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Flood et archives
:: ✦ Archives :: ✧RPs[Terminé] I need to know where your loyalties lie ft. Moira Auchincloss
Isolationniste
En ligne
Bêta testeur.se aguerri.e
La discordance des temps modernes
Pas besoin de crème solaire
Bronzer à l'ombre
Véritable vampire
Le début des emmerdes
Le temps passe vite quand on s'amuse
La bosse de l'écrivain
L'ennemi de mon ennemi est mon ami
1ere Bougie
Nano-quoi?
Trombinoscope :
Face claim : Ricky Olson
Pronoms RP : he/him
Âge : 35 ans
Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
Familier :
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Compte en banque : 1736
Arrivé.e le : 09/10/2023
Messages : 1232
J’ai l’impression de ne pas réussir à retenir le temps. Que celui-ci file à une vitesse phénoménale, comme s’il se distordait d’un coup. Les jours durent quelques secondes, parfois des semaines entières. Je n’arrive pas à me concentrer sur mon travail, et ce n’est pas parce que j’ai pu passer la nouvelle année dans les bras de mon amant que les problèmes ont disparu par magie. Au contraire ; l’avoir près de moi m’a permis de réaliser la vérité, que je suis désormais prisonnier d’une spirale qui ne peut que terminer au coeur des enfers, que cette fois, je ne pourrai pas m’en sortir d’une pirouette salvatrice. Cette fameuse histoire, elle se terminera forcément mal pour tous les partis, elle comme moi. A moins que…
Non, je ne dois pas y penser. Depuis l’annonce, je le sens s’agiter dans mon esprit. Je sais qu’il a une solution à m’apporter, mais je sais également que le laisser faire signe définitivement mon arrêt de mort. J’étais persuadé jusque là de pouvoir atteindre la quarantaine sans égratignure, et ses idées risquent fort de mener à ma perte prématurée. Comment justifier un double meurtre dans ces conditions ? Si les images terribles qui me viennent à l’esprit à chaque fois que je le laisse prendre de la place ne me font ni chaud ni froid, je comprends vite que si je les accepte comme vérité absolue, il s’exécutera et détruira le peu de réputation que j’ai réussi à amasser. Je n’ai aucunement confiance en ce monstre tapis dans l’ombre ; cacher les indices qui pourraient mener jusqu’à nous n’est pas dans ses habitudes, et si je n’ai pas encore terminé derrière les barreaux, c’est par je ne sais quel miracle. Ou probablement grâce au sanctuaire, qui sépare les sorciers des humains. Oui, c’est sûrement grâce à ça uniquement. Si j’étais resté du côté de nos ennemis…nul doute qu’on aurait déjà mis la main sur moi. Même si je n’ai toujours pas la preuve moi-même de ses exactions…du moins…je n’en suis pas certain.
Bref. Tout ça pour dire que je suis sans cesse tourmenté par des visions terribles, à entendre la voix d’une créature qui s’est installé dans mon esprit et s’est fait un véritable nid dedans. Oh, je devrais en avoir l’habitude depuis le temps ; Jake est présent depuis presque huit ans maintenant, et sa haine pour l’espèce humaine n’a jamais diminué. Mais c’est moi le problème ici. Moi qui me sens de plus en plus faible, comme si ma véritable personnalité commençait à s’effacer au profit des autres. D’abord, Thanikos a commencé à ressortir tout seul, plus fort, sans que je m’en rende compte parfois. Maintenant, Jake…et moi, dans tout ça ? Je ne suis plus rien. Epuisé au quotidien, parfois incapable de parler pendant des heures, je prie pour que cet enfer se termine.
Malheureusement, je dois être adulte et responsable. C’est ce qu’on attend de moi, non seulement parce que je m’appelle Karlsson, mais surtout parce que j’ai largement dépassé la trentaine. Je ne peux pas simplement me rouler en boule au fond du lit en pleurant que l’univers s’acharne sur moi. je dois agir, et si pour cela il me faut effacer le peu de personnalité qu’il reste de moi, je le ferai. M’écraser, me plier aux exigences des autres, apprendre à collaborer…tout ça pour éviter qu’on me l’impose. C’est le propre d’un adulte, n’est-ce pas ? Ah, comme le temps de l’enfance me paraît plus doux désormais !
Nous avons convenu d’un rendez-vous, Moira et moi. Rien de suspect pour nos familles, qu’on se le dise ; il est banal que deux futurs mariés se rencontrent pour la préparation de la cérémonie, quand bien même se réunir à deux uniquement sans personne pour nous épauler pourrait paraître suspect. Qu’importe ; je suis sûr que mes parents se fichent bien de ce que je fais avec elle, confiants qu’ils sont de m’avoir entièrement piégé dans cette histoire. Ils savent que je ne tenterai rien de fou pour m’échapper, le croient fermement en tout cas. Alors surveiller nos faits et gestes ? Ce serait une perte de temps. La menace qui pèse au-dessus de ma tête est bien plus efficace.
En enfilant ma veste en cuir noir, je me rappelle soudainement un article de tabloïd d’il y a quelques années qu’on m’a montré. Des moqueries de la plèbe sur le style vestimentaire de l’élite, pointant du doigt le fait qu’au contraire je n’arborais rien de spécial pour reconnaître mon rang. Que mon apparence était “ennuyeuse”, voire risible pour sa simplicité. Au final, j’ai surtout l’impression qu’ils ne savent plus que dire sur nous…et je n’ai certainement pas aimé être le centre de l’attention pour cette raison. Si lorsque j’étais plus jeune j’appréciais le feu des projecteurs, depuis que j’ai quitté l’Académie, je le fuis comme la peste. Et comme un fait exprès, celui-ci semble être bien plus présent aujourd’hui qu’à l’époque.
Tout de noir vêtu donc, mon apparence seulement contrasté par une broche en or massif prenant la forme d’un aigle royal, je flotte dans les rues de New Town en conservant l’air aimable qu’on me connait bien. Je suis perdu dans mes pensées en réalité, sous ce masque d’indifférence. Moira semblait avoir des idées pour arranger les choses, mais quelles pouvaient-elles être ? Y a-t-il un moyen pour qu’elle raisonne ses parents et fasse valoir un autre parti ? Elle au moins n’a pas le souci du “genre” de son futur mari. Peut-être que son petit ami actuel serait acceptable aux yeux des Auchincloss, finalement ? Un homme accompli, bien placé, peut-être riche…
Oui mais…et moi ? Est-ce que cette décision ne viendrait pas me porter préjudice, au final ? Bien sûr que si, elle le ferait. Je serais accusé d’avoir cherché la merde, à faire annuler ce foutu mariage dont l’information s’est répandue comme une traînée de poudre. Des fiançailles que la terre entière a observé - honnêtement, ça n’est presque pas une exagération - qui, si elles sont brisées pour une quelconque raison, résultera en un petit scandale pour les Karlsson. Il paraîtrait même que mon âge “avancé” soit déjà source de raillerie de la part de notre communauté, certainement l’une des raisons qui a poussé les Karlsson à accepter une union avec une hydromancienne. Pas que les manipulateurs d’eau soient particulièrement mal vus ; disons plutôt que lorsqu’on essaye de garder une famille à la magie “pure”, on évite de tabler sur des sorcières n’ayant pas le même type de magie. Pour faire plus simple : la tradition voudrait que je sois uni à une aéromancienne, et les jaseries m’ont plutôt poussé dans les bras d’une hydromancienne - ou elle dans les miens, pour ce que ça vaut.
Le café en question est en vue, dans cette rue que je tente de ne jamais trop emprunter de peur de croiser des personnes que je préférerais éviter. Je n’ai pas besoin de me cacher aujourd’hui, malgré tout ; c’est l’avantage de la situation. J’atterris non loin du lieu de rendez-vous, et y pénètre d’un pas assuré.
L’endroit est plutôt étroit bien que très bien éclairé, la devanture étant composée de larges fenêtres laissant passer la lumière du jour. Au fond, d’autres fenêtres laissent entrevoir une petite cour intérieure qui doit être un lieu de rendez-vous prisé pour les ménagères lors des beaux jours, mais qui semble fermée au public en plein coeur de l’hiver. Je m’approche du comptoir principal, restant pour le moment silencieux.
“Je peux vous aider, monsieur ?”
Une demoiselle apparaît devant moi comme si elle venait tout juste de se téléporter, faisant rater un battement à mon coeur sans que ma surprise soit visible sur mon visage. Souriante et bien habillée, elle reflète à la perfection le statut social des clients de ce café. Sans lui retourner son sourire - ce qui n’étonne personne, soyons honnêtes - je décline mon identité.
“J’ai effectué une réservation pour deux au nom de Karlsson.”
“Bien sûr ! Monsieur Karlsson, nous vous attendions. Suivez-moi, je vous prie.”
Efficace, cet endroit. Sans un mot, je m’exécute et suis donc la demoiselle en haut des marches, dans une seconde salle à moitié vide dont la décoration plus sombre et intimiste me fait songer que je ne suis pas le seul à comploter dans cet endroit. Elle m’installe au fond de celle-ci, loin du reste des clients, et semble attendre de prendre ma commande.
“J’attends une demoiselle. Lorsque celle-ci sera arrivée, vous pourrez nous servir.”
Ma voix est froide, robotique à souhait, une habitude chez moi qui semble malheureusement l’ébranler quelque peu. Son sourire se fane l’espace d’un instant, avant de revenir comme si de rien n’était. Amusant comme certaines personnes savent masquer leurs émotions, n’est-ce pas ? Je l’ignore totalement alors qu’elle quitte l’étage, préférant sortir mon portable pour vérifier l’heure. Quatre heures moins cinq ; Moira ne devrait pas tarder. Soupirant longuement, j’ouvre ma messagerie pour relire mes derniers échanges avec Lucius ; même si la conversation semble banale, l’ombre d’un sourire se dessine sur mon visage. Il me tarde de le retrouver ce soir, pour lui apprendre ce que nous avons décidé ma fiancée et moi. Après tout, peut-être devrais-je m’autoriser une lueur d’espoir ? Peut-être que nous allons trouver une solution, tous ensemble. Comme mon amant l’a prédit le soir du 31, en affirmant que puisque personne ne veut de ce mariage, il était impensable de se dire qu’il aurait bel et bien lieu.
L’heure arrive enfin, marquée par une pendule quelque part dans le café. J’éteins à regret mon appareil, et fixe d’un regard glacial les escaliers en espérant y apercevoir une tignasse brune. Elle ne devrait pas tarder, n’est-ce pas ?
Non, je ne dois pas y penser. Depuis l’annonce, je le sens s’agiter dans mon esprit. Je sais qu’il a une solution à m’apporter, mais je sais également que le laisser faire signe définitivement mon arrêt de mort. J’étais persuadé jusque là de pouvoir atteindre la quarantaine sans égratignure, et ses idées risquent fort de mener à ma perte prématurée. Comment justifier un double meurtre dans ces conditions ? Si les images terribles qui me viennent à l’esprit à chaque fois que je le laisse prendre de la place ne me font ni chaud ni froid, je comprends vite que si je les accepte comme vérité absolue, il s’exécutera et détruira le peu de réputation que j’ai réussi à amasser. Je n’ai aucunement confiance en ce monstre tapis dans l’ombre ; cacher les indices qui pourraient mener jusqu’à nous n’est pas dans ses habitudes, et si je n’ai pas encore terminé derrière les barreaux, c’est par je ne sais quel miracle. Ou probablement grâce au sanctuaire, qui sépare les sorciers des humains. Oui, c’est sûrement grâce à ça uniquement. Si j’étais resté du côté de nos ennemis…nul doute qu’on aurait déjà mis la main sur moi. Même si je n’ai toujours pas la preuve moi-même de ses exactions…du moins…je n’en suis pas certain.
Bref. Tout ça pour dire que je suis sans cesse tourmenté par des visions terribles, à entendre la voix d’une créature qui s’est installé dans mon esprit et s’est fait un véritable nid dedans. Oh, je devrais en avoir l’habitude depuis le temps ; Jake est présent depuis presque huit ans maintenant, et sa haine pour l’espèce humaine n’a jamais diminué. Mais c’est moi le problème ici. Moi qui me sens de plus en plus faible, comme si ma véritable personnalité commençait à s’effacer au profit des autres. D’abord, Thanikos a commencé à ressortir tout seul, plus fort, sans que je m’en rende compte parfois. Maintenant, Jake…et moi, dans tout ça ? Je ne suis plus rien. Epuisé au quotidien, parfois incapable de parler pendant des heures, je prie pour que cet enfer se termine.
Malheureusement, je dois être adulte et responsable. C’est ce qu’on attend de moi, non seulement parce que je m’appelle Karlsson, mais surtout parce que j’ai largement dépassé la trentaine. Je ne peux pas simplement me rouler en boule au fond du lit en pleurant que l’univers s’acharne sur moi. je dois agir, et si pour cela il me faut effacer le peu de personnalité qu’il reste de moi, je le ferai. M’écraser, me plier aux exigences des autres, apprendre à collaborer…tout ça pour éviter qu’on me l’impose. C’est le propre d’un adulte, n’est-ce pas ? Ah, comme le temps de l’enfance me paraît plus doux désormais !
Nous avons convenu d’un rendez-vous, Moira et moi. Rien de suspect pour nos familles, qu’on se le dise ; il est banal que deux futurs mariés se rencontrent pour la préparation de la cérémonie, quand bien même se réunir à deux uniquement sans personne pour nous épauler pourrait paraître suspect. Qu’importe ; je suis sûr que mes parents se fichent bien de ce que je fais avec elle, confiants qu’ils sont de m’avoir entièrement piégé dans cette histoire. Ils savent que je ne tenterai rien de fou pour m’échapper, le croient fermement en tout cas. Alors surveiller nos faits et gestes ? Ce serait une perte de temps. La menace qui pèse au-dessus de ma tête est bien plus efficace.
En enfilant ma veste en cuir noir, je me rappelle soudainement un article de tabloïd d’il y a quelques années qu’on m’a montré. Des moqueries de la plèbe sur le style vestimentaire de l’élite, pointant du doigt le fait qu’au contraire je n’arborais rien de spécial pour reconnaître mon rang. Que mon apparence était “ennuyeuse”, voire risible pour sa simplicité. Au final, j’ai surtout l’impression qu’ils ne savent plus que dire sur nous…et je n’ai certainement pas aimé être le centre de l’attention pour cette raison. Si lorsque j’étais plus jeune j’appréciais le feu des projecteurs, depuis que j’ai quitté l’Académie, je le fuis comme la peste. Et comme un fait exprès, celui-ci semble être bien plus présent aujourd’hui qu’à l’époque.
Tout de noir vêtu donc, mon apparence seulement contrasté par une broche en or massif prenant la forme d’un aigle royal, je flotte dans les rues de New Town en conservant l’air aimable qu’on me connait bien. Je suis perdu dans mes pensées en réalité, sous ce masque d’indifférence. Moira semblait avoir des idées pour arranger les choses, mais quelles pouvaient-elles être ? Y a-t-il un moyen pour qu’elle raisonne ses parents et fasse valoir un autre parti ? Elle au moins n’a pas le souci du “genre” de son futur mari. Peut-être que son petit ami actuel serait acceptable aux yeux des Auchincloss, finalement ? Un homme accompli, bien placé, peut-être riche…
Oui mais…et moi ? Est-ce que cette décision ne viendrait pas me porter préjudice, au final ? Bien sûr que si, elle le ferait. Je serais accusé d’avoir cherché la merde, à faire annuler ce foutu mariage dont l’information s’est répandue comme une traînée de poudre. Des fiançailles que la terre entière a observé - honnêtement, ça n’est presque pas une exagération - qui, si elles sont brisées pour une quelconque raison, résultera en un petit scandale pour les Karlsson. Il paraîtrait même que mon âge “avancé” soit déjà source de raillerie de la part de notre communauté, certainement l’une des raisons qui a poussé les Karlsson à accepter une union avec une hydromancienne. Pas que les manipulateurs d’eau soient particulièrement mal vus ; disons plutôt que lorsqu’on essaye de garder une famille à la magie “pure”, on évite de tabler sur des sorcières n’ayant pas le même type de magie. Pour faire plus simple : la tradition voudrait que je sois uni à une aéromancienne, et les jaseries m’ont plutôt poussé dans les bras d’une hydromancienne - ou elle dans les miens, pour ce que ça vaut.
Le café en question est en vue, dans cette rue que je tente de ne jamais trop emprunter de peur de croiser des personnes que je préférerais éviter. Je n’ai pas besoin de me cacher aujourd’hui, malgré tout ; c’est l’avantage de la situation. J’atterris non loin du lieu de rendez-vous, et y pénètre d’un pas assuré.
L’endroit est plutôt étroit bien que très bien éclairé, la devanture étant composée de larges fenêtres laissant passer la lumière du jour. Au fond, d’autres fenêtres laissent entrevoir une petite cour intérieure qui doit être un lieu de rendez-vous prisé pour les ménagères lors des beaux jours, mais qui semble fermée au public en plein coeur de l’hiver. Je m’approche du comptoir principal, restant pour le moment silencieux.
Une demoiselle apparaît devant moi comme si elle venait tout juste de se téléporter, faisant rater un battement à mon coeur sans que ma surprise soit visible sur mon visage. Souriante et bien habillée, elle reflète à la perfection le statut social des clients de ce café. Sans lui retourner son sourire - ce qui n’étonne personne, soyons honnêtes - je décline mon identité.
Efficace, cet endroit. Sans un mot, je m’exécute et suis donc la demoiselle en haut des marches, dans une seconde salle à moitié vide dont la décoration plus sombre et intimiste me fait songer que je ne suis pas le seul à comploter dans cet endroit. Elle m’installe au fond de celle-ci, loin du reste des clients, et semble attendre de prendre ma commande.
Ma voix est froide, robotique à souhait, une habitude chez moi qui semble malheureusement l’ébranler quelque peu. Son sourire se fane l’espace d’un instant, avant de revenir comme si de rien n’était. Amusant comme certaines personnes savent masquer leurs émotions, n’est-ce pas ? Je l’ignore totalement alors qu’elle quitte l’étage, préférant sortir mon portable pour vérifier l’heure. Quatre heures moins cinq ; Moira ne devrait pas tarder. Soupirant longuement, j’ouvre ma messagerie pour relire mes derniers échanges avec Lucius ; même si la conversation semble banale, l’ombre d’un sourire se dessine sur mon visage. Il me tarde de le retrouver ce soir, pour lui apprendre ce que nous avons décidé ma fiancée et moi. Après tout, peut-être devrais-je m’autoriser une lueur d’espoir ? Peut-être que nous allons trouver une solution, tous ensemble. Comme mon amant l’a prédit le soir du 31, en affirmant que puisque personne ne veut de ce mariage, il était impensable de se dire qu’il aurait bel et bien lieu.
L’heure arrive enfin, marquée par une pendule quelque part dans le café. J’éteins à regret mon appareil, et fixe d’un regard glacial les escaliers en espérant y apercevoir une tignasse brune. Elle ne devrait pas tarder, n’est-ce pas ?
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Et soudain, elle se retrouve jetée dans un tourbillon dont elle ne ressortira jamais. C’est ainsi qu’elle avait perçu ces derniers jours, un millier de sentiments contradictoires qui lui collaient à la peau. Comme si l’encre des torchons évoquant sa nouvelle condition s’était inscrite sur ses grains de beauté, tels des tatouages qu’elle n’avait pas demandés. Elle se demandait parfois comment elle parvenait à se lever, à marcher au quotidien depuis qu’elle avait quitté le cottage. Depuis que l’absence ne sonnait plus comme une promesse, les « à bientôt » prenant le goût d’adieu.
Moira était épuisée, tandis qu’elle marchait entre les passants, sur ce trottoir qu’elle voyait à peine. A quand remontait sa dernière nuit visitée de repos ? Les dernières soirées ne conservaient que la saveur de ses cauchemars, de draps trempés de ses batailles secrètes et de sel versé sur l’oreiller.
Maintenant que ses pires prédictions étaient devenues son quotidien, que la boule de cristal au sol écorchait ses jambes, elle ne cesse de se répéter qu’elle aurait pu s’épargner cela. Que le conte précisait bien que l’amoureuse aurait pu prendre la dague, la plonger dans le cœur du Prince et retourner à sa vie bien rangée, six pieds sous les mers. Elle ne valait pas mieux que son modèle féerique – la Gardienne avait succombé au chant d’autres sirènes, celles prétendant que les fins heureuses se trouvaient à sa portée.
Aurait-elle pu faire marche arrière ? Elle se posait constamment la question, entre deux échafaudages de plans tous plus farfelus les uns que les autres. L’hydromancienne posait son ongle sur chaque instant où elle aurait pu se tenir. Peut-être avant de se rendre pour la première fois à Green Bank, de monter dans cette voiture, ou bien les dizaines d’autres occasions s’étant présentées par la suite. Tout pour revenir en arrière, se priver de cette folie qui lui avait fait tourner la tête jusqu’à lui briser la nuque.
Malgré les moments merveilleux, l’apothéose de sa vie de femme, Moira ne pouvait s’empêcher de penser qu’il aurait mieux valu s’abstenir. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même, de s’être enfoncée dans ce terrier tout en sachant qu’elle n’en ressortirai pas – en s’aventurant dans une porte trop petite sans se demander comment passer son épaule pour le chemin retour.
Il y a pire destin que de se battre pour une histoire d’amour, mais pour elle, il s’agit d’un petit calvaire. Elle avait organisé son existence par étape, prévu l’ensemble de ses projets à la lettre jusqu’à ce que des yeux doux ne viennent transformer les prévisions en cendres.
Si elle n’avait pas cédé, elle ne se retrouverait pas à errer, les yeux dans le vague et déterminée à se jeter dans le vide.
Tandis qu’elle avance pour retrouver son fiancé de quelques jours, elle pense constamment à l’autre homme à qui elle a promis ses nuits. Elle est partagée entre devoir et conviction. Moira avait été sûre d’elle sur le coup, à exiger l’annulation de ces vœux odieux. Elle avait grondé, sentant sa colère bouillir avant le raz-de-marée. La jeune femme avait juré de trouver une solution, de tout arranger.
Une semaine après, la tâche lui paraissait impossible. Elle avait tourné le problème dans tous les sens, pris des notes studieuses. Et si certaines options lui paraissaient réalisables, l’énormité des moulins qu’elle devait affronter la plongeait lentement dans le désespoir.
Mais pas la résignation. Jamais.
Malgré les cernes qu’elle dissimulait d’une main experte sous les artifices, les regrets et les moments de relâchement, Moira s’estimait des plus lucides. Et la seule issue possible était celle qu’elle avait choisi : se tirer de ce mauvais pas et retrouver les bras qui l’appelaient.
Juchée sur ses talons, dans sa robe sophistiquée et serrant son sac à main avec sûrement un peu plus de force que nécessaire, elle avance vers une partie de la solution. Ou du problème, c’est selon.
Pour un homme qu’elle ne comptait absolument pas épouser, Nero Karlsson avait occupé une bonne partie de ses pensées. Elle ne savait que faire de cette silhouette sombre l’ayant trainée dans une valse aux allures plus macabres que viennoises. D’un côté, l’image si sérieuse et guindée qu’il présentait en société. De l’autre, l’excès et la légèreté qu’elle avait aperçu à la fête de l’hiver. Les deux facettes d’une même pièce qu’elle connaissait bien, pour garder ce profil plaqué sur ses fossettes elle-même.
Cette ressemblance s’arrêtait peut-être là. Contrairement à leur petite démonstration à Noël, elle se demandait sur quel pied danser avec lui. S’il pouvait être un allié, ou si elle devrait le compter dans la liste de ses ennemis. Un de plus, un de moins… Entre ses parents, ceux de Nero et le reste de la haute société, que serait un promis un peu trop enthousiaste…
Seulement voilà, il avait eu l’air tout sauf impatient de lui passer la bague au doigt lorsqu’ils avaient découvert leur destinée commune. Cette perspective lui donnait un peu d’espoir. Seule, elle ne pourrait pas aboutir à grand-chose. S’ils étaient deux à pousser contre cette union…
Moira se trouvait donc le ventre tordu d’appréhension mais aussi un peu d’impatience. Elle s’efforçait de ne pas placer ses attentes trop hautes pour éviter la déception. Mais elle prendrait tous les risques pour un peu de baume sur cette plaie béante : elle ressentait les picotements de l’optimisme se balader le long de ses bras.
Elle avait choisi une tenue élégante, mais toute en sobriété. Col montant, jupe longue… rien qui ne puisse donner l’idée d’une quelconque séduction. Son manteau couteux était cependant d’un vert apportant un peu de gaité à sa tenue, et ses boucles d’oreilles énormes – or blanc, évidemment – fut la seule autre fantaisie qu’elle s’était accordée. Cheveux relevés dans un chignon strict, elle ne voulait pas donner de fausses idées à quiconque, et surtout pas son fiancé.
Leurs parents devaient vraiment souhaiter ce rapprochement pour ne pas sourciller à l’idée qu’ils se rencontrent sans chaperon. Elle qui était désormais surveillée comme du lait sur le feu pour éviter toute incartade, elle n’avait pas vu ses géniteurs plus heureux qu’au moment où elle leur avait annoncé qu’elle rencontrait son fiancé ce jour. Leur seule exigence avait été qu’elle laisse Sùmaid à la maison. Pour lui permettre de mieux connaitre son promis, qu’ils disaient…
Si elle n’avait jamais été vraiment libre de ses mouvements par le passé, le manoir avait pris des allures de prison depuis la dernière fois qu’elle avait filé en douce pour retrouver Haesik le soir même du fiasco. C’était à peine s’ils n’avaient pas installé des barreaux à sa fenêtre…
Elle savourait donc cet aperçu – bien illusoire – de liberté, avant d’arriver à l’adresse convenue. Un regard vers sa montre lui apprit qu’elle était pile à l’heure. Soupirant une dernière fois pour se donner du courage, la Gardienne des écrits poussa la porte avant de se retrouver devant une hôtesse bien sous tous rapport – ce qui eut le don d’agacer profondément Moira. Elle qui appréciait d’ordinaire le service impeccable de ce genre d’établissement trouvait ses manières obséquieuses. Et elle se demandait si elle imaginait le regard trainant de son interlocutrice sur son visage. Nul doute qu’elle se demandait où elle l’avait vue récemment – à moins que ce soit le genre de personnes à retenir le nom de toutes les personnes susceptibles de passer le pas de cette maudite porte.
Pour la forme, et donner bonne image aux quelques clients présents, Moira fit la grâce de se montrer cordiale.
-
Cela dit définitivement quelque chose à la serveuse cette fois, et Moira prend la suite de son guide d’un air neutre. Elle ne sait pas si elle aime l’idée que son fiancé soit arrivé en avance, cela pouvait tout et rien dire à la fois. Pour autant, elle sera bien vite fixée.
Elle trouva Nero dès que son talon toucha les marches les plus hautes. Il l’attendait de pied ferme, on dirait. Lui aussi avait opté pour la discrétion. Les yeux de la jeune femme s’arrêtèrent quelques instants sur la broche qu’il arbore. Elle note distraitement les détails et qu’elle trouve l’objet admirable, avant de s’approcher.
Ils n’ont pas besoin de prétendre, à cette table isolée et l’étage presque vide. Pourtant, elle se demande l’espace d’une seconde comment s’adresser à lui. Nul baisemain inutile ou formule de politesse désuète. La formalité extrême et froide ne lui paraissait pas plus appropriée, et même contreproductive si leurs objectifs se révélaient communs. Mais une familiarité trop appuyée était également hors de questions…
Comme toujours, elle choisit l’extraversion pour se sortir de ce mauvais pas. S’installant en face du plus vieux, elle attendit que la serveuse ne disparaisse afin de lui laisser le temps d’étudier la carte pour sourire en coin.
-
Son ton était plaisant mais transpirait le sarcasme. Elle souhaitait signifier dès à présent qu’elle n’avait pas changé d’avis, mais était disposée à se montrer moins subtile s’il le fallait.
-
Elle en profita pour effectivement parcourir la carte. Moira se demanda très sérieusement s’il était encore trop tôt pour commander un verre de vin, mais il serait de mauvais effet de passer pour une alcoolique en parlant affaire. Un thé, probablement.
Non pas que cela ait une importance capitale…
-
Parce qu’il restait encore à savoir de quel côté il se situait. Si Nero n’avait pas semblé particulièrement volontaire un peu plus d’une semaine auparavant, il s’était également montré hésitant.
Et Moira avait vraiment besoin d’honnêteté, avant de poursuivre.
Qu’il lui donne quelque chose avec lequel travailler, au moins.
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La discordance des temps modernes
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Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
Familier :
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
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Messages : 1232
Elle arrive enfin, la demoiselle Auchincloss dont la vue déclenche en moi des frissons dans le dos. Pas qu’elle soit spécialement mal habillée, ou même répugnante au niveau de son physique ; c’est même une jeune femme plutôt jolie d’un point de vue strictement objectif, un bon parti pour quiconque est versé dans ce genre de pratique. Cependant il pourrait s’agir de la plus belle des femmes du monde, l’épreuve à laquelle je suis confronté à ses côtés n’en serait pas moins pénible. Car quoi de plus terrible que de se faire enchaîner par sa famille, je vous le demande ? Je commence à songer que je suis encore au purgatoire, à expier des péchés d’une autre vie. Ou de cette vie-là peut-être - je reste un meurtrier au fond. Et je ne pense pas uniquement à Aurelius…
Voir Moira me rappelle également à mon rôle d’homme accueillant sa fiancée. Dois-je la saluer comme il se doit ? Me lever, lui faire un baise-main, l’inviter à s’installer dos au mur comme un gentleman…non, ce n’est pas ce que je compte faire. Pas que je manque d’éducation - mes parents ont suffisamment insisté sur ce point-là lorsque j’étais plus jeune - mais parce que nous ne sommes pas fiancés dans cet endroit désert. Nous sommes collègues dans un cadre professionnel, engagés ensemble sur une mission que nous devons mener à bien. Sa ponctualité est au moins à noter ; je n’ai pas à râler à ce sujet, ce qui serait une perte de temps pour les deux parties.
Je ne relève pas le sarcasme, mais songe néanmoins que son enthousiasme à me retrouver cache quelque chose. Les sourcils froncés, je l’observe avec une intensité non dissimulée. A-t-elle changé d’avis depuis notre dernière rencontre ? Approuve-t-elle ce mariage forcé, malgré son coeur qui balance du côté d’un asiatique ? *Ah, au moins quelque chose que nous avons en commun, n’est-ce pas…*
J’ignore pour le moment la question de mon invitée pour claquer des doigts et héler la serveuse, elle qui avait pour consigne de revenir une fois mademoiselle Auchincloss dans les parages. Un sourire commercial au visage, la femme se rapproche donc avec son carnet, prête à prendre nos commandes.
“Bien monsieur. Et madame ?”
Si j’ai pour habitude de commander à la place des autres, je me fais néanmoins violence pour ne pas décider à la place de ma fiancée. J’ai envie de partir sur de bonnes bases avec elle et travailler en collaboration dans notre histoire, non en chef de projet. C’est ainsi que je compte gagner sa confiance et limiter les occasions pour elle de me trahir.
Une fois les boissons commandées et assuré que la serveuse ne reviendra pas avant plusieurs minutes, je soupire longuement et baisse le regard sur l’écran de mon portable pendant un court instant. Le temps de basculer la sonnerie en “ne pas déranger”, d’esquisser l’ombre d’un sourire en apercevant le nom de code de Jager dans les notifications et de reposer l’objet face contre table.
Nouvelle expression ennuyée sur le visage, cet air sévère qu’on me connaît bien. Je n’accord aucune valeur aux idées des femmes dans la vie quotidienne, alors je ne vais pas croire que celles de Moira sont plus intéressantes que les autres. Tout au plus a-t-elle accordé plus de neurones à cette activité, au milieu de ses “non activités” justement. Que fait-elle dans la vie au juste ? Moi qui enquête toujours sur les personnes que je dois approcher, voilà que je me retrouve devant une page blanche. Je connais son nom, son statut, sa famille, mais rien de sa vie personnelle. Si, il y a bien quelque chose que je peux rattacher à ce joli minois : des yeux en amande bien différents de ceux de mon amant, tout en étant étrangement similaires.
Elle sait déjà que j’ai quelqu’un, ignore simplement son genre et son statut que je ne compte certainement pas dévoiler en public…ni même en privé en réalité, cette relation ne doit être connue que d’une seule personne. Deux personnes, certes, mais je sais de source sûre que la seconde ne dévoilera jamais rien. Après ce qu’il a appris sur notre passé, Ichabod ne compte pas me trahir sous peine de signer mon arrêt de mort. Quant à Lucius…c’est contre-productif pour lui aussi, même si je crains qu’il ne fasse une folie dans l’espoir vain d’arrêter ce mariage.
Lucius et moi, nous avons longuement discuté concernant cette situation. En le retrouvant pour la première fois depuis l’annonce, je l’ai découvert dans un état lamentable, comme s’il était lui aussi forcé de vivre enchaîné à une autre qu’il n’aime pas. Pour la première fois depuis longtemps, je m’en suis voulu de faire subir de telles horreurs à un autre. Pas que je sois dépourvu d’empathie, non ; mais on ne va pas dire que je m’intéresse beaucoup aux autres, au point de compter les fois où j’ai fait preuve de compassion sur les doigts d’une main. Peut-être parce qu’il est difficile de prendre soin des autres quand on est soi-même dans une situation délicate, allez savoir. Quoi qu’il en soit, bien que je sois résigné à l’idée de devoir me marier avec cette femme, l’état de Lucius m’a redonné la conviction nécessaire pour tenter quelque chose contre ce mariage. N’importe quoi, pourvu que je puisse gagner du temps et peut-être même être libéré de cette situation.
A vrai dire, j’ai même songé moi-même à dévoiler mon homosexualité au grand jour. Annoncer que je suis avec un homme, un prolétaire en prime, traîner le nom des Karlsson dans la boue. Raconter la vérité sur notre famille, qu’il s’agisse du départ précipité d’Ichabod, de ce qui se passe derrière la porte fermée du manoir ou des magouilles politiques borderline du grand-père McGuire perpétuées par sa fille. Ce serait signer mon arrêt de mort, mais mon honneur personnel serait sauf…et Lucius serait protégé par l’opinion publique.
Mais je ne le ferai pas. J’ai bien trop peur des conséquences, et ne suis pas suffisamment suicidaire pour placer moi-même la corde de la potence autour de mon cou. Alors je cherche d’autres solutions, et ne trouve rien qui puisse me permettre de sortir indemne de cette histoire. Ce n’est pas non plus très facile de réfléchir lorsqu’une petite voix ne cesse de se réveiller au fond de mon esprit, me montrer des images que je ne peux ignorer…
L’idée derrière cette précipitation est symbolique : madame Karlsson est superstitieuse, et persuadée que je pourrais profiter de cette célébration pour prier l’esprit du vent de m’aider à me sortir de ce bourbier. Pour ma part, même si j’avoue que cette idée serait plaisante, je ne suis pas suffisamment croyant pour espérer une quelconque aide extérieure. Je refuse déjà l’aide des vivants, à quoi bon chercher celle d’une entité imaginaire ou des ancêtres tout aussi pourris que le reste de ma famille ?
La serveuse remonte nos boissons chaudes, et en l’entendant atteindre les dernières marches, je lève la main en gardant le coude posé sur la table pour signaler à Moira de ne plus prononcer le moindre mot temps que nous ne sommes pas seuls. Pas qu’une serveuse puisse raconter grand-chose, certes, mais ils ne faut jamais négliger le petit personnel. Tous ceux qui travaillent au manoir des Karlsson ont de belles histoires à raconter, et je sais que seule la peur les empêchent de parler. La peur d’être décrédibilisé, mais aussi…la peur de la mort. Mes parents n’auraient aucun remord à faire disparaître un “moins que rien” comme ils les appellent. Moi ? Je ne sais pas trop quoi penser. Ces “moins que rien” m’ont aidé plus d’une fois depuis mon enfance, et si j’ai toujours l’habitude de traiter les petites gens comme des animaux plutôt que des êtres humains, je commence à changer d’avis à leur sujet.
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L’indifférence qu’elle provoquait – ou pas, justement – chez son fiancé serait presque vexante si cela ne la soulageait pas infiniment. Une vie à s’amuser à faire tourner des têtes ne s’oubliait pas aussi facilement. Si la fidélité était désormais de mise pour les beaux yeux d’un amoureux dissimulé dans le placard, Moira n’avait longtemps vécu que pour plaire. Plaire à ses parents, les abrutis finis qu’ils invitaient au manoir, les petits fils à Papa qu’elle glissait dans son lit pour ensuite les jeter comme des malpropres avant qu’ils n’aient l’opportunité de lui briser le cœur… Elle possédait une liste longue comme le bras d’anciens amants prêts à jurer qu’elle était complètement folle. Non pas qu’ils s’y risquent, du moins ouvertement. Elle ne les choisissait jamais au hasard, ses victimes pour égayer ses soirées : jamais ils ne pourraient salir sa réputation sans craindre les foudres de sa famille. Enfin, cela était bien secondaire, puisqu’ils redoutaient avant tout celles de la Gardienne des écrits. Au diable les menaces de mort, ou de souffrance éternelle dans les affres sans fond de la Déesse. Moira adorait leur rappeler qu’elle était suffisamment malade pour « trouver des moyens parfaitement légaux et indétectables pour ruiner leur existence ».
Talent qu’elle avait mis à profit pour songer à diverses solutions à son « petit » problème actuel. En avisant de l’air sévère de son promis, Moira remercia de nouveau tout le Panthéon que Nero semble éprouver autant d’attirance pour elle que pour la perspective de lécher un trottoir. Elle était donc perturbée de ne pas plaire.
Perturbée, mais satisfaite.
Bon, ce serait encore plus appréciable si son aîné pouvait présenter des expressions autres que : mépris, regard vide, sourire de convenance, mépris. Elle fournissait des efforts pour paraitre agréable et mettre un peu d’entrain dans cette galère, il pourrait au moins rendre la politesse.
Au moins était-il courtois. Encore heureux, pensa-t-elle.
Alors que Nero commence à la fixer intensément, Moira commence à regretter un peu les précédentes rencontres où elle ne lui faisait visiblement ni chaud ni froid. Elle soutint pourtant son regard en croisant les bras. Sans se départir de son sourire en coin, preuve d’espièglerie et forcément, un peu de défi, la jeune femme prend le temps d’examiner celui auquel on compte la lier à vie.
Puisque l’aéromancien ne semble éprouver aucune gêne à la toiser, elle ne se fait pas prier pour lui rendre la pareille.
Il n’est pas vilain garçon, si elle est honnête. Elle était sortie avec des hommes bien plus laids par le passé. Ses yeux attiraient plutôt bien le regard – si tant est qu’on ne soit pas aisément intimidé – un corps longiligne quoique qu’à peine dans la moyenne et un goût vestimentaire dont elle ne trouvait rien à redire. Non, vraiment, cela pourrait être pire, si son cœur n’était pas pris.
Et que ce n’était pas un idiot de compétition.
Moira grimace lorsqu’elle entend le claquement de doigt adressé à la serveuse. Elle avait beau nourrir une propension marquée à l’insolence et même à l’impolitesse avec le tout-venant, elle avait toujours trouvé cette manie d’héler les membres du personnel odieuse. La déshumanisation des petites mains que l’on appelait comme des chiens n’avait rien de satisfaisant. A ses yeux, recourir à de telles manières ne révélait pas tant un sentiment de supériorité que la volonté de prétendre s’imposer alors que l’ego était fragile.
M’enfin, elle aurait tout le temps de se scandaliser plus tard. Si Nero n’avait pas été une pièce clé dans la suite des événements, sûrement se serait-elle permise une petite réflexion.
Au lieu de cela, elle se tourna vers la serveuse avec son plus beau sourire, dans une tentative de laver l’affront, ne serait-ce qu’un minimum.
-
Elle ne s’embarrassa pas à préciser de quel « thé blanc » elle parlait. Elle avait rapidement avisé la carte en arrivant, et le choix était limité en la matière. Seulement deux sortes, et elle espérait bien qu’à sa tête, il était bien sous-entendu qu’elle prendrait le plus cher.
Du reste, pour ce qui était de demander une théière complète, elle comptait bien faire durer l’entrevue pour obtenir ce qu’elle était venue chercher. Et puis, elle était connue pour consommer des quantités astronomiques de cette eau chaude. Elle qui ne supportait pas le café, elle avait dû improviser pour arriver à la fin de ses études. Moira tenait donc debout grâce au thé, à la rage et les occasionnelles cigarettes du matin.
Et une mesure industrielle de théine était plus que nécessaire si l’on considérait les nombreuses nuits blanches qu’elle avait passé dernièrement.
Une fois la jeune femme hors de portée, Nero décide de reprendre le premier.
Et quel sombre c*nnard.
Comment cela, il « doutait qu’elle ait eu le temps » de réfléchir ? A quoi pensait-il qu’elle passait ses journées depuis l’annonce de Noël ? A se tourner les pouces ? A pleurer dans un coin, se lamentant sur son sort et réclamant un canapé sur lequel s’évanouir ?
« Réfléchir à quoi, au juste » ?! Mais il se fichait d’elle ou bien ?...
-
Ah tiens, où était passée la résolution de se montrer la plus avenante possible ? Probablement au fond de sa tasse pas encore servie. En même temps, il ne lui rendait pas la tâche facile. Garder son calme alors qu’elle avait à peine fermé l’œil depuis des jours, et que leur « léger » problème la plaçait dans un état d’anxiété constante et que Nero la prenait clairement pour la première des demeurées se révélait mission impossible.
Tandis qu’il évoque leur « fâcheuse » situation – sacré euphémisme… - Moira se radoucit légèrement lorsqu’il lui rappelle que quelqu’un l’attendait de son côté. La brunette tente ainsi de retrouver un peu de sang-froid. Nero semble aussi peu enthousiaste à l’idée de l’épouser qu’au moment de leurs fiançailles, et c’était déjà un bon point.
Distraitement, dans un recoin de son esprit, l’hydromancienne se demande à quoi pouvait bien ressembler la femme qui avait ravi le cœur – froid et probablement poussiéreux – de l’héritier Karlsson. Quel genre de personne pouvait charmer un homme à la stature si altière et distante, et Moira lui souhaitait bien du courage pour supporter celui qu’elle avait choisi.
Si les tourtereaux s’aimaient à moitié autant qu’elle aimait Haesik, ils devaient former un couple charmant.
Elle retint cependant un soupir. Nero ne lui apprenait rien de neuf. Les alternatives qui s’exposaient devant eux n’étaient jamais réjouissantes. Si ces noces devaient être annulées, quelqu’un se brûlerait forcément les ailes à un moment donné. Ou coulerait tout au fond de l’océan, cela dépendait des Coven.
Moira conservait cependant la certitude que cette personne au destin funeste ne pourra jamais être son petit-ami. Que Nero le prenne en compte dans ses calculs la touchait malgré elle, comme à chaque fois qu’il était question du zoomancien. Cela la rassure, qu’il comprenne lui aussi ce que protéger quelqu’un signifiait.
Dès qu’elle imaginait les répercussions qu’une telle bombe aurait sur son secret adoré, Moira sentait une boule se former au creux de son ventre. Il en était tout simplement hors de question. Dès qu’elle s’était engagée auprès de lui, doutes et angoisses mises de côté pour de bon, elle s’était jurée de prendre sur elle. Ce vœu avait été inconscient au début, évidemment. Elle ne s’était pas imaginé qu’ils se retrouveraient là après seulement quelques temps de félicité. Elle avait en revanche passé des mois à se demander ce qui pourrait mal tourner, ce qu’elle était prête à sacrifier en tombant amoureuse. La réponse s’était imposée : peut-être pas tout, mais presque.
Le souvenir de cette soirée cauchemardesque à annoncer au jeune homme ce qu’il s’était passé le 25 décembre au soir. Le regard qu’il lui avait présenté… Moira s’en souviendrait toute sa vie, comme de l’ensemble des archives qu’elle accumulait dans sa mémoire. Sa fonction même était de se rappeler, et cette vision d’horreur la hantera jusqu’à la fin de ses jours.
Mais au milieu de cette folie, des pleurs contenus et des déchirures, il y avait eu une harmonie parfaite ce soir-là. Elle avait été fondée sur de la terreur partagée et des étreintes désespérées, comme si ils n’allaient jamais plus se revoir. Comme si cette soirée devait être la dernière passée dans les bras l’un de l’autre. Alors que tout semblait s’écrouler autour d’eux, Moira avait trouvé le moyen d’y voir une union renouvelée, une force ravivée entre eux. Au cours de cette soirée qui restera certainement l’une des pires de son existence, la complicité qu’elle avait liée avec Haesik demeurera un souvenir précieux malgré tout. On disait toujours dans ses romans que l’amour ne naissait véritablement que dans l’adversité, et que son amant ne se soit pas enfui en courant avait été la preuve qu’il méritait qu’elle supporte cette douloureuse épreuve.
Si elle n’était pas enchantée à l’idée de jeter ses parents et toute la famille éloignée aux loups, Moira avait depuis cette entrevue la certitude qu’à choisir, elle n’hésitera pas une seule seconde. Ne restait plus qu’à épargner Nero pour elle.
Aussi détestable que soient ses manies, il était également innocent dans l’histoire.
Ses bonnes intentions manquent de quitter le navire lorsque Nero lui confirme que sa future-ex-belle-famille avaient commencé à organiser la cérémonie. Et sur la douche froide se rajoute l’eau gelée de cette histoire de mariage avant la Féerie des Vœux.
De mieux en mieux…
Moira sait que ses propres parents s’affèrent également aux divers préparatifs, mais elle pensait tout de même avoir un peu plus de temps. Le premier mai ? C’était déjà demain pour elle, et la marge de manœuvre continuait à se resserrer.
Serait-ce si terrible de foutre les Karlsson au bûcher ? Enfin, tous sauf Nero ?
L’idée – agréable au demeurant – devant être abandonnée, Moira tente de cacher son effroi et ses yeux écarquillés par une toux à peine feinte. En effet, elle a l’impression de s’étouffer avec sa propre salive à ces mots.
Heureusement pour elle, le thé arrive, et elle se jette presque dessus une fois que l’eau est versée dans sa tasse. Elle se brûle d’ailleurs la langue, mais qu’importe : elle devait se reprendre, et vite. La douleur avait quelque chose de revigorant. Le thé hors de prix n’a presque pas de saveur avec ses papilles hors service, mais l’odeur a le mérite de l’apaiser un peu.
Elle note le mouvement de Nero l’invitant à la discrétion. L’hydromancienne n’est même pas tentée de lever les yeux au ciel, tant elle est secouée par la nouvelle plaie qui vient de l’atteindre. Elle note cependant avec un certain agacement le manque de confiance de son compagnon. Ce n’était pas comme si elle avait l’intention de se dévoiler à quiconque. Il devait bien savoir qu’elle était plus que capable de garder un secret. Bien que l’envie de clamer distinctement qu’elle « n’épouserai jamais un homme quand lui et que sa famille de vampires pouvait bien aller au diable » la démange, elle est trop maligne pour laisser la serveuse entendre quoi que ce soit.
Une fois sûre que ses mains ne tremblent pas, Moira rassemble toute la dignité qu’elle pouvait rassembler pour déposer délicatement la tasse sur la petite assiette en porcelaine. Elle toussote pour s’assurer que sa voix ne laisse rien paraitre de son trouble, avant d’exposer ses idées.
-
Le taux de natalité chez les sorciers étant ce qu’il était, personne ne cillera si cela s’avérait diagnostiqué. Bien sûr, ses parents réclameraient d’autres examens, mais si elle parvient à obtenir plusieurs avis dans ce sens, le doute s’installera indubitablement. Et les Karlsson tiennent trop à leur descendance pour courir le moindre risque.
La seule émotion que cela provoquerait serait une vague de compassion de façade de la part de tous. Une manière élégante de se sortir de là.
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Bien sûr, elle suppose que si elle devait avoir un enfant un jour, cela soulèvera quelques sourcils. Il lui faudra attendre au moins une dizaine d’années, le temps elle l’espérai que Nero ne ponde quelques petits bambins qui tireront autant la tronche que lui. Avec un peu de chance, cela adoucira la brûlure pour le clan aéromancien.
Elle pourra toujours invoquer un miracle, la grâce de Thalassadora, ce genre de chose. Des choses plus surprenantes arrivent tous les jours.
Et si elle devait se priver de cette possibilité définitivement eh bien… Elle vivra avec. Elle n’avait jamais songé à sa progéniture jusqu’à présent, et elle ne savait pas trop ce qu’elle pensait à ce sujet. Mais si Haesik est d’accord avec ce plan d’action, c’était tout ce qui comptait.
Elle préférait largement une vie sans enfant que sans lui.
Comme si elle ne venait pas de lâcher une option aussi grotesque – qu’un peu géniale, elle mettait quiconque au défi de le nier – elle reprit un peu de son thé, avant de reprendre en levant l’index en l’air pour continuer sa lancée.
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Nero verrait sa petite réputation de mâle entachée un temps, mais il s’était écoulé très peu de temps depuis Noël, tout bien considéré. En faisant mine de révéler une relation qui durait depuis longtemps avec autrui, et en s’y prenant tôt, Nero serait davantage vu comme une victime d’une femme manipulatrice et opportuniste qu’un homme bafoué. Qu’aurait-il pu faire alors que sa dévergondée de promise était déjà engagée avant qu’il n’ait su qu’il devait l’épouser ?
Haesik ne serait pas ravi du tout, mais il valait mieux qu’on la croit batifoler avec un autre que lui. Son zoomancien serait protégé, et c’était tout ce qui comptait.
Elle tait le fait qu’elle n’a absolument pas demandé à son « candidat » ce qu’il en pensait, mais c’était secondaire. S’il acceptait, sa position provoquera un raz-de-marée médiatique, mais empêchera de trop grosses répercussions à long terme pour les Karlsson, et réduirait drastiquement leurs possibilités de représailles.
La réputation des Auchincloss sera indubitablement ternie, c’est évident. A vrai dire, Moira n’en avait rien à faire. Enfin, elle essayait de s’en convaincre.
Quant à la sienne… la jeune femme sait qu’elle fichera une bonne partie de sa vie en l’air, mais au moins serait-elle libre. Sa position de Gardienne la protégeait, mais elle savait sa situation fragile. Tant que l’ancienne titulaire serait en vie, elle pourra toujours être remplacée… mais si son potentiel amant fictif était de la partie, ce ne serait pas un problème…
Que Nero ne fourvoie pas, Moira était parfaitement consciente des risques. Son regard déterminé en est la preuve. Elle n’est ni inconsciente ni stupide. Si un scandale sexuel n’a jamais empêché un homme de rebondir, ce ne sera certainement pas le cas pour elle.
Elle réalise qu’elle propose exactement la même chose que le soir de Noël, et qu’elle était revenue sur sa décision eut égard à son nom et ses parents. Cependant, elle a mesuré le pour et le contre. Et elle préfère se jeter sous les roues du carrosse elle-même si le plus grand nombre s’en sort indemne. Son visage exprime soudainement sa gravité, qu’elle est mortellement sérieuse et y a longuement réfléchi, contrairement à ce que Nero semble penser. Disparue, la jeune ingénue qui semble ne se soucier de rien. Place à la femme, avec un certain penchant pour le dramatique, qui veut vraiment trouver la solution parfaite et laisser son fiancé le plus loin possible des pots cassés.
Il ne s’agit pas d’une volonté altruiste d’épargner les autres : seulement de prendre la voie la plus noble qui la tirera de là. A bien y réfléchir, tout le monde s’en sortirai plutôt bien : Nero serait libéré de ses obligations, les Karlsson fulmineraient mais recevraient la sympathie des autres, ses parents la déshériteraient probablement – elle compte déjà là-dessus à terme de toute façon – et auraient du mal à se relever. Elle a envie de dire, bien fait pour eux. Mais ils réfléchiraient bien vite au ratio perte/bénéfice que la liaison de leur fille indigne pourrait leur apporter considérant qui elle envisageait comme complice…
Haesik devra se contenter d’une femme à la réputation terrible, mais elle n’a aucun doute que ce sera le dernier de ses soucis.
Ne restera qu’elle, qui souffrira des conséquences toute sa vie, mais c’était un risque qu’elle était prête à prendre.
Trouvant l’ambiance bien trop lourde, Moira s’efforce de sourire en haussant les épaules.
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Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
Familier :
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Compte en banque : 1736
Arrivé.e le : 09/10/2023
Messages : 1232
Moira se moque de moi, mais je ne relève pas cet affront de sa part. Le stress peut altérer la personnalité de n’importe qui dans ce genre de situation, moi-même je ne suis pas forcément dans mon état normal. Mes muscles sont crispés, mon esprit entièrement tourné vers cette problématique, mon imagination me montre des images aussi horribles que probables. Je pense déjà à ce mariage comme s’il avait eu lieu, voyant très clairement la cérémonie, les invités, la réaction de chaque personne connue ou inconnue des Karlsson. Je vois clairement le visage satisfait de mes parents comme des siens, sens le regard sévère de Madame Karlsson qui ne sera évidemment pas entièrement heureuse du déroulé des événements. Après tout, qu’attend-elle pour me reprocher d’avoir réussi à mettre la bague au doigt à une hydromancienne plutôt qu’une aéromancienne ? Me marier ainsi hors de mon coven est déjà une révolution pour eux, et dans un certain sens, ce sera de ma faute. J’ai fait fuir tous les bons partis, et Moira ici présente fait office de lot de consolation. Si les Auchincloss savaient ce que les Karlsson pensent d’eux…peut-être qu’ils seraient moins enthousiastes à l’idée de lier nos deux familles pour des générations à venir. Est-ce que je devrais glisser un mot à ce sujet, aujourd’hui ? Qui sait, il serait possible - probable tout du moins - qu’ils abandonnent réellement l’idée…
Mais ça, ce serait dans le cas improbable où cette simple mention ne me retombe pas dessus. Quand on est à ma place, dans les griffes de ceux qui m’ont donné la vie, on apprend à faire un numéro d’équilibriste au-dessus du vide. Conserver le status quo, une certaine sécurité, garder l’ennemi dans une humeur plutôt égale et prier pour que rien ne vienne altérer cette humeur. D’un point de vue extérieur, on pourrait se demander pourquoi ce numéro est nécessaire au sein d’une famille aussi riche et influente ; mais on se ferait une raison, en imaginant que le stress d’avoir sa vie constamment passée au peine fin par des inconnus à la recherche de la moindre faille justifie n’importe quel comportement. Je l’ai aussi justifié ainsi, durant de nombreuses années. Mais ces derniers temps…non. Ces derniers temps, je commence à comprendre que rien n’est normal dans cette famille, que le comportement qu’ils ont envers moi et moi envers eux n’a rien à voir avec ce qu’on attend d’un nom aussi illustre que celui des Karlsson - ou plutôt des McGuire, puisque l’origine vient de là de ce côté de l’Atlantique. Pourquoi cette réalisation si tardive ? Peut-être parce que j’avais la tête dans le guidon, comme disent les gens normaux. Je ne me suis jamais posé de questions, trop occupé à survivre du mieux que je pouvais dans cette ambiance délétère. C’est Ichabod qui m’a mis la puce à l’oreille. Lui qui a basculé d’un monde à l’autre a eu suffisamment de recul pour comprendre que notre vie au manoir n’était pas normale, même pour des gens comme nous. Pourtant, une petite voix dans ma tête continue de me blâmer pour tout. Je n’ai que ce que je mérite. Même ce mariage, il n’est qu’une punition supplémentaire pour la vie que j’ai menée jusque là. J’aurais fini par accepté mon sort, il y a quelques années…si j’étais encore seul à affronter ce terrible destin. Malheureusement pour eux, les efforts que je fournis aujourd’hui contre cette union sont une lettre d’amour adressée à l’homme qui partage désormais ma vie.
C’est Lucius qui m’aide à avancer au quotidien. J’ignorais qu’il me fallait à ce point un pilier solide dans cette existence, me suis toujours contenté d’être seul face à mes problèmes. Seul face aux Karlsson, seul à l’Académie malgré ceux qui m’entouraient et me faisaient me sentir supérieur, seul au camp, seul avec mon esprit fracturé. Mais depuis l’arrivée de Lucius, plus que le retour d’Ichabod dans ma vie, cette véritable forteresse que je me suis forgée seul commence à s’effondrer et à laisser passer tout ce qui ne va pas. Mon cher et tendre dans toute son innocence s’est pris de plein fouet toutes ces problématiques, et continue encore à prendre avec cette histoire. C’est en voyant son comportement au Nouvel An, en comprenant à quel point il est attaché à moi et moi à lui, que j’ai trouvé cette force soudaine pour me battre contre ce qu’on m’impose.
Et pourtant…oui, pourtant, le doute s’installe encore dans mon esprit. Parce que je sais que c’est une décision terrible qui aura de terribles conséquences. Briser ces fiançailles, c’est placer une cible dans mon dos et celui de Moira, mais aussi dans le dos de tous ceux qui gravitent autour de nous. Il nous faudra être extrêmement prudents, et prier pour que tout se déroule selon nos plans.
Moira change de comportement à l’annonce de l’imminence du projet, signe qu’elle a un minimum de plomb dans la cervelle. Son visage pâlit, son expression flanche l’espace d’un instant malgré les efforts qu’elle doit fournir pour rester sous son meilleur jour. Il n’y a personne d’autre que moi à impressionner dans ce restaurant, cependant je comprends la démarche. Moi-même ne souhaite pas baisser ma garde, de peur que qui que ce soit nous espionne malgré nous. Il y a des fenêtres après tout, et cette serveuse pourrait revenir à tout moment…
En écoutant ses explications concernant les médecins, je peine à voir un rapport avec ce foutu mariage. Mais tandis qu’elle poursuit, mon visage perd ce côté dur et neutre pour se transformer en expression d’intense surprise. Est-ce qu’elle tente de…falsifier sa fertilité pour s’assurer d’être tirée d’affaire ? Profite peut-être que la pensée traditionnelle de nos deux familles les incite à chercher une descendance avant tout, et que donc les Karlsson refuseraient un mariage sans possibilité d’engendrer des enfants…c’est une idée de génie. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?! Je toussote, reprends une expression plus habituelle et joins mes mains par-dessus la table.
Je n’avouerai pas même sous la torture qu’une femme a eu une bonne idée, mais j’accepte néanmoins cette possibilité dans mon silence. Une “tragédie” qui ferait les gros titres comme elle le dit si bien, qui pourrait potentiellement nous sauver tous les deux. Enfin, me sauver moi ; je doute que les Karlsson soient très heureux de l’apprendre. Ils se sentiraient lésés, et c’en serait fini de la famille Auchincloss. Je ne devrais pas m’en faire, moi qui suis généralement trop égoïste…mais ça me fait quand même quelque chose, de me dire que cette demoiselle risque d’être traînée dans la boue aux côtés de sa famille par la seule faute de cette union non consentie. Je soupire longuement, et bois une gorgée de café.
Je manque par contre de m’étouffer à sa seconde proposition, et repose soigneusement ma tasse comme si celle-ci était soudainement empoisonnée. Une liaison avec un haut dirigeant ? Quoi ? Mais c’est complètement stupide comme idée ! Voilà pourquoi je n’encense jamais la gente féminine. Si parfois elles peuvent faire preuve de lucidité, les femmes sont souvent rattrapées par l’idiotie inhérente à leur espèce. Je lève les yeux au ciel sans même m’en cacher, lui montrant ainsi sans prononcer le moindre mot ce que je pense de cette nouvelle idée. Voilà, elle qui était légèrement remontée dans mon estime vient de descendre au plus bas en l’espace de quelques secondes. Et on se demande encore pourquoi je n’ai aucune estime pour les femmes ! Entre cette petite idiote et ma génitrice, je n’ai pas franchement beaucoup de raisons de revoir mon jugement envers elles. Prouvez-moi que la gente féminine est capable de se hisser au niveau des hommes, et je réviserai peut-être mon jugement.
Une réponse simple à une théorie qui ne mérite même pas d’être considérée en tant que telle. Mais pour plus d’explication, je soupire longuement et reprends.
Le problème avec les Karlsson, c’est que leurs réactions ne sont pas égales. Surtout celles de Madame Karlsson en réalité, dont je peine toujours à prédire les pensées malgré les années de fréquentation quotidienne. Mais je peux tout de même imaginer, un peu à la manière de la météo du côté des humains, en analysant ce qu’il y a autour pour prédire le résultat. Et les analyses que je fais de ces propositions ne sont pas concluantes.
Là où Moira semble plaisanter, je suis parfaitement sérieux. Le ton grave, l’expression neutre qui remplace un certain agacement sur la conversation qui précède, et voilà qu’une fois encore mon esprit se tourne vers une radicalité qui ne me ressemble pas. J’ai beau me persuader qu’il s’agit probablement de la faute de Jake et de ses idées sombres, je crois que je ne peux pas tout lui mettre sur le dos non plus. La déprime me guette, voire peut-être pire que cela. Une dépression ? Ca n’est pas possible. La santé mentale d’un Karlsson est toujours au top, nous ne sommes pas faibles. Ah…à qui est-ce que je vais faire croire ça, franchement…
Je lui place beaucoup de responsabilités sur les épaules, mais c’est elle qui les a choisies à l’origine. Est-ce que je me dédouane entièrement dans cette histoire ? Peut-être…on ne peut pas me le reprocher, n’est-ce pas ? De toute façon je devrai bien assumer les conséquences une fois cette histoire terminée.
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Une démarche intéressante ?
Voilà un bel euphémisme pour décrire son idée de génie. Moira ne s’en formalise pas. Elle peine encore à cerner celui qui doit partager le reste de ses jours, elle a la bonne grâce de mettre sa réaction sur le compte d’une personnalité réservée. A sa place, la jeune hydromancienne aurait sûrement sauté de joie et félicité son interlocuteur, mais n’était pas expressif qui veut.
Elle y a pensé, à cette solution, depuis des jours. C’était la porte de sortie idéale : pas d’enfants, pas de mariage. Ce serait désastreux pour les Auchincloss, mais ils s’en remettraient. L’une des seules certitudes qu’elle pouvait encore entretenir vis-à-vis de ses parents était qu’ils l’aimaient profondément – à leur manière. Ils seraient probablement plus effondrés de la savoir à jamais privée de ce bonheur suprême qu’était donner la vie que pour leur héritage. Du côté Karlsson, la Gardienne n’avait absolument aucun doute : ils avaient un nom, une réputation à perpétuer. Jamais ils n’accepteraient que leur fils, l’espoir de tout un clan, ne s’allie avec un produit défectueux.
Car ce serait exactement comme cela qu’il la verrait, et nombre d’autres observateurs également. Une femme incapable d’avoir des enfants provoquaient la sympathie, mais également la pitié. Aux yeux du monde, elle avait échoué à la seule responsabilité qui lui incombait. Aussi ridicule que cette notion soit, Moira se posait des questions depuis que ce plan avait germé dans son esprit. Le genre d’interrogation qui n’avait jamais traversé sa pensée devenait aujourd’hui le sujet principal de ses réflexions.
Sa propre mère avait bataillé pour qu’elle voit le jour, et Moira en avait suffisamment entendu – probablement trop. Cela avait justifié l’amour débordant, étouffant que cette dernière avait dirigé vers elle. Petite fille, cela avait été merveilleux d’être aussi fusionnelle avec sa mère. Elle était constamment couverte de cadeaux et d’attention : elle n’avait qu’à ouvrir la bouche pour obtenir tout ce qu’elle voulait. Elle était de ces enfants pourris gâtés qui montrait un œil sympathique vers la plèbe, sur ces familles qui devaient bien souvent choisir entre nourrir sa progéniture ou leur offrir des présents à leur anniversaire. Dans son foyer, c’était au contraire l’équivalent de Noël toute l’année.
Le revers de la médaille était arrivé rapidement cependant : elle serait la seule et unique, l’échappatoire de toute une existence morne. Ses parents avaient tellement désiré sa présence, avait tant œuvré pour qu’elle soit là… Moira n’avait pas compris au début pourquoi elle se devait d’exceller dans tous les domaines. Pourquoi sa réussite en cours était une monnaie d’échange : un succès signifiait un nouveau cadeau sur son lit en arrivant. Un échec était au contraire soldé par des regards déçus, et parfois un silence oppressant. Au fil des années, tandis que la maturité éveillait sa conscience, la petite brune avait fini par comprendre que l’affection que lui portait ses éducateurs était conditionnel. Elève douée mais peut mieux faire, fille correcte mais pouvant honorer davantage ceux à qui elle devait tout. Elle serait toujours poursuivie par le sceau d’une dette qu’elle ne pourrait jamais rembourser, peu importe qu’elle n’ait pas eu mot au chapitre. Sois la première ma fille, et nous t’aimerons plus, voilà ce qu’elle avait retenu de ses années d’enfance. Peu importe que cela ait été la cause de ses premières crises d’angoisse, des larmes nerveuses lorsqu’elle n’atteignait pas les exigences démesurées de ses parents. Peu importe que, désormais adulte, elle soit encore aux prises avec ses cauchemars d’échec et de médiocrité, quand bien même elle savait maintenant à quoi elle aspirait.
Une vie paisible, et une présence réconfortante à ses côtés.
Il lui était devenu impossible de déterminer si l’ambition qui la caractérisait depuis toujours était le fruit de sa propre personnalité, ou des idées qu’on lui avait plantées dans le crâne.
Parmi celles-ci, des pensées arriérées, toujours plus extrêmes qu’elle avait suivi à la lettre. Moira se souvenait de son éveil progressif et douloureux, à écouter ses camarades de classe. La plupart évoluait dans les mêmes cercles fermés, qui ne voyaient jamais plus loin que le rebord de leurs fenêtres recouverts de dorures. Mais d’autres pointaient du doigt une autre version, plus réaliste. Plus dure, mais aussi plus agréable, quelque part.
Les premières fois où elle avait réalisé que quelque chose n’était pas normal dans sa dynamique familiale, Moira avait cru percuter un mur. Ce fut un enchaînement de détails : la surveillance constante qu’elle subissait, sa privation totale de la quelconque intimité, ses propres certitudes qui étaient perçues comme des défis…
Dernièrement, grâce à Haesik et ses encouragements discrets mais toujours pertinents, Moira avait dépassé ces attentes. Elle était sa propre personne, elle s’appartenait. Contrairement à ce que croyait sa mère, qui lui répétait constamment qu’elle serait toujours à elle – ce qui causait toujours un frisson de dégoût à la jeune femme – Moira pouvait réfléchir par elle-même. Les relations n’étaient pas fondées sur l’obéissance, et aimer ne signifierait jamais soumettre.
Au regard de sa propre famille, et en commençant à monter ce mensonge qu’elle ne procréera jamais, Moira commençait à se dire qu’il valait mieux ne pas avoir d’enfants que les élever comme cela. Elle se savait parfois intransigeante, et déjà femme-enfant à bien des égards. Comment pourrait-elle prendre soin d’une mini-version d’elle-même, qui sera sans nulle doute une petite peste ?
Mais en même temps… était-ce réellement ce qu’elle souhaitait ? A la perspective de ne jamais voir son ventre s’arrondir, ne jamais connaitre cet émerveillement qu’elle ressentait déjà en voyant un petit être avancer vers elle sans être le sien, son cœur se serrait. Elle en voulait à ses parents de la pousser à se questionner sur ce sujet délicat qu’elle n’avait jamais véritablement envisagé.
Quel autre choix se présentait à elle, de toute façon ? Elle pourrait songer à ce qu’être mère – ou non – impliquerait plus tard.
La réaction désagréable de Nero lui offre une échappatoire bienvenue, bien qu’elle lui fasse froncer le nez. Son « non », était une chose, mais ses yeux levés au ciel dans une preuve de mépris affichée lui hérissèrent le poil. Croisant les bras, Moira le fixa avec une moue circonspecte. Il n’était pas le seul à pouvoir démontrer du dédain.
Elle écouta cependant les explications de son fiancé sans broncher, malgré un soupir inutile de la part du plus âgé. L’hydromancienne comprit son raisonnement. Bien qu’elle doutât que les Karlsson, aussi influents soient-ils, puissent lever le petit doigt contre la personne à laquelle elle pensait, le risque demeurait trop élevé.
Moira n’avait entendu que des rumeurs sur les pouvoirs des Karlsson, que ce soit magiques ou politiques. Le peu qu’elle avait pu apprendre sur leur sujet ne donnait clairement pas envie de s’associer à eux. Nero semblait convaincu de leur capacité de nuisance. La Gardienne des écrits aurait pu croire qu’il s’agissait d’une crainte d’enfant envers des monstres sous son lit, ayant pris la forme de ses parents. Ou encore d’orgueil mal placé, à vouloir imaginer son nom plus puissant qu’il ne l’était réellement.
Cependant, son interlocuteur ne lui donnait guère l’impression de pouvoir se laisser impressionner par si peu. Or, Moira ne pouvait pas se permettre de parier si gros, en suivant seulement son instinct et la certitude qu’elle était intouchable. Elle devait penser à plus vulnérable qu’elle dans cette histoire, mieux valait abandonner l’idée et se montrer prudente.
Si elle était honnête, l’idée de trainer sa famille dans la boue ne lui déplaisait pas totalement. Cela leur mettrait peut-être un peu de plomb dans la cervelle. Fuir le pays serait peut-être le moindre mal, à bien y réfléchir…
Mais elle avait déjà décidé d’épargner les siens autant que possible, elle oublia donc cette idée.
Cela n’allait pas l’empêcher de signaler à Nero qu’il était fort peu galant pour le moment.
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Parce qu’il était bien gentil, son compagnon, mais Moira commençait à sentir une pointe d’agacement devant l’inaction de Nero. Jusqu’à présent, elle avait la seule à chercher à se sortir de ce pétrin. Lors de leurs fiançailles, elle avait celle qui avait voulu s’extirper de la situation. Peut-être avait-elle été irréfléchie et impétueuse, mais rester les bras croisés lui paraissait inconcevable.
Et aujourd’hui, bien qu’ils se soient accordés pour se re trouver ici et chercher ensemble une issue à leur problème, elle avait l’impression de ramer seule. Il avait l’air de vouloir éviter ce mariage à tout prix, mais ne proposait rien, ne faisait que rejeter ses idées et maintenant, se permettait de démontrer des signes condescendants. Moira était déterminée à être cordiale, raison pour laquelle elle se retint de le qualifier à haute voix de parfait abruti, mais elle avait ses limites. En attendant, c’était elle qui se brûlait le cerveau pour deux…
Sa petite remarque sur leur fuit – et accessoirement mort éventuelle – la refroidit de nouveau. Son air dur en prononçant cette phrase confirma qu’il pensait totalement ce qu’il disait.
Rassurant.
Soucieuse d’égayer – encore – l’atmosphère si lourde, Moira reprit sa tasse en forçant un sourire et agitant la main d’un air dramatique.
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Elle aimerait éviter d’en arriver là, évidemment. Le but de la manœuvre était de rester à couler des jours heureux avec Haesik, pas de se fiancer, se marier, profiter vingt-quatre heures et décéder dans des circonstances vraiment idiotes juste après. Elle avait déjà dressé les parallèles avec la pièce et la comédie que semblait être sa vie. Si les ressemblances pouvaient s’arrêter aux fiançailles forcées et l’amour interdit avec un homme rejeté par sa famille, cela l’arrangerait.
Elle n’avait aucune intention de périr pour cette sombre histoire. Le petit « et si » n’avait pas sa place ici. Moira était pragmatique, elle n’avait pas l’âme romantique d’autres jeunes femmes de son âge. Au milieu de ses réflexions les plus sombres, elle se refusait pourtant à étudier des scénarios catastrophes où elle devrait choisir entre trépasser et vivre la relation qu’elle souhaitait. Ce type de rêveries n’aidait personne, et n’était bon que pour les mélancoliques en mal de plus d’insomnies. Elle préférait penser concret, bien déterminée à transformer ce drame en fin heureuse, et non pas en tragédie.
Dans le cas moins extrême – enfin, tout était relatif – la fuite était déjà envisagée de leur côté. Si rien n’y faisait et que quitter sa terre natale se révélait être la seule solution, elle pourrait s’y résoudre. C’est donc toujours sur un ton léger, mais les yeux froids qu’elle prit une gorgée de thé.
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Quelque chose lui disait pourtant que ce n’était pas la solution miracle. Certes, elle serait débarrassée de ces noces encombrantes. Mais elle ne pouvait se défaire du profond sentiment d’injustice que cela allait fatalement engendrer en elle. Pourquoi serait-ce à elle et son amoureux d’être punis ? Ils n’avaient rien fait de mal, et c’était sa famille qui avait œuvré sans son accord pour la mettre dans ce guêpier. Elle devrait tout perdre, sans avoir quoi que cela soit à se reprocher. Et cela l’indignait sincèrement.
Nero a la bonne idée de remettre sa vraie fausse infertilité sur le tapis, et Moira grimace. Encore une fois, la toute puissance des Karlsson est évoquée. L’éventualité qu’ils soient assez influents pour empoisonner son existence dans les années à venir ne lui avait pas échappé. Elle avait préféré penser qu’elle serait tranquille au bout d’un moment. Que tout le monde oublierait, et qu’elle pourrait pondre ses enfants en toute discrétion à un moment donné.
Visiblement, Nero pensait que ce n’était pas le cas. La question de renoncer définitivement à cette route se posait de nouveau...
Et m*rde – cela devenait une habitude de jurer ces derniers temps.
Qui forçait les autres à se poser ces questions là à son âge, sérieusement… Elle n’en savait rien, de si elle voulait des enfants ou non elle ! Moira avait dû y songer avec Haesik lors de cette soirée fatidique, mais elle n’avait toujours pas la réponse. Ils étaient trop jeunes pour y réfléchir.
C’était injuste, vraiment. Les hommes pouvaient gambader autant qu’ils voulaient sans jamais s’arrêter deux minutes, sachant qu’ils n’auraient aucun problème sur la question. Et elle, elle devait mettre l’ensemble de sa vie dans la balance dès maintenant.
Encore une fois, Nero se lave les mains de cette histoire, et elle est déjà épuisée. Encore un peu de thé pour faire repartir la machine…
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Qui était extrême maintenant ? Moira n’avait pas spécialement peur de quelques égratignures. Etant hydromancienne, elle savait que quelques fractures et un peu de sang ne l’empêcheraient pas de vivre. Il suffirait de prétendre une lésion au mauvais endroit, un coup mal placé… elle s’était renseignée à l’avance. En plus de la sympathie qu’elle gagnerait déjà vis-à-vis de ces quelques bobos, couplée à la nouvelle terrible que cela lui laisserait des séquelles à vie, personne ne pourra rien dire.
Comme si elle ne proposait pas de se mettre en danger pour l’exécution de son plan, elle se resservit un peu de sa boisson dans le plus grand des calmes.
Elle était mortellement sérieuse, cependant.
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Encore une fois, elle ne comptait pas risquer sa vie pour cette histoire, et elle espérait avoir l’air de quelqu’un de suffisamment équilibré pour que ce soit évident. Son goût pour la théâtralité la poussait à rendre le tout le plus authentique possible et vraiment se jeter du haut du premier étage, elle avait bien conscience que, quitte à mentir, autant y aller jusqu’au bout.
La magie était de leur côté-là-dessus. Soigner ses plaies serait aisé. Pour ce qui était de la fertilité, c’était une autre histoire. Le taux de natalité serait bien plus élevé si leurs soins pouvaient régler ces problèmes usuels.
Enfin, une proposition d’initiative de la part de Nero. Seulement pour le dédommagement financier, évidemment. Mais Moira n’allait pas cracher dessus : pour une fois qu’il se manifestait pour autre chose que critiquer…
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En se renfonçant dans sa chaise, elle avisa de nouveau son fiancé. Quel étrange personnage… elle essayait véritablement de se montrer sympathique avec lui, mais il ressemblait plus à une tête de mule qu’un humain fonctionnel.
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Encore une fois, elle proposait un plan, et même à protéger le petit couple dont elle ignorait tout. On n’était jamais mieux servi que par soi-même, de toute manière.
Son projet n’était pas parfait, mais elle voulait pousser Nero à sortir de sa coquille et interagir davantage. Sans endosser son rôle de roi des rustres, de préférence.
En tout cas, elle était de plus en plus certaine qu’il était le dernier homme qu’elle voudrait épouser.
Elle éprouvait cependant de la compassion pour ce pauvre garçon. Il disait vrai : quoi qu'il en soit, il serait condamné à se marier un jour ou l'autre, que ce soit avec elle ou non. Pour lui, elle n'avait pas de solution à proposer. De son côté, en étant mise au ban de la société du fait de son infertilité présumée, ses parents devraient renoncer à la belle cérémonie pour elle. Mais avec un peu de chance, ils seraient peut-être plus conciliant en acceptant quelqu'un qui voudrait apparemment d'elle malgré cela.
Elle réalise quelque part qu'elle sera la seule à sortir gagnante de cette histoire si tout fonctionnait correctement. Ironique, vu que c'était elle qui perdrait une partie de sa réputation et de sa dignité dans l'histoire. Mais cela ne faisait aucun doute : elle serait libre, quelque part. Et Nero toujours coincé.
Hum, peut-être qu'à sa place, elle tirerai la gueule aussi.
Inspirée par un élan de compassion, elle se demanda ce qu'elle pourrait bien dire pour le faire penser à autre chose, mais elle supposait qu'il montrerait autant d'entrain à badiner qu'il ne l'avait fait jusqu'à présent. Renonçant à cette idée, son visage se radoucit cependant, dans une tentative de se montrer plus ouverte.
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Ce qui l'amena à sa prochaine question, qui lui brûlait la langue depuis un moment.
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Elle acheva sa seconde tasse, les yeux tournés dans sa direction. Elle ne formula aucun jugement quant au destin funeste de sa prédécesseuse. Moira n'était pas un ange, loin de là. Peut-être aurait-elle cherché des méthodes plus douces, mais elle se savait suffisamment terre à terre pour avoir recours à des moyens peu scrupuleux si cela s'avérait nécessaire. Elle aussi aurait mis tout en œuvre pour échapper à des épousailles non désirées - comme elle le prouvait maintenant.
Et donc, pourquoi prenait-il autant de gants cette fois-ci ?... Elle se doutait que la publicité de leur relation y était pour beaucoup, et de ce qu'il disait, ses parents avaient été odieux suite à l'échec précédent...
Serait-ce par crainte de leur réaction uniquement qu'il opérait de cette façon ? A bien y réfléchir, en la jetant sous le bus d'une manière ou d'une autre, il aurait très bien manipuler l'opinion générale, et s'en sortir indemne encore une fois.
Alors elle ne voyait que la peur de l'ambiance familiale, et cela l'intriguait beaucoup, dans un mélange de curiosité sincère et d'intérêt pour lui.
Soupirant, elle reposa sa tasse et jeta un coup d'œil à l'heure en soupirant.
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Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
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Arrivé.e le : 09/10/2023
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Il m’en coûte de rencontrer cette demoiselle aujourd’hui. Chaque mot que je prononce est presque douloureux, comme si parler était un échec de toute une vie. Ce n’est pas loin de la vérité, évidemment ; voir son visage, croiser son regard me rappelle avec un peu trop d’insistance cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Ces épées plutôt, car entre la menace du mariage et celle de mes parents, j’ignore laquelle est la plus effrayante actuellement. Les deux me blesseraient mortellement si elles venaient à tomber la pointe la première, les deux peuvent empoisonner ma vie et me mener à la perte.
Mais voilà. Moira ne semble pas très heureuse de mon comportement, et je ne peux pas lui en vouloir. Certes, elle reste une femme - je ne lui dois donc qu’un respect de surface, comme toutes les autres avant elle. Les formules de politesse, la galanterie d’apparence - celle que j’ai pourtant refusé d’observer dès son arrivée, puisque nous n’avons personne à impressionner ici - et un intérêt modéré pour ses dires. Pour sûr, celles qui se nomment “féministes” seraient outrées par l’éducation que nous recevons. Qu’elle soit due aux Karlsson ou au simple fait que je sois un homme, elle reste néanmoins ancrée dans mon esprit, et je m’en contente volontiers. Si j’avais un penchant pour la gente féminine, peut-être que je passerais au-dessus comme je suis passé au-dessus de la classe sociale de Jager…mais ce n’est pas le cas, et ne le sera jamais. Pauvre jeune Auchincloss, elle n’aurait pas pu tomber plus mal avec un prétendant comme moi.
Mes paroles sont un venin craché à son visage, à celle qui ose protester en assumant qu’elle est la seule à travailler dans cette histoire. Les sourcils froncés, bras croisés désormais en signe de retrait - symbole également que je ne suis plus très enclin à la conversation - je la jauge du regard comme s’il s’agissait d’une de ces mijaurées sans cervelle. C’est assez déprimant de constater à quel point elle change du tout au tout, variant entre son intelligence surprenante qui devrait faire un bon parti pour quiconque serait intéressé et cette stupidité dont elle fait encore une fois preuve, se ridiculisant toute seule à mes yeux. C’est que cette situation commence à profondément m’ennuyer, et je regrette même d’avoir proposé cette entrevue.
Son trait d’humour, une fois de plus, me passe au-dessus de la tête. Oh, ce n’est pas réellement de sa faute, il me faut l’avouer. Je n’ai jamais réussi à saisir l’ironie, le sarcasme, ou même les traits d’esprit de qui que ce soit autour de moi. Quiconque se moque de ma personne, s’il ne le fait pas ouvertement en usant d’insultes que je peux comprendre comme telles, pourra continuer ainsi pendant de longues minutes sans que ses mots me touchent. Combien de fois me suis-je accidentellement ridiculisé en soirée à cause de ce manque de réaction ? Combien se sont ri de moi lorsque je prenais leurs paroles pour de la sincérité là où ils voulaient signifier le contraire ?
Son histoire de Roméo et Juliette ne tient pas la route. Oh oui, je connais cette pièce ; il s’agit d’un classique de la littérature anglaise, évidemment que j’ai dû l’apprendre lorsque j’étais enfant. Il paraît que lorsqu’on est un homme, il faut savoir tout faire. Avoir un esprit artistique sans être réellement un artiste - autrement les activités de mon plus jeune frère n’auraient posé aucun souci - connaître ses classiques, pouvoir déclamer quelques vers à sa douce en lui demandant sa main. Je n’ai rien fait qui soit si conventionnel pourtant, mais une fois de plus, je suis un cas particulier. Il semblerait que me forcer la main a au moins le mérite de m’épargner tant de manières.
Non, vraiment, je ne comprends pas l’analogie. Seule la mort finale pourrait coller avec ce qu’elle raconte, et encore. Les deux amants ne se seraient-ils pas suicidés suite à de trop nombreux quiproquo ? Juliette aurait bu un poison qui la fit passer pour morte, devant cette vision Roméo qui n’était pas au courant se serait donné la mort, et face au cadavre de son bien-aimé, Juliette se serait réellement suicidée. J’ose espérer que dans la vraie vie, personne n’est aussi stupide.
Mais au moins, dans cette sombre histoire, j’apprends que Moira a effectivement pensé à tout. Elle ne compte pas simplement se balader dans tout Edimbourg en cherchant un médecin qui souhaite bel et bien mentir à deux familles parmi les plus influentes ; elle a tout de même de la suite dans les idées, et son histoire d’accident me fait revenir dans la conversation. Je décroise les bras, me rapproche de la table et pose les mains jointes dessus une fois de plus, mon regard d’azur plongé dans le sien.
Est-ce que je viens de lui proposer de la pousser dans les escaliers pour justifier ses blessures ? Peut-être. Je reste volontairement ambigu concernant la signification de mes paroles, la laisse tirer ses propres conclusions. Dans tous les cas, cette histoire d’infertilité est certainement la piste la plus sécurisée à suivre dans l’optique de mettre fin à ce mariage avant même qu’il n’ait lieu. Il s’agirait seulement de mettre les bouchées doubles pour être certains de doubler nos familles dans la préparation de la cérémonie, histoire de ne pas risquer de voir nos efforts tomber à l’eau à cause d’une union précipitée…mais pour une fois depuis noël, j’ai enfin un espoir.
Cependant alors que je commençais à me détendre, le stress descendant d’un cran dans mon esprit, ses paroles me font me redresser d’un seul coup. Est-ce que j’ai bien entendu ? Elle parle de…”ma chérie”, c’est cela ? Oui, elle assume que j’ai déjà quelqu’un dans ma vie, et évidemment, ce quelqu’un ne peut qu’être une femme. Mes yeux fuient les siens, je choisis de me noyer dans mon café plutôt que de relever ce qu’elle raconte. D’ailleurs, comment sait-elle que je suis déjà casé ? Ah…ça doit être de ma faute. Il me semble l’avoir mentionné au détour d’une conversation le soir de nos fiançailles, afin de lever le voile sur mes véritables intentions à son égard. Sans retrouver le contact visuel avec Moira, je relève enfin ses paroles.
Un lapsus très révélateur que je viens de lâcher là. Ma mâchoire se crispe d’ailleurs, une grimace se dessine sur mon visage l’espace d’un instant avant que je ne retrouve une expression plus égale par un effort colossal de ma volonté. Dans le flux de la conversation, ce n’est pas très étonnant d’entendre ce genre d’erreur…et je n’ai qu’à espérer qu’elle ne le relève pas. Je me suis vite corrigé, non ? M’accuser d’homosexualité pour un lapsus pareil serait un affront terrible, et j’ai confiance en sa volonté de ne pas faire de vagues avant l’heure.
Malheureusement pour moi, Moira semble décidée à en apprendre plus sur moi. Elle pose des questions qui sont ma foi relativement gênantes, assez pour que je m’agite sur ma chaise en cherchant une position plus confortable. Je n’aime pas parler de ces choses-là. Rares sont ceux au courant de mes “déboires amoureux”, à part peut-être quelques tabloïds qui n’ont pas manqué de rapporter mes nouvelles fiançailles en mentionnant celles qui avaient été brisées auparavant. Nero Karlsson, l’amant maudit…un tissu de mensonge dont je me drape au quotidien.
Mes paroles sonnent comme une menace une nouvelle fois, pourtant le regard que je pose sur ma tasse de café est attristé. Un long soupir passe la barrière de mes lèvres, et je termine le breuvage d’une traite avant d’enfin relever les yeux vers ma vis-à-vis.
Elle a raison, en un sens. Pourquoi l’ai-je invitée elle, là où je ne me suis pas tant formalisé avec les précédentes ? Pourquoi lui laisser une chance de s’en sortir, là où j’ai piétiné l’avenir des autres sans vergogne et sans remords ? La réponse ne tient pas en un soudain altruisme de ma part, loin de là. C’est l’égoïsme qui mène mes pas une fois de plus, et c’est par égoïsme pur et dur que je tente de la préserver.
C’est une façon plus poétique de parler de la conversation - ou peut-on vraiment appeler cela une conversation ? - que j’ai eue avec Madame Karlsson en ce jour maudit. Je choisis néanmoins de ne pas en dire plus pour le moment ; elle a raison, nous avons besoin d’alcool pour supporter cette discussion. Acquiesçant doucement, je me lève et m’éloigne de quelques pas, cherchant un cordon sur le mur du fond. Si lorsque le café est bondé un serveur circule régulièrement entre les tables à cet étage, étant les deux seuls clients installés ici - et c’est voulu, évidemment - notre intimité signifie également de devoir signaler lorsque nous avons besoin d’un service.
A peine réinstallé à ma place que la serveuse grimpe déjà les étages quatre à quatre, et s’approche de notre table avec son sourire factice qui me donne tant envie de la gifler. Je la fixe du regard, attendant qu’elle baisse les yeux de gêne pour esquisser un sourire cruel.
“Bien monsieur. Et madame ?”
J’attends patiemment que Moira choisisse son petit remontant et que la serveuse disparaisse dans la cage d’escalier pour me laisser glisser sur ma chaise, laissant du même coup mon guindage habituel s’effacer. Mon visage paraît plus fatigué d’un coup, mes gestes lents, mon regard terne. En quelques secondes à peine, le Nero arrogant et sûr de lui a disparu dans les méandres de l’univers.
Est-ce que je peux lui faire confiance et lui raconter la vérité, au moins sur ce point ? Qu’elle sache à quoi elle a affaire, au moins. Tant à mon sujet qu’à celui de mes parents. J’observe la serveuse qui revient, dépose nos commandes dans un silence assourdissant, avant de quitter la pièce pour me laisser raconter ma vie.
Mes poings se serrent sur la table face à une telle injustice. Parfois, je me rends compte que notre monde n’a absolument pas évolué avec le temps, et que nous sommes toujours bloqués dans une autre période. Lier une pauvre fillette à un homme adulte n’est normalement pas légal, pourtant quelques petites clauses permettent une telle union. A seize ans, si la jeune fille est consentante et que les parents ne s’y opposent pas, le mariage peut être prononcé. Elle peut s’enchaîner à un homme avec qui elle n’a rien en commun, gâcher sa jeunesse et voir ses rêves détruits en quelques mois à peine. Même pour un homme hétérosexuel, dans cette situation, je doute que cela soit acceptable.
Manipuler les foules par le langage, c’est une compétence bien pratique quand on y pense. Mais c’est aussi ce qui nous rend les plus dangereux, plus que le fait de pouvoir manipuler des éclairs à volonté une fois suffisamment expérimenté avec la magie pour le faire.
Un lapsus une nouvelle fois. Je ne voulais pas prononcer ces mots, mais c’est plus fort que moi. Je grimace, me redresse et avale une gorgée de whisky pour me donner du courage. J’esquisse un sourire sans joie, mon regard perdu par la fenêtre. Je ne devrais sans doute pas raconter cela. Mentionner ce que certains prendraient pour des abus de la part des Karlsson, montrer le revers de la médaille d’être né dans cette cage dorée. Mais maintenant que c’est entamé…autant continuer dans cette lancée.
Je frissonne rien que d’imaginer les conséquences. Cette fois encore, le Nero à l’arrogance et la suffisance qui crèvent le plafond disparaît au profit d’un petit garçon effrayé. Baisser mes défenses ainsi n’est pas dans mes habitudes, si bien que je me dépêche de les replacer en portant un regard dur sur Moira.
Pour la première fois depuis un petit moment, je crois ressentir une connexion avec quelqu’un. Elle, elle peut me comprendre. Elle aussi est égoïste par nature, elle aussi s’est découvert un altruisme étonnant en côtoyant son homme. Jager a lui aussi fait ressortir le meilleur de moi-même.
Invité
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En avisant de leurs deux postures fermées, à se dévisager en chien de faïence, Moira se fit la réflexion que, vraiment, ces fiançailles ne pouvaient pas plus mal commencer. De ce qu’elle avait décelé de son promis pour l’heure, la jeune femme en retenait avant toute chose une propension au dédain si énorme qu’elle se demandait comment ce café parvenait à le contenir, lui et son ego surdimensionné. Couplé avec le sien, qu’elle dissimulait pourtant depuis le début de l’entrevue, c’était à se demander comment le commerce tenait encore sur pied. A son humble avis, il aurait dû imploser à l’instant où ils avaient passé le perron.
Dans les mots de son interlocuteur, Moira ne peut manquer le mépris, la condescendance dont il faisait preuve à chacune de ses remarques. Elle était pourtant habituée à être mal et sous-estimée par ses pairs, à voir les hommes l’observer de haut. Assis sur un piédestal qu’elle s’affairait pourtant à grimper depuis des années, elle ne trouvera jamais grâce à leurs yeux. Ce constat n’était pas nouveau, mais il lui laissait un arrière-goût d’autant plus désagréable lorsqu’il s’agissait de l’homme que ses parents avaient choisi pour elle. Clairement, certains n’avaient pas fait leurs devoirs, et si elle avait besoin de plus de preuves qu’ils n’avaient pas plus pensé à son bien-être que cela en contractant cet accord, elle l’avait sous le nez.
L’hydromancienne se demanda si Nero était aussi détestable avec tout le monde, ou seulement avec les femmes. Une personnalité aussi peu aimable pouvait tout à fait se comporter de la même manière avec tout le commun des mortels. Il n’y avait pas de raison pour qu’elle soit la charmante exception. Mais elle se permettait d’en douter fortement, et la conviction profonde qu’il était de ces êtres à haïr son genre simplement parce qu’il le pouvait ne la quittait pas. De quoi le rendre d’autant plus antipathique.
Elle comprenait son raisonnement, jusqu’à un certain point. Il valait souvent mieux rester silencieux, et n’intervenir que lorsque l’on avait quelque chose de vraiment utile à apporter à la conversation. Cela rendait les interventions d’autant plus impactantees. Elle-même usait de ce stratagème dans ses tâches quotidiennes. Cela avait probablement participé à lui créer sa réputation d’écervelée qu’elle cultivait avec soin. D’ordinaire, cela ne la dérangeait pas. Il était si confortable de rester dans son coin alors que tous vous prenait pour plus bête que vous ne l’étiez. Jusqu’à ce que le moment vienne pour révéler l’ensemble des cartes accumulées dans sa manche, et les jeter sur la table.
Nero avait peut-être entendu parler de son caractère changeant, et de cet air stupide qu’elle affichait le plus souvent. Dans ces conditions, elle ne pouvait décemment pas lui en vouloir de la mépriser si fort sans la connaitre. Mais cela lui apprenait tout ce qu’elle avait à savoir sur son intelligence : il fallait toujours attendre de converser soi-même avec une personne avant de se fier aux on-dit.
Sa remarque pousse ainsi la brunette à pincer des lèvres. Monsieur était resté bien silencieux, dans son jugement autant que son inaction. Certes, il était plus agréable de paraitre toujours brillant, et de ne lever la voix que pour des éclats de génie. Mais rien n’était jamais aussi simple, et agir de la sorte dénotait selon elle d’un esprit plutôt lâche. Jouer uniquement sur ses forces ne laissait aucune marge à la progression. A rester trop prudent, l’on triomphait sans gloire – passe encore – mais surtout sans mérite.
Quel était l’intérêt d’une telle rencontre s’ils n’examinaient pas absolument toutes les possibilités ? L’échange d’idées servait aussi à cela : conserver les bonnes options et écarter les mauvaises. Pour cela, cependant, il fallait bien les émettre à un moment donné. Moira avait agi impulsivement, et avait commis l’erreur suprême de croire son compagnon suffisamment mature pour entendre l’ensemble de ces hypothèses. Sur le papier, tout se valait, si l’exécution suivait. Elle ne comprenait donc pas ce qui lui valait cet air froid qu’il lui présentait alors.
Parce que « réfléchir à quelques solutions viables », cela avait bon dos. Moira se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas pointer une nouvelle fois que, ses solutions plus valables que les siennes, elle n’en avait pas vu la couleur. Sous ses grands airs, Nero se complaisait à se reposer sur ce qu’elle avait apporté sur un plateau. Il la jaugeait, la catégorisait, sans lever le petit doigt, hormis pour boire son café imbuvable.
La Gardienne s’exhorta au calme : la situation était déjà trop précaire. Elle ne pouvait pas se permettre de montrer sa colère, pas maintenant. Elle couvait silencieusement entre ses omoplates, et elle décida à rester digne. S’énerver devant lui serait la preuve qu’il attendait pour se persuader qu’il avait raison. Et elle ne lui donnera pas cette satisfaction.
C’est donc stoïque mais sans baisser les yeux qu’elle accueillit ses mots acerbes. Ses yeux verts lancent des éclairs, mais elle ne réplique pas. Qu’il interprète cela comme de la faiblesse, mais s’il avait daigné apprendre à la connaitre, il saurait qu’il valait mieux pour tout le monde que sa jolie bouche reste close face à ses attaques.
Comme à son habitude pourtant, Nero la désarçonne avec la suite de son discours. Moira doit même cligner des yeux, alors qu’il lui expose que sa comparaison lui passe complètement au-dessus de la tête. L’héritière reste à vrai dire assez bouche bée. Les parallèles étaient pourtant évidents : Haesik et elle provenaient de milieu fondamentalement opposés, personne n’était pour cette union. Elle était fiancée de force, Nero prenait les couleurs de Paris, et les amants avaient recours à des stratagèmes désespérés pour vivre leur amour au loin.
Qu’il prenne ses paroles pour lui démontrait un manque total de recul et une tendance nombriliste de plus en plus prononcée… Ou alors, il était dépourvu de toute imagination ou de capacité à saisir le figuré. Bien que l’orgueil dont il avait fait preuve précédemment la tentait à pencher pour la première option, Moira voyait trop d’incompréhension dans son regard pour rester sur sa position.
Ainsi donc, l’héritier Karlsson était de ces personnes handicapées par un monde un peu trop survolté. Cela la laissait honnêtement pantoise. Loin d’elle l’idée de juger – contrairement à lui. Elle était consciente que les acteurs du quotidien n’étaient pas tous égaux là-dessus. Il y avait du bon à évoluer ancré dans la réalité, après tout.
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Moira se sentait trop fatiguée pour se lancer dans une grande explication qui n’atteindrait pas forcément sa cible. Nero trouverait sûrement le moyen de lui souffler qu’ils n’avaient pas de temps à perdre avec cela. De plus, elle ne souhaitait pas polluer son esprit avec ces considérations-là. Qu’il prenne le temps de relever sa référence la surprenait déjà. Il avait vraiment dû être perturbé pour prendre la peine de noter cet écart.
En parlant de tragédie, il revient sur sa proposition d’accident, avec un peu trop d’enthousiasme à son goût. Moira le dévisage pendant une seconde, à la fois fascinée et outrée de sa réaction. Il n’allait pas lui faire croire qu’il agissait par pure volonté d’être serviable ?...
Elle n’avait pas besoin d’un dessin pour comprendre ce à quoi il faisait référence. Effectivement, elle n’était pas contre l’idée d’un petit coup de main – très littéral dans leur cas. Cependant, la formulation qu’il avait employée, et l’air insondable qu’il avait prit la mirent mal à l’aise. Du coin de l’œil, Moira l’observe sans répondre dans un premier temps.
Il faudrait ce qu’il faudrait, c’était un fait. Si quelques coups sur le visage devaient s’avérer nécessaire, autant que Nero s’y colle. Haesik refuserait catégoriquement de procéder – que le Panthéon le garde lui et sa nature trop sage – et Moira ne pouvait faire confiance à personne d’autres pour une tâche aussi délicate.
Le problème étant : est-ce qu’elle pouvait se fier à Nero ? Une part d’elle voulait croire qu’il se référait seulement à la mise en scène de l’accident en question. Mettre des éclats de verre par ci, casser une rambarde par là… Malheureusement pour elle, Moira n’était pas naïve. Elle était persuadée avoir très bien compris le sous-entendu.
Le pire était sûrement que ce ne serait pas forcément une mauvaise idée. Toutes ses pensées devaient avoir pour objet de rendre leur mensonge crédible. Quelques bleus, des cicatrices et fractures ne lui faisaient pas peur, et si cela s’avérait nécessaire, ce serait un moindre mal (comparé à ce qui l’attendait).
Mais entre les allusions à une mort – fausse ou véritable – précédentes, et maintenant cette proposition, Moira ne savait plus qu’en penser. Ironiquement, elle nota que la seule fois où il montrait un peu de sentiment aimable était pour qu’elle soit passée en bleu et noir.
Parfait.
Cela l’interrogeait maintenant sur les pulsions potentiellement violentes voire pires de son fiancé. Bien entendu, elles pouvaient être provoquées uniquement par l’urgence de leurs noces imminentes. Mais à qui allait-elle faire avaler cela ?
L’hypothèse qu’elle était peut-être destinée à un dangereux psychopathe ne lui échappait pas, et quelques années plus tôt, elle se serait peut-être trouvée mal. Seulement, quelles que soient les motivations profondes de Nero, Moira aussi était désespérée. Suffisamment pour accepter un tel arrangement si nécessaire.
C’est donc sans se broncher qu’elle acquiesça lentement.
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De préférence devant un témoin de confiance si possible, et en s’assurant qu’aucun objet dangereux ou rebords trop en hauteur ne soit à proximité à ce moment-là. Mais elle n’avait pas proposé cette idée à la légère. Elle irait jusqu’au bout et assumerai les conséquences, s’ils devaient en arriver là.
En tous cas, cela n’arrivera pas sans quelques garanties non plus. Elle était peut-être audacieuse, mais clairement pas inconsciente.
Nero évoque ensuite sa chère et tendre, et Moira est soulagée de laisser cette partie dangereuse et pesante de la conversation. Ainsi donc, ils avaient tous les deux la prunelle de leurs yeux enfermées dans un placard. La jeune femme eut une pensée emplie de sympathie pour l’inconnue qui avait accepté le cœur de son fiancé. L’hydromancienne se rappelait parfaitement la réaction déchirante de son zoomancien, elle ne pouvait qu’imaginer celle qu’avait eu l’amoureuse du fils Karlsson.
En tous les cas, il souhaitait visiblement la préserver, et Moira ne pouvait pas lui en vouloir.
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Elle ne peut retenir un maigre sourire en prononçant ce prénom à haute voix. L’absence était difficile à tolérer, ces derniers temps. Bien qu’elle se répète continuellement que c’était pour le mieux, Moira ne parvenait pas à effacer complètement le vide qui l’habitait depuis qu’ils s’étaient séparés. Non seulement le temps jouait contre eux, mais elle devait affronter ses peurs et ses angoisses seule le soir venu. Elle avait beau s’occuper du mieux qu’elle pouvait, réfléchir sans relâche à des solutions, le fait demeurait que son lit était froid et tristement vide l’obscurité tombée.
Comme toujours, c’est loin des yeux près du cœur qu’elle avait réalisé à quel point il lui manquait, et combien sa vie redeviendrait triste sans lui. Elle n’avait pas eu l’occasion de parler de lui à quiconque depuis les fiançailles, et cela faisait un bien fou de l’évoquer. Même si son auditoire devait être Nero Karlsson, au moins prononcer son nom le rendait de nouveau réel. Elle se demandait parfois s’il n’était pas une création de son esprit, si son besoin d’être soutenue ne lui jouait pas des tours. Alors que le silence avait remplacé leurs étreintes, la solitude devenant compagne à la place de sa présence, elle se sentait si faible à se battre contre des moulins. Entre son esprit tortueux et l’imminence du désastre, elle devait composer sans lui. Et cela devenait plus difficile de jour en jour, quand les idées étaient aussi noires que les nuages d’Edimbourg. Le plus rageant étant qu’ils n’étaient pas si loin l’un de l’autre. Elle n’avouera à personne ce qu’elle endurait chaque soir, à contempler les murs vides de sa chambre. Elle était trop fière pour conter les larmes, les découragements et les frustrations grandissantes.
Moira se forçait à l’optimisme, à se raccrocher au pragmatisme : ce contretemps prendra fin, il fallait simplement être patiente.
Seulement la patience n’avait jamais été son fort, et elle croyait perdre la raison. Elle n’en revenait pas de parvenir à se lever chaque matin, prétendre que tout allait bien pour les autres et recommencer le lendemain. Pour la plus grande partie de sa journée à vrai dire, c’était presque vrai. Elle tenait debout, souriait en commissures aussi travaillées que fausses, jusqu’à ce qu’une mélodie ou le son d’une voix ne la tire de sa torpeur. L’espace de quelques instants, elle pouvait songer à autre chose. Il lui fallait compartimenter l’ensemble de sa vie, sinon elle ne parviendrait jamais à avancer.
Le retour à l’isolement était toujours une douche froide. Elle était heureuse de pouvoir échanger avec Nero, qui lui aussi devait sans doute dissimuler sa prétendante aux yeux du monde. Lui aussi se demandait-il parfois s’il l’avait imaginé ? A ne pouvoir en parler avec personne, c’était comme si Haesik n’existait plus, et maintenant qu’elle se permettait de rediriger ses pensées vers lui, cela était plus qu’elle n’avait eu l’occasion de le faire depuis ce qui lui semblait une éternité.
Triste, mais aussi un peu rêveuse, elle ose une petite confidence qui n’aura pas d’impact pour la suite, dans une volonté de faire perdurer sa présence.
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C’était cela qu’elle aimait aussi chez lui. Ses initiatives bien sûr, mais aussi secrètement sa manière de chercher absolument à lui plaire, à lui rendre la vie plus simple. Et il devait être à l’agonie en ce moment même. Cela expliquait notamment pourquoi elle n’osait pas se confier à lui dernièrement, sachant qu’il vivait probablement plus mal la situation qu’elle. Moira savait qu’à sa place, elle aurait peut-être déjà baissé les bras. Il aurait été malvenu de lui poser le poids de ses propres peines sur le dos sachant cela.
Elle n’avait aucun doute sur le fait qu’il cherchait actuellement mille solutions possibles et imaginables, alors que rien n’était de son fait. Cela devait être insoutenable de se sentir piégé de la sorte. Alors, si elle pouvait lui donner un petit quelque chose à faire, n’importe quoi, pour qu’il se sente utile, tout en s’assurant qu’il soit relativement à l’abri, elle était preneuse.
Pressentant peut-être une nouvelle crainte ou réflexion de la part de Nero, Moira soupire en revenant à la réalité. Choisissant d’éviter un nouvel incident diplomatique, elle leva la main en geste d’apaisement avant de boire un peu.
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Elle se garda cependant d’informer que c’était Haesik le spontané du couple. Elle était très coincée avant de le rencontrer. Comme quoi…
L’homme qui se trouve devant elle n’a rien à voir avec son doux ami des animaux cependant, et elle est cueillie par une nouvelle menace. Moira haussa un sourcil, clairement pas impressionnée. « Auchincloss », vraiment ? Pour se prenait-il, pour un agent véreux croisant son associé/ennemi dans un bar secret ?
Elle allait lui répondre de changer de ton et qu’elle ne posait jamais des questions à la légère, mais l’expression de son visage l’arrêta net. La mélancolie qu’elle perçoit est en contradiction totale avec ses propos, et Moira fut encore une fois surprise par cette facette de Nero. Elle ne voyait pas ce qu’il y avait eu de si terrible dans son interrogation, mais elle préféra rester coite et écouter.
Le début de son discours lui fit froncer les sourcils, se demandant ce qu’il voulait dire. Certes, ils étaient désormais fiancés, mais qu’est-ce que cela avait à voir avec…
Ce fut le moment qu’il choisit pour presque littéralement sonner la serveuse, et Moira ne prononça pas plus de mot. Elle ne réagit pas plus lorsqu’il se comporta une fois de plus comme un goujat avec cette pauvre femme, pour une fois. C’est en relevant elle-même à peine la tête vers elle qu’elle suivit son compagnon :
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Une boisson peu distinguée pour une dame, elle l’admettait. Mais ils n’étaient plus à cela près. Le vin serait clairement insuffisant aux vues de l’eau qui les prenaient à la gorge. Contrairement à ce que sa silhouette frêle et ses nombreux excès précédents laissaient à penser, Moira tenait très bien la boisson, tant qu’elle ne s’aventurait à aucun mélange. Elle appréciait la brûlure du bon whisky, qui était un ami plus efficace que les cocktails et petits spiritueux dans les moments aussi terribles que ceux-ci.
La bouteille était peut-être excessive, mais elle pouvait affirmer sans trop s’avancer qu’ils en avaient bien besoin. Et puis, elle était sobre depuis bien trop longtemps selon elle. Sa dernière consommation datait des fiançailles justement, et il avait fallu tenir son rang. Impossible d’être ivre morte dans une soirée mondaine comme celle-ci, d’autant plus qu’elle comptait conduire par la suite.
Et puis, elle l’avait mérité, ce fichu whisky.
Alors que la jeune femme s’éloignait, Moira observa avec stupeur le comportement de Nero changer du tout au tout. L’homme digne et franchement insupportable qu’elle côtoyait jusqu’alors se métamorphosait en personne… humaine, en fait.
Il semblait plus âgé qu’il ne l’était réellement, et surtout, terriblement las. Et triste.
Ce fut cette émotion qui marqua le plus Moira, qui ne trouvait rien à dire pour une fois.
Dans un silence religieux, elle écouta attentivement son fiancé, et ses yeux s’écarquillèrent progressivement au fur et à mesure de son récit.
Qu’elle fût la troisième femme à marier officielle était déjà absurde. Que Nero ait été soumis à cette torture cinq fois était aberrant. Moira ne pouvait imaginer se retrouver dans cette tourmente tant de fois, alors qu’elle se trouvait déjà noyée maintenant. Ses parents avaient bien essayé de la caser par le passé, lui présentant nombre de bons partis. Certains lui furent fortement indiqués, jusqu’à l’écœurement, telle une oie que l’on gavait. Mais même pour les Auchincloss, un tel acharnement aurait été jugé cruel.
Elle n’eut pas le cœur à profiter de l’ange passant pour plaisanter. Quand Nero la prévint de ne pas considérer que ses actions étaient guidées par la bonté de son cœur, elle aurait pu glisser avec un petit sourire qu’elle ne l’aurait pas envisagé un seul instant. Mais l’ambiance était trop sévère, les émotions de son fiancé trop crues pour qu’elle s’y risque. Elle pouvait ressentir son mal être, ses sens d’hydromancienne en alerte totale.
Et ce qu’elle y trouvait la remuait franchement.
Le récit de ses deux premières promises ne l’émut pas plus que cela, hormis pour la vague de compassion que cela fit naitre en elle pour l’homme en face d’elle. Aussi froids et injustes que soient leurs fins, Moira aurait agi de la même manière. Peut-être avec plus de délicatesse, moins de conséquences, mais elle aurait cherché à se défaire de ces chaines au plus vite. Elle devrait être révoltée que les actions de Nero, son égoïsme, aient ruiné des vies et les espoirs de ces pauvres jeunes femmes. Mais elle ne pouvait se résoudre à les plaindre. Leurs clans avaient fait leur choix en s’alliant avec les Karlsson et en essayant de plier un individu de chair, de sang et de sentiments pour atteindre leurs buts mercantiles et bas. Les anciennes futures Mrs Karlsson étaient sûrement innocentes, mais quelle importance quand sa propre vie était en jeu ?
La première s’était visiblement mise dans ce guêpier toute seule, alors il n’y avait rien à y redire. Pour la deuxième en revanche… Les moyens qu’avaient mis en œuvre Nero étaient plus que discutables, mais qui était-elle pour le blâmer ? Moira espérait pour eux qu’ils s’en soient remis, mais elle en doutait fortement. Et qui s’en souciait, en vérité ? L’hydromancienne comprenait ce besoin d’auto-préservation, quoi qu’il en coûte aux autres. Elle n’aurait pas été aussi loin… ou peut-être bien que si ? Elle avait un caractère moins fort que Nero, et bien plus servile face à sa famille. A sa place, quelques années auparavant, toute jeune qu’elle était, elle n’aurait jamais s’opposer à leurs vœux.
L’envie ne lui aurait pas manqué cependant, et elle sait au fond d’elle-même qu’elle aurait prié pour qu’ils aillent tous au diable. Incapable de reprocher ses actions à l’aéromancien, Moira reste de marbre, comme figée tandis qu’elle en apprend davantage.
Sa posture de glace fond légèrement à l’évocation de la plus jeune de ses prédécesseuse. L’âge de cette petite lui brisa le cœur. Elle avisa des poings serrés de Nero, sentit son indignation – et elle eut l’intime conviction qu’elle n’était pas dirigée vers lui-même pour une fois. Seize ans, c’était normalement le temps des premiers amours et premières déceptions. L’âge où l’on croit tout savoir sans avoir la moindre idée de ce que la vie signifiait réellement. Alors que les détenteurs de seulement quelques années de plus avaient déjà dépensé leur argent, rencontré du beau monde, prit plusieurs portes au visage, ces enfants n’étaient pas prêts pour la suite. Ils n’étaient pas équipés, à aucun niveau. Que l’on suggère un mariage avec une fille si jeune – une gamine, ne craignons pas les mots, la révoltait sincèrement. Elle s’imaginait à sa place, seule, terrifiée et sous l’emprise de ses parents, ne sachant pas vers qui se tourner ni ce qui l’attendait. Le même sentiment de dégoût que son promis la saisit, et une moue désabusée naquit sur son visage.
Elle croyait ce temps révolu dans leur société, même dans leurs cercles huppés. Si elle remontait l’arbre généalogique, elle pouvait retrouver des traces d’enfants mariées à des hommes bien plus âgés, certes. Mais ces mœurs venaient d’un autre temps, ou du moins le croyait-elle.
Et plus que cette indignation ressentie pour cette inconnue, c’est la colère évidente de Nero qui la frappe. L’injustice qu’il ressent, et pour une fois, son humanité pour autrui. Elle ne l’aurait pas cru capable de telles émotions, mais cela lui apprit au moins une chose insoupçonnable : quelque part, très enfoui, se cachait un homme décent.
Elle n’eut pas besoin d’entendre la suite pour deviner le déroulé de cet épisode funeste : la ruine totale de la famille, l’éloignement, etc… Et honnêtement, tant mieux pour cette petite. Au moins avait-elle pu choisir la personne avec qui batifoler. Certes, elle avait été mise au ban de la société, et rejetée de l’existence qu’elle avait toujours connue… Mais il valait mieux cela qu’être mariée à un homme tellement plus âgé qu’elle. Moira ne lui souhaite que de le réaliser un jour.
Les détails sur la magie des aéromanciens lui font froncer les sourcils, et les réactions précédentes de son fiancé font sens, désormais. Dans ces conditions, avec les pouvoirs des Karlsson et leur seul nom, il était plus facile de comprendre la réticence de Nero, et de remettre en perspective les dangers qu’elle encourait.
Merveilleux… comme si elle avait besoin de cela. Mais maintenant était-elle armée, et cesserait-elle de prendre les remarques de Nero comme de l’exagération.
La Gardienne allait boire une gorgée de sa boisson ambrée lorsqu’elle dut relever interrompre son geste. Elle crut avoir mal compris, au départ. Que Nero avait eu recours à une image, bien qu’elle ait déjà établi qu’il ne les comprenait pas. Mais elle se rendit vite à l’évidence : il était on ne peut plus sérieux.
Aux vues de sa réaction, il n’avait pas prévu d’en dire autant, mais il poursuivit. Très lentement, Moira se redressa pour saisir toutes les informations qu’il lui transmettait. Elle oscillait maintenant entre la stupéfaction et l’horreur absolue.
Elle ne voulait pas croire que des parents puissent se comporter ainsi envers leur progéniture. Cela la dépassait, c’était insensé, inhumain. Pourtant, Nero est très clair : il s’agit bien de menace d’infanticide. Les Karlsson iraient donc jusque là pour préserver leur honneur, et Moira est pétrifiée d’effroi. Les frissons immanquables de son interlocuteur, sa peur palpable serrent la poitrine de la jeune femme.
Comment pouvait-on en arriver là ?...
Toutes les pièces du puzzle s’assemblent alors, et Moira comprend. Elle saisit pourquoi Nero est aussi pointilleux, mais également aussi hésitant. Ses remarques acerbes et sa prudence exacerbée ont une origine, et une justification. Peut-être bien qu’à sa place, elle aussi serait aussi peu patiente, et peu disposée à ce qu’elle considérait comme être de la bêtise, alors que sa vie était en jeu.
La vulnérabilité dont il fait preuve en cet instant demande une sacrée dose de courage, même s’il ne le voit pas pour le moment. Moira le voit sous un autre angle : il reste certes un garçon peu agréable, et ses propos restent intolérables à ses yeux. Seulement, elle saisit les raisons qui le poussent à agir ainsi, désormais.
Le moment passe à une vitesse ahurissante, et l’aéromancien se dépêche de replacer son masque sur le visage. Moira met quelques instants à reprendre un tant soit peu contenance et le contrôle de son corps. Complètement secouée par ce qu’elle vient d’entendre, et par les enjeux qui la dépassent, elle laisse son interlocuteur terminer sa tirade.
Après une petite seconde de pause, elle fixe son verre comme s’il s’agissait de la chose la plus fascinante du monde, avant d’en avaler une grande gorgée. La brûlure de l’alcool achève de remettre les choses en perspective, et après avoir savouré le goût puissant du liquide, Moira laisse son regard errer encore un peu.
Elle hésita légèrement sur la démarche à adopter. Remercier Nero pour ses confidences était une idée absurde, il détesterait. Elle évita de croiser son regard, de peur de laisser paraitre de la pitié, ce qui était sûrement la pire émotion à lui transmettre, et la dernière dont il avait besoin. Il ne souhaitera sûrement pas de sa compassion, ou de ses marques de soutien. Il n’était pas ce genre de personne, toute intrusion serait malvenue, pour lui.
Ce n’était pourtant pas l’envie qui manquait, mais elle choisit ce qu’elle considéra être la meilleure option : prendre en compte tout ce qu’il avait dit, mais ne pas le commenter en substance.
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Même dans les pires moments, elle n’avait jamais craint pour son existence. Ses parents, tout obsessionnels, étouffants et parfois même malsains qu’ils étaient, préféreraient se crever les yeux eux-mêmes que de lever la main sur elle. Elle ne pouvait qu’imaginer ce qu’avait vécu – et continuait de vivre Nero. Aucune comparaison n’était possible, ils ne jouaient pas dans la même cour.
Redirigeant son regard vers Nero, ses émeraudes tentèrent de le sonder une dernière fois. Evanoui la vision d’enfant cassé en centaines de morceaux, ne restait que la façade brillante et dure qu’il présentait au monde. Et pourtant, il était toujours là, ce petit. Elle pouvait le sentir, forcément, et cela lui déplaisait de l’admettre, mais Moira cernait enfin son compagnon d’infortune.
Les mises avaient été élevées sans qu’elle n’ait eu le temps d’y réfléchir, et tout ceci prenait une tournure de plus en plus macabre. Il ne s’agissait plus seulement de réputation, de paraitre et d’avenir fauchés. Il était question de vie ou de mort.
Et le poids qu’elle portait depuis des jours venaient de s’alourdir au centuple, brisant son dos de manière implacable. En comparaison, elle avait pris le problème avec une certaine légèreté. Aussi terrible que cela soit, une vertu se reconstruisait, s’achetait. Un futur pouvait être acquis à force de travail acharné.
Mais cela ? Elle n’y était pas préparée. Personne ne l’était.
Elle n’avait pas le droit à l’erreur, car elle ne se pardonnerait jamais si le pire devait arriver.
Et les derniers mots de plus âgé avait fini de la rallier à sa cause. Parce que oui, Moira comprenait ce qu’il disait.
Il n’était pas le seul à courir un grand danger. Sa compagne également. Et de ce qu’il disait, il n’était pas exclu qu’elle-même et Haesik aient une cible sur le front.
Et cela, c’était intolérable.
Il avait tout à fait raison : Moira considérait que son existence avait moins de valeur que celle de celui qu’elle aimait. Encore une question qu’elle ne s’était jamais posée, mais contrairement au sujet des enfants ou de son avenir, la réponse était évidente : elle ferait n’importe quoi pour le protéger, si sa vie était véritablement dans la balance. Cela était claire comme de l’eau de roche, comme Nero l’avait souligné : elle avait été prête à plonger tout son clan dans la tourmente pour lui. S’il était question de s’assurer qu’il reste indemne, elle serait prête à aller beaucoup plus loin, en effet.
Personne ne touchera un seul de ses cheveux, elle en faisait le serment.
Nero ressent visiblement la même chose pour son aimée, et cela la touche enfin. Malgré leurs différends, les voilà uni par une seule chose : la volonté de mettre leurs proches à l’abri. Et au milieu de toutes cette compréhension nouvelle, Moira se sent entendue, par la dernière personne qu’elle aurait cru capable d’un tel acte.
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Sa voix est posée, grave. Elle saisit désormais tout ce qui se cache derrière ce rendez-vous, et toute légèreté s’est envolée de son visage. Ebranlée, elle saisit la carafe en cristal et ressert plutôt généreusement les deux verres sans lui demander son avis.
Levant son propre récipient, elle le présenta à Nero, en mettant un terme une bonne fois pour toute aux regards fuyants. Dans cette proposition, se trouve un accord tacite, une tentative de les lier par quelque chose. Elle aussi, ressent l’intensité de ce qui se produit.
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Elle boit ensuite sans fausse mesure, avant de reposer délicatement son verre. Elle est comme assommée par ce qu’elle a entendu, par ce couteau qu’elle sent littéralement sous sa gorge.
Elle aimerait pouvoir dire à Nero qu’elle est désolée pour lui, qu’elle fera tout ce qui était en son pouvoir pour qu’il ne lui arrive rien. Mais ces promesses sans fond n’avaient aucune chance de le soulager, et encore moins d’avoir une quelconque valeur. Revenir sur ses confessions également serait déplacé.
Ne lui restait que le prétendu désintérêt, sans en penser un mot : épargner la dignité de son interlocuteur, sans agir comme si de rien n’était.
Parce que tout avait changé, maintenant.
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Au lieu de grands discours à coups de « je ne laisserai rien t’arriver », ou « je te protégerai », qui sonneraient faux à ses propres oreilles, Moira préfère la sobriété sincère, celle qu’elle ne peut trouver au fond de son verre.
Elle agit rarement par gentillesse pure. Bien souvent, son prétendu altruisme n’était là que pour dissimuler son narcissisme, comme tant de personnes hautes placées avant elle. Une manière de se faire bien voir, de faire jaillir sur elle les bijoux à faire valoir devant les autres. Mais il y avait des limites. Son bon fond la poussait à se refuser que quiconque perde la vie dans cette histoire. Et elle l’avoue, pour placer son zoomancien (et elle-même au passage), en surêté.
Et pas Nero, pas après ce qu’il lui avait avoué, et cette entente étrange et fragile qu’elle venait de forger avec lui. Elle ne jurait même pas vraiment pour lui, mais pour elle : elle ne s’en remettra jamais s’il devait lui arriver malheur, incapable de se regarder dans une glace pour la fin de ses jours.
Alors, elle ira jusque là s’il le fallait. Simuler sa mort, abandonner le Royaume-Uni. Tout cela lui paraissait insignifiant face à l’autre option, bien plus… définitive. Haesik et elle l’avaient déjà évoquée, cela était réglé pour elle. Tout plutôt que l’alternative.
Par une formulation détournée et sans effusion, elle voulait lui montrer qu’elle ne se démonterai pas, et que quelque part, il n’était plus si seul.
Restait un détail, minuscule, avec cette donne non seulement changée, mais visiblement explosée de part en part :
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Parce qu’elle, sa liste était au nombre de deux, et clairement pas les candidats idéals.
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Nano-quoi?
Trombinoscope :
Face claim : Ricky Olson
Pronoms RP : he/him
Âge : 35 ans
Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
Familier :
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Compte en banque : 1736
Arrivé.e le : 09/10/2023
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Nous sommes sur la même longueur d’ondes concernant nos conjoints, ce qui est un avantage non négligeable dans cette guerre que nous menons. Je note que Moira n’insiste pas plus que cela sur cette idée saugrenue d’envoyer “ma petite amie” à sa place pour brouiller les pistes, et si je ne montre rien, je soupire néanmoins intérieurement de soulagement. Mentir, c’est mon quotidien. Je mens tellement à tant de personnes différentes que je commence à sérieusement peiner à définir qui je suis réellement. Je n’ai confiance en personne, laisse la paranoïa détruire chacune de mes relations - si bien que j’ai failli tuer dans l’oeuf cet amour avec Jager, à force de vouloir tout contrôler. Lorsqu’on risque littéralement sa vie dans sa propre maisonnée, qu’on a déjà failli y passer à cause justement de cette “déviance sexuelle” comme ils aiment l’appeler, on apprend à marcher sur des oeufs.
Les personnes connaissant à la fois mon nom et mon orientation sexuelle se comptent sur les doigts d’une main. Un type à l’Académie dont j’ai oublié le nom qui a été le déclencheur d’une virée en enfer tout frais payés. Chris, l’homme m’ayant fait goûter à la liberté de l’autre côté de l’Atlantique. Ichabod, qui l’a découvert totalement par hasard et ce qui l’a poussé à quitter notre famille. Et bien entendu Lucius, qui a vite fait corréler mon nom avec ce que cela impliquait pour notre relation. Le silence, la prudence, la paranoïa.
Mais cette facette de ma personnalité n’est pas la seule que je cache soigneusement aux yeux du monde. Sous mes airs de petit con arrogant - un costume que j’ai volontiers enfilé lors de mes années à l’Académie - je manque d’assurance et crains par-dessus tout que n’importe qui apprenne cette vérité. Ma réputation en serait ruinée, et je risquerais de souiller le nom des Karlsson par-dessus le marché. Ironique, n’est-ce pas ? Que le fait de me comporter en connard soit raccord avec l’éducation de la famille, mais que faire preuve d’un tant soit peu de faiblesse nous tire vers le bas.
Cette réputation, j’ai mis des années à la construire sur la base d’un ramassis de mensonges une fois encore. Un rien pourrait la détruire, à commencer par ma véritable nature et ce qui se trame dans mon esprit brisé. D’ailleurs, une seule personne sait pour cette particularité, et c’est déjà beaucoup trop à mon goût. Mais je suppose que…je n’aurais jamais pu lui cacher ça sur le long terme, du moins pas aussi facilement que je le planque à mes parents et que je l’ai planqué à mon frère. S’enfermer dans sa chambre et soudoyer son alter pour qu’il ne fasse pas de vagues en usant de sa culpabilité, masquer ses pensées noires et empêcher un certain autre alter d’agir, c’est tout de suite plus simple quand on n’a aucune obligation de vivre à toute heure du jour et de la nuit collé à un autre être vivant. Avec Jager…même si j’en veux beaucoup à Thanikos de m’avoir forcé la main, je ne peux que me rendre à l’évidence : nous n’avions pas le choix.
Cependant ses paroles suivantes me font froncer les sourcils. Il ne resterait pas les bras croisés ? Qu’est-ce que cela signifie ? Serait-il capable de mettre les pieds dans le plat, de briser la réputation et l’honneur de deux grandes familles simplement pour le plaisir de récupérer sa belle ? L’inquiétude remonte en moi, et avec elle le stress. Bien que je garde mes remarques acerbes pour moi-même - c’est bien la première fois, tiens - mon regard communique toutes mes pensées à celle qui vient littéralement de lâcher une bombe.
Pourtant, je pourrais en dire autant de Jager. Lui aussi ne compte absolument pas abandonner l’affaire, et commence d’ailleurs à parler de solutions plus invraisemblables les unes que les autres. Oh, ses idées sont même pires que celles de Moira ; cependant l’amour rend aveugle et un peu con je suppose, puisque je m’amuse de ses réactions plutôt que de le prendre en pitié pour son manque flagrant de matière grise. Si j’avais un tant soit peu d’affection pour cette demoiselle, peut-être aurais-je des réactions différentes ? Ou peut-être que je serais plus direct encore, lui pointant du doigt chaque problème dans ce qu’elle mentionne. Les deux sont possibles.
L’égoïsme dont j’avais fait preuve par le passé ne semble pas l’émouvoir, ce qui me conforte dans cette idée que mes actions et leurs conséquences ne sont pas entièrement de mon fait. Je n’aurais pas pu me résoudre à accepter un mariage, pas si tôt, pas alors que je pensais encore à cette liberté pourtant inatteignable. Que d’autres souffrent pendant que je me hisse au sommet de ce cachot aux murs dorés n’est pas de mon ressort. Cependant mes geôliers ont vite compris mon état d’esprit, ont compris que je tentais de fuir ma prison et se sont assuré de resserrer mes liens. Aujourd’hui, comment croire que quelques efforts que ce soit puissent me sauver ? Comment redevenir combattif, m’aligner sur les espoirs de ceux qui m’entourent ?
Le silence qui règne désormais entre nous est désagréable. Je déteste ignorer le fond de ses pensées, et j’ai la cruelle sensation qu’elle me juge au plus profond d’elle-même. Me pense-t-elle faible de craindre le courroux de ma génitrice ? Il est vrai que la peur d’une femme, pour un homme tel que moi, est risible d’un point de vue extérieur. Mais elle ne la connaît pas…ils ne la connaissent pas. Personne ne peut imaginer ce dont ma mère est capable lorsqu’elle sait qu’aucun regard intrusif ne peut se poser sur ses actes. Moi, je sais. Mon corps entier en est une preuve, que je camoufle soigneusement en prétextant une pudeur qui n’est pas étonnante dans le milieu auquel j’appartiens. Des tatouages planqués sous une couche de maquillage durant les soirées mondaines, des manches longues, un pantalon en toute circonstance, des gants qui ne sont retirés qu’en de très rares occasions. Tout est un prétexte pour cacher la vérité.
Malgré moi, j’esquisse un pâle sourire à la réaction de Moira. Sa réflexion sur ses propres parents, n’importe qui aurait pu la mentionner. Il paraît que c’est rare dans notre milieu d’apprécier ses géniteurs, eux qui nous poussent généralement dans nos retranchements sous couvert de la “tradition” qui ne doit surtout pas bouger. On se plie en quatre pour les contenter mais ce n’est jamais assez. Nous ne sommes jamais parfaits, là où nous devrions pourtant être leur fierté et leur joie, apporter l’honneur sur notre nom et perpétuer ce cycle infernal. Si certains finissent par rentrer dans le moule, d’autres s’en échappent avant de perdre tout ce qui faisait leur spécificité.
En songeant à cette possibilité folle, mes pensées volent vers Ichabod, mon plus jeune frère. Lui a fini par laisser tomber ce qu’on attendait de lui, et s’est enfui de cette famille avant qu’il ne soit trop tard. C’était simple pour lui, bien entendu ; étant le dernier né, on ne s’attendait pas à des miracles de sa part, et la pression qu’il avait sur les épaules était moindre comparé à ce que j’ai pu vivre - et que je continue à vivre. Pourtant, lui aussi a dû se dépêtrer d’une éducation mal adaptée au monde qu’il souhaitait rejoindre. Les pauvres, la plèbe comme nous les appelons de notre piédestal, sont autant incapables de se fondre dans la masse lorsqu’ils goûtent à notre rythme de vie que nous le sommes une fois libérés de nos chaînes. C’est peut-être ce qui me retient de tout laisser tomber - ça, et la menace d’une mort imminente, bien entendu.
Madame Karlsson a suffisamment insisté tout au long de mon adolescence sur ce point. Elle m’a donné la vie, c’est donc normal pour elle de la reprendre si je ne m’en montre pas suffisamment digne. Aurait-elle souhaité donner ce même genre d’éducation à Aurelius, s’il avait survécu ? Regrette-t-elle que je lui ai volé son rôle en menant mon frère à sa perte…? Peut-être aurait-elle fini par le tuer de ses mains, s’il ne suivait pas ses directives. Non, je refuse de penser ainsi ! Aurelius a toujours été le préféré dans notre famille, l’enfant prodige, le fils parfait qui savait manipuler les foules. Jamais notre mère n’aurait osé lever la main sur lui. Alors depuis le temps, je me suis fait une raison. J’ai accepté cette éducation stricte, accepté que ma vie ne m’appartienne pas. Comment justifier que je sois encore enfermé dans la même chambre alors qu’à mon âge tous les hommes vivent par eux-mêmes ? Comment justifier que mes comptes soient entre leurs mains, que je doive demander la permission pour chacune de mes actions ?
Dans ma cage dorée, une chaîne en or entourant ma cheville, je suis rappelé à l’ordre à chaque instant. Ma peau est entamée, la chair commence à pourrir sous les liens, l’infection touche mon corps tout entier et menace de s’étendre à mes organes vitaux. Quand bien même elle ne m’achève pas dans les mois à venir, il y a de fortes chances pour que la maladie elle-même le fasse. Je la sens déjà se répandre en moi, s’attaquer à mes défenses, tester ma résistance. Ces pensées sombres qui reviennent lorsque je suis seul, ce manque d’appétit, ce sommeil qui ne vient qu’avec l’aide d’un véritable cocktail de potions et autres médicaments. Mais je n’ai pas le droit de me laisser aller, personne ne doit savoir. Les Karlsson vérifient les liens chaque jour, s’assurent que je n’en profite pas pour quitter cette jolie cage, ignorent volontiers les plaies suintantes sur mon corps tout entier, ignorent la faiblesse grandissante qui se rapproche inexorablement d’un point de rupture. Comment leur en vouloir ? Je suis à eux, ma vie leur appartient. La moindre des choses à faire, c’est d’accepter mon sort et de survivre jusqu’à ce qu’ils en décident autrement.
Sans grande conviction, je lève mon verre pour porter un toast à ceux qui nous permettent encore de vivre, Moira et moi. Jager est la bouffée d’air frais qu’il me manquait dans ma vie, et je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour le préserver. Même si…même si cela signifie que je dois le repousser, l’abandonner sur le bord de la route avant de foncer à toute allure dans le mur. Le protéger en le laissant partir, lui qui ne mérite pas cette vie misérable que je lui offre. Oh, il m’en voudrait sûrement beaucoup, comme Chris a dû m’en vouloir de l’abandonner sans un regard en arrière. Mais c’est pour leur bien. Je ne dénigre pas ma valeur, mais je doute d’avoir réellement suffisamment de valeur pour justifier de foutre en l’air la vie d’un autre homme.
L’alcool passe comme de l’eau dans ma gorge, et je n’en sens même plus le goût à ce stade. C’est ça quand on passe sa vie à se noyer dans le whisky et autres spiritueux, dans l’espoir d’oublier la douleur pendant un temps. Peut-être que c’est ça qui me tuera, à la longue ? C’est le propre d’un Karlsson de boire, pourtant. Il n’y a qu’à voir Ichabod, lui non plus ne s’est pas défait de cette sale manie.
Je hausse un sourcil en fixant intensément Moira du regard. Elle serait prête à quitter le pays pour vivre son idylle en plus de me libérer de la contrainte d’un mariage forcé ? Du moins, jusqu’au prochain…mais ce n’est pas une solution viable. Enfin si, ça pourrait l’être…ah, je n’ai plus le cerveau disponible pour réfléchir à cette problématique. Je n’ai qu’une envie à présent : me perdre dans les bras de mon amant et oublier, être quelqu’un d’autre pendant l’espace de quelques heures, ne plus être Nero Karlsson et tout ce que cela implique. Mais je n’ai pas voix au chapitre ici, ce n’est pas à moi de décider d’abandonner mon nom et mon titre. La porte de la cage reste désespérément close, malgré cette brise qui m’apporte un semblant d’espoir.
Maintenant qu’elle est au courant - bien malgré moi, mais je ne pouvais plus taire cette angoisse qui me tiraille au quotidien - Moira semble plus sérieuse d’un seul coup. Elle comprend les enjeux, et alors que je la pensais suffisamment égoïste pour ignorer cette nouvelle information, j’ai l’impression qu’elle souhaite…me préserver ? Non, ça n’est qu’une illusion, je le sais. Dans ce milieu, nous sommes tous égoïstes. Même si inconsciemment je cherche aussi à la sauver, je me dis qu’il s’agit simplement d’un moyen pour moi d’éviter que Madame Karlsson trouve quoi que ce soit à redire. Nous sommes tous pourris au sein de l’élite de cette nation, inutile de prétendre le contraire.
Une fois encore, je ne contrôle pas mes paroles. Est-ce le whisky ? Cette étrange impression que je parle à une alliée plutôt qu’à une ennemie ? Je l’ignore. Mais confier l’existence même de mon petit frère est une preuve de confiance que je ne devrais sûrement pas lui accorder, et que pourtant j’accepte de dévoiler. Nouveau soupir de ma part, je croise les mains sur la table en conservant mon regard sur son visage.
Ichabod a été le premier à me pousser à fuir dès nos premières retrouvailles. Il ne comprend toujours pas pourquoi je reste, ne veut pas voir que je n’ai absolument pas le choix…mais malgré tout, son soutien est apprécié. Certes, il est devenu quelqu’un d’autre à force de vivre au milieu de la plèbe et nous n’avions déjà pas grand-chose en commun, mais cela n’empêche en rien qu’il serait un allié de choix dans cette guerre contre nos deux familles.
Lorsqu’on marche sur des oeufs pendant si longtemps, on apprend à laisser la paranoïa gagner à chaque instant. Je termine mon verre d’une traite, et sens la chaleur de l’alcool s’installer en moi et détendre peu à peu mes muscles. La boule de stress est toujours là, au creux de mes entrailles, mais je ressemble un peu moins à une statut de glace comme ça.
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