We've gotta hold on to what we've got

TW : agisme, ergomanie, sexisme

Il était à peine 8h quand Judd s'engouffra dans le Coeur de Magma ce matin-là. Écharpe mauve contre le cou, Nilsa encore endormie dans sa besace, lunettes sur le bout du nez, longue doudoune jusqu'aux chevilles, pantalon de tweed sur une paire de boots sombre aux lacets faussement détachés, il n'y avait bien que son gilet, un peu trop fin même pour l'automne, qui ne présageait pas de l'arrivée du grand froid sur la capitale écossaise. Nous n'étions qu'en septembre, mais au yeux du pyromancien, l'hiver était à leur porte depuis déjà plusieurs jours, frappant de son point glacé pour s'engouffrer et emporter toute la chaleur du monde (rien que ça !). Il n'y avait qu'à sentir la bruine glacée sur le haut de son crâne pour s'en rendre compte. Manquait plus que la neige et ses flocons glissants ! Tsss.
L'époque la plus rude pour le Coven des Volcans était sur le point de débuter, et non, Judd ne parlait pas des petites nuits et des longues journée entre son rôle de Sentinelle et sa campagne politique. Si le premier n'avait rien d'inhabituel, la seconde, elle, touchait à sa fin au plus grand plaisir du cinquantenaire. Pas qu'il en avait déjà marre, ce serait un comble pour quelqu'un qui espérait être élu au Conseil de ne plus vouloir parler de politique avant même de connaître les résultats, mais Judd avait simplement envie de s'y mettre ou de ne plus y penser. L'entre deux, entre espoir et réalité, ce n'était pas une posture qu'il appréciait.

Les couloirs étaient encore bien vides à cette heure matinale. Judd commençait officiellement à 9h par une réunion avec l'Espoir, M. Saavedras Arias. Si Teddy avait plus d'affinité avec la Souveraine, Judd, lui, se trouvait davantage d'atomes crochus avec l'Espoir. Quoi que, leur personnalité divergeait pas mal, mais il y avait assez de points communs entre les deux pour que la relation se passe sans trop d'embûches, pour le moment.
Penchant toujours plus du côté de la politique que du spirituel, le Rivera n'avait pas dissimulé sa désapprobation à la nomination de Ms.Barclay-Nave au rôle de Souveraine. Pas d'esclandre, encore moins de messes basses, très loin de sa personnalité, mais des remarques sincères, respectueuses sur la forme, quoi qu'un peu dures envers la nouvelle cheffe spirituelle. "Je vous protégerai au péril de ma vie, mais je fais partie de ces personnes qui vont avoir besoin d'être rassurées sur votre nomination". Avant d'aller lui en parler - et peut-être qu'il aurait dû se taire étant donné que ce n'était pas sa place de questionner le choix de Pyroluxion, qu'à part démissionner, Filomena ne pourrait rien y faire et qu'il ne lui rajoutait que de la pression -, la Sentinelle avait longuement médité sur le sujet. Il s'était même demandé si, plutôt que l'âge de Filomena, c'était son genre qui le dérangeait. Judd était conscient que le sexisme était si présent dans la société qu'il était impensable que lui-même n'ait pas des biais oppressifs, quelle que soit sa propre position dans certains groupes sociaux minorisés ou ses nombreuses prises de position féministes. Mais non, son genre ne pesait vraiment pas sur la balance, seul son âge le dérangeait. Si Isaìas avait 27 ans, le Rivera aurait eu les mêmes remarques : trop jeune. Dans quelques mois, Judd comprendra que ça aussi, c'était un biais et que non, l'âge n'était ni gage de maturité, ni de capacité et que Filomena était bien celle dont iels avaient besoin ! Mais revenons au présent.

En attendant la réunion, la Sentinelle espérait avancer sur les tâches administratives qui s'empilaient telles un tas de poussière oublié sur le bord d'une commode. Si Judd était quelqu'un de méticuleux et qui se laissait très rarement dépassé par les événements, ces dernières semaines avaient été si chargées que même lui n'avait pas réussi à finir à temps certains dossiers. Ceux peu importants, ceux que personne ne lirait avant la fin du trimestre, ceux qui ne mettaient pas en danger les personnes sous sa sécurité. De la paperasse pure et dure, des remboursements de repas et de Uber et des agencements potentiels de son emploi du temps d'octobre, en cas de place au Conseil validée. Pas grand-chose en somme, mais assez pour le faire se lever une heure plus tôt et arriver dans le QG du Coven alors que le soleil pointait à peine le bout de son nez, lui aussi de plus en plus frileux.

Il connaissait parfaitement le dédale de couloirs du Coeur de Magma et n'était pas vraiment concentré quand il tourna à une intersection et bouscula légèrement une silhouette. C'est l'heure du petit-déjeuner ? Et il avait réveillé Nilsa en plus.

"Oh, excusez moi ! J'étais dans la lune et..." pour un pyromancien dont l'ascendance était nécromancienne, c'était une belle façon de s'excuser. "Nelson ? Mais quelle bonne surprise !"

À cette heure-ci, c'en était une, même si Judd ne connaissait pas les horaires de travail de son nouveau collègue et ami de longue date Nelson Clemence-Churlloyd ! Il avait entendu que son ainé avait récupéré son poste de Secrétaire aux côtés de Filomena, une décision de la Souveraine qui avait fait remonter sa côte de popularité dans l'esprit de la Sentinelle. Nelson était une personnalité connue du Coven, qui avait longtemps travaillé avec l'ancien Souverain et qui ne pouvait que rassurer les dissident·es sur la place de l'italienne. Lui y compris !

"Je ne vous ai pas fait mal au moins ?" Préféra-t-il demander, du tac-O-tac, bien conscient que sa stature tenait plus du fier rocher que de la flammèche vacillante.


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* italique + couleur : son familier lui parle en pensée