tw :
dissociation (dépersonnalisation), blessures, état dépressif, décès, deuil, culpabilité du survivant, self hate, alcool, langage grossier + en sous-texte : ptsd, excès de violence et négligence de soiQuinze septembre. Ça tourne.
Quinze septembre. Ça retourne. Tout. Y a plus grand chose qui a de sens, depuis cette date-là. Y a plus grand chose qui fait sens, depuis cette nuit-là. Y a plus grand chose,
elle est plus grand chose - sans magie, sans Cariño. Des airs de quand elle a perdue Saskia, de tout qui se barre - à plus être certaine de rien. Même pas de
qui elle est, encore moins de ce qu'elle est. Est-ce qu'elle peut encore se dire sorcière, quand il n'y a plus l'enchantée au creux des veines ? Est-ce qu'elle doit apprendre à faire avec le haut le cœur qui lui vient, à l'idée se de dire
humaine ? Être quoi alors ? Rien ? Moins que rien ? Et les questions semblent si ridicules, les remises en question si absurdes - elle a pas encore la quarantaine pour ce genre de crise, qu'elle en a rit jusqu'à ce que les espoirs de se réveiller d'un mauvais rêve soient crevés.
Ah ils étaient beaux les airs d'indestructibles - d'inébranlables, porté depuis si longtemps. Ceux dont-elle s'est persuadée tant d'années - que ça éclate, quand la réalité rattrape.
T'es humaine, que tu le veuilles ou non. Et elle le déteste. Se déteste - de l'être. De pas réussir à reprendre sa vie, l'air de rien. Peut-être car il n'en reste rien ? Elle sait pas, elle sait plus. La réponse qui semble inutile. Ça changera quoi de savoir ? S'il reste quelque chose,
une raison de vivre encore ?Rien. Car ça lui rendra pas sa magie. Ça lui avait pas rendue Saskia. Et elle sait pas si elle peut le faire une encore une fois, retrouver un sens à une vie où y a plus rien. Où travailler fait plus sens - les heures qu'elle arrive plus à enchainer au bar, toujours achevé par une boisson balancé à la gueule d'un‧e cliente ; quand le vide se rompt sous la rage qu'on oublie, laisse sous le tapis. Où y a surtout le silence qu'elle partage avec ses proches - le sarcasme moins vaillant. Où faire chier - rigoler, ça fait plus envie et ça sonne faux sur les nuits qui l'apaise plus comment avant ; où elle trouve plus que l'écho des cris et des visages laissés derrières. Une réponse changera
rien à ça.
Elle expire - respire. C'est automatique - c'est simple. Et pourtant, ça fait mal. Merci la côte fracturée - elle peut même plus dire
" j'respire, ça va " en paix ; ça c'est honteux quand même. Iels auraient au moins pu lui laisser sa marque de fabrique. Elle relève le regard sur les aiguilles. C'est automatique - un réflexe.
Normalement, j'vois Gabriel à cette heure. Elle sait pas pourquoi ça lui revient, là. Pourquoi elle y pense maintenant - alors que ça fait des semaines, qu'elle oublie les rendez-vous convenus sans un mot en dépit des années à se voir - parce-que la communication, c'est surfait. Mais là, elle s'en rappelle. Que normalement, elle le voit. C'est une habitude - c'est un réflexe.
Et y a un blanc - entre la porte claqué, le dernier regard sur le loft saccagé - encore, et la chaleur familière du bar. Y a un blanc - quand y a encore une fracture, quand elle réalise que c'était pas le bon jour ; qu'elle est partie dimanche alors que c'est lundi qu'iels se retrouvent, Gabriel et elle. Y a un blanc - quand y a des airs de non retour, quand elle réalise qu'elle peut pas rentrer - retourner de l'autre côté, chez elle. Y a un blanc - une journée et une nuit oubliée.
Les premières nuances reviennent sur les notes de musique - quand elle franchit la porte du bar. Le bon jour cette fois-ci - sans pour autant dire bonjour à lae barman‧aide qui lui glisse un
" Ton pote t'as cherché le mois dernier " en la voyant passé, et une histoire de congés posés ensemble en septembre, quelque chose du genre. Il lui faut un instant - pour comprendre qui est
son pote - parce-qu'elle a pas de
pote, avant que la lumière s'allume là-haut et qu'un
" Ah, Gabriel " lui échappe.
Assise à sa table, y a les doigts qui se crispent autour du verre - le corps qui se fige, à l'écho de la voix familière - à l'ironie singulière de Gabriel qui comble le silence latent.
Elle ne l'a pas entendu arriver.
Il l'a surprise.
Normalement, elle l'entend toujours arriver.
Normalement, elle reconnaît son pas feutré.
Celui de celleux qui ont appris le prix de la discrétion, du besoin de disparaître. Il lui faut un instant - pour que les muscles se relâchent, pour que l'esprit se rappelle que
c'est fini.
« On parle toujours de toi.» Il lui faut quelques secondes - avant que les mots ne trouvent ses lèvres, il lui faut quelques secondes - pour se rappeler comment on parle.
« De combien ça craint d'être contrôleur de taxes, de ton plat préféré que tu défends comme un secret d'état, de comment tu sais pas gérer tes relations et de combien tu fais de la merde à cause de ça quand même.» C'est un peu lent - la fatigue qui pèse dans les mots, mais le sarcasme qui roule sur les lippes - dans ce qui ne s'oublie pas. Dans l'art de toujours chambrer l'autre, surtout quand l'autre c'est Gabriel. Ça pourrait avoir des airs d'offenses - si c'était pas lui, si c'était pas déjà des mots qu'il entendait trop souvent depuis deux ans. Si c'était pas les bases même de leur relation - Carmen qui lui fout le nez dans ce qu'il fait de travers et qu'il le lui rende bien. Parce-que c'est tellement facile quand les failles sont similaires, que les échos se ressemblent dans leurs dissonances.
Pourtant, il lui faut un moment - avant de relever la tête du verre de whisky sur lequel elle est penché. Pour se défaire de la possibilité avec laquelle elle se débat encore, lorsqu'elle répond à l'italien. Est-ce qu'elle peut tout oublier, au moins ce soir ?
Juste ce soir. Oublier ce vide qui lui bouffe l'âme et combien Saskia lui manque. Combien elle voudrait
tellement qu'elle soit là, combien elle voudrait retrouver ses bras, juste un instant. Combien elle voudrait lui dire
" je t'aime " une dernière fois, parce-qu'on le dit jamais assez. Combien elle voudrait lui promettre qu'elle l'abandonne pas, qu'elle l'oublie pas -
jamais, même si elle pourra pas la voir cette année.
Non.Alors y a les doigts qui relâche le verre - le repose, passe honteusement à côté de la moue pleine de jugement de Gabriel.
« Oh woh » Ça lui échappe - sans qu'elle cherche à le retenir non plus, la surprise et l'air désabusé quand elle relève la tête et que les yeux se posent finalement sur la silhouette du garde. Qui actuellement ressemble surtout à un meuble ikea dont-on a mal lu la notice et qu'on a assemblé comme on a pu dans la galère. Et il y a ses cernes, le regard fatigué de l'italien,
trop - plus que d'habitude, abimé par des choses qu'on ne raconte pas. Peut-être qu'elle a un peu les mêmes, au fond des yeux.
« T'as une sale gueule.» Elle aussi, sans doute - sans les illusions habituelles pour dissimuler les cernes. Pas fière allure - avec l'attelle à l'avant-bras, blessure qui aurait déjà dû se résorber - si elle avait fait attention, si elle savait prendre soin d'elle. Pas non plus avec les bandages autour des côtes - ça, elle a fait attention, les portes seulement pour l'onguent qui apaise la douleur résiduelle.
Y a le serveur qui se glisse entre elleux - un instant, qui laisse le temps au
comment ? d'exister et d'interpeller, quant aux blessures du Selvaggi qui semblent trop importantes pour un
accident. Mais y a un café avec une paille posé sur la table - et le détail l'interpelle suffisamment pour l'arracher à ses réflexions. Y a le regard empli d'un jugement pas dissimulé qui vient s'accrocher à celui de Gabriel - dont les mots ont le mérite de lui arracher un sourire en coin. C'est habituel, c'est constant, ça n'a pas changé, ça - et ça aurait presque quelque chose de serein.
" Quoi de merdique dans ta vie ?" Tout. Rien.
Je sais pas si je suis encore en vie, est-ce que toi aussi ? Mais ça ne se dit pas, ça. Ça ne se demande pas - ça se porte seul‧e, et ça étouffe.
« Figure toi que dernièrement, j'ai vu quelqu'un commander un café avec une paille pour le boire. T'y crois toi ? J'crois que je vais en faire des cauchemars.» La moquerie - l'ironie, pour se soustraire à la question, comme l'un‧e et l'autre savent si bien le faire. Ça s'étire - et elle se sent un peu moins loin, dans l'entrain surprenant qui résonne au creux des mots de Gabriel.
Inspire - le dos qui se redresse un peu, le regard qui semble un peu moins terne. Comme si ça suffisait à raviver quelques lumières - le manque d'attache, les mots échangés sans se soucier d'offusquer, ne rien devoir à l'autre - ni d'être quelqu'un de bien, ni d'avoir l'air d'aller bien.
« Et toi ?» Les mots aussi - sonnent un peu moins vide.
« C'est la représentation de ton égo brisé par ta dernière histoire ?» Le menton qui désigne le bras plâtré et l'épaule en écharpe - l'amusement provoquant qui fend doucement la courbe des lèvres ; avant que la vérité fasse ravaler l'envie de sourire - de rire.
Crédits : vinalia & honey.