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[Terminé] Deep inside There's a light ft. Nero

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Ichabod Karlsson
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Pronoms RP : he/him (il/lui)
Âge : 33 ans
Tuer le temps : Tatoueur chez BAD DECISIONS à Leith. Etudes d'architecture qu'il n'a pas terminées, au lieu de créer des plans il les encre sur la peau de ses client.e.s.
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DANTE minuscule chauve-souris discrète qui murmure à l'oreille de son sorcier, mutique le reste du temps.

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Deep inside there's a light
09.12.23



CW Mention d'alcool
Renouer est une chose complexe. Mais nécessaire. Tout les deux semblent en avoir conscience. Le masque est tombé, la glace a été brisée et l'abcès percé. Les pieds directement dans le plat parfois, pour évoquer certains sujets. Pas forcément les plus difficiles qui aient été abordés pourtant, lors de cette nuit où la bouteille de whisky s'est vidée. Parce qu'il fallait mettre les points sur les i, parler de son départ et du retour de Nero. Ichabod qui a annoncé connaître la vérité et être capable de le pardonner. De l'accepter à nouveau dans sa vie, à condition qu'il ne le force pas à rentrer à la maison. Qu'il garde sa liberté. Le benjamin qui dans un élan de détresse lié à l'alcool lui montant trop à la tête a même failli accepter un court instant de retrouver la famille. Pour épouser n'importe quelle potiche qu'on lui mettrais dans les pattes; pour retirer la charge de transmettre le nom de leur famille à un Nero qui n'est nullement intéressé par la gente féminine.

J'accepterai de me marier à condition qu'on ait tout les deux notre liberté. Mais il est trop tard pour son aîné. Du moins, c'est ce qu'il prétend. Ichabod lui, reste persuadé du contraire. Parce que le sujet le plus difficile à aborder, celui pour lequel il a fallu arrêter de tourner autour du pot c'est un type qui, justement, travaille entouré de pots de fleurs. L'aîné des frères a quelqu'un dans sa vie, un Oniromancien trop doux pour lui. Quelqu'un de bien qui semble l'aimer et l'aider à devenir une meilleure personne au fil du temps. Un gars compréhensif qui a l'air de s'accrocher malgré tout ses défauts. Leurs défauts. Parce qu'Ichabod a les mêmes que lui, dans le fond. La tendance à se barrer ou à devenir insupportable pour faire partir sa moitié. Parce qu'ils ne comprennent pas, ni l'un ni l'autre, qu'ils ont le droit au bonheur. Nero se force à renier sa sexualité, Ichabod a trop peur de ce que l'autre pourrait découvrir de lui en creusant trop. Tout ça à cause, encore une fois et comme toujours, de leur foutu nom de famille. L'un y tiens trop, l'autre voudrait s'en débarrasser.

Le salon de tatouage a déjà fermé depuis plusieurs heures. Les clefs dans les mains, Ichabod attend devant l'entrée du Bad décisions son rendez vous tardif et nocturne. Quand on est un Karlsson, qui s'assume publiquement, on n'a rien à foutre à Leith. Il vaut mieux évité d'y être vu pour ne pas entacher sa réputation et celle de son nom. Etrangement et paradoxalement, quand on est un Karlsson il semblerait que l'on aime s'encrer la peau. Point commun qui a marqué Ichabod lors de ses retrouvailles avec Nero, jamais il n'aurait imaginé son frère sortir de la norme ainsi. C'est inacceptable et indigne. Il n'y a que les toxicomanes et les prostituées pour en porter c'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît. C'est ce que la génitrice dirait. Jouant avec son porte clef en forme de chat grattant à la porte, son pied s'agite avec impatience contre les pavés luisant de pluie. Oh, il sait que Nero ne sera pas en retard. Ce n'est pas comme ça qu'on les a éduqués. Lui s'est même assuré d'être là dix minutes avant, pour que son client n'attende pas après lui. Pour assurer ses horaires, bien qu'il n'y en ait en réalité pas réellement.

La visite se fait en dehors des heures d'ouvertures, en privé, dans le secret. Ses collègues ne sont pas au courant. L'Aéromancien se voyait mal leur annoncer la nouvelle suivante : je vais tatouer mon frangin cette nuit vers onze heures du soir, parce que personne n'est censé savoir. Savoir qu'il vient à Leith et continue de dégrader son apparence de fils de bonne famille, savoir qu'on a repris contact. Sourire amusé sur ses lèvres. La clope coincée entre les dents, il relève la tête lorsqu'une brise plus fraîche se fait sentir. Dante est perché sur l'enseigne du salon, et le tatoueur reconnaît au loin une petite chouette chevêche qu'il n'a pas vu depuis bien longtemps. Nero ne doit plus être très loin, si Freja est ici.

« Bonsoir Freja. J'espère que tu ne t'es pas transformée en pigeon voyageur pour m'annoncer qu'il ne viendras pas ? »

On il joue avec le feu et il le sait. S'il se souvient bien du prénom du familier de son frère, il se rappelle aussi de son mauvais caractère. Le même que son sorcier. Comme quoi, on ressemble tous à son familier. Quoi que, si on devait comparer Ichabod à Dante les deux sont bien différents. L'un parle beaucoup et l'autre n'ose pas lever le ton de peur qu'on ne l'entende. Comparer le petit rapace nocturne à un pigeon, ce n'est sans doute pas la meilleure idée qu'il ait eu de la journée. Mais après tout... On appelle communément les mages de l'air des Pigeons.

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Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
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Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !

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Retrouver Ichabod a chamboulé ma vie au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Savoir que mon frère est toujours bien vivant et actuellement à Edimbourg a été un sacré choc, assez en tout cas pour me faire réévaluer toute ma vie. Qu’est-ce que je suis censé faire ? Que puis-je accepter de plus pour la famille ? Est-ce que j’ai le droit d’être heureux ? Est-ce que moi aussi, je peux m’enfuir comme il l’a fait ? Est-ce qu’il reviendrait, si nos parents acceptaient de nous libérer tous les deux ? Est-ce qu’il m’aiderait, si je décidais de mettre un terme à une routine qui ne me va plus ? Tant de questions qui tournent encore et encore dans mon esprit, le rendant plus instable. Je suis épuisé. Pire encore : maintenant, mon secret le plus important a été dévoilé à l’homme qui partage ma vie. Je ne suis plus le seul et unique à savoir ce qui se trame dans ma tête, après plus de vingt ans de silence. Et ça, pour le coup, je ne sais pas encore quoi en penser.

Partager mes envies et mes doutes à une autre personne m’a permis de voir plus clair. Parler d’Ichabod à Lucius m’a donné envie de le revoir une nouvelle fois, sans forcément chercher à avoir une conversation aussi profonde et potentiellement dangereuse que la dernière fois. Je suis resté silencieux pendant un temps, jusqu’à lui envoyer finalement un message pour lui demander s’il était libre une soirée. Le prétexte ? Avancer un tatouage éternellement en construction sur mon bras, un design qui pourrait normalement rentrer dans ses cordes. D’accord, ce n’est peut-être pas mon idée mais celle de mon cher oniromancien ; il n’empêche que je suis celui lui ayant envoyé ce message comme un grand. Un rendez-vous pris en pleine nuit, de façon clandestine, histoire qu’on ne sache pas que le fils Karlsson dégrade un peu plus son image.

En flottant au-dessus des rues animées de l’est de New Town, ma chère Freja volant à mes côtés, je ne peux m’empêcher de sourire en repensant à mon retour d’amérique. Les hurlements de madame Karlsson lorsqu’elle a remarqué mes cheveux sombres, mes très nombreux tatouages bien visibles, ma dégaine de “toxicomane” comme elle a dit. Ses hurlements qui ont duré une bonne semaine, à chaque fois qu’elle se rendait compte de nouveaux dessins sous ma peau, lorsqu’elle m’a finalement vu torse nu, lorsqu’elle s’est rendue compte qu’il était impossible de les faire tous enlever avec une séance de laser. Même si la douleur des punitions après cela est encore ancrée dans ma chair, j’éprouve une certaine satisfaction à avoir réussi à m’affirmer suffisamment pour ne pas avoir à les effacer avec de la chirurgie.

Cependant voilà : une pièce reste désespérément dans l’attente d’être terminée depuis plus de dix ans, faute de trouver le temps et la personne capable de la réaliser, ou plutôt la personne capable de tenir sa langue et d’accepter un rendez-vous à une heure indécente et inhabituelle. Cette pièce qui prend tout mon bras gauche est un petit bijou que je ne veux pas charcuter ; j’espère donc qu’Ichabod sera capable de lui rendre justice. Mais je devrais lui faire confiance, j’ai vu son travail sur mon petit ami. Certes, certaines pièces ne sont pas fameuses mais…les dernières lui rendent justice.

Le tattoo shop est en vue, et Freja me devance pour saluer mon frère qu’elle n’a pas revue, elle. Cependant j’entends sa façon de lui parler au loin et grimace, sachant bien que ma petite chouette n’appréciera pas le trait d’esprit.

“Toujours aussi couillon Ichabod, hein ? Tu oses me manquer de respect à moi ? Tu veux que je te bouffe un doigt cette fois ?!”
“Freja, ça suffit. Ce ne sont pas des manières.”

J’atterris près de la scène, le pied si léger qu’aucun bruit n’accompagne mon atterrissage. Une main se referme sur ma chère amie pour l’empêcher d’attaquer mon frère, qui prends un peu trop à la rigolade cette minuscule boule de plumes pleine de colère. Je soupire longuement.

“Tu cherches là, quand même…elle est susceptible.”
“Moi, susceptible ?! Mais c’est lui qui m’insulte, là !”
“Tu es susceptible, Freja. N’essaye pas de dire le contraire, on le sait tous ici.”
“Hnn gna gna gna. C’est pas juste.”

La petite chouette au comportement puéril émet un hululement de mécontentement, mais accepte volontiers mes caresses sur sa tête. Je peux enfin la lâcher sans risquer qu’elle agresse mon cadet, la laisse s’envoler pour se poser sur mon épaule, son perchoir préféré. Je souffle du nez, une façon pour moi de rire en conservant un visage impassible, avant de reprendre une expression désespérément neutre en fixant mon frère du regard.

“Tu as dit vingt-trois heures, il est vingt-trois heures. Je suis prêt pour la séance de torture.”

La ponctualité des Karlsson, ce n’est pas une légende. Jamais trop en avance, encore moins en retard. Le respect des interlocuteurs passe avant tout.
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« Reste à savoir ce qui vas être le plus douloureux entre me supporter et le tatouage. »

Jouant avec ses clefs dans la paume de sa main pour trouver celle ouvrant la porte du salon, le benjamin laisse entrer son aîné avant de refermer derrière eux. Il serait fâcheux d'être dérangé, même si à une heure pareille les chances sont minces : on n'est jamais à l'abri d'un ivrogne avec une idée brillante. Sa veste posée sur le dossier de la chaise de son bureau, il désigne le porte manteau, bien évidemment vide, à Nero pour qu'il se débarrasse lui aussi. Partant dans la petite cuisine à tenante pour mettre en route la machine à café, Ichabod ne juge pas utile de demander son avis à Nero sur la question. Il leur faudra bien un peu de caféine pour tenir le coup, de ce qu'il a pu en voir, il y a tout de même pas mal de trous à combler sur le bras de son aîné.

Lui faisant signe d'approcher, de ne pas être timide pendant que la cafetière termine de chauffer, Ichabod place ne première tasse pour lancer un café sur deux.

« Allez, viens me montrer l'étendue des dégâts. »

Parce qu'il va y avoir du travail. Probablement plusieurs séances. Combien ? il ne sait pas, tout dépendra de ce qu'il y a à compléter mais aussi de la résistance de Nero à la douleur. De ce qu'il en a déduit, il n'est pas passé sous des aiguilles depuis longtemps. Presque aussi longtemps que depuis qu'il a quitté le foyer il y a treize ans, ayant fait ses tatouages lors de son séjour aux Etats-Unis. ça remonte, la manche attend d'être complétée depuis longtemps maintenant et sans doute qu'il n'est plus trop habitué à la sensation. C'est rare de s'y remettre après tant d'années, mais il comprend le sens d'inachevé. Ce n'est pas rare pourtant pour certaines personnes de tout faire d'un coup et de ne plus revenir après, il y en a des comme ça. Tout dépend des personnes en réalité.

Lançant le deuxième café, il se saisit délicatement du bras de Nero pour observer. C'est étrange cette soudaine proximité entre eux et il n'est pas certain d'être tout à fait à l'aise. Sans doute que son frère est également un peu perplexe, mais... Ichabod n'a pas trente six autres solutions pour le tatouer ce soir. Il faudra bien qu'il le touche. La peau de Nero est fraîche contre ses mains à lui plus chaudes. Heureusement que le chauffage est en route dans le salon, étant donné le temps de chien dehors. Mieux vaut chauffer trop que pas assez dans un établissement comme celui-ci, où les gens passent plus de temps déshabillés qu'habillés. Du moins partiellement. C'est courant dans un salon de tatouage, d'être en slip ou en tee shirt et ce en toute saison, que ce soit en décembre ou en juillet.

« Hm, je suis incapable de te donner un nombre exact de séances. On va voir comment ça se passe pour toi niveau gestion de la douleur. J'ai beau planter des aiguilles dans la peau des gens, je ne suis pas non plus un tortionnaire sadique. Si, un peu, mais pas trop non plus.  »

Relâchant le bras observé, comprenant qu'il n'aura qu'à remplir ce qui a déjà été tracé, il se saisis de son mug de café et souffle dessus avant d'en prendre une gorgée :

« Bien entendu, t'auras une différence de couleur légère entre le haut et le bas. Avec le temps qui est passé, c'est plus aussi noir que tout au début. Je pourrais repasser sur ce qui a déjà été fait si tu veux, mais tu vas déjà assez souffrir comme ça avec des gros aplats de noir. »

Nero Karlsson
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Je crois que mon frère vient de tenter un trait d’humour, mais n’étant pas très doué pour le constater, je préfère jouer la prudence et conserve un visage de marbre en le suivant plus en avant dans le salon. Je me débarrasse de ma veste, non sans hausser un sourcil en le voyant poser la sienne n’importe où - s’il possède un porte-manteau, pourquoi ne l’utilise-t-il pas lui-même ? - et m’approche prudemment. J’ignore pourquoi, mais je ne me sens pas tellement à l’aise d’un seul coup, comme si mon propre frère allait réagir de la même façon que nos parents en voyant à quoi je ressemblais après mon séjour en Amérique. Autant dire que l’idée même d’y retourner est bannie à la maison, soyez-en sûr.

Je frissonne au contact de sa main sur ma peau, mais me fais violence pour ne pas lui arracher mon bras de son emprise. Il y a quelque chose qui ne va pas bien aujourd’hui. Est-ce que c’est la perspective d’encrer de nouveau ma peau ? Est-ce que je crains la réaction des parents lorsqu’ils verront, fatalement, que j’ai recommencé “mes conneries” comme ils aiment à le dire en parlant de ça ? Je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que je ne pourrai pas le cacher éternellement, du moins cacher l’inconfort de la cicatrisation s’il est semblable à ce que j’ai déjà vécu par le passé.

“Ca fait longtemps que je n’ai rien fait. Mais je pourrai la gérer. C’est plutôt à toi de voir combien de temps tu tiens.”

Double sens qui n’a pas lieu d’être dans mes paroles, double sens que je ne relève pas tout de suite. Déjà, parce que ce n’est pas une conversation que j’aimerais avoir avec mon frère - c’est quand même relativement dégueulasse comme idée, hein ? - ensuite parce que nous parlons tatouage uniquement, et mon esprit ne se focalise que sur ça.

“Je ne suis pas certain de l’intérêt de repasser dessus. Ca va être trop long, il faudra que je revienne tous les mois de l’année si on commence comme ça.”

La pièce fait le bras entier, main comprise. S’il commence à se mettre sur ce qui a déjà été fait, il risque d’y passer de très nombreuses heures pour quelque chose de peu réjouissant. De plus, il y a un hic dans sa décision…

“Et…je n’ai pas très envie qu’ils le voient. Ce qui n’est pas fini est suffisamment haut pour être caché, mais la main…le poignet…ils vont comprendre que je suis retourné voir un tatoueur. Me demander où c’est. Et je ne veux pas que tu aies des problèmes.”

Protéger Ichabod est la priorité, une fois de plus. Comme avant. J’ai l’impression que peu de choses ont changé malgré les années qui nous ont séparé. Mon état d’esprit est toujours le même, il passe avant toute chose. Avant mon confort, avant mes envies. Donc sa sécurité reste prioritaire. Je regarde ma main gauche, pensif, avant de reprendre.

“Je ne suis pas sûr non plus que ce soit très bon de mettre du maquillage sur une plaie ouverte…n’est-ce pas ?”

Masquer ces dessins pour les soirées mondaines, c’est mon quotidien depuis que je suis rentré. Ca n’est pas correct quand on est un Karlsson d’arborer tant de tatouages. C’est bon pour les taulards, qui s’amusent à se dessiner sous la peau en guise d’appartenance à un groupe. Moi ? Je trouvais juste ça beau, et mes amis m’ont poussé à passer le pas. Même si ça fait plus de dix ans, j’ai encore le souvenir de l’adrénaline que chaque pièce m’a déclenché. Cette impression de braver l’interdit, cette douleur addictive qui me faisait tant de bien…je m’apprête à recommencer, et même si je sais que je ne devrais pas, je me sens tout de même particulièrement heureux sous le malaise primaire.
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Les Karlsson sont toujours le centre de tout leurs problèmes. Les siens comme ceux d'Ichabod. C'est triste à dire, que sa propre famille est handicapante dans la vie. Haussant donc les épaules avant de souffler sur sa tasse de café, le benjamin répond d'un air las :

« C'est fortement déconseillé en effet. »

Evidemment que leurs parents feraient une syncope en voyant qu'il est retourné chez le tatoueur. C'est aussi évident qu'ils chercheraient à savoir où il est allé, quitte à écumer tout les salons de la ville. Car si Ichabod sait que jamais Nero ne le dénoncerait directement, il sait également que les Karlsson ne reculent devant rien. Et en faisant le tour des établissements proposant des tatouages, ils finiraient indéniablement par tôt ou tard finir au Bad Decisions. Sans compter le drame qu'engendrerait des retrouvailles familiales, le tatoueur n'a pas non plus envie de mettre ses collègues dans l'affaire. Parce qu'il n'y a que Liya qui saches vraiment, sans pour autant avoir les détails de son passé. Elle sait qu'il a eu une enfance difficile, qu'un frère est mort et que Nero vient d'être retrouvé. Elle sait qu'il n'a plus de contact avec les siens depuis de nombreuses années. Mais elle ne se doute probablement pas de quoi ils seraient capables si on le retrouvait.

« Juste le remplissage du haut, alors. »

Gorgée de café pour rester éveillé malgré l'heure tardive. S'il dort peu, qu'il a toujours été plutôt un oiseau de nuit -à l'image de son chiroptère- l'aéromancien préfère être certain d'avoir les yeux en face des trous.

« J'espère aussi que t'as pas picolé avant de venir. Que t'as gardé ça pour après. »

C'est faisable, de tatouer quelqu'un de bourré. Le salon s'est fait sa réputation ainsi lors des premières années, en s'occupant des sorciers ivres morts à la sortie des pubs voulant garder un souvenir d'une nuit d'ivresse. Lui-même possède quelques tatouages faits dans un état second, certains dont il ne garde pas le moindre souvenir. Dire qu'il ne s'est jamais réveillé avec un nouveau tatouage qui n'était pas là la veille serait un mensonge. Mais c'est tout de même plus pratique de s'occuper d'une personne sobre, pour éviter des saignements inutiles. Le corps est déjà suffisamment mis à rude épreuve lors des séances pour ne pas en rajouter une couche.

Terminant sa tasse de café d'une traite une fois celle-ci suffisamment refroidie, trahissant ainsi son habitude de consommer ce breuvage, le tatoueur part se laver les mains, enfiler des gants et préparer son matériel correctement. Les surfaces sont filmées, les aiguilles sélectionnées. La machine branchée et l'encre préparée dans un pot. Les feuilles de sopalin sont prédécoupées et entassées, et le voilà à attendre que son aîné vienne s'installer. Lorsque Nero pointe le bout de son nez, Ichabod tapote simplement son siège pour lui demander de s'y installer.

« Garde juste ta manche bien roulée et ça devrait le faire. »

Coinçant une feuille de sopalin par acquis de conscience, bien que Nero porte du noir et que l'encre ne se verrait pas forcément s'il devait y avoir une tâche quelconque, le benjamin s'étire le dos une dernière fois pour se remettre en place et se préparer à la séance.

« ça va sans doute être un peu froid. »

Nero est déjà tatoué. Il sait. Mais ça fait longtemps, alors mieux vaut prévenir par acquis de conscience. La peau est nettoyée, afin d'être certain qu'il n'y ait rien qui ne se glisse lors du tatouage. Les aiguilles installées, la machine démarrée et trempée dans l'encre.

« On y va. Dis moi si tu as besoin d'une pause, j'ai pas envie que tu fasses un malaise sur ma chaise. Les aplats de noir c'est jamais une partie de plaisir, t'as peut-être oublié depuis le temps. »
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L’alcool est très mauvais lorsqu’on va se faire tatouer, et je l’ai appris à mes dépends lors de ma folle jeunesse aux Etats-Unis. Oh, pas que je picolais sérieusement là-bas - quoique - mais il m’est arrivé d’être entraîné au salon le lendemain d’une bonne grosse cuite, avec la gueule de bois à laquelle on ne coupe pas, pour me faire à moitié engueuler par le tatoueur en question alors que tout ce que j’attendais était une journée complète de repos à crever sur le matelas pourri qui me servait de lit. C’était les idées de Chris ça, lui qui en avait souvent et rarement des bonnes. Rien que d’y penser, voilà que je me surprends à esquisser l’ombre d’un sourire nostalgique. Cette époque d’insouciance me manque parfois, même si j’avais encore peur de m’éloigner si longtemps de ma famille. Au final…j’aurais dû rester là-bas. Mais je n’aurais pas connu Jager, sûrement pas renoué avec mon frère à distance. Alors peut-être que c’est mieux ainsi…même si j’ai toujours les ailes coupées par nos parents.

Obéissant, je m’asseois là où Ichabod me le demande et commence à soulever la manche de mon T-shirt au maximum. C’est un peu stressant, de reprendre le tatouage après si longtemps. Je ne suis pas certain de me souvenir de la douleur, seulement vite fait de l’inconvénient de la cicatrisation. Et en parlant de cicatrices…certaines plaies assez récentes passent sur les traits déjà marqués, et c’est en soulevant le tissu que je m’en rends compte. Je grimace, les sourcils froncés, mais ne dis rien pour le moment. Il s’en rendra bien compte tout seul, s’il remonte jusque là. Je doute qu’il puisse y faire grand-chose pour le moment, je suppose qu’il me faudra revenir dans quelques semaines lorsque la cicatrice sera plus vieille encore. Les zébrures plus vieilles ont presque entièrement disparues sous l’encre, ne laissant qu’une espèce de carte avec un léger relief que seul un oeil attentif peut déceler.

“Ouais…j’ai sûrement oublié. Ca fait presque quinze ans que je ne me suis pas fait tatouer, Ichabod, je ne sais même pas combien de temps je peux tenir.”

Ni comment prévenir d’un malaise d’ailleurs, tant qu’on y est. Parce que je ne comprends pas toujours mon corps, parce que celui-ci est habitué à shutdown lorsque la douleur physique est trop intense. Mon esprit est aussi capable de dissocier totalement, comme une protection contre une éventuelle séance de torture. Alors est-ce qu’il prendra le tatouage pour ce genre de chose ? J’en sais rien. Je ne me souviens que très vaguement de mes allers-retours au salon de tatouage, là-bas.

Le vrombissement de la machine me fait frissonner avant même qu’elle ne se pose sur ma peau, comme une appréhension mêlée d’adrénaline. Braver l’interdit est définitivement excitant, même si je me doute qu’à mon âge vénérable de 35 ans je ne devrais pas ressentir la même chose qu’un adolescent faisant le mur. Je soupire longuement, et serre les dents en sentant enfin l’aiguille toucher ma peau.

La sensation n’est pas la plus agréable du monde, mais reste largement supportable. Comme un coup de soleil particulièrement sévère, bien différent de ce que j’aurais pu imaginer. Je me souviens désormais de ma réaction lors des premiers tatouages ; cette impression de ne pas pouvoir tenir plus de cinq minutes, pour au final rester allongé sur la table pendant quatre heures d’affilée. Cette envie de tout stopper, avant de revenir le lendemain, le surlendemain, faire encrer ma peau encore et encore sans laisser le temps à mon corps de vraiment se reposer. Un rictus déforme mes lèvres rien que d’y songer. J’étais con à l’époque…mais je faisais le dur, et avec ce qui ornait déjà ma peau avant l’encre, j’étais persuadé de pouvoir tout supporter.

“Ca va, pour l’instant.”

Mais ça ne fait que cinq petites minutes que nous avons commencé, et je sais bien que la douleur ne fera que croître. Je regarde mon frère concentré à sa tâche, fasciné. Je n’osais pas vraiment l’observer lors de nos retrouvailles, mais…il a bien changé, le petit Ichabod, depuis l’Académie. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à notre grand-père maternel avec ses sourcils froncés, en version jeune et avec les yeux de notre père. Le regard hanté des Karlsson, si déstabilisant pour le commun des mortels.

“Dire que t’as commencé par gribouiller n’importe quoi sur tes petits carnets…je te regardais faire, et maintenant tu gribouilles sur moi. Les temps changent vite, hein, Ichabod ?”

Un petit rire s’échappe de ma gorge. Les temps changent, certes, mais je ne crois pas avoir beaucoup changé de mon côté. Toujours fidèle à la famille, toujours secret, toujours prêt à tout pour défendre mon ego. Et cette envie de liberté qui ne me quitte pas, hérité d’Aurelius et de ses frasques.

“Ils auraient dû voir ton talent dès le premier jour, au lieu d’essayer de le réprimer. Voir ta valeur. Mais…s’ils avaient été de ton côté, t’aurais jamais pu te barrer, hein ? Au final…peut-être que c’est un mal pour un bien.”

Je serre les dents en le sentant passer sur un point plus sensible que les autres, appuyer un peu plus fort sur sa machine. Est-ce normal, ou est-ce parce que j’ai touché moi aussi un point sensible ? Allez savoir. En tout cas, je trouve que je tiens plutôt bien la douleur pour le moment.
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« Evites juste de m'faire un malaise dans la chaise, si ça ne vas pas, tu me le dis tout de suite. »

Sans compter qu'un malaise ce n'est jamais agréable pour personne, quand on travaille avec des aiguilles qui rentrent sous la peau ? C'est encore plus dangereux. Ichabod pourrait appuyer plus fort, trop fort. Ripper. Casser un bout directement dans sa peau. Les possibilités de merdes pouvant se produire en cas de malaise sont longues. Le cadet rigole aux réflexions de son aîné.

« Tu sais, si on part comme ça... Si les Karlsson m'avaient encouragé à poursuivre dans une voie artistique, ça voudrait dire que c'est une vocation digne de notre nom de famille. »

Oh, certes, il aurait sûrement été envoyé aux beaux arts. On lui aurait dit de faire une bonne école, pour ne pas finir dans un shop de tatouage à Leith. On lui aurait dit d'exposer dans les grandes galeries d'art renommées. Artiste, peut-être oui. Mais pas la vie de bohème qu'il mène. Il vaut souvent mieux arrêter de réfléchir pour changer le passé et modifier la finalité des choses. Parce que si les Karlsson l'avaient encouragé, on pourrait extrapoler au point de dire que dans cet univers parallèle, leurs parents auraient été plus ouverts d'esprits et compréhensifs. Que si ça avait été le cas, malgré la tragédie ayant frappé leur fratrie avec la mort d'Aurelius, ils seraient restés tous soudés pour affronter ce deuil ensemble de manière saine. Qu'Ichabod n'aurait pas eu besoin de partir, que Nero n'aurait pas eu à souffrir ni à cacher qui il est réellement.

Concentré sur sa tache, le tatoueur soupire en appuyant pour s'assurer que l'encre noir entre correctement dans les pores de la peau. Que la couleur soit harmonieuse et égale. Le sopalin essuie régulièrement et son œil avisé observe la manière dont le derme réagit. Tournant un peu le bras de son frère sous la lumière pour s'assurer que tout soit égal, il hoche la tête. Plus pour lui-même que pour autre chose, en réalité. S'assure juste de ce simple acquiescement qu'il fait un bon travail au niveau de la couleur. Reprenant donc sa séance de torture en prenant un peu d'encre dans son petit pot, il cherche quoi dire. Comment meubler le temps, pour que ça passe plus vite, pour que Nero ne pense pas trop aux aiguilles.

« Tatoueur c'est pas si mal. Je gagne relativement bien ma vie. Du moins, ça me suffit pour faire ce que j'ai envie de faire, payer mon loyer et faire des courses. Je gagnerais plus en politique, c'est sur. Mais j'en ai pas spécialement envie, et je crois que les Karlsson non plus. Parce que ma première mesure, ce serait de plus taxer les riches. Et chez les Aéromanciens ?... C'est surement pas très populaire comme opinion. Mais faut bien entretenir les routes, les écoles, les hôpitaux. Payer les profs et les éboueurs convenablement. Parce que sans ces gens-là, tout s'écroule. C'est pas tes ligots d'or qui vont ramasser les poubelles et empêcher les rats de nous envahir avec les maladies que ça apporte. C'est pas les rubis qui vont éduquer les enfants de demain à maîtriser leur magie. On a besoin du service publique en tant que société et ces gens là clairement, ne gagnent pas assez alors qu'ils tiennent tout le système. »

Peut-être qu'il s'est un peu emporté, et s'en rend compte rapidement. Se racle la gorge discrètement avant de conclure :

« Je sais que ce ne sont pas tes valeurs. J'ai mis du temps à comprendre aussi, c'est difficile d'oublier toute son éducation. Je ne t'en voudrais pas, si tu n'est pas d'accord avec ça. »

Lui-même sait à quel point il a été difficile de se déconstruire. S'il a commencé tôt à l'école, pour se détacher de son nom de famille, Ichabod n'a réellement compris tout ça que lorsque lui-même s'est retrouvé dans une situation précaire. A devoir s'occuper de lui-même, sans l'aide de personne, sans le compte en banque des Karlsson.

« J'essayais juste de meubler, pour que tu ne penses pas au tatouage mais la politique ce n'est sans doute pas une brillante idée. »

Prenant une nouvelle pause pour nettoyer la peau et observer son travail méticuleux, l'Aéromancien fronce les sourcils :

« Et avec Lucius. Tout va bien ? »

Les relations amoureuses, c'est sans doute un sujet moins controversé que la lutte des classes. Quoi que. Avec Nero, on peut en douter. Les frères Karlsson sont seuls, même leurs familiers sont restés dans l'espace d'accueil du salon de tatouage et n'entendent sans doute pas par dessus le bruit de la machine. Ici, son aîné peut en parler sans crainte. Sans risquer d'être jugé ou mis en danger pour ses préférences en matière de partenaires qui font débat au sein de la famille. Bien que le mot débat soit un doux euphémisme...

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Il n’a pas tort, mon frère. S’il était parti dans l’art, c’est que c’est un domaine digne de ce nom. Un domaine dans lequel il peut devenir célèbre et avoir beaucoup de notoriété, à l’image des grands de ce monde. Mais la vérité, c’est que l’art est trop instable pour être fiable. Il pourrait tout aussi bien rester un artiste de seconde zone, ou terminer dans les bas fonds de Leith…un peu comme maintenant, d’ailleurs. Mais s’il était resté, on ne l’aurait pas laissé gâcher sa vie du point de vue d’un Karlsson. Il aurait des responsabilités envers la famille, devrait se montrer dans des soirées, mentir au sujet de ses activités professionnelles et de son succès jusqu’à ce que le monde entier le croit et accepte de le placer sur un piédestal. Beaucoup de pression pour pas grand chose en réalité, et je comprends qu’il soit parti très vite.

Les aiguilles commencent leurs oeuvres, et je grimace dès les premiers points. Ok…je crois que je suis un peu rouillé. Cette douleur est différente de celles que j’ai connu jusqu’alors, quand bien même je suis encré de partout. D’un coup, je comprends pourquoi on dit que plus on est tatoué, plus le tatouage est douloureux. Je pensais qu’on s’y habituait à force, mais non. Mon ego est malgré tout suffisamment grand pour que je ne montre pas de signe de faiblesse face à mon frère. Il faut dire que j’ai l’habitude de ne pas réagir à la torture et…il ne vaut mieux pas que je pense à cela maintenant.

Pendant un moment, seul le vrombissement de sa machine se fait entendre dans le salon. Il est concentré à sa tâche, et pour être honnête, je ne sais pas trop quoi lui dire. C’est qu’on ne s’est pas vus pendant presque quinze ans au final, c’est trop long pour rattraper le temps perdu. En prime, nous n’étions pas exactement les types les plus proches du monde, et avions déjà beaucoup de secrets l’un pour l’autre lorsque nous vivions sous le même toit. Alors…c’est d’autant plus difficile aujourd’hui que nous sommes enfin réunis.

Mais Ichabod ne semble pas se contenter du silence. Alors pour pallier à ce souci, il commence à me parler…de politique ? Je fronce les sourcils et le regarde d’un air choqué, avant de laisser échapper un petit couinement de douleur. Qu’est-ce qu’il raconte, là ? Il commence à parler de lutte des classes, de distribution des richesses…oh, dans quel monde est-ce qu’il vit, là ?! Il compte voler la fortune des Karlsson et de tous ceux qui ont travaillé dur pour s’élever socialement pour la donner gratuitement à ceux qui n’en branlent pas une ? C’est pas possible, il est complètement tombé sur la tête ! Je soupire longuement de frustration, et serre la mâchoire pour ne pas lui lancer une réplique cinglante. Reste calme, Nero. Il est matrixé par sa vie dans ces quartiers mal famés, ce n’est pas sa faute s’il a oublié ce que c’était de vivre de l’autre côté de la barrière.

“Non en effet, je ne suis pas d’accord. Et tu ne devrais pas penser ainsi mon frère, pas après tout ce qu’on t’a appris dans ta vie.”

Les sourcils froncés, je reste concentré sur le tatouage en observant avec fascination l’encre pénétrer dans ma peau. C’est amusant comme la douleur ne semble pas venir de l’endroit précis où il me pique, mais de plus haut, au niveau de mes récentes cicatrices. Comme pour me rappeler de leur existence, me dire que jamais je ne m’en déferais…mais je ne devrais pas y songer. Les Karlsson peuvent bien rester loin derrière, dans ce salon de tatouage, il n’y a que mon frère et moi et personne d’autre pour nous juger.

Alors pourquoi est-ce que lorsqu’il mentionne le prénom de Lucius, je me redresse si violemment ? Pourquoi est-ce que je balaye l’endroit du regard de crainte de voir débarquer quelqu’un, des oreilles traînantes qui découvriraient mon secret le plus inavouable ? Je serre de nouveau la mâchoire, et tente de retrouver une position plus confortable.

“Ca va pas de prononcer son nom, on est dans un endroit public quand même…”

Enfin c’est plutôt privé comme salon, et vu l’heure, il n’y a clairement personne pour nous écouter. Je soupire longuement, et esquisse un sourire amusé.

“Oui…il est adorable comme type, tu sais. J’ai connu des hommes avant lui, et c’est la première fois que je tombe sur un sensible comme ça. Et puis franchement, pour un ancien hétéro, il baise bien. C'est important.”

Je pouffe de rire en voyant l’expression sur le visage d’Ichabod. Ah, le sexe entre hommes…je me doute qu’il n’a pas envie d’avoir les détails. En prime, imaginer son frère avoir une vie sexuelle doit être une épreuve particulièrement…éprouvante. Je grimace alors qu’il semble appuyer un peu plus fort sur sa machine, et soupire pour faire passer la douleur.

“Et toi, toujours personne en vue ? Je suis sûr que tu peux faire tomber n’importe qui dans tes bras, femmes comme hommes. Mais tu te prends tellement la tête tout le temps…même quand on était gosses. Tu te souviens de Mary ? C’est Aurelius qui avait dû vous piéger tous les deux parce que t’osais pas lui dire que t’étais amoureux d’elle ! Franchement, même à l’Académie, c’est un miracle que tu sois tombé sur cette autre fille, là, l’hydro. Je suis sûre qu’elle t’avait ligoté dans un coin pour te forcer à lui dire “je t’aime”.”

Le manque de confiance, c’est une particularité chez nous. Quelque chose d’hérité de nos parents peut-être, ou peut-être parce que nous sommes incapables de détecter l’amour chez les autres. Si j’ai foncé avec Lucius…c’est parce qu’à l’origine, je voulais simplement coucher avec lui. Entre hommes, c’est tout de suite plus simple d’avoir du sexe contre rien en retour. C’est plus complexe avec les femmes il me semble, elles aiment bien se prendre la tête pour rien, avoir une vraie relation. Au final…c’est ma méthode qui fonctionne, et pas celle stupide de mon frère, éternel célibataire perdu dans ses principes moraux.
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Parler des amours, c'est normalement bien moins clivant que de parler de politique. Si Ichabod croit qu'il s'agit d'une bonne idée il hausse un sourcil à la réflexion de Nero. Un lieu publique ?... Oui et non.

« Il n'y a que nous Nero. »

Et ce n'est pas Ichabod qui iras en parler. Bien conscient que son frère tiens à sa vie privée, pour des raisons évidentes de sécurité. Par contre, le tatoueur se stoppe brutalement quand son aîné évoque ses rapports plus intimes avec l'Oniromancien. Alors. Il n'a rien contre les gens qui ont une sexualité différente de la norme hétérosexuelle. Il s'en fiche bien, chaque personne fait ce qu'elle veut dans son lit et personne n'a a juger leurs préférences. C'est aussi con que d'en vouloir à quelqu'un qui préfère le bleu alors qu'on aime le rouge. Mais il n'avait pas envie d'avoir les détails sur la manière dont les draps de son frère sont froissés. Ou sans doute ceux de Lucius, car le tatoueur sait pertinemment qu'il ne se rend pas au manoir des Karlsson pour ce genre d'activités nocturnes.

« Certes. »

Incertain de savoir quoi dire d'autre, ne sachant pas comment exprimer son malaise, il se racle donc la gorge et en profite pour essuyer l'encre et le sang mélangés lui obstruant la vue. Observe minutieusement ce qu'il vient de remplir à la lumière blanche en plissant les yeux. Mary ?... Oula, ça remonte à il ya plus de vingt ans cette histoire. Presque trente ans ? Quel âge avait-il au juste ? Peut être six ou sept ans ?

« Tu te souviens de cette histoire, vraiment ?... J'avais oublié tu sais. ça a été dur, mais je me suis fait une raison : Mary et moi, nous n'étions pas compatibles. Elle voulait seulement jouer à la corde à sauter et je préférais les billes. Si je faisais un effort pour jouer à un truc de fille avec elle pour lui faire plaisir, elle ne me rendait pas la pareille et on ne jouait jamais aux billes. C'est pas possible, une relation à sens unique comme ça où il n'y a qu'un partenaire qui se donne du mal. »

Du grand Ichabod qui préfère plaisanter en inventant une histoire farfelue plutôt que de parler de sa vie sentimentale. Désastreuse ? Peut-être un peu quand on y pense. Relevant les yeux vers le visage de Nero, il soupire et reprend son œuvre sur son bras, prenant soin de tirer la peau pour permettre à l'encre d'entrer au bon endroit.

« C'est pas que je n'y arrive pas. C'est que c'est compliqué. Et tu sais très bien pourquoi. Je n'ai pas envie de parler des Karlsson à quelqu'un. Quand on est en couple de manière sérieuse, l'autre finit toujours par poser des questions. Quand est-ce que je vais rencontrer tes parents, Ichabod ? T'as déjà vu ma mère toi et elle t'aime bien. Alors j'ai beau dire qu'on est fâchés pour trouver une excuse, on me demande ensuite Ah bon, et pourquoi ? Et moi, j'ai pas envie d'en parler. Alors je leur cache des choses, je ne leur donne qu'une moitié de vérité et après elles vont s'imaginer que je ment pour autre chose. Qu'il y a une deuxième nana dans l'histoire, que je lui cache une tromperie. Et ça finit mal. Toujours. »

L'aéromancien qui mimique comme il peut une voix féminine stéréotypée plus aigue pour rentrer dans le personnage de la petite amie fictive, donner un peu de théâtralité à son récit.

« Tu sais à quel point c'est dur de se dire qu'on peut faire confiance à quelqu'un. Que cette personne va comprendre, garder nos secrets et nous épauler. Toi tu as eu la chance de trouver Lucius pour ça. Moi, j'attend encore de tomber sur une fille qui saura rester muette comme une tombe. Peut-être que je devrais essayer de voir pour une nécromancienne ? Il a pas une cousine à me présenter dans son coven ton Lucius ? »
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Ichabod est gêné quand je parle de sexe, et ça me fait beaucoup rire…intérieurement. Parce que je sais que ce qu’il n’aime pas imaginer, c’est moi à poil dans un lit avec un autre mec. En général, on a pas vraiment envie d’imaginer sa famille avoir des relations sexuelles, c’est un peu dégoûtant quand on y pense. Je n’ai pas non plus envie de l’imaginer avec une femme ; déjà parce que l’idée me dégoûte quoi qu’il arrive - je sais, j’ai peut-être un petit problème avec les femmes - mais aussi parce que c’est mon frère. Il est mignon, certes, je l’admets sans mal. Mais JAMAIS je n’irais prendre du plaisir à l’imaginer à poil. Je l’ai déjà vu à poil de nombreuses fois de toute façon, quand nous étions petits, et je n’ai aucunement envie de réitérer l’expérience maintenant qu’il est adulte.

Je laisse échapper un petit rire lorsqu’il se remémore enfin cette histoire de notre enfance. Ce moment où nous étions encore tous jeunes et innocents, où Aurelius était encore parmi nous. Ce que je donnerais pour revenir en arrière, à cette époque d’insouciance et de bonheur inconditionnel ! Cette époque où la seule chose qui pouvait nous rendre tristes était cette histoire d’amour impossible entre deux gamins. Je suis nostalgique maintenant que j’y pense, perdu dans mes pensées à oublier momentanément l’endroit où je me trouve et ce qu’on me fait subir. C’est un coup d’aiguille à un endroit particulièrement sensible qui me ramène brutalement à la réalité, et j’étouffe un juron dans ma barbe.

“C’est compliqué, c’est compliqué…”

Nouveau fou rire contenu lorsqu’il commence à me faire son petit numéro de théâtre. S’il était né dans une autre famille, Ichabod aurait fait fureur dans le milieu artistique. Il ne manque plus que le côté musicien et…ah, même pas en fait. Lui comme moi avons pris des cours pour nous familiariser avec les instruments, surtout avec notre oreille absolue. Le pire calvaire de la vie d’un aéromancien, si vous voulez mon avis. Le seul avantage, c’est que nous ne risquons pas de chanter faux au moins.

Je comprends parfaitement ce qu’il me raconte, Ichabod. Ces secrets qui bouffent nos vies, que nous ne pouvons dévoiler à personne pour…pourquoi, au juste ? Pour conserver l’honneur de la famille ? Par ego peut-être, gêné d’avoir été dans de telles situations ? J’en sais foutrement rien. Oh, je sais que je les protège plus qu’ils le méritent, les Karlsson. Que je devrais peut-être les exposer, déclencher un scandale qui me sortirait de ce pétrin. Mais…quelque chose en moi m’en empêche. Je me dis que ce n’est pas une solution, que le pire serait à venir. Alors j’encaisse, j’assume, et j’attends les jours meilleurs.

“Les nécro, ils peuvent être assez chiants pour lire en toi comme dans un livre ouvert. Je sais vraiment pas si c’est une solution…et puis je crois qu’il ne connaît personne dans son coven, pour être honnête. Sa famille est pyromancienne, c’est le seul oniro du lot.”

Mais une fois encore, j’ai l’impression que mon frère se prend la tête pour peu de choses. A moins que ce soit parce qu’il sort avec des femmes ? C’est pas une légende, qu’une femme aime se prendre la tête. Ca a dû le contaminer. Je soupire longuement, tente au passage d’ignorer la douleur du tatouage, et reprends.

“Tu sais…c’est pas plus simple avec les hommes. J’ai évité les relations comme la peste pendant des années. J’en ai eu une seule qui peut être considérée comme sérieuse, aux Etats-Unis…mais après ? Rien. Que dalle. C’est impossible de penser sur le long terme quand on s’appelle Karlsson.”

Il sait de quoi je parle, même s’il pense que je peine moins que lui.

“Jager…j’ai voulu tout lui cacher, comme d’habitude. Ca a failli détruire notre histoire, tu sais ? Parce que je l’ai ghosté pendant tout l’été. C’est une mauvaise période, l’été, pour nous. Je voulais pas qu’il soit mêlé à ça. J’ai été…forcé…de lui raconter un peu, au moins pour Aurelius. Et pour toi aussi, d’ailleurs. Le reste ? Il ne sait rien et ne saura jamais rien. C’est mauvais je sais…ça va peut-être péter à cause de ça. Mais pour le moment, j’ignore la situation. Je fais comme si de rien n’était, et je prie pour que ça tienne. Tu devrais faire la même chose, et tester avec des femmes même si tu penses que ça finira mal. Parce que si ça se trouve…ça finira bien ? Peut-être que tu trouveras quelqu’un qui comprendra, et qui ne cherchera pas à te tirer les vers du nez. Qui aura confiance en toi. Tu vois, une vraie relation, quoi.”

Mais pour nous, c’est presque insurmontable. Ces relations saines que nous sabotons tout seul, simplement parce que nous avons peur du résultat, peur d’être heureux en fin de compte…c’est vraiment effrayant.
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09.12.23


Tw : alcoolisme
« C'est plus simple à dire qu'à faire. »

Si quelqu'un comprend parfaitement cette situation, c'est bel et bien Nero. Puisque tous les deux se retrouvent dans cette même galère. Celle de ne pas vouloir parler, d'éviter de se livrer. Le tout à cause de leur foutue famille. Plus il y réfléchit, et il y pense bien plus souvent qu'il ne l'avoue, plus la racine du problème devient évidente. Les Karlsson. C'est une certitude habitant Ichabod, que tout est de leur faute. Que si lui et son frère sont inaptes émotionnellement, leurs parents en sont responsables. Si le cadet lui a appris à se débrouiller par lui-même par la force des choses, ce n'est pas le cas de Nero. Si demain, il se retrouvait sans aide à devoir prendre soin de lui sans pouvoir compter sur une armée de domestiques ? La chute serait rude, très rude. Au moins, en partant jeune, l'adaptation a été plus facile pour le tatoueur.

« On verra bien. On est pas si vieux, toi et moi. »

D'un point de vue objectif. Ce n'est pas si inhabituel dans la société ordinaire, d'être encore célibataire au début de sa trentaine. Il y a bien des couples, ensembles depuis quelques années qui commencent à s'installer réellement ensemble. Un achat immobilier, un premier enfant. Mais d'autres comme eux, cherchent encore la perle rare. Ou ne cherchent pas pour diverses raisons. Célibatard à trentes berges, ce n'est pas si exceptionnel que ça. En général on a un.e ex.e ou deux avec qui ça a été un minimum sérieux, mais avec qui ça n'a malheureusement pas suffisamment collé pour envisager une vie en duo.

Du point de vue des Karlsson, encore une fois, tous les deux ont largement passé l'âge convenable d'être mariés. Ils sont des vieux garçons au sein de la bonne société, ceux qui restent et qu'on regarde d'un œil étrange en se demandant bien pourquoi ils n'ont pas une épouse au bras. Une femme toute aussi bien née, avec un nom de famille honorable. Quel horrible petit (ou gros?) secret cachent-ils pour ne pas déjà avoir une femme à trente ans passés ? Sont-ils impuissants ? Alcooliques ? Ou pire encore, homosexuels ?

Pour Nero et Ichabod les raisons sont évidentes. Les deux frères partagent cette sale manie de se noyer dans l'alcool quand les méninges s'activent un peu trop, pour endormir leurs pensées parasites et néfastes. Noyer le tout dans la liqueur n'est pas sain, est tout aussi mauvais que de trop réfléchir. Mais c'est plus simple. L'homosexualité n'en concerne qu'un sur deux. L'impuissance... A priori, ni l'un ni l'autre. Ils sont encore un peu jeunes pour ça. Quoi que. Le cadet doute que son aîné soit physiquement capable d'étreindre le sexe opposé. Nero cumule donc toutes les tares, fait un moins bon parti que lui qui n'en a qu'une. Et les problèmes d'Alcool... Ce n'est pas si grave, dans leur milieu, tant que l'on sait encore se tenir correctement avec un coup dans le nez. Tant que les apparences tiennent le coup pour le bien paraître.

« Si toi, le cas désespéré, les ancêtres ont bien voulu t'accorder leur bénédiction pour mettre Lucius sur ton chemin... ça devrait aller pour moi. J'ai juste à patienter. »

Parce que l'amour ça vous tombe souvent sur le coin de la gueule sans prévenir, c'est un fait. S'il n'est pas du genre spirituel, qu'il se rend rarement au temple des enfants des vents pour prier les ancêtres -plus depuis qu'il a fuit new town- Ichabod songe tout de même que c'est un coup de leurs aïeuls ce drôle de couple. Rien ne les prédisposait à se croiser un jour, étant donné leurs castes sociales si éloignées l'une de l'autre. Fleuriste, c'est un métier honnête certes, mais ça n'a rien de bien glorieux. Pas assez, pour s'approcher des Karlsson de manière intime. A la limite, comme simple contractuel venant décorer les réceptions mais autrement ?...

Le tatouage se remplit plus vite qu'il ne l'aurait cru. Les lignes se comblent d'un noir profond au fur et à mesure, mais Ichabod sent Nero commencer à s'agiter un peu plus. Essuyant encore une fois le plus délicatement possible, posant sa machine sur son plan de travail filmé, le tatoueur le regarde d'un air grave :

« Tu as besoin d'une pause ? Ou tu veux arrêter pour ce soir et reprendre plus tard ? Le shop ne va pas s'envoler. »

Risque peut-être de cramer si un jour Aydan s'emporte. Mais ce jour-là n'est pas encore arrivé.
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A la simple mention des ancêtres, je laisse échapper un rire sans joie. Vraiment, si nos ancêtres étaient là et pouvaient nous parler, ils penseraient plutôt comme nos parents. Après tout, grand-père McGuire fait partie de ces “ancêtres” et serait certainement le plus ardent défenseur des traditions. N’est-ce pas lui qui a été l’instigateur de mon cauchemar ? Lui qui a conforté monsieur et madame Karlsson à blâmer leur fils aîné pour la mort du cadet ? Lui qui a montré comment on devait élever un homme dans cette famille…?

Ah, définitivement, nos ancêtres à nous sont probablement tous des ordures de première. Mais Lucius ? Je serais prêt à parier que les siens sont adorables. La plupart en tout cas, puisqu’il est impossible qu’un être aussi doux et naïf vienne d’une lignée de fils de putes. Est-ce que ça signifie que j’en suis un, de fils de pute ? Et Ichabod également ? Hmm…c’est peut-être une vérité que nous ne sommes pas prêts à entendre. Lui plus que moi d’ailleurs, puisqu’il a entièrement renié son héritage.

Quoique. Les ancêtres de Lucius ne sont pas si sympathique que cela, s’ils se sont mis en tête de le placer sur ma route…ou moi sur la sienne. Ils ne doivent pas tant tenir à lui que cela. Pourquoi est-ce que je pense ainsi ? Parce que je sais que je suis incroyablement toxique. Que ma seule présence suffit à faire monter son stress, que ma vie est tellement chaotique que ce chaos déborde dans la sienne.

Rien que d’y penser, voilà qu’une vague de tristesse me prend, et les traits s’affaissent sur mon visage. C’est trop tard, bien sûr. Nous sommes amoureux l’un de l’autre, et une séparation nous briserait tous les deux. Tous les trois même, si je prends en compte un certain alter qui estime avoir lui aussi son mot à dire dans cette histoire. Je ne suis pas prêt à sauter le pas, pas maintenant. Pas après ce qu’on a vécu en si peu de temps, lui et moi.

“Les ancêtres, ils doivent s’arracher les cheveux avec nous deux hein. Tu imagines grand-père nous observer là, tout de suite ? Toi, tu n’es même pas venu à son enterrement. Et toute la branche de ce côté…elle est pourrie. On ne sait pas grand-chose de la branche suédoise, mais je doute qu’ils soient meilleurs. C’est dans la nature d’un Karlsson-McGuire d’être pourri jusqu’à la moelle. Toi au moins…t’as essayé de briser le cycle. C’est bien. Mais je ne pense pas que tu aies l’approbation des ancêtres pour ça. Peut-être l’approbation d’Aurelius, s’il nous observe lui aussi…”

Parler d’Aurelius n’améliore pas mon humeur, bien au contraire. C’est fou comme malgré les années, la douleur est toujours aussi vive…comme si je n’avais encore jamais fait mon deuil. Ce qui n’est pas totalement faux d’ailleurs, je n’ai jamais eu le loisir de le faire. Depuis sa disparition officielle, je suis en mode survie et n’ai certainement pas le loisir de me poser pour digérer l’information. C’est mauvais, je sais. Et pourtant…

Je le revois, mon cher Aurelius. Me rappelle de son état après l’attaque, comme si elle avait eu lieu hier. Je revois son visage fermé, son corps inerte dans les bras de cet homme qui m’a probablement sauvé la vie. Un frisson parcourt mon échine, et je baisse le regard, perdu dans des pensées plus sombres les unes que les autres.

C’est la douleur qui me rappelle à la raison. Je claque de la langue en grimaçant, alors que mon esprit cesse d’un coup de vagabonder pour s’intéresser à l’instant présent. Le tatouage, ce n’est pas une partie de plaisir. Et j’ai l’impression que lui aussi, il commence à peiner.

“Une pause oui…mais je veux finir ça ce soir, si tu peux. Je ne peux pas me permettre d’avoir plusieurs séances de cicatrisation, ça va être trop suspect.”

J’ai beau toujours porter des manches longues, en particulier lorsque les températures le permettent, mais il me faut tout de même bouger les bras sans risquer de montrer ma douleur à qui que ce soit. Je n’ose imaginer la réaction de madame Karlsson si elle comprend que j’ai encore “recommencé mes conneries”…

Et puis, je ne suis pas habillé cent pour cent du temps non plus, d’ailleurs. Il y a quelques moments dont je tais l’existence à la maison où mes vêtements tombent, dans le seul but de ne pas les abîmer. Entraînements et punitions voient ma peau à nu, comme pour montrer une vulnérabilité dont je ne suis pas friand. L’encre supplémentaire et les plaies qu’elle implique ne passeront certainement pas inaperçu.

Je me redresse en entendant le vrombissement de la machine s’interrompre, et fait craquer mes articulations en lâchant un soupir d’inconfort. Lorsqu’on dépasse la trentaine, c’est courant de ressentir ce genre de douleur quand on reste dans la même position pendant longtemps. Je ne me souviens pas de l’avoir ressentie avant…malheureusement, ma mémoire est plutôt courte. Je jette un regard à Ichabod, qui semble lui aussi un peu fatigué.

“Tu fumes encore ?”

Comme beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes, je suis aussi tombé dans le piège de la nicotine. Mais contrairement à mes semblables, j’ai dû arrêter très vite ; un aéromancien qui fume cherche à avoir de gros soucis de santé, et c’est exactement ce qui m’est arrivé. Pour éviter un séjour à l’hôpital et parce que je commençais à sérieusement décliner physiquement à cause de la cigarette, j’ai préféré mettre un stop radical à cette nouvelle lubie.

“Tu devrais faire attention à ton âge, nous sommes très sensibles à ce genre de chose tu sais. J’aimerais autant que tu ne finisses pas entre quatre planches dans les années à venir.”

Je ne pourrais pas supporter de perdre un autre frère. Pas encore. Mon ton est léger, mais peut-être un peu moralisateur. Parce que je suis tout de même son aîné, qu’il n’a plus de figure d’autorité dans sa vie, et que j’ai le sentiment de devoir remplir ce rôle. Oh, je sens déjà venir son côté rebelle : “je n’ai pas besoin de ce genre de discours !” mais au moins, je n’aurai aucun regret s’il commence effectivement à avoir des problèmes dans sa vie.
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« Pourquoi est-ce que j'y serais allé ? »

La question ne nécessite pas de réponse. Nero sait très bien pourquoi Ichabod ne s'est pas rendu à l'enterrement du grand-père. La première raison et la plus logique, c'est qu'il aurait dû se montrer, revenir dans la famille, ou faire face aux conséquences. Les Karlsson ne l'auraient probablement pas accueilli à bras ouverts. ça voulait dire jeter à la poubelle tous ses efforts durant de nombreuses années, pour au final, avoir fait tout ça pour rien. Galérer seul du côté humain en conjuguant études, vie de jeune adulte et petit boulots pour subvenir à ses propres besoins. Se terrer à Leith pour vivre de sa passion en tant que tatoueur sans donner le moindre signe de vie, pour être oublié. Il parierai presque sans hésiter qu'il n'y a plus une seule photo de lui chez les Karlsson. Il n'y a sans doute plus que celles de Nero et ce uniquement pour faire bonne figure. L'un comme l'aute savent qu'il n'y avait qu'Aurelius qui était réellement aimé. Nero est arrivé le premier par surprise sans que l'on s'y attende, Aurelius a été désiré en second, Ichabod lui est un peu là par obligation. Surtout parce qu'on aurait sans doute aimé avoir une fille, mais qu'on leur a accordé un troisème garçon, qui n'a pas spécialement d'utilité. Les photos d'Aurelius ont disparu suite à son décès, parce que c'était bien trop dur. Les siennes ont disparu parce qu'il n'existe plus.

La deuxième raison, moins logique et plus personnelle est en réalité assez simple aussi : toute sa vie, on n'a eu de cesse de lui dire à quel point il ressemblait au grand-père McGuire. Jamais il ne pourrait mentir, prétendre venir d'une autre famille la ressemblance physique étant trop évidente. Être toujours comparé à un aîné est souvent fatiguant, car la famille s'imagine toujours que la ressemblance sera autre que physique. Que lui aussi, connaitrait le même parcours brillant dans la haute société.

La troisième tient en une seule explication : il n'y avait pas d'affection pour le défunt. A quoi bon faire de l'hypocrisie dans ce genre de circonstances ?

Nero lui signale qu'il aimerait finir ce soir. Un peu surpris de cette déclaration, Ichabod hausse un sourcil.

« T'as de la chance que je travaille vite Nero. »

Parce qu'il y a tout de même pas mal de peau à recouvrir. Il comprend la nécessité de limiter ses visites ici, mais ils en auront pour un moment s'ils doivent finir effectivement ce soir. Ce sera éprouvant pour Nero surtout, et soudainement le cadet n'est pas contre une petite pause. ça ne leur feras pas de mal. Un quart du bras à été recouvert, fort heureusement en ayant seulement à remplir, Ichabod n'a pas à beaucoup réfléchir. C'est un peu comme un livre de coloriage, c'est l genre d'activité qui peut détendre et éviter de trop réfléchir. Ici il n'y a rien à reproduire avec exactitude et c'est tant mieux étant donné l'heure avancée et le travail à accomplir.

« C’est pas n’importe quel tatoueur qui pourrait réussir à te faire ça sur une séance… »

Un avantage comme un autre, de pouvoir tatouer rapidement. Il n’est pas rare que l’Aéromancien puisse ainsi enchainer les clients plus rapidement, caller plus de rendez-vous et donc à la fin : avoir plus d’argent. Attrapant son paquet de cigarettes et sa veste en cuir, il hoche la tête. Oui, il fume toujours, n’a pas arrêté depuis le mois dernier. Souriant à la réflexion de son aîné lui donnant une petite leçon de morale, après avoir enfilé son perfecto et poussé la porte le voilà qui justement se l’allume.

« Je sais que c’est pas bien. »

S’il n’y avait que ça. La cigarette, il sait bien que ce n’est pas bon pour lui. Pour qui que ce soit d’ailleurs. Mais encore plus pour un Aéromancien à la respiration fragile. Il le sent bien avec les années de tabagisme qui s’accumulent : les escaliers qui lui semblent long à monter lorsqu’il doit retrouver son appartement sous les combles. La toux le matin avec son café - également accompagné d’une cigarette pour ne rien arranger. Sa tendance à traîner un rhume pendant trois semaines. Pour autant, il ne se sent pas capable d’arrêter. Pas assez motivé.

« On se fait vieux. »

Mais pas plus sages pour autant.

« Tu nous payes un fish and chips après ça ? »

Ils n'ont pas parlé d'argent pour le tatouage. Ichabod ne compte d'ailleurs pas lui en demander, qu'importe, pour son propre frère il est prêt à ne pas être payé. Surtout si c'est pour simplement terminer quelque chose d'entamé. Oh, il arrive parfois que des clients viennent pour ça. Pour finir une pièce commencée ailleurs. Et l'enfant des vents n'aime pas trop ça, parce que souvent c'est un peu compliqué. Que c'est aussi un peu angoissant quand on tombe sur des clients qui ne sont jamais contents de rien et qui pensent que miraculeusement, un autre tatoueur peut faire mieux que le précédent. C'est parfois vrai. Il a déjà rattrapé quelques tatouages mal faits. Mais il a surtout eu des chieurs qui n'aiment jamais rien. A ceux-là, il aimerait leur dire d'aller se tatouer tout seuls au lieu d'emmerder leur monde.

« J'en connais un au port qui est ouvert tard le soir. Surtout pour les saoulards à la sortie des bars, mais aussi pour les frères qui font des conneries dans le dos de leurs parents. »
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“Tu es un Karlsson, non ? Alors tu vas y arriver, j'en suis sûr.”

C’est sorti tout seul, mais je ne regrette pas ces mots. Même s’il met un point d’honneur à ne plus rien avoir à faire avec cette famille, notre famille, il reste tout de même au-dessus du commun des mortels en portant ce nom qu’il rejette tant. Quand on est un Karlsson, on est expert dans tout ce qu’on entreprend. On vise la perfection, et on l’atteint la plupart du temps. Alors bien qu’il s’agisse d’un domaine moins “noble” que ce qu’on attend de lui, Ichabod doit être parfait dans le métier de tatoueur. Travailler vite, être incroyablement précis, faire des pièces qu’on pourrait exposer dans un musée si elles ne se trouvaient pas sur la peau des gens. Quoique, est-ce vraiment impossible d’exposer la peau une fois son porteur décédé…? Je suppose que ça poserait des soucis d’éthique à la plupart des gens, et c’est bien dommage. Je ne serais pas contre que l’entièreté de ma peau soit exposé au monde entier, une fois le reste de mon corps six pieds sous terre. Je n’aurais aucune honte à dévoiler ce que je refuse de dévoiler de mon vivant.

J’observe mon frère fumer une cigarette en regrettant immédiatement d’avoir testé la chose étant plus jeune. Je ressens encore ce besoin de m’en griller une, moi aussi. Ce besoin de décompresser, de sentir la nicotine parcourir mon sang pour calmer le stress. Mais en sentant la fumée qui me fait d’ailleurs tousser et froncer les sourcils, je me souviens pourquoi j’ai cessé de fumer d’un coup.

“Oui…et pourtant, j’ai l’impression d’être encore un gamin.”

Ca n’aide pas, le fait que je vive toujours chez nos parents et que je n’aie pas le droit de faire quoi que ce soit de moi-même. Plus de passeport, pas de compte en banque à moi, pas de paperasse ni d’activité que je puisse gérer moi-même. Je serais incapable de me débrouiller si les parents décidaient du jour au lendemain de me renier, et ils le savent très bien. C’est ce qui m’empêche de partir après tout, de chercher une vie hors de cette cage dorée.

“Un…fish and chips ?”

Pour le coup, je suis perdu. Il me parle sûrement d’un repas classique des pauvres, du poissons et des frites je suppose, étant donné le nom du met. Mais je n’en ai encore jamais entendu parler, et il semblerait à juger par son expression que ce soit un exploit d’être ignorant à ce sujet.

“Un fish and chips…au port. Mais Ichabod, est-ce que tu as des soucis d’argent ?”

Leith est le pire quartier de cette ville, et le port est peut-être l’endroit le plus infréquentable de tous. Enfin j’ignore si c’est encore le cas, je n’y ai jamais mis les pieds…de ce côté-là du monde. Mais je me doute que ça n’a pas dû beaucoup changer, et je m’inquiète un peu pour mon petit frère. Il me dit qu’il se débrouille maintenant, qu’il vit décemment, mais j’ai vu son appartement…et maintenant je sais qu’il fréquente des restaurants à la limite du raisonnable. L’air concerné, je le fixe de mes yeux si déstabilisants.

“Tu sais…je peux essayer de débloquer des fonds pour toi, si tu peines. Je justifierai ça par des besoins personnels s’ils me posent des questions au niveau des finances. Je peux pas te laisser dans la misère, maintenant que je t’ai retrouvé…”

C’est vrai, même si je me fiche généralement du reste du monde, Ichabod a toujours eu une place particulière dans mon coeur. Même lorsque nous nous sommes battus à l’Académie, ma réaction venait de l’amour que je lui portais et d’un trop-plein d’émotions. Je ne souhaitais que le meilleur pour lui, et je n’ai pas changé.

“Mais je peux te payer à manger ce soir, bien sûr. Je découvre cette vie que vous connaissez si bien dans votre milieu. Tu-sais-qui m’a déjà fait goûter un “burger” l’autre jour, c’était délicieux mais un peu difficile à manger et très salissant. Une pizza aussi, c’était bizarre mais pour le coup j’avais déjà goûté aux US. Alors un fish and chips…j’espère que c’est aussi bon.”
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« Non ? »

Est-ce qu'il peine tant que ça financièrement ? Pas réellement. Ichabod a la chance d'avoir suffisamment de clients, de pouvoir en booker plus que les autres grâce à sa rapidité. Ce n'est pas tous les jours qu'il fait des tatouages qu'il aime réellement. Parfois, il y a des journées où il se contente de tatouer quelques petits mots et phrases simples, histoire de remplir le tiroir caisse. Des jours où il appose des petits flash sur la peau. Ce n'est pas tout le temps que l'Aéromancien est en mesure de faire des grosses pièces, des projets plus ambitieux pour représenter de l'architecture. Mais ces petits à côté lui permettent de payer ses courses et son loyer. De même avoir un peu d'extra sans être trop souvent dans le rouge. C'est qu'il vit simplement Ichabod et que le seul luxe qu'il s'offre réellement, c'est une femme de ménage deux fois par semaine pour s'occuper de la lessive et des poussières.

« Je n'ai pas de problèmes d'argent, je vis simplement et je ne veux pas en demander un seule centime à qui que ce soit. Je veux pouvoir compter sur moi-même. »

Comme depuis toujours en réalité. Des trois fils Karlsson il a toujours été celui faisant le plus preuve d'un caractère indépendant. De tout jeune, l'enfant des vent semble avoir compris qu'il ne pourrait compter que sur lui-même, puisque de toute manière, les adultes de la famille ne lui accordaient ni attention ni importance. Terminant rapidement sa pause cigarette en rajoutant son mégot aux autres présents dans le cendrier, le cadet s'empresse de se relaver les mains pour retourner à son œuvre et terminer ce tatouage. Il y a encore du travail, sur le bras de Nero mais ça ne devrait pas être trop long. Parce qu'il commence à avoir faim maintenant qu'ils ont parlé de fish and chips post tatouage. Des frites, du poisson frit et de la bière ? C'est idéal et quelque chose qu'il apprécie grandement. Il devrait pourtant commencer à faire attention à son âge : mais tout comme son aîné, Ichabod n'a jamais réellement pris de poids restant désespérément mince. La génétique est de leur côté pour ça, s'ils avaient été des filles, ils auraient été celles que l'on envie car elles ne prennent pas un gramme malgré les cochonneries avalées.

Admirant son œuvre une fois le plus gros terminé, le tatoueur prend un temps en retournant le bras de Nero dans tous les sens pour s'assurer que tout soit bien rempli, que tout soit égal. Il n'a eu que du coloriage à faire. Rien qui ne soit très compliqué. Pourtant, il s'est appliqué et retouche quelques zones où l'encre ne lui semble pas être suffisamment entrée dans la peau.

« Tu reviendras pour les retouches. »

Oh, son bras doit bien chauffer étant donné tout le noir qu'il a appliqué. Il aura du mal à le lever pendant quelques jours. Mais puisqu'il a voulu tout faire d'un coup, il faudra bien faire avec et trouver une excuse. Appliquant une crème apaisante en quantité pour essayer de le soulager au maximum, Ichabod emballe le biceps convenablement.

« ça va beaucoup dégorger, il y aura du sang et de l'encre dans ton cellophane mais ne panique pas. Rince demain matin sous la douche, laisse la crème pour la nuit histoire d'apaiser le plus possible. Pendant quelques jours, tu vas avoir mal au bras. C'est normal, on a fait du gros travail. Tu pourras prendre quelque chose pour les douleurs musculaires si tu veux, mais pas de crème. Plutôt des gélules d'arnica si vraiment ça ne va pas. Pour la cicatrisation, tu nettoie au savon au PH neutre et tu peux te mettre un peu de crème pour hydrater, tant que c'est sans parfum et naturel. L'huile de coco, c'est pas mal. On en vend quelques pots ici si tu veux. »
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Il a une fierté mal placée, mon petit frère. Une fierté qui lui fait refuser de l’aide malgré la main tendue, et je ne suis pas là pour me battre contre lui. S’il ne veut pas d’argent alors que je pourrais lui en donner aisément sans peiner à m’en remettre, alors je ne peux rien pour lui. Je hausse donc les épaules et reste silencieux jusqu’à la fin de la séance, les lèvres closes avec tout de même la nette impression que mon âme quitte mon corps avec cette douleur désagréable du tatouage.

Enfin, alors que je pensais être sur le point de rupture et commençais à sentir ma peau se détacher de mes muscles dans un étrange trip hallucinatoire - la faute au temps passé sous les aiguilles, j’en suis convaincu - Ichabod finit par se redresser une dernière fois et annoncer des retouches à faire dans un avenir proche. Je grimace, à la fois à cause de l’annonce que de la douleur ; revenir une fois encore, c’est risquer une cicatrisation encore plus compliquée qu’elle ne le sera pour les semaines à venir. Parce que quand on est un Karlsson et qu’on travaille dans quelque chose d’aussi sportif que moi, on sait d’avance que ce genre de lubie n’est pas la meilleure. J’aurais dû poser des jours de congés, mais c’est mal me connaître. Depuis mon entrée dans le monde du travail, les seuls moments où j’ai dû prendre des vacances ont été imposés par mes parents.

“Ce n’est pas la première fois que je me fais tatouer, Ichabod…mais merci pour les consignes.”

Mon regard se pose sur le tatouage et je peine à masquer une grimace de dégoût. Le mélange d’encre et de sang suinte sous le plastique en un espèce de boue noirâtre immonde, la faute probablement à un sang trop liquide et à la quantité astronomique d’encre que mon frère a dû balancer sous ma peau. Je soupire longuement et enfile ma veste avec peut-être un peu trop d’enthousiasme pour enfin me cacher sous le tissu. Je ne suis pas à l’aise dans cet état, ce n’est pas ma faute.

“Allons manger, donc.”

Planté comme un plot dans un coin du salon, les mains dans les poches, je garde les yeux rivés sur le plus jeune des Karlsson qui range tout son matériel d’un geste expert. Les objets volent parfois, preuve s’il en est qu’il n’a pas encore renié tout ce qui lui a été légué en héritage. Utiliserait-il sa magie dans le cas contraire ? Je ne crois pas, non. S’il use de la télékinésie, c’est qu’il souhaiterait inconsciemment revenir à la maison.

“Je te préviens, je suis difficile comme type. Enfin…tu le sais déjà. Mais ça m’a rendu curieux cette histoire de…nourriture pour pauvres. C’est un autre univers. Je peux me plier au changement, j’ai appris à le faire depuis quelques temps.”

La faute à Jager, dont les moeurs me paraissent parfois si étranges qu’il pourrait m’avouer être un extraterrestre que je n’en serais pas surpris.
Ichabod Karlsson
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Tuer le temps : Tatoueur chez BAD DECISIONS à Leith. Etudes d'architecture qu'il n'a pas terminées, au lieu de créer des plans il les encre sur la peau de ses client.e.s.
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« ça fait dix ans tout de même. »

Un rappel ne fait jamais de mal. Depuis le temps, Ichabod a préféré faire un petit résumé afin que Nero puisse se souvenir de la marche à suivre, ainsi que des effets secondaires liés à la séance de tatouage. Si le principe reste le même partout, certains tatoueurs en fonction de leur manière de piquer préconisent différents soins pour l'étape de cicatrisation. Réunissant ses affaires tout en nettoyant son poste de travail, Ichabod se charge de sa poubelle une fois l'endroit nettoyé convenablement. La veste sur le dos, cigarette au coin des lèvres et Dante pendu la tête en bas sur son col, le voilà donc fermant le salon. Une fois la benne à ordure rejointe pour y déposer son sac, la clope est allumée.

Il prend le temps de s'étirer, de regarder le ciel dont les étoiles ne sont pas visibles ce soir. Le petit famillier lui, s'envole pour prendre un peu d'avance vers le restaurant de fish and chips. Il sait où aller, toujours le même et ce depuis des années. Quand on en trouve un bon, c'est un peu comme pour les coiffeurs : on reste fidèle.

« C'est un plat populaire, oui. Mais je te ferais manger sur place, pour éviter de trop te secouer d'un coup Nero. »

Son frère n'est décemment pas encore prêt à faire face aux frites emballées dans du papier journal pour en absorber la quantité de graisse. Le chemin n'est pas très long et les frères Karlsson sont accueillis par la lumière criarde de l'enseigne encore ouverte alors que le reste des échoppes adjacentes ont fermé après leur journée. Véritable phare dans la nuit, le Scotsman's Fry est un endroit incontournable pour le cadet. Mégot jeté dans le cendrier à l'entrée, il pousse la porte et fait retentir la clochette annonçant leur arrivée aux employés. Ils ont de la chance, il n'y a pas grand monde aujourd'hui. L'heure est déjà avancée et le plus gros du service semble être passé. Il n'y a qu'un livreur uberwitch accoudé au comptoir sur son téléphone attendant la commande pour l'emmener chez le client qui n'a pas eu envie de sortir pour obtenir le précieux repas.

« Oh, Arthur, bonsoir ! ça fait longtemps que je t'avais pas vu ! »
« Ah, Ichabod ! Oui, j'avais pris des congés pour la naissance de mon petit fils ! Comme d'habitude ? »
« Félicitations ! Alors, t'es content d'être papy ? C'est un hydromancien aussi ou pas finalement ? »

Les banalités sont échangées, l'enfant des vents prenant quelques nouvelles de la famille d'Arthur. Un Hydromancien d'une cinquantaine d'années, ravi que le nouveau dans la famille, un certain Nolan, soit bel et bien hydromancien comme sa mère et n'ait pas pris la génétique volcanique du pater. Faisant un pas sur le côté pour que le patron puisse voir qu'il est accompagné, l'Aéromancien hoche la tête :

« J'te présente mon frère, Arthur. On va regarder la carte avant de commander, vu qu'il a pas l'habitude. Ce sera pour deux ce soir, et sur place pour une fois. »
« Ah, bienvenue ! Installez vous où vous voulez alors, et prenez votre temps. »

Pointant du doigt une petite table vers l'entrée de la salle, qui avouons-le n'est déjà pas bien grande, Ichabod préfère rester près d'une toute petite fenêtre pour ne pas se sentir trop enfermé. Personne ne les verras réellement, l'endroit est assez exigu et qui viendrait trainer à Leith si tard le soir dans les connaissances de la famille Karlsson ? Ils ne risquent rien. Tendant l'une des cartes plastifiées à Nero, le cadet sourit malicieusement :

« Les portions sont très généreuses, te fais pas avoir en commandant un menu Large. Les frites sont faites maison, tout comme le reste. C'est pour ça que je viens ici. Tu peux prendre de l'eau, mais on va te regarder bizarrement, prends une canette de bière si tu n'aimes pas le soda pour ne pas avoir l'air d'un type étrange. Le classique c'est le cabillaud. Autrement, tu as la version écossaise avec l'Aiglefin. »

La carte ne propose pas beaucoup de choix, en réalité. Il ne mentionne d'ailleurs pas les autres plats présents, comme les beignets de calamar ou le poulet : ils sont ici pour goûter au fish and chips.

Nero Karlsson
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Je trouve beaucoup trop de similitudes entre mon frère et mon petit ami, d’un coup. Les deux semblent vouloir me “préserver”, comme si j’étais une petite chose fragile qui avait besoin d’être protégée. Je lève les yeux au ciel à sa réflexion donc, lorsqu’il tente de “ne pas trop me secouer”. J’ai compris que sa vie était bien différente de la mienne, c’est bon…je pense être rodé maintenant.

Enfin, je le pensais.

A peine arrivé dans l’établissement que je comprends pourquoi il tentait de me préserver. L’hygiène globale de cet endroit semble déplorable, sa superficie plus petite que la chambre de Jager, et l’ambiance globale me donne envie de me recroqueviller dans un coin ou fuir en courant. Le bruit constant, les voix trop fortes, l’odeur de friture, cette désagréable impression d’avoir une couche d’huile qui me tombe dessus…par pitié, n’allons-nous pas rester ici ?

Apparemment si. Muet comme une tombe, collant mon petit frère comme son ombre, je le suis jusqu’à une table un peu trop proche de la fenêtre à mon goût - même si l’air frais de l’extérieur me sauve d’une éventuelle crise de panique. Mes yeux passent régulièrement de la carte à la fenêtre, terrifié à l’idée d’être aperçu en cet endroit, avant de se reporter sur Ichabod.

“Je…vois.”

Je ne sais pas quoi répondre, tant tous mes sens sont agressés là tout de suite. J’agrippe la carte, la fixe sans la voir, avant de m’avouer vaincu et de la poser sur la table en soupirant. Il faut que je me calme. Je ne suis pas en danger ici, et à cette heure-là…difficile de croire que qui que ce soit reconnaîtrait deux Karlsson au milieu du quartier mal famé de Leith. Je dois me détendre. Apprécier l’expérience, je suppose. Au moins, je pourrai le raconter à Jager.

“J’espère qu’on a des couverts quand même…?”

Je ne comprends pas la façon de se comporter de la plèbe, mais les burgers m’ont assez traumatisés comme ça. Je ne me vois pas prendre un poisson à pleines mains pour croquer dedans ! Ce serait le pire. Je croise les bras, balaye la salle du regard, avant d’ouvrir la bouche de nouveau.

“Tu sais…je pensais vraiment pas qu’un jour je me retrouverais avec toi dans ce genre d’endroit. Je veux dire…toi et moi, à partager un repas du bas peuple comme deux vieilles connaissances. Le temps apporte bien des surprises, parfois.”

Et avec elles viennent aussi la guérison. Lorsque je pose le regard sur lui, je ne lis plus la haine qu’il a pu me porter durant une grande partie de sa vie. Certes, nous sommes un peu mal à l’aise tous les deux - comment pourrait-il en être autrement, avec tant d’années de séparation ? - mais petit à petit, les choses s’améliorent. Je crois que je sens mon coeur guérir lui aussi. Mon esprit également. Il ne le sera jamais vraiment, bien sûr…mais c’est déjà mieux.
Ichabod Karlsson
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Âge : 33 ans
Tuer le temps : Tatoueur chez BAD DECISIONS à Leith. Etudes d'architecture qu'il n'a pas terminées, au lieu de créer des plans il les encre sur la peau de ses client.e.s.
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DANTE minuscule chauve-souris discrète qui murmure à l'oreille de son sorcier, mutique le reste du temps.

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« Oui, il y a des couverts. Tu ne pensais pas qu'on allait mordre dans un bout de poisson comme des hommes de Cro-Magnon, si ? »

Il est vrai que la street food se consomme souvent à la main c'est le cas des pizza et des hamburger. Mais pour du poisson panné, c'est plus compliqué. Quoi que, le poulet panné lui se mange souvent ainsi... Mais les morceaux sont plus petits, c'est donc plus pratique. Dans le fond ce n'est pas une question de taille puisque les burger sont plus gros que des tenders. Ni une question de gras puisque les dits tenders sont plus gras que les buns des burgers. ça doit être une question d'habitudes et de normes sociales implicites sans réelles logiques, comme c'est souvent le cas. Comme le fait de se serrer la main pour se dire bonjour dans un cadre professionnel, ça aussi c'est une habitude que tout le monde a, que personne ne questionne mais qui finalement ne fait pas tant de sens que ça. Surtout qu'en fonction des pays, des cultures et mêmes des époques ces choses là changent. Au Maghreb par exemple, il est courant de toujours manger avec les doigts : eux n'auraient pas besoin de couverts pour le fish and chips en conclusion. Décidant que rien ne fait sens ce soir, Ichabod chasse ses pensées en secouant la tête.

« La vie change, Nero. Et heureusement, qu'elle change. »

Pour le meilleur comme pour le pire, d'ailleurs. Le tatoueur ne se plaindrait pas de sa situation actuelle, jamais. Il aime sa liberté, malgré le budget plus serré que ce qu'il aurait pu avoir dans sa vie s'il n'avait rien changé à celle-ci. Il y a toujours du bon et du mauvais, mais lui est intimement convaincu que le jeu en valait la chandelle. Pour rien au monde, il n'y renoncerait à cette liberté qui est la sienne. Celle de manger un fish and chips graisseux tard le soir avec son frère, qu'il n'aurait pas s'il était resté. Celle d'aimer qui il veut et de pratiquer le métier qu'il souhaite également. Celle d'avoir l'air de ce dont il a envie, aussi.

Deux pintes de bières et deux menus commandés plus tard, la commande ne tarde pas à leur être apportée. Dans deux assiettes, dont aucune n'est ébréchée, avec des sets de couverts ainsi que du vinaigre typique pour en assaisonner leurs frites. Ichabod lui s'empresse par contre de prendre de la moutarde pour accompagner ces dernières, avant de tendre son verre de bière à son aîné. Pour trinquer. C'est que ça se termine toujours ainsi, une soirée entre eux semblerait-il. Maintenant qu'ils sont adultes, assez âgés pour boire mais aussi assez matures pour s'être réconciliés. Assez vieux pour savoir qu'Aurelius et son destin ne sont qu'un tissus de mensonge, aux quels l'un d'eux croit pourtant encore.
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