rentrer dans ma chambre donc, dégage. » Au cas-où le message n’est pas assez claire, sa main tâtonne dans le vide pour attraper le deuxième oreiller qui, lui, est lancé en direction d’Eli, sans vraiment se soucier du fait qu’il atteigne sa cible ou non.
« Referme les rideaux avant de sortir. » La politesse est restée dans les bras de Morphée et il aimerait bien y retourner, lui, donc c’est sans aucune considération pour l’intrus qu’il remonte sa couverture sur son crâne, pour se mettre à l’abri de l’astre brûlant.