[Terminé] So kiss me while the stars are bright ⨳ Luciero I

Le téléphone qui reste indéniablement silencieux, posé sur la table basse. Jager avachis dans son canapé, la manette de Playstation dans les mains. Il ne regarde pas vraiment le jeu, en a choisi un qui ne demande pas vraiment de concentration pour passer la soirée. Dimanche, le repos et le calme avant la tempête. Dès demain les célébrations des anciens commenceront. Les Vagabonds se réunirons tous ensemble pour honorer leurs ancêtres. Les maisons des plaines oniriques vont se parer de fleurs en l'honneur des défunts devant leurs photos, tout comme les tombes qui en seront recouvertes. Qui dit fleur, dit travail pour Lucius exerçant en tant que fleuriste. Oh, lui aussi se joindra aux festivités. Vagabond un brin totalement malgré lui, hasard et conséquence d'une nuit d'été entre deux sorciers qui se connaissaient à peine. Qui ne se sont d'ailleurs jamais revus ni reparlé, de ce qu'il en sait. Mais le fait est là : son père était probablement un Oniromancien pour que lui en soit un aussi. Les Jager étant une lignée émérite de Pyromanciens, le jeune homme doute fortement qu'il y ait un ancêtre mystère du côté maternel. Des yeux en amande, une magie incongrue voilà tout ce que cet homme lui a légué sans le savoir. Peut-être qu'il y a quelques traits de caractère, des goûts ou des allergies dont il n'est pas au courant. Peut-être la Narcolepsie.

Gorgée de canette de Monster déjà entamée rien qu'en y songeant. Il a lu qu'il y avait parfois un facteur génétique causant ce dérèglement et ce trouble du sommeil. Impossible de savoir. Lucius il a bien essayé de chercher mais il n'a jamais rien trouvé concernant son potentiel géniteur. C'est tout de même complexe de savoir qui sur tout un pays, a eu une nuit d'amour en juin en compagnie d'une américaine il y a presque trente ans. Peut-être même qu'il ne s'en souviens même plus. Qui sait si papa aimait enchaîner les femmes dans sa folle jeunesse ? En tout cas si c'était le cas, il ne lui a pas vraiment transmis cette habitude à Lucius. Non, il y a bien quelques filles qui sont juste de passage. Mais ce n'est pas une habitude récurrente pour le fleuriste.

S'il surveille son portable c'est justement à cause de l'une d'elle. Une charmante nécromancienne qui a oublié sa veste la semaine dernière. Elle a dit qu'elle passerait la chercher aujourd'hui, pour ne pas déranger. Alors, Lucius attend. S'en fout un peut, de ce blouson en cuir croppé rouge qui traîne sur sa chaise. Il n'y a rien qui presse, vraiment. C'était juste comme ça, il n'a pas l'impression qu'elle ait spécialement envie elle non plus d'avoir quoi que ce soit de sérieux avec lui. Ils se sont plus l'un à l'autre, ont partagé quelques verres, fait quelques dates ont passé un bon moment. Et c'est déjà bien assez. Bien assez pour passer le temps.

Mais pas assez pour passer à autre chose. Parce qu'il y a quelqu'un d'autre avec qui c'était un peu pareil. Ils se sont rencontrés quand il a livré des fleurs chez les Aéromanciens, à l'Horizon infini. Un type qui lui a sauté dessus pour lui proposer un café, intrigué par sa dégaine et son accent Américain qu'il n'a jamais perdu. Si Lucius a simplement cru que Nero était un type sociable et sympa, du genre à proposer à tout le monde d'aller boire un coup pour sociabiliser, il a du se rendre à l'évidence le soir-même : c'était un date. Lucius confus, qui jusqu'à présent à vingt huit balais ne s'était jamais interrogé sur sa sexualité. Il a toujours eu des copines. Des blondes, des brunes, des petites, des grandes. Un peu de tout pas de genre précis en réalité. Il s'est posé pas mal de questions, en a beaucoup posé aussi à sa pauvre Alba qui a du lui expliquer que c'était pas bien grave. Oh ça, il savait déjà que ce n'était pas gravissime. Mais lui ne se pensait simplement pas concerné. Nero, il lui a déjà fait le coup : un baiser volé, puis le silence radio pendant tout un mois jusqu'à Juillet. Jusqu'à se revoir et à s'expliquer. C'est un gars occupé qui travaille beaucoup. Compréhensible. Ils ont échangé bien plus qu'un baiser cette nuit-là, parce qu'ils en avaient envie tout les deux et que Jager voulait être sûr.

Et puis plus grand chose. Un date ou deux, toujours discrètement. Parce que l'autre s'appelle Karlsson. Que quand on porte ce blaze à Edimbourg on s'attend à ce que vous soyez parfait et conforme. On s'attend à ce que vous soyez hétérosexuel, à ce que vous fassiez un bon mariage, à ce que vous ayez un super taff au sein du coven des enfants des Vents. Ah, s'il a une bonne position, pour le reste...

Puis plus rien. plus grand chose. Quelques textos échangés, toujours prudents. Pas de réponse, ou des excuses pour ne pas se voir. Lucius qui aurait aimé faire comme s'il s'en foutait un peu de ne pas concrétiser avec un gars qu'il ne voyait déjà pas régulièrement. Mais Lucius qui tout de même se demande si ça n'aurait pas pu être une belle histoire.

Le sursaut en entendant la sonnette de sa porte. ça doit être la demoiselle qui passe récupérer sa veste. Bizarre, elle n'a pas envoyé de texto avant.

Ce n'est pas celle qu'il attendait.

Respire. Ne panique pas. Reste calme. Ce n’est pas le moment. C’est jamais le moment. Pas cette fois. Pas encore.

Ma vie est un enchaînement de mauvaises décisions, de mauvaises expériences, d’un enfer sans nom. Qu’est-ce que j’ai fait dans mon incarnation précédente pour mériter cela ? C’est la question que je me pose chaque jour qui passe, à chaque instant. C’est ce que je me demande lorsque mon regard croise celui, toujours déçu, de celle qui m’a donné naissance. C’est ce à quoi je pense le soir, avant de dormir, en sachant bien que je serai réveillé par des cauchemars en plein milieu de la nuit ou que je risque d’au contraire ne pas me réveiller. J’ai besoin de repos.

C’est peut-être pour cette raison que j’ai quitté mon propre corps, une fois de plus. Une fois de trop ? J’en sais foutrement rien. Je suis épuisé, et j’ai l’impression d’être sur le fil du rasoir, toujours. C’est la période qui veut ça. L’été, ça ne m’a jamais bien réussi. On dit que c’est une période incroyable pour les aéromanciens, que je devrais au contraire ressentir une meilleure connexion avec l’air ambiant, que je devrais sentir l’électricité de l’atmosphère, ne faire qu’un avec la nature…bullshit. Cette période me rappelle surtout de trop mauvais souvenirs. Des souvenirs que j’aimerais oublier, mais qui sont gravés dans ma chair. Littéralement gravés, d’ailleurs ; sous l’encre se trouvent des cicatrices que j’ai en grand mal à camoufler, mais qui désormais ne sont connues que de moi-même. Un rappel que je n’ai pas droit au bonheur, quoi qu’il arrive.

C’est ce rappel qui m’a fait vriller, une fois de plus. Je pensais avoir trouvé quelqu’un qui m’appréciait à ma juste valeur, quelqu’un que je pourrais aimer sans conséquence…mais c’était idiot de ma part. Je n’ai pas le droit de me laisser aller avec Lucius, pas le droit de lui imposer mon existence. Nous avons dérapé lui et moi, la dernière fois que nous nous sommes vus. Et ensuite ? Ah…rien de bien concret. Mais ce n’est pas entièrement ma faute. Enfin…c’est ce que j’aime à croire.

La période de Juillet/Août est mauvaise, très mauvaise. J’aurais dû le rencontrer plus tôt, mon cher oniromancien, mais il a fallu que ce soit si tard. Un endoctrinement vieux de plus de dix ans est en oeuvre à cette période, des souvenirs douloureux d’un camp où j’ai été puni pour mon existence même. Comment justifier que j’entretiens une relation avec un homme alors que j’ai été supposément “guéri” de cette tare ? Si le reste du temps je fais semblant de rien, je crois qu’inconsciemment l’été est associé à tout ce qui a pu mal se passer dans ma vie. Alors pour sauver ce qu’il restait de ma santé mentale - si tant est qu’il en reste quelque chose - j’ai juste…dormi un petit moment.

C’est Thanikos qui a pris le contrôle, du moins je l’espère. Je crois. Si c’était l’autre, j’en aurais entendu parler, non ? Il y aurait eu des…des corps, je suppose. J’ai disparu un certain moment, apparaissant furtivement le soir lorsque lui-même était fatigué pour disparaître presque aussitôt. Je n’étais pas totalement inconscient bien sûr, seulement…tout cela semblait sortir d’un rêve. Lorsqu’il dissociait, nous observions le monde à deux. Lorsque j’apparaissais, il n’était jamais loin derrière, à attendre la plus petite faiblesse de ma part pour reprendre le contrôle. Ce n’est pas la première fois que ça nous arrive, mais ça reste tout de même étrange, et heureusement rare.

Je n’ai pas vu le temps passer, trop occupé à surveiller son comportement ou à zoner dans mon propre esprit. Les jours sont devenus des semaines, les semaines des mois, et la rentrée s’est faite sans que je ne remarque quoi que ce soit. Thanikos a finalement disparu, sûrement épuisé lui aussi d’avoir tant fait pour préserver les apparences, ce qui allait totalement à l’encontre de ce qu’il était réellement. Nous sommes en octobre, et ma vie sociale est actuellement éparpillée au sol, brisée en mille morceaux.

La première chose que j’ai faite en récupérant mes esprits, récupérant mon corps pour de bon, c’est de chercher le numéro de Lucius dans mon portable. Vérifier nos échanges, vérifier que rien n’a pu transparaître dans ce que je lui ai dit. A ma grande horreur, je crois que Thanikos l’a effectivement rencontré. Trop curieux, mon double, j’aurais dû m’en douter. Je prie pour que mon cher oniromancien n’ait rien remarqué, que ces rencontres se sont faites dans un endroit secret. C’est que j’ai une mauvaise expérience avec les actions de mon alter ego ! La mâchoire serrée, je relis une fois encore les messages, cherchant à déceler le moindre indice sur ce que peut penser Lucius. Je…je ne comprends pas. J’ai plutôt l’impression qu’il perd peu à peu de l’intérêt pour moi. Après tout ce que j’ai fait ? Tout ce que j’ai risqué pour lui ?! Non, c’est impossible ! Je ne le laisserai pas se détacher de moi, jamais. C’est à moi de décider s’il s’en va un jour ou non !

Après de nombreuses heures à peser le pour et le contre, les pulsions - et surtout la petite voix de Thanikos au fond de mon esprit - me poussent à quitter le manoir familial avec prudence, empruntant l’entrée des domestiques qui ne semblent d’ailleurs pas surpris de me voir bouger ainsi. Ils savent, je le sais ; pourtant, aucun n’a jamais tenté de me dénoncer à la famille. Peut-être ont-ils déjà rencontré Jake, peut-être sont-ils simplement de mon côté…non, je pense qu’ils ont plus peur de ce que je pourrais leur faire, plutôt que peur de perdre leur travail. Leur vie misérable ne vaut pas grand-chose aux yeux d’un monstre.

Profitant de mon pouvoir de vol rapide, je quitte le quartier de New Town pour le voisin, déterminé à revoir cet homme ingrat qui ose me rayer de sa vie bien trop rapidement à mon goût. J'atterris près de son immeuble et vérifie rapidement l’adresse indiquée dans un très - trop - vieux message. Oui…c’est là qu’il habite. Seul, et dans un quartier un peu pourri. Si on me reconnaît ici, je suis mort.

Montant les marches quatre à quatre, je commence à ralentir la cadence tandis que mes pensées tournent dans un chaos perpétuel. Qu’est-ce que je fous là ? Est-ce que je veux vraiment le revoir ? Est-ce que ça vaut le coup de risquer ma peau pour un bel éphèbe ? Après tout, il n’en manque pas du côté humain qui accepteraient de passer du bon temps avec moi ! Ca ne serait pas la première fois. Oui mais…je n’arrive pas à le sortir de mon esprit. J’ai l’impression que le laisser fuir est un aveu d’échec, et que je vais devenir complètement taré. Enfin…plus que je le suis déjà.

Je dissocie à moitié en frappant à sa porte, si bien que j’ignore si c’est moi ou Thanikos qui ose faire le premier pas. Mais lorsqu’il ouvre enfin le panneau et que j’aperçois son visage fatigué, son regard surpris sur moi, je sens mon double quitter mon esprit pour me laisser entièrement seul face à cette épreuve.

“Hey.”

C’est…incroyablement nul comme première interaction, surtout après tant de temps sans lui avoir parlé. Mais comment lui expliquer ? Je ne peux décemment pas lui sortir un “désolé si je t’ai ghosté, j’étais pas dans ma propre tête en fait, et c’est pas moi qui décide ce qu’on fait !” Dans le meilleur des cas, il me prendra pour un menteur. Dans le pire, il saura que je suis instable et cherchera à me faire interner. Non, ça, je ne peux pas le laisser faire. Je lève le regard vers lui, mes yeux bleus rencontrant des perles noir de jais, et mon coeur rate un battement.

“Je…je voulais te voir. Parce que…ça fait longtemps. Et je…enfin…c’est compliqué. Je peux entrer ? Il ne faut pas qu’on me voit ici.”

Ah. Ce n'est définitivement pas la jeune femme que Lucius s'attendait à voir sur son palier. Ce n'est pas non plus une personne que le jeune homme pensait revoir. Pas après tout ce temps, à être ghosté. Pourtant, même sans répondre directement verbalement, il s'écarte de l'encadrement de porte, ouvrant cette dernière un peu plus pour permettre à l'Aéromancien d'entrer. Silent treatment. Il s'affaire à rejoindre son réfrigérateur pour sortir une bière qu'il ouvre et tend à l'autre.

Ils ont besoin de parler, oui. Parce que Jager doit savoir pourquoi il n'a pas eu vraiment de nouvelles depuis deux bons mois, pour savoir quelles sont les intentions de l'autre. Un plan fesses, ça arrive à tout le monde. Si c'est ce qu'il est pour Nero, Lucius aimerait au moins le savoir et être clairement mis au fait de ses intentions. Savoir ce qu'est leur relation, plutôt que de se triturer les méninges. Sa canette de monster et son canapé retrouvé, l'Oniromancien lève les yeux vers lui d'un air un brin accusateur.

« Je t'écoute. »

Il s'attend à des excuses. A des explications sur pourquoi il a été délaissé et pourquoi il est resté en vu pendant plusieurs longues semaines. Oh, il n'y avait rien de compromettant dans les SMS échangés. Simplement une invitation à sortir boire un coup, simplement un message pour avoir des nouvelles. S'il ne comprend pas exactement pourquoi c'est autant problématique, s'il ne comprend pas pourquoi l'autre serait pisté et son téléphone inspecté, Jager a toujours été très précautionneux dans ses échanges écrits. Pour ne pas risquer de faire une bourde. C'est qu'il a presque l'impression d'être de nouveau un adolescent un peu empoté. S'il n'a pas eu de copine avant ses dix huit ans, elle était à l'Académie et lui à la maison -evidemment- déjà déscolarisé pour ses problèmes de santé. A cet âge-là, on n'a pas forcément envie que ses parents soient trop au courant de sa vie sentimentale. Même après à bien y réfléchir. Malgré sa bonne relation avec sa famille, il se verrait mal raconter le dimanche midi qu'il a vu une fille juste comme ça la veille au soir.

« Ce que je voudrais surtout en premier lieu, ce sont des explications et des excuses. Je sais que t'es occupé et que tu travailles beaucoup. Mais t'es injoignable, tu répond même pas à un simple message qui demande comment ça va. »

Gorgée de boisson énergisante pour faire couler et avaler la pilule.

« Me ghoster c'est une chose, mais t'as pas le droit de revenir comme ça la bouche en cœur à ma porte sans t'expliquer deux mois après. »

Parce qu'il n'a pas envie d'être un bouche trou que l'on vient voir quand ça l'arrange et qu'il n'y a personne d'autre de disponible. Parce que ça l'emmerderait pas mal de n'être que ça pour Nero. Oh, c'est compliqué de parler de couple. Il n'y a pas eu grand chose entre eux. Quelques soirées, quelques verres échangés. Mais plus que ça, ils se sont confiés. Ou du moins, Lucius a tout écouté quand l'autre s'est ouvert sur ses peurs. Sur le stress qui accompagne son nom de famille.

« J'aimerai aussi qu'on soit clair l'un avec l'autre sur nos attentes. ça nous éviterais à tout les deux pas mal d'angoisses. »

Il sait qu'il n'est pas le seul à avoir pensé à l'autre régulièrement ces derniers mois. Probablement un peu par accident la première fois, volontairement les suivantes, l'Oniromancien a usé de ses pouvoirs. Présence discrète, se veut à peine perceptible et bien caché pour observer les rêves de cet amant. Nero a rêvé de lui. Sans qu'il n'ait à intervenir, observant simplement un reflet de sa propre personne interagir dans une projection mentale.

« J'ai pas l'impression que t'ai envie que je sois qu'un plan irrégulier. Alors je ne comprends pas pourquoi tu agis comme si je n'étais que ça pour toi. Peut-être que je me trompe. Mais dans ce cas-là, faut me le dire clairement j'arrêterai de me faire des faux espoirs. Tu me dois au moins ça. »

Oh, bien entendu qu'il évite de dire qu'il a visité ses rêves. Lucius sait très bien que la plupart des gens trouveraient ça au mieux bizarre, au pire clairement effrayant. C'est qu'on est vulnérable quand on dort. On ne contrôle plus vraiment ses pensées, les neurones s'activent et se pensent en sécurité pour réfléchir à toutes les problématiques d'une vie. C'était sans compter sur les Oniromanciens, capables de s'infiltrer sans être repérés. Souvent, ça n'a pas réellement de sens un rêve. C'est un peu comme prendre un bout d'épisode de série sans avoir suivi le reste. On se demande qui sont les personnages et qu'est-ce qu'il se passe dans le scénario sans avoir toutes les informations. D'autres fois, c'est explicite. Et c'est justement lors d'un rêve explicite de Nero en sa compagnie qu'il a préféré cesser de voyager dans ses songes pour cette nuit-là. A l'évidence mal à l'aise de se regarder faire certaines activités en compagnie de l'Aéromancien.

Il me laisse entrer, mais j’ai l’impression d’avoir un glaçon face à moi. En tant que Karlsson, j’ai l’habitude d’être dévisagé avec sévérité, avec dégoût parfois même. Avec admiration, certainement. Avec envie, toujours. Mais là ? Je ne saurais décrypter le regard que me porte Lucius. Est-ce qu’il est heureux de me voir ? Il devrait ! Nous avons une relation spéciale, lui et moi. Spéciale comment ? Je n’en sais trop rien. Mais une chose est certaine : il ne devrait pas être tant en colère contre moi. Je ne suis pas responsable de mon comportement, je…

Non, je ne dois pas penser ainsi. Thanikos me gifle mentalement, mais je n’ai pas besoin de lui pour comprendre. Avec Lucius, je ne peux pas me permettre de me comporter comme avec les autres, ceux qui me voient dans le cadre des soirées huppées organisées par ma famille. Lucius est plus simple, ne semble pas connaître l’hypocrisie inhérente aux couches supérieures de la société. Il est sincère, et c’est peut-être sa plus grande faiblesse. Face à un être tel que moi, comment peut-il rester aussi entier ?

Je reste silencieux tandis qu’il s’avachit sur son canapé, droit comme un i en restant près de l’entrée par réflexe. D’un seul coup, l’idée de venir le voir ne semble pas être la meilleure. J’aurais dû rester chez moi, oublier ce joli garçon et faire comme si de rien n’était. Oui, j’aurais dû plutôt faire comme d’habitude, ne pas risquer ma peau pour lui. Alors pourquoi est-ce que je ne suis pas déjà en train de m’enfuir ? Pourquoi est-ce que j’approche comme ça, réduisant la distance entre nous deux, alors qu’il continue de me fixer avec ce regard plus froid qu’un iceberg ?

“Je sais.”

Je n’ai vraiment aucune excuse à lui donner, et c’est bien ça le problème. J’aurais pu y réfléchir plus tôt, non ? Ah, ça m’aurait peut-être sauvé la vie, là. Enfin je n’irais pas jusque là, mais j’ai l’impression de me ridiculiser à rester planté là comme un idiot. Je ne lui dirai pas la vérité, c’est certain. Mais comment le justifier, alors ? Il semble confiant, sûr de lui en me demandant des excuses. Excuses que je ne peux pas lui donner, parce que…soyons honnête deux minutes : un Karlsson ne s’excuse pas, jamais. Ce n’est pas simplement une question d’égoïsme ou je ne sais quoi, mais aussi parce que je n’ai jamais appris à le faire. Dire un simple “je suis désolé” m’arrache la bouche - du moins, c’est tout comme. Les seuls à avoir eu le droit à ce genre de litanie sont mes parents, mon grand-père également, et je n’ai absolument pas envie de me souvenir du contexte de telles excuses. Alors Lucius n’entendra pas ces quelques mots, quand bien même ils pourraient sauver notre relation.

Comme je reste silencieux à chercher quoi dire, il reprend et ses paroles semblent d’un seul coup plus…chargées en émotion. En colère, j’ai l’impression, le petit oniromancien. En colère d’avoir été trompé peut-être, même si ce n’est pas volontaire de ma part. Mais au moins, c’est un signe que je ne suis pas simplement le gars du coin pour lui, non ? Il m’aime, du moins c’est l’impression que j’en ai. J’ai du mal à évaluer ce sentiment chez les autres - je peine déjà à l’évaluer chez moi ! - mais j’ai cette agréable sensation que la colère cache quelque chose de plus doux à mon égard. Raison de plus pour ne pas le laisser fuir comme ça, pour trouver les bons mots à prononcer.

Toujours silencieux, je m’installe à ses côtés sur le canapé, une bière à la main. D’ailleurs, je n’ai même pas souvenir de l’avoir attrapée, celle-là…il faut croire que j’ai encore quelques problèmes de dissociation, même s’ils se sont calmés. Je soupire longuement, avale une gorgée d’alcool et lève le regard vers lui.

“Je t’ai répondu. Mais je…enfin…je suis malade. C’était compliqué ces dernières semaines.”

Des excuses ? J’en sais foutrement rien. Une explication ? Oui, peut-être. Cette histoire de maladie, c’est ma façon de lui dévoiler la vérité tout en l’enrobant d’un bon gros mensonge. Il se sentira peut-être mal pour moi, mal de s’être énervé et d’avoir fait un caprice de gamin pour quelques jours sans nouvelles. Puis il m’acceptera de nouveau dans sa vie, et tout pourra rentrer dans l’ordre. Du moins, c’est ce que j’espère au fond de moi.

“Je t’ai pas menti, l’autre fois. C’est la première fois que je ressens quelque chose d’aussi fort pour quelqu’un.”

Mensonge, une fois de plus. Mais c’est une façon pour moi de le mettre en confiance, s’il croit qu’il est le tout premier homme à avoir fait chavirer mon coeur. Pour être honnête, moi non plus, je ne suis pas sûr de compter mon séjour en Amérique comme étant ancré dans la réalité. Est-ce même arrivé ? Je n’en suis plus trop sûr. Peut-être s’agit-il d’une illusion de mon esprit, qui a pris quelques vacances durant un temps. Quoi qu’il en soit, même s’il ne s’agit pas de ma première relation, Lucius est bel et bien le premier à autant m’obséder.

“Je ne veux pas qu’on soit seulement des plans cul, toi et moi. C’est juste que…je…”

Thanikos me pousse à lui avouer la vérité, tout au fond de moi. Sa voix envahit mon esprit, me pousse à la faute, si bien que je secoue la tête dans l’espoir de le faire taire. Je ne peux pas, je ne veux pas. Il ne saura rien, ni aujourd’hui, ni jamais d’ailleurs. Je prends une grande inspiration, bien trop stressé pour un Karlsson qui devrait être toujours plein d’assurance.

“J’étais occupé. Et j’étais malade. C’est compliqué. Toi, t’as une bonne constitution…mais moi, quand je tombe malade, c’est très difficile. J’ai essayé de garder contact, mais c’est tout aussi difficile. Je t’ai pourtant répondu, tu vois ? Alors c’est bien que je veux rester avec toi, non ? Tu ne crois pas ?”

Allez, Lucius, s’il te plaît, ne me force pas à me plier en quatre pour toi ! Tu sais bien que j’en suis incapable, je ne sais pas comment faire. Et je ne suis pas dans le tort non plus, alors passons à autre chose, veux-tu ?

Des excuses à demi-mots. Nero patauge, s'embrouille lui-même dans ses explications mais Lucius écoute en continuant de siroter son energy drink. Occupé, malade... Ce sont des bonnes raisons, sans doute. Et il lui confirme même qu'il n'a pas une très bonne constitution. Il est vrai que l'aéromancien est assez frêle, mais est-ce qu'ils ne le sont pas tous ? Lucius croit n'en avoir jamais rencontré un qui soit adepte de body building, probablement que c'est plus difficile de voler et d'user des courants aériens quand la masse corporelle est lourde et dense. Pour lui, ça va un peu plus loin : il n'est physiquement pas très épais certes, mais aussi assez faible d'un point de vue système immunitaire. Il y a des gens comme ça, Lucius le sait, qui quand ils attrapent un rhume sont vraiment cloués au lit contrairement au reste du commun des mortels.

Par soucis de discrétion, l'Oniromancien ne demande pas plus de précisions sur sa maladie. A cette période de l'année c'est probablement le changement de saison qui l'a rendu malade. Qui plus est, il sait que les enfants des vents ont souvent tendance à avoir des problèmes respiratoires. Un peu comme Alba, même si cette dernière est pyromancienne elle reste tout de même asthmatique. On est pas tous égaux. qu'il pense soudainement Jager. Et c'est bien vrai. Tout dépend du hasard de la génétique dans la vie. Une chose qu'on ne peut absolument pas contrôler ni prévoir, bien que certains essayent de jouer à l'apprenti sorcier en essayant de régler ce genre de soucis avant même la naissance d'un enfant. ça ne lui semble pas très naturel à lui, qui se dit qu'il faut laisser faire la nature. Que la seule raison valable d'intervenir, ce serait pour sauver des vies.

« C'était maladroit mais j'ai compris. »

Il repose sa canette sur sa table basse, soupire en passant une main sur son visage. Toujours fatigué. Là encore, le hasard, dérèglement qu'on ne peut pas vraiment contrôler ni soigner. Symptômes que l'on peut seulement atténuer. Sans doute qu'il aurait du en profiter pour faire la sieste plus longtemps cet après midi.

« Sois honnête, est-ce que c'est parce que tu as paniqué ? »

Probabilité qui lui semble tout à fait logique. Si effectivement Nero n'a jamais été le genre de type à s'engager, s'il est réellement sincère dans ses sentiments pour lui... Il est possible qu'il ait flipper un coup. Avant de réfléchir dans sa petite tête et de se rendre compte que ça ne valait pas la peine de disparaître totalement. Qu'il avait plus à y perdre qu'à y gagner, que rester avec Lucius serait plus épanouissant sentimentalement. L'Oniromancien qui plisse un peu les yeux, encore fâché d'avoir été éconduit et ignoré pendant quelques semaines sans avoir rien fait. Ah, si encore il avait merdé, il aurait compris. Mais comment foutre en l'air une relation sans vraiment parler ? Il n'y a pas la possibilité d'avoir des paroles déplacées qui fâchent.

Il voit bien que ça lui mine le moral au bourrasqueur. Alors Jager dans sa douceur habituelle s'efforce d'esquisser un sourire. De se montrer un peu moins tendu, de masquer qu'il lui en veut encore tout de même. Sa main qui retrouve celle de l'autre, tapotée doucement. C'est à croire qu'ils sont un peu nazes tout les deux pour ce genre de choses. Si lui a déjà eu quelques relations sérieuses avec des femmes avant lui, il doit bien avouer que ce n'est pas tout à fait la même chose avec Nero. Pas parce qu'il est un autre homme -quoi que. Mais plutôt parce qu'il est différent.

« Je vais avoir pas mal de travail cette semaine. Les célébrations commencent demain pour mon Coven. Si j'assure cette année, peut-être que l'an prochain je pourrais créer les compositions florales pour le bal de la longue nuit. Ce serait pas mal pour ma carrière. »

Ouais, Fleuriste, Lucius sait bien que les gens trouvent que c'est un métier un peu frivole généralement. Mais il y a toujours besoin de fleurs pour de nombreuses occasions. En fonction de qui les commande, on peut facturer plus cher, se faire plus d'argent, se faire connaître lors des réceptions quand les invités demandent qui a fourni les bouquets au centre des tables.

« Mais après la semaine, le week end prochain je serais en repos bien mérité. J'ai aussi jusqu'à demain matin pour profiter. »

Sous entendu qu'il devrait peut-être rendre plus clair. Il se racle la gorge, maintenant persuadé que la nécromancienne ne viendra surement pas récupérer son blouson aujourd'hui.

« On peut dîner ensemble si ça te dis. Ce soir. Ici, chez moi. »

Parce qu'il n'a pas vraiment envie de sortir. La nuit est tombée, il fait relativement frais et connaissant la météo d'Edimbourg il ne va pas tarder à pleuvoir. Il y a la paresse mais aussi le côté pratique de ne pas risquer d'être vu en compagnie de Nero. Si à lui ça lui importe peu, il sait que l'Aéromancien doit cacher ses relations à sa famille pour éviter un drame innutile. C'est triste, c'est complètement con selon Lucius mais c'est malheureusement comme ça. S'avachissant un peu plus dans son canapé pour observer le visage de l'autre, il esquisse un sourire :

« Soit on cuisine quelque chose, soit on se fait livrer chez moi un truc. Y a des burger pas mal dans le quartier. T'avais aimé la dernière fois, mais t'avais un coup dans le nez alors je suis pas sûr que tu t'en souvienne très bien. »

Il ne sait pas trop ce qu'il aime manger finalement Nero. Il se rend compte qu'ils ne se connaissent pas aussi bien qu'il ne le pensait pour ce genre de petits détails. Quand Nero était venu la dernière fois, il avait apprécié le burger, affirmant qu'il n'avait jamais goûté et appréciait de tester de nouvelles choses. Lucius avait naturellement mis ça sur le compte de l'alcool, de le voir si enjoué et désinhibé. S'il savait. Pas sur qu'il prendrait ses jambes à son coup pour autant. Mais là tout de suite, un Burger dans un environnement plus calme et sobre, ça lui semble être une bonne idée à Lucius.

Je le regarde avec insistance. Je sais que mes yeux bleus sont déstabilisants pour beaucoup, certains nous prennent même pour des incarnations du mal à cause d’un regard qui vous hante. Imaginez un peu avoir les trois fils Karlsson face à vous, à vous observer comme j’observe Lucius actuellement ! Vous ne vous sentiriez pas à l’aise, croyez-moi. Vous chercheriez à vous dérober à ce regard, et vous nous offririez certainement tout ce que nous désirions. C’est peut-être comme ça que nous sommes toujours restés du bon côté de l’histoire, avec ceux qui ne faisaient pas partie de la famille.

Quoi qu’il en soit, Lucius semble accepter mes excuses et je soupire discrètement de soulagement. Je n’aurais pas pu me plier en quatre pour ses beaux yeux, ce serait trop me demander que de faire autant d’efforts. Mais lorsqu’il me pose cette question…je reste interdit, ne sachant que répondre. Est-ce que j’ai paniqué après avoir été si loin avec lui ? Là, tout de suite, j’aimerais lui répondre que non. Que ce n’est pas ma première relation, que j’ai un “body count” assez élevé malgré mon éducation et ma famille en général. Mais la vérité…c’est que j’en sais foutrement rien. Je suis complètement paumé dans cette histoire, et je ne saurais dire pourquoi.

Thanikos me pousse à tout donner pour cette relation, lui qui a le coeur sur la main et se voit déjà marié avec des enfants dans un cottage à profiter de la vie. Véritable coeur d’artichaut celui-là, il m’a déjà fait le coup plusieurs fois. Mais moi ? Ah, j’ai encore cette idée au fond du crâne que je n’ai pas droit au bonheur. Je n’ai pas le droit de faire ça à Aurelius, de chercher à quitter cet enfer qui m’étouffe depuis des années alors qu’il aurait dû vivre à ma place. Chaque fois que je sens ce bonheur monter en moi, quelque chose me bloque. La culpabilité peut-être, le dégoût de moi-même dont je ne me détache pas après mes quelques séjours estivaux. Quoi qu’il en soit, je n’ai aucune réponse à lui accorder, et je préfère rester silencieux que de mentir. Je détache juste mon regard de lui pour le porter sur ma bière, que je termine en une longue rasade avant de hausser un sourcil à son explication.

“C’est…bien.”

J’ai du mal à comprendre son enthousiasme je l’avoue. Fleuriste, ce n’est pas une carrière très reluisante. Il pourrait avoir plus d’ambition, chercher à s’élever en société, j’en sais rien moi ! Plus que de vouloir être le petit fleuriste de quartier qui ne fait pas de vagues. Je me plaignais de ma famille qui cherchait toujours à me pousser dans les hautes sphères, mais en voyant Lucius, je me dis que je ne pourrais pas survivre sans cela. Je soupire de nouveau, et esquisse l’ombre d’un sourire à son adresse.

“C’est un message subliminal ou …?”

Ah, pas très subliminal finalement ! Le voilà qui me propose déjà de rester, confirmant ce que j’avais compris précédemment. C’est qu’il ne m’en veut plus, n’est-ce pas ? Je vais donc éviter cette fameuse conversation qui m’a mis tant mal à l’aise. Mais alors que je m’apprêtais à lui répondre, un élément me fait me figer sur place. La dernière fois ? Un burger ? Un coup dans le nez ? De quoi parle-t-il ?

“J’ai jamais…”

Je me coupe immédiatement lorsque la vérité me heurte. Les sourcils froncés, perturbé par cette réalité, je comprends que Thanikos n’a pas “simplement” passé quelques minutes en sa compagnie par hasard. Non, il est sortit en date avec…et ne s’est même pas retenu pour faire semblant. Mon coeur se met à battre la chamade, ma respiration se fait plus irrégulière et je sens la sueur couler dans mon dos. Mon esprit est en panique, et je serre les poings sur mes genoux jusqu’à m’en faire blanchir les jointures pour tenter de me calmer.

“Oui…oui, on peut prendre un burger. Si tu veux.”

Il n’a pas compris que ce n’était pas moi l’autre coup, mais si je continue de me montrer aussi touché par cette révélation, il va peut-être se poser des questions. Je prends une grande inspiration, tente de calmer mes nerfs et finis par réussir. Bras et jambes croisées, je commence à me demander si c’était une bonne idée de revenir le voir. Il semble d’ailleurs concerné par mon comportement, et je n’ai aucune explication à lui donner.

“Quand est-ce qu’on s’est vu cet été ?”

Je dois absolument savoir. Je dois aussi savoir si ça s’est arrêté à un simple “burger” ou s’il y a eu autre chose. Oh, je pourrais clairement le demander à Thanikos ; mais je sais d’avance que celui-ci ne me répondra pas. Il fera la sourde oreille, ou me mentira pour être certain que je ne cherche pas à nous faire du mal pour le blesser lui. Ah…nous avions une relation compliquée à l’époque.

Tw Mention de rapports intimes non explicites

Nero est un homme complexe. Probablement parce qu'il ne parle pas énormément. Bien qu'il soit tout de même plus bavard avec Lucius qu'avec le reste des gens, l'Oniromancien le trouve toujours bien secret. Pour beaucoup ce serait un énorme red flag. Pour Lucius, c'est plutôt l'envie de le sauver, de le rendre heureux qui prend le dessus. Syndrome du sauveur, toujours à trouver les pires partenaires. Ses exes copines ne sont pas toujours les plus stables, c'est à croire qu'il les cherche et les collectionne. Nero ne fait pas exception.

« Vas pour un Burger alors. »

Attrapant son portable, Lucius hausse un sourcil à la question de l'Aéromancien.

« Hein ? »

Quand est-ce qu'il est venu en août ? En voilà une drôle de question. Sans doute qu'il était vraiment encore plus saoul que ce qu'il pensait pour ne pas s'en souvenir.

« Le premier week-end du mois d'août je crois, je me souviens plus du jour exact. Mais c'était le début du mois. »

Ouvrant son application de livraison à domicile -qu'il utile bien trop souvent par flemme monumentale de cuisiner- Jager sélectionne le restaurant de burger avant de tendre son portable à Nero pour qu'il puisse consulter la carte et choisir son menu.

« En fait t'étais vraiment complètement torché quand t'es venu si tu t'en souviens pas. T'as pas l'air de te rappeler de grand chose. »

Est-ce une bonne chose ? Lucius ne saurait pas dire. L'alcool l'avait rendu bavard et joyeux, bien plus désinhibé qu'il ne l'est habituellement. Au point que leur moment intime n'était absolument pas comme les autres. Ou l'autre fois du moins. Une première fois un brin complexe entre eux durant laquelle l'Aéromancien avait posé quelques limites. La trouille que son amant prenne le dessus sur lui dans un instant romantique, que Lucius avait respecté en restant relativement passif pour ne pas le brusquer. L'inverse en Août, l'opposé total. Un Nero totalement offert et bien plus expressif. Un souvenir agréable de cette nuit partagée à deux. Un souvenir que l'Aéromancien ne semble pas partager, trop imbibé par l'alcool probablement. Dommage.

Cannette de Monster terminée, Lucius esquisse un petit sourire en reprenant son téléphone pour également passer sa commande. Sans oublier des Nuggets en plus pour lui et leurs deux familiers.

« On va repartir sur des bonnes bases. Se promettre de plus se ghoster ce sera un bon début. Passer une bonne soirée comme en Août et plus d'alcool pour toi à partir de maintenant, histoire que tu puisses t'en souvenir la prochaine fois. »

Oh, l'Oniromancien n'a pas le moindre doute que le lendemain matin, ses activités nocturnes de la veille se sont rappelées à lui bien qu'il n'en ait eu aucun souvenir. Encore heureux que c'était avec Lucius et pas avec un autre. Un brin jaloux, alors qu'ils ne se doivent pourtant à priori rien. Du moins, ce n'était pas bien clair jusqu'à ce soir. Les choses sont enfin mises à plat entre eux, leur relation est à peu près claire. Se rapprochant de Nero sur le canapé, il passe un bras autour de ses épaules. Ah, il a gardé ses vieux réflexes. S'il n'a été host que quelques mois, il semblerait qu'il ait gardé cette habitude. Probablement parce qu'il n'était au préalable, absolument pas expérimenté sur le point de la séduction.

Mais c'est tout ce qu'il connait, ce qu'on lui a appris. Les techniques semblent fonctionner quoi qu'il arrive, qu'importe la différence de contexte, de pays et de culture. Lucius sait parler aux femmes, apprend à parler aux hommes avec Nero désormais. Pressant doucement ses doigts sur l'épaule de l'Aéromancien, il esquisse un nouveau sourire et se penche vers lui pour déposer un baiser chaste sur son front. Nero n'est pas bien doué. Lui non plus. Mais les choses sont claires désormais. Il lui a promis de ne plus l'ignorer et de le laisser sans nouvelles pendant plusieurs semaines. Il lui a clairement explicité qu'il voulait que Lucius soit plus qu'un plan occasionnel. Alors maintenant que tout est dit... Si le fleuriste est encore un peu fâché, il sait bien que ça ne sert à rien de se renfrogner trop longtemps. Que ça ne feras pas avancer les choses entre eux, qu'au contraire ça ne fera que les frustrer un peu plus tout les deux.

Tout en se raclant la gorge, Lucius cherche les mots justes pour parler de leur soirée au Karlsson. Histoire qu'il soit tout de même au courant de ce qu'il a pu se passer bien que sa mémoire lui fasses défaut.

« T'es totalement une autre personne, quand t'as bu. C'est pas plus mal, au moins, t'as pas l'alcool triste ou mauvais. Mais t'était vraiment... Différent, sur tout les plans. Plus bavard. Plus tactile. Et même quand on a fait l'amour... C'était totalement différent. »

Il a le droit de savoir, selon Lucius. Mieux vaut qu'il soit au courant.

« Mais je suppose que sobre, tu gardes les limites qu'on avait un peu établies toi et moi. »

Dommage. qu'il songe soudainement.

Le premier weekend d’août. Vraiment ? Je garde un air interdit, perturbé par cette révélation. Thanikos, ce traître…nous avions un accord lui et moi, celui de ne pas croiser les personnes que je connais pour ne pas trahir son existence. Mais cet idiot a dû se sentir seul comme d’habitude, et a cherché à rencontrer Lucius. Pourquoi me fait-il toujours des coups pareils ?! Je serre la mâchoire, mais tente de masquer mon malaise. Au moins, il ne semble pas s’être rendu compte de quoi que ce soit. Ce qui est d’ailleurs un peu stupide de sa part, mais…on va dire que je n’ai pas pris le plus brillant de tous les oniromanciens. L’idiotie latente de mon…petit ami…a ses bons côtés, finalement.

“Ouais…non…j’ai du mal à m’en souvenir.”

Allons bon, c’est ça l’explication qu’il s’est donné sur le comportement de Thanikos ? C’est une idée qui n’est pas déplaisante. Je bois beaucoup, il est vrai, mais je n’ai pas spécialement l’alcool joyeux pour autant. Le seul avantage avec cette tendance à la boisson, c’est que je deviens de plus en plus résistant à celle-ci, au point de ne parfois pas perdre une seule faculté mentale et motrice après plusieurs bouteilles. C’est un super-pouvoir comme un autre, je suppose. Quoi qu’il en soit, je suis soulagé que Lucius ne m’ait jamais réellement vu bourré ; ainsi, cette narration de “tu as l’alcool joyeux mais tu oublies tout ensuite” pourra rester et être très utile. Du moins, si Thanikos n’est pas capable de se tenir tranquille.

“Si je ne bois plus, tu vas me trouver chiant très vite.”

C’est sorti tout seul, cette fois. Parce que la vérité, c’est que je me sens incroyablement menacé par Thanikos malgré toute la confiance que je peux avoir en moi. Du moins, ce qui semble être de la confiance. Parce que je le sais, Thanikos est quelqu’un de plus avenant, de plus sympathique, d’enthousiaste, de drôle, de tactile…tout ce que Lucius pourrait aimer, tout ce que je ne suis pas. Oui, je suis jaloux de moi-même, c’est un comble, je sais. Mais je l’envie, cet alter qui ose prendre de plus en plus de contrôle sur moi-même. Parce qu’il a eu le droit de grandir sans souffrir, parce qu’il a pu se développer comme un humain normal, parce que je suis le seul boulet à sa cheville qui l’empêche de s’envoler. Mais Lucius…c’est un point qui me blesse particulièrement. Pour une fois que je trouvais quelqu’un de stable !

Je me tends lorsqu’il se rapproche, par réflexe plus que par volonté. C’est que j’ai encore du mal avec certains gestes, et que même si je sais qu’il souhaite simplement montrer un côté “flirt” pour rattraper ces mois d’absence, la nouvelle information qu’il m’a donné ne m’aide pas à me détendre. Je soupire longuement et lève les yeux vers lui, buvant ses paroles. Ce qu’il décrit, je le connais déjà. Je sais comment se comporte Thanikos, j’ai pu l’observer quelques fois lorsque notre connexion était encore relativement stable. Lorsqu’il ne me coupait pas totalement le contrôle, que je pouvais observer tout comme il m’observe parfois. C’est sûrement cette peur de ne pas être assez bien pour les autres qui fait que je l’ai perdue, cette connexion. Mais ça, je suppose que c’est l’une de ses pensées, pas la mienne.

“Attends. “Quand on a fait l’amour” ? Quoi…?”

Là, par contre, je suis livide. Je me sens…je ne saurais pas le décrire. Je sais que ce corps n’est pas uniquement le mien, qu’il lui appartient également, comme il appartient à Jake lorsque celui-ci décide d’apparaître. Mais que Thanikos ait décidé de l’utiliser pour profiter des faveurs de Lucius…lui qui sait pourtant ce que ses décisions ont déclenché il y a des années…non, je ne peux pas le cautionner. J’ai envie de vomir, de me recroqueviller dans un coin, comme si ce simple instant avait été sans mon consentement.

Mais c’est faux. Ce n’est pas n’importe qui, qui a pu partager un instant intime avec moi. C’est Lucius, le seul homme qui compte actuellement pour moi. C’est Lucius qui a embrassé Thanikos, Lucius qui l’a découvert et a certainement passé un très bon moment avec lui. Ce n’est pas n’importe qui, pas un…inconnu. Au final, ce que Thanikos m’a fait, c’est ce que je lui fais subir depuis des années. Alors ai-je réellement le droit de m’en offusquer ?

Oui, mais c’est Lucius quand même. C’est MON amant, pas le sien, c’est MOI qui l’a fait tomber dans mes filets, MOI qui ai tant travaillé pour le garder à mes côtés. C’est MOI également qui, aujourd’hui, viens m’écraser dans l’espoir qu’il reste à mes côtés alors que je l’ai abandonné pendant si longtemps. Je pose une main possessive sur sa cuisse, tandis que ma colère se dirige contre mon alter bien trop entreprenant. En vérité, c’est cette jalousie qui parle une fois de plus. Si je pouvais le frapper, je le ferais ; j’en aurais sûrement mal, et pas sûr que cela serve à grand-chose.

“Les limites…ne changent pas. Mais je veux bien faire un effort pour toi. Seulement si tu me promets que si je te dis non, c’est non.”

Cette relation n'est certainement pas comme les autres que l'Oniromancien a pu expérimenter par le passé. Pas spécialement parce que Nero est du même sexe -quoi que, ça y joue tout de même- mais parce qu'il est compliqué. Ses exes copines étaient moins complexes globalement il y en avait avec qui il n'avait peut-être bien rien en commun, d'autres avec qui c'était un peu compliqué et d'autres avec qui la vie a juste décidé que ce n'était pas le bon moment. Qu'ils n'étaient finalement pas compatibles, pas faits l'un pour l'autre contrairement à ce qu'ils croyaient. Avec l'Aéromancien, il y a beaucoup de secrets. Beaucoup de fragilité aussi chez lui, Lucius en a conscience et même s'il ne dit rien, il ne voit très bien. Parce qu'il y a toujours cette histoire d'ego masculin qui entre en jeu, ces règles qu'on leur impose. Ne pas montrer ses émotions, ne surtout pas afficher une quelconque fragilité pour que la virilité prime sur le reste. Oh, Jager ne se sent pas vraiment concerné par tout ça. Sa mère l'a toujours autorisé à pleurer quand il était petit, l'a toujours encouragé à parler de ses sentiments et de ses émotions au lieu de les refouler pour exploser et taper dans un mur. Il y en a qui se moquent de lui. Qui disent qu'il n'est pas un vrai mec, à cause de ses émotions qu'il exprime. Mais dans le lot, il estime ne pas être le plus con de l'histoire. Au moins, il ne déborde pas de colère quand tout s'est accumulé, quand tout a été refoulé sous prétexte qu'un homme, ça n'a pas de sentiments.

« T'as pas besoin de boire pour que je te trouve intéressant, je t'aime bien sobre aussi. »

Et c'est la vérité. Parce que finalement de le voir si enjoué et si extraverti, au comportement tactile et totalement enfantin... Même si c'était agréable de ne pas avoir un mur de froideur en face de lui et quelqu'un de très avenant, ça l'a un brin perturbé. Parce que ce n'était pas son Nero habituel.
Surpris de le voir poser une main un brin possessive sur sa cuisse, Jager se laisse tout de même faire sans broncher. Acquiesce à ses paroles simplement.

« Je t'ai déjà dis que je ferais rien que tu ne veux pas. »

Il y tiens, Lucius. A quoi bon ? Pourquoi ferait-il le contraire ? ça ne l'intéresse pas vraiment si l'autre ne passe pas aussi un bon moment. ça l'emmerde plus qu'autre chose de se forcer lui aussi quand l'autre en a envie et pas lui. Alors, il s'est promis qu'il ne prendrait plus sur lui pour l'autre et qu'il n'imposerait rien non plus en retour. Tentant un bref rapprochement, le fleuriste dépose un baiser dans les cheveux du brun à ses côtés. Faire comme si de rien n'était ce n'est probablement pas très sain comme mécanisme, mais... Comment faire autrement ? L'envoyer bouler, continuer de bouder et risquer de vraiment mettre fin à quelque chose qui commence à peine ? ça vaut le coup d'essayer, sans doute. La vérité c'est que lui aussi à pensé régulièrement à Nero pendant ces deux longs mois sans vraies nouvelles. Perturbé au début d'avoir franchi le cap avec un autre homme lui qui se pensait hétérosexuel, perturbé ensuite par ses propres sentiments alors qu'ils se connaissent en réalité à peine. Mais Lucius a envie de le connaître. Se sent à l'aise, d'une certaine manière en sa compagnie. Nero l'amuse malgré lui souvent en étant totalement déconnecté du monde des vrais gens, Lucius a envie de lui montrer qu'on peut être heureux en étant une personne ordinaire. Qu'il y a autre chose que le faste et la richesse des Karlsson, qu'il vaut mieux qu'un simple fils qui se refuse de vivre sa vie en prétextant qu'il doit honorer son nom de famille. Il le maintiendras jusqu'à sa mort, Lucius : pourquoi faire autant d'efforts pour des gens qui ne t'aiment à l'évidence pas ?

« Mon familier avait hâte de te revoir aussi tu sais. Il va être content quand il va se réveiller de voir que t'es revenu... Tu ne t'en souviens surement pas non plus de ça je suppose. Mais attend toi à devoir le brosser. Paraît que tu fais ça extrêmement bien. »

Par réflexe le sorcier se retourne un instant vers l'encadrement de porte donnant sur sa chambre. Nuggy ne devrait pas tarder à émerger du coma. Ou pas. Au pire, il se manifesteras quand le livreur viendra sonner à la porte pour délivrer les fameux burger... Et les nuggets pour l'Oniromancien et les familiers.

« D'ailleurs, rassures moi mais Freja va nous rejoindre n'est-ce pas ? J'ai pris des nuggets pour elle aussi. »

Merde, c'est vrai qu'il ne se souvient de rien, Nero. En entendant un petit BOUM sur son parquet, Jager esquisse un sourire. En parlant du loup, voilà la queue. Ou plutôt, en parlant du chat voilà le plumeau qui débarque. Party Nuggets, qui dans toute sa splendeur s'étire en long tout en baillant. Familier et sorcier bien assortis, l'air ahuri, la douceur et une passion commune pour les siestes à rallonges. Au moins cette fois-ci en étant en pleine possession de ses moyens, Nero ne va probablement pas pleurer face au chat, en répétant qu'il est bien trop mignon.

Je ne devrais pas être aussi affecté par ce qu’il vient de me dire, et pourtant…oui, pourtant, ses paroles allument une lueur d’espoir en moi et font battre mon coeur à toute vitesse. La jalousie que je ressens envers Thanikos est sans précédent, et semble croître à mesure qu’il prend de l’importance dans ma vie. J’ignore pourquoi, mais la simple idée qu’il a pu avoir des relations sexuelles avec l’homme que j’aime me rend malade, et je dois faire un effort colossal pour ne rien laisser paraître. Un jour, je devrai bien lui dire. Je ne peux pas disparaître tous les étés sans explication. Je remarque également ma perte de contrôle sur mon alter le plus envahissant, et c’est surtout ça qui m’effraie. Et si je disparaissais définitivement sans que personne ne le sache ? Pire, si je devenais secondaire, incapable de l’empêcher de nuire ? Pas qu’il soit très méchant ou dangereux, mais tout de même…ma réputation est en jeu, et avec lui, je sais qu’elle risque de terminer en miettes. Devrais-je alors mettre dans la confidence les personnes en qui j’ai confiance ? Quelles personnes…? Il n’y a bien que Lucius qui a réussi à l’obtenir, cette confiance. Et encore…je ne suis pas sûr de la lui accorder aveuglément.

“Ton familier ?”

Comment ça, son familier m’aime déjà ? Il aime Thanikos surtout, oui ! Je ne me rappelle même plus de ce qu’il est censé avoir comme bestiole, mais je me doute que ça ne doit pas être quelque chose de très…actif. Pas que je doute des capacités physiques de mon partenaire, mais on ne peut pas dire qu’il se bouge beaucoup dans la vie. Honnêtement, je m’attends presque à ce que son familier soit quelque chose de mou, comme un paresseux ou un koala. Peut-être le deuxième plutôt que le premier, il passerait déjà bien plus inaperçu…et serait moins dégoûtant à regarder, qu’on se le dise. Il paraît que les paresseux sont plein de bestioles et autres parasites, alors j’avoue que j’ai du mal à les trouver sympathiques. Je doute que Thanikos l’aurait approché dans ce cas, même si je ne peux rien affirmer à son sujet, à celui-là. Nous sommes si différents…

“Je vois.”

Quoi dire de plus, honnêtement ? Je ne suis pas très doué pour faire la conversation, il faut se le dire. J’agis plus que je ne parle, mal à l’aise avec tout ce qui est social, ce qui n’est pas pratique quand la famille cherche à nous placer à des positions de pouvoir dans ce foutu coven. Mon regard suit celui de mon ami, allant vers la porte entrouverte de ce que je suppose être sa chambre, et je reste un instant ainsi sans bouger.

“Freja ? Oui, elle va sûrement venir. Elle est curieuse, et aime bien squatter partout où je vais.”

Mais plus que cela, Freja est éprise de liberté. Une liberté qu’on lui a refusé durant trop longtemps, sous prétexte qu’elle devait d’abord apprendre à se comporter correctement. Ma pauvre chouette a souvent été enfermée dans un placard durant notre enfance à tous les deux, trop véhémente pour être acceptée telle qu’elle était, même avant la mort d’Aurelius. Ils ne l’aiment pas, dans ma famille. Ils la détestent même, raison pour laquelle je la fais entrer dans la maison par la fenêtre de ma chambre et la fais naviguer à travers les couloirs secrets empruntés par les domestiques. Ils la haïssent car elle essaye de me défendre la plupart du temps. Elle n’était pourtant pas avec moi, durant tous ces étés…elle restait dehors, sous ma demande explicite, craignant pour sa vie.

Freja, c’est peut-être la seule chose vraiment stable dans ma vie. La seule personne à connaître notre petit secret, à avoir été témoin des changements d’identité à chaque fois. Elle a promis d’emporter le secret jusqu’à la tombe, et cette fois, je pense pouvoir accorder ma confiance. C’est aussi un moyen de surveiller les faits et gestes de Thanikos, d’avoir un regard extérieur sur ce qui se passe. Mais malgré tout, elle ne m’a jamais prévenu qu’ils étaient venus ici…pourquoi ? Est-elle de mèche avec mon alter si envahissant ? A-t-elle passé un marché avec lui ? Je fronce les sourcils, le cerveau tournant à plein régime. Ca me donne la migraine, tout ça.

Un petit “boum” attire mon attention, et mes sens sont soudainement en alerte. Sourcils froncés, je regarde une ombre s’approcher dans l’entrebâillement de la porte. Une ombre qui passe très vite dans la lumière et dévoile…un chat.

Ce n’est pas n’importe quel chat. Celui-ci a des poils relativement longs, des yeux ronds d’un bleu profond et une tête un peu stupide renforcée par un petit “Moo ?” qu’il lâche en me voyant. Figé sur place à le fixer du regard, le visage totalement inexpressif, je sens pourtant mon coeur exploser dans ma poitrine.

Cette créature est absolument adorable. Ses petites pattes douces ne font presque pas de bruit sur le plancher alors qu’il trottine vers nous, visiblement encore à moitié endormi de sa sieste. Son museau renifle l’air ambiant, et il s’approche du canapé pour s’asseoir juste devant moi, la tête penchée sur le côté. Je…je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi mignon. Si bien que je ne sais pas comment réagir, ce trop plein d’émotion étant inhabituel chez moi.

“Ah, tu es revenu ! Occupe-toi de moi, maintenant.”

La voix de la créature me paraît presque trop étrange dans cette situation, pourtant je reste paralysée devant sa présence. Il saute avec agilité sur mes genoux sans vraiment en demander la permission. Mon bras bouge de manière totalement mécanique et ma main vient caresser ses longs poils doux, provoquant chez moi une nouvelle explosion de bonheur qui passe totalement inaperçu. Je…je crois que je ne peux pas résister.

“Il est…mignon.”

Ma voix est rauque, comme si je me retenais à grand peine de pleurer. Ce qu’il n’est pas le cas, qu’on se le dise ; je suis juste…un peu émotionnel, d’un coup.

Ce sont de petits coups sur les carreaux qui me sortent de ma nouvelle torpeur, alors que Freja se manifeste. Etant bloqué par la présence du chat, je lance un regard à mon amant pour qu’il la laisse rentrer, la petite boule de plumes n’étant pas d’une nature très patiente. La boule de poils, elle, semble s’être totalement étalé sur mes genoux, comme si j’étais son nouvel esclave personnel. Quelle adorable créature !

Si les trous de mémoire de l'Aéromancien l'inquiètent plus qu'il ne le laisse paraitre, Lucius reste tout de même silencieux et complaisant. Au sein de son propre coven, il est rare d'oublier quelque chose. En particulier chez les nécromancien.ne.s qui semblent se souvenir de tout. Ce traint particulier possédé par les autres vagabonds a même tendance à l'effrayer légèrement. En ayant si bonne mémoire, Lucius a toujours peur d'être dans les mauvaises grâces d'un enfant de Necrosmoryx et d'avoir des ennuis des années après. Oh, pas qu'il soit particulièrement problématique l'Oniromancien. Mais on ne sait jamais. Il a conscience que tout le monde ne le porte pas dans son cœur -et ne comprend absolument pas pourquoi, lui qui n'est qu'amour et douceur, tout le monde devrait l'aimer non ?-. Jamais il ne sera à l'abris des monstres dénués de raison qui pourraient détester un être comme lui.

« Je vous ramène la brosse. »

Installé comme il est, Jager sait que Nuggy n'attend que ça. Déjà debout pour aller chercher le nécessaire lorsque la chouette tape au careau avec son petit bec, il esquisse un sourire et se dirige naturellement vers la fenêtre pour faire entrer le petit rapace. La taille de Freja l'a toujours amusé. Une minuscule petite chouette, avec qui il a tout de même réussi à sympathiser. Saluant cette dernière d'une gratouille sur la tête lorsque celle-ci se perche sur sa main -vivant ainsi son meilleur fantasme de princesse Disney par la même occasion-, Lucius s'empresse tout de même de refermer la fenêtre de son appartement. Oh, Old Town c'est très charmant. Il y a le cachet des bâtiments plus historiques, moins modernes qu'ailleurs. C'est toujours animé avec les bars et les différentes célébrations. Mais avec le charme de l'ancien, il y a également quelques petites contraintes. S'il est assez bien loti pour avoir du double vitrage par coup de chance lorsqu'il a cherché un appartement, l'isolation n'est pas la meilleure qui soit.

Profitant que Freja soit allée se percher sur le dossier du canapé pour y rejoindre Nero et Party nuggets, le jeune homme s'empresse de ramener un plaid doux et bleu ciel, ainsi qu'une brosse qu'il dépose sur la place à gauche de Nero. C'est l'heure de la séance de SPA pour son chat il le sait très bien. Séance qui ne durera pas très longtemps s'il en croit son téléphone portable. L'application lui indique que le livreur possédant leur commande est en route et arriveras d'ici une dizaine de minutes chez lui. Les burgers ont été plus rapides que prévu, c'est à croire qu'en ce dimanche soir il y a moins de gens qui n'ont pas envie de cuisiner que ce qu'il pensait. Ah, peut-être aussi que le fait d'être en fin de mois n'aide pas particulièrement les affaires. La plupart des foyers préfèrent économiser pour la célébration des ancêtres la semaine prochaine, une livraison de repas à domicile semble peut-être un peu superflue et inutile d'un point de vue économique. Lui n'ayant personne d'autre que ses parents ici n'a pas ce genre de soucis. Oh, sans doute qu'il passeras chez la famille Abramowitz à un moment après le travail pour offrir des fleurs. Il sait que la situation financière de la famille d'Alba n'est pas la meilleure, qu'ils n'auraient pas forcément les moyens de s'offrir de belles couronnes de fleurs aussi travaillées que celles des autres familles. Alors tous les ans depuis qu'il a pris son poste chez le fleuriste, Lucius s'assure de passer offrir de quoi fleurir les tombes aux Abramowitz. Et toujours la même rengaine, quand ils insistent pour le payer : un café suffiras amplement.

Pendant que Nero s'affaire à brosser le familier de l'Oniromancien, ce dernier appuyé contre son comptoir de cuisine termine sa canette de Monster et s'applique à ranger quelques petites choses qui trainent. Se faire livrer finalement ça lui éviteras d'avoir de la vaisselle à faire. Cette semaine, probablement qu'il se nourriras de plats déjà tout préparés ou de livraisons étant donné le planning qui l'attend. Pas de salle de sport en vue non plus, par avant le week end prochain du moins. Ah, ça risque un peu d'emmerder son coach qu'il soit aussi enclin à la malbouffe à cette période de l'année à cause du travail. Mais ce n'est pas comme s'il avait l'énergie suffisante pour se cuisiner des plats équilibrés en ayant des journées à rallonge lors de la fête des ancêtres. De même au mois de mai, lorsque la fête de la Rose prend place : c'est même encore pire.  

Ne sachant pas trop comment rompre le silence qui s'est installé, qui n'est perturbé que par le ronronnement bruyant de son familier en pleine séance de toilettage avec Nero, Lucius reste donc silencieux. Commence tout de même à s'agiter un peu quand le GPS lui indique le le livreur est au bout de sa rue. Histoire que tout le monde ne sursaute pas lorsque la sonnerie de l'interphone se fera entendre. Petit raclement de gorge pour amorcer, tandis qu'il regarde l'Aéromancien occupé avec son chat :

« Les burgers vont arriver normalement, on va pouvoir manger. J'ai pris des Nuggets en plus pour vous deux, j'ai pas oublié. »

C’est presque lunaire comme atmosphère dans cet appartement. Du moins, c’est ce que je me dis en caressant la fourrure si douce du chat de mon petit ami. Cette ambiance légère, ce sentiment “cozy” qui est si chère à Lucius n’a rien à voir avec ce dont je suis habitué. Je devrais me détendre, simplement profiter…cependant c’est si étrange pour moi que je ne peux m’empêcher d’être mal à l’aise. J’ai l’impression que quelqu’un va entrer dans l’appartement à tout instant, me tirer de là par la peau du cou et me replonger en enfer. Est-ce que j’ai seulement le droit d’être aussi heureux ? Non, bien sûr que non. Je ne devrais pas être là, à profiter d’une vie qui n’est pas la mienne. Je serre la mâchoire, mes doigts se crispent sur la fourrure du familier qui me grogne dessus. C’est ce qui me force à me détendre suffisamment pour ne pas lui faire de mal ; ce n’est pas mon but, je ne devrais pas mettre en danger un animal simplement à cause de mes propres insécurités.

Freja entre enfin, et se rapproche aussitôt de nous en se perchant sur le dossier du canapé. Je lui lance un regard noir, ce à quoi elle répond d’un petit piaillement suffisant. Elle sait très bien ce que je vais lui dire, ce dont on va discuter elle et moi. Je lui ai déjà demandé de surveiller Thanikos et de s’assurer qu’il n’interfère pas dans ma vie, mais elle semble avoir passé un pacte avec lui. C’est donc normal que je la confronte à ce sujet, non ?

Je me désintéresse de ma chouette simplement pour m’occuper à nouveau de Party Nuggets - un nom ridicule qu’il semble pourtant apprécier, ce qui est très étrange à mon avis - et attrape volontiers la brosse. Ca a quelque chose de thérapeutique de s’occuper d’une bestiole pareille. C’est étrange que de simples gestes me fassent me sentir si bien…il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi, j’en suis sûr. Et maintenant que je me dis ça, je ressens encore la panique monter, le stress m’envahir. Est-ce que j’aurai le droit au repos un jour ? Je commence à sérieusement en douter.

La voix de Lucius me fait sursauter, mais c’est une sonnerie stridente qui me fait lâcher la brosse et porter immédiatement la main à ma ceinture où sont planqués mes poignards. Mes pupilles sont dilatées, mes sens en alerte et je suis prêt à sauter à la gorge de quiconque tente d’entrer. Jusqu’à ce que je remarque enfin le regard étrange que Freja me lance.

“Arrête ça idiot, tu vas blesser quelqu’un !”

Sympathique mon familier, mais elle n’a pas tout à fait tort. Je me raccroche à la réalité, comprends que je me suis simplement monté la tête tout seul et tente de me détendre enfin. Ce n’est rien. C’est une sonnerie comme une autre, pour annoncer l’arrivée du livreur. Personne ne va entrer dans cet appartement, et certainement pas qui que ce soit de ma famille. Tout va bien. Je dois juste…faire confiance à Lucius.

Nuggets, qui n’a visiblement pas apprécié mes mouvements brusques, me lance un regard noir avant de quitter son spot de spa. Il s’étire longuement, se nettoie consciencieusement les coussinets et se rapproche de son maître, miaulant pour qu’il se dépêche de lui offrir sa nourriture. C’est quelque chose qui m’a toujours intrigué ça, d’ailleurs, que les familiers choisissent parfois de ne pas parler et de se comporter comme des animaux…d’autant plus lorsque, comme celui de mon petit ami, ils sont incapables de les immiter correctement. Depuis quand un chat fait “moo” au lieu de “meow”, hein ?

“Je crois que je ne suis pas très doué pour le brosser, en fin de compte.”

C’est presque une déception pour moi. Parce qu’une fois de plus, Thanikos est meilleur dans le domaine social que je le suis. Une fois de plus, il me prouve qu’il mérite davantage d’avoir le contrôle, de me reléguer au second plan. S’il savait…si je le laissais vivre ce que je dois vivre, si je le laissais s’occuper de “l’autre”, est-ce qu’il serait seulement capable de le garder à distance ?

Silencieux, je regarde les objets déposés par Lucius sur la table basse, perplexe. J’ignore totalement à quoi m’attendre, mais est-ce que c’est sécurisé de manger quelque chose d’enroulé dans du papier, comme ça ? Est-ce que je ne risque pas de tomber malade ? Je n’ai pas vraiment envie de finir la soirée à l’hôpital parce que j’ai mangé un truc un peu douteux ! Les sourcils froncés, je déballe mon “burger” du bout des doigts, comme s’il s’agissait d’une bombe à désamorcer. C’est un sandwich en fait, c’est ça ? Il a l’air moche en tout cas, ça ne donne pas vraiment envie de croquer dedans.

“C’est…euh…c’est ça le repas, je suppose ?”

Bon. Visiblement, il n’y a rien d’autre à manger. Alors…ça ne coûte rien d’essayer, n’est-ce pas ? Thanikos l’a bien fait, je peux le faire moi aussi ! J’attrape le sandwich avec précaution, le tenant toujours du bout des doigts de peur de me mettre de la sauce sur la main. La texture n’est pas très ragoûtante, et ce que je devine être du ketchup doit être tout collant. Non, vraiment, c’est un effort colossal que ça me demande là.

“Bon. Alors…allons-y.”

Je croque un minuscule morceau de burger et ferme aussitôt les yeux, le visage crispé, m’attendant à tout instant à devoir recracher le tout. Mais à ma grande surprise, le sandwich est relativement bon. Mes sourcils se lèvent, mes paupières s’ouvrent et je conserve le regard rivé vers l’objet dans mes mains. Une nouvelle bouchée, puis une autre, encore une autre. Je dévore le repas comme si je n’avais pas mangé depuis trois jours, comme un addict recevant enfin sa dose. Comment ai-je pu passer à côté d’un tel délice ? Certes, la façon de manger est dégoûtante et je ne suis pas sûr de vraiment apprécier. Mais le goût me fait oublier ce désagrément. Plus que jamais, je découvre une nouveauté dans cette vie que je ne connais pas vraiment. Lucius et moi ne vivons vraiment pas dans le même monde.

“Pas mal, Jager. Pas mal du tout.”

Plus tendu qu’il n’en a l’air, Lucius remarque bien les réactions de l’Aéromancien. Et celles de son chat, qui semble mécontent de la séance de SPA féline. Lucius il aimerait lui dire de se détendre, le rassurer en lui disant que tout va bien se passer et qu’il n’y a pas raison de stresser. Mais c’est difficile de trouver les mots. Il n’est pas toujours très doué pour ça, Jager. Lui adressant donc un sourire tendre plutôt, le voici qui ouvre la porte au livreur avant de récupérer leurs sacs de fast food. Enfin, fast food… Pas vraiment. Sachant très bien que Nero dans son milieu social n’as surement jamais été dans un mcdo de sa vie, l’Oniromancien a tout de même fait attention à sélectionner un restaurant de burger un peu gourmet. Du vrai steak, des ingrédients frais pour lui faire plaisir et ne pas trop le perturber. Cette stratégie avait fonctionné la dernière fois qu’il était venu ici. Mais Lucius sait déjà : il ne s’en rappelle pas.

Prenant place à ses côtés sur le canapé, dégageant quelques choses de sa table basse -surtout sa manette de console pour ne pas risquer d’y mettre de la sauce dessus-, le fleuriste s’applique ensuite à déterminer qui a commandé quoi grâce aux noms des burger indiqués sur les papiers à l’aide de marqueurs. Les sandwich distribués, avec leurs barquettes de frites et leurs boissons respectives, il rigole à la réflexion de son invité :

« Tu t’attendais à quoi ? C’est pas empoisonné hein ! T’as survécu la dernière fois, tu y arriveras encore. »

Vraiment, ses troubles de la mémoire l’inquiètent. Mais voilà déjà que son familier accompagné de Freja sont là à le fixer et à attendre avec impatience d’avoir leurs nuggets. Une frite dans la bouche, il ouvre donc la boite et commence la distribution. Un premier nuggets chacun pour les occuper.
Nero lui, semble apprécier le repas une fois la surprise passée. Terminant de mâcher sa frite tout en ouvrant sa canette de red bull -dommage, ils n’avaient pas de Monster au restaurant- Jager en prend une longue rasade avant d’entamer lui aussi son sandwich. Une sorte d’énorme machin au bacon, préférant éviter le supplément fromage pour ne pas risquer d’avoir mal au ventre en compagnie de Nero.

« Vous avez déjà terminé ?? »

Un Moo discret et un petit coup de bec le rappellent à son devoir. Nouvelle distribution de Nuggets aux familliers. Un peu surpris tout de même que Freja mange autant avec sa taille si modeste il lance donc une petite blague légère à l’Aéromancien :

« Tu ne la nourris pas ou quoi ? Elle est à son deuxième nuggets elle est affamée cette pauvre chouette ! »

Oh, il se doute bien que Nero s’occupe bien de son familier. Freja n’a pas l’air malheureuse un seul instant et étant donné le tempérament hargneux du petit rapace nocturne, il ne doute pas un seul instant qu’elle saurait se faire respecter par son sorcier. De toute manière, sorcier et familier se ressemblent souvent énormément et s’entendent donc bien. Il n’a jamais entendu parler d’un cas où le duo serait dissonant et mal assorti. Est-ce seulement possible ? De ce qu’il en sait, c’est littéralement la magie de l’enfant qui matérialise l’animal.

« T’as pas besoin de trop te stresser ici. On va juste passer une bonne soirée ensemble. On peut regarder un film après si tu veux, ou aller dormir si t’es fatigué. Et que tu veux passer la nuit ici, je sais pas. Il est encore un peu tôt mais… »

Dormir. Il se doute bien que ça ne va pas tout de suite être le cas. Bien trop pudique cependant, pour évoquer quoi que ce soit d’autre il se contente donc de ça.

« Ou on peut faire les deux, regarder un film au lit, comme ça on s’installe confortablement et on se détend. »

Proposition qui n'est pas aussi innocente qu'elle n'en a l'air, avec le fameux Netflix and chill que tout le monde connaît. Quoi que, toute réflexion faite, peut-être que lui ne connaît pas ? ça ne le surprendrait qu'à moitié Lucius si Nero n'était pas au courant de ce genre de pratiques un peu... Modernes ? Il a souvent du mal à comprendre la vie des gens ordinaires. La faute à une famille de bourgeois au sein de laquelle il a dû grandir. Mais il serait grand temps d'après l'Oniromancien que son... Petit ami apprenne ce genre de coutumes. Petit ami. Ah, c'est étrange de dire ça. C'est la première fois pour lui. Et ça s'est fait de manière un peu étrange aussi... Finalement, il a peut-être bien fait de continuer à espérer que Nero reviendrait le voir malgré son manque de nouvelles et son absence...

Les rêves ne mentent jamais. Il l'a bien vu en cherchant à savoir s'il pensait à lui. Pas déçu du voyage, après l'avoir retrouvé dans une errance onirique. Si Lucius n'est pas resté pour autant bien longtemps dans les songes de l'autre, ça lui aura au moins apporté la confirmation dont il avait besoin.

Je suis mal à l’aise qu’il mentionne “la dernière fois” aussi souvent. Parce que je dois faire semblant de rien, mais en même temps, il me manque de nombreuses informations que Thanikos ne semble pas enclin à me partager. Comment faire donc pour passer inaperçu ? Je ne peux pas, évidemment. C’est pour ça que je me trahis si facilement face à Lucius.

J’observe les deux familiers le racketter des nuggets, et ne peux m’empêcher d’esquisser l’ombre d’un sourire. C’est la première fois que je vois Freja aussi excitée de manger, si bien que je reste étonné de la voir gober la viande en quelques coups de bec. Je décide de la taquiner - chose que je ne fais que très rarement d’ailleurs, surtout ces dernières années.

“T’as pas l’impression de faire dans le cannibalisme à manger du poulet ?”
“J’suis pas un poulet, idiot ! Et lui au moins il me donne des trucs bons.”

Je lève les yeux au plafond en entendant ces accusations. Comme si je ne nourrissais pas correctement mon familier ! D’ailleurs, Lucius en rajoute une couche, et je me sens obligé de me justifier. L’air parfaitement sérieux, je le regarde droit dans les yeux, les sourcils froncés.

“Bien sûr que si ! Elle mange à sa faim. C’est juste qu’elle aime bien réclamer ici, apparemment.”

Je n’ai pas relevé la blague dans son ton, mais ce n’est pas très grave. Il s’habituera vite à mon manque d’humour, ou plutôt ma difficulté à le comprendre chez les autres. Je picore mes frites du bout des doigts, encore peu habitué à manger ainsi avec mes mains - non, vraiment, les microbes doivent s’en donner à coeur joie ! - mais me stoppe bien vite en pleine dégustation pour le regarder avec suspicion, la tête penchée sur le côté.

“Dormir ? A cette heure-ci ?”

Il est encore bien tôt, et même si je sais qu’il a tendance à beaucoup dormir, ce n’est pas mon cas. Ce n’est d’ailleurs le cas de personne de normalement constitué, et j’ai l’impression qu’il a tendance à l’oublier. Je prends une serviette en papier pour essuyer mes mains, dégoûté un peu de sentir la graisse et le sel sur ma peau. Vraiment, c’est sympa les burgers…mais il faudrait une solution pour les manger sans avoir à les prendre à deux mains !

“On peut regarder un film au lit ?”

Je ne suis pas au fait des coutumes de la classe moyenne, je l’avoue. Chez moi, lorsque nous devons regarder un film, ce sera toujours au cinéma, de préférence celui qui a l’écran le plus large et la meilleure qualité de son. Pour les informations, ce sera sur la télévision accrochée au mur du salon. Mais regarder un film dans un lit…ah, c’est une première pour moi. J’avoue que je suis curieux.

“Je suis d’accord pour un film dans le lit.”

La proposition de Lucius doit être innocente, lui qui ne semble pas penser à mal la plupart du temps. Mais me demander de le rejoindre dans son lit…ah, disons qu’avec n’importe qui d’autre, j’aurai pris ça directement comme une invitation. Il veut qu’on remette le couvert, qu’on s’unisse à nouveau comme si les mois passés n’avaient pas existé. Mais est-ce réellement ce qu’il me propose ? Je suis confus, avec ce type. Je me lève pour me laver les mains dans sa cuisine, ne supportant plus ce mélange de texture sur ma peau, mais me rends vite compte qu’il n’a pas de savon ni de serviette pour les essuyer. Avec une grimace, me voilà donc à laver mes mains avec du liquide vaisselle, et les essuyer sur un torchon qui traînait là. Est-ce que je ne viens pas de multiplier les microbes sur mes mains par des millions ? C’est la sensation que j’ai. Si je parviens à ne pas tomber malade après cette petite visite à l’improviste, c’est que j’ai une chance inouïe.

Lucius qui malicieusement, s'amuse des réactions de Nero à ses réflexions.

« Mais non, pas tout de suite voyons. Sauf si tu as envie que je te chante une berceuse, c'est assez instantané avec un Oniromancien. »

Leur magie, leur présence qui invite au sommeil. Lucius qui maîtrise particulièrement bien l'aspect du monde des rêves dans sa propre pratique. Moins doué sur les illusions, le fleuriste est néanmoins capable de s'inspirer du monde Onirique pour ses créations dans le monde éveillé. Véritable vortex autrement, entraînant les autres dans les bras de Morphée parfois avec un simple câlin ou une poignée de main. C'est qu'il est fatigué en permanence, Jager et semble transmettre son épuisement aux autres. Comme un bâillement particulièrement contagieux, il endort rapidement les autres.

« Bien sur que oui on peut, j'ai aussi une télé dans ma chambre. »

Souvent il s'endort devant. Tente de se mettre un film ou une émission pour rester éveillé un peu plus longtemps, mais n'y parviens que rarement. Quand il n'est pas encore l'heure exacte d'aller s'endormir, mais qu'il sait qu'il ne va pas tarder à sombrer. Essayer d'occuper au maximum son cerveau et son esprit pour ne pas s'endormir tout de suite, essayer de respecter ses heures de sommeil pour mieux gérer sa foutue maladie. Ah, la dernière fois qu'il a piqué du nez devant sa télé c'était devant une émission policière. Autant dire que ses rêves lors de cette nuit l'ont gardé stimulé lors d'une enquête pour savoir qui avait volé le portrait de la célèbre Joconde. L'imagination  prenant le dessus sur le reste, la peinture représentait néanmoins une demoiselle Opossum dans ses songes.  

Lucius qui termine ses frites en une bouchée, embarque sa canette de red bull et le reste de Nuggets dans sa chambre. Si Nero semble déjà perturbé de devoir se laver les mains avec du liquide vaisselle et de se les essayer avec un torchon il n'est à priori pas prêt à voir son nouveau Jules terminer son poulet dans le lit. Bien installé sur le matelas, •enroulé dans son plaid rouge il s'active en mangeant l'un des nuggets à allumer sa télévision connectée. Trop de services de streaming, trop de choix dans cette époque moderne. Il ne sait d'ailleurs pas ce que Nero aime regarder comme type de contenu. Attendant donc la venue de l'Aéromancien tout en trempant son nuggets dans sa sauce épicée, il relève les yeux vers lui et marmonne la bouche encore à moitié pleine :

« J'sais pas trop c'que t'aimes en fait. »

Deux univers bien différents, entre l'éducation trop stricte du Karlsson et celle bien plus libre de Jager. Jamais le brun ne s'imaginerait manger des Nuggets dans son propre lit, devant la télé, et parler la bouche pleine à son petit ami, hm ? Et pourtant c'est exactement ce que Lucius est en train de faire, plus détendu naturellement que son vis à vis. Fait couler le tout avec une longue rasade d'Energy drink.  

« C'est toujours un peu chiant de choisir un film. »

Lui n'a pas le temps de se questionner, Freya arrive en volant tout comme Nuggy qui trottine à ses côtés. les familiers viennent récolter leur dû et Jager cède ses deux derniers nuggets. Quittant son lit pour jeter l'emballage dans le sac de livraison qui traîne encore sur sa table de salon, finissant sa bouchée en même temps lui aussi s'applique à se laver les mains et à ramener du réfrigérateur une bouteille de coca dans sa chambre ainsi qu'un paquet de bonbons à partager. Oh, avec sa narcolepsie il doit avoir un rythme de vie très sain. Dormir à des heures régulière. Faire de l'exercice. C'est ce qu'il fait. Mais ne mange pas vraiment sainement... Dans le cadre de sa porte de chambre, prêt à venir s'installer en espérant que Nero ait choisi quelque chose à regarder, il s'inquiète soudainement, bouteille de soda sous le bras :

« J'ai que des oursons à grignoter pour la séance ciné, t'aimes bien ça va ? »

Je suis fasciné par la différence de culture et de moeurs que nous avons, Lucius et moi. C’est comme si nous vivions dans deux mondes différents, alors que nous habitons pourtant dans deux quartiers limitrophes. J’ai l’impression d’avoir un alien face à moi ; mais à bien y réfléchir, c’est plutôt moi l’alien dans cette histoire. La plèbe et l’élite n’ont vraiment rien à voir les uns avec les autres, et si je n’étais pas tant amoureux de cet homme, je chercherais certainement à couper les ponts très vite de peur de subir encore ce genre de “clash”.

Je reste interdit en le voyant emporter le reste de la nourriture dans sa chambre. Figé sur place, comme paralysé par un tel niveau d’insalubrité, j’écarquille les yeux en le fixant à travers l’ouverture de la porte. Est-ce qu’il compte réellement manger au lit ? Non, pire que cela : il compte manger dans son lit de la nourriture aussi grasse, avec ses mains ? Peut-être même qu’il compte dormir dans ce lit plein de gras et de miettes ! Et les insectes alors ? Les parasites ? Les microbes ? Ah, je ne me sens pas très bien d’un seul coup.

Mécaniquement, je quitte enfin le salon pour le rejoindre dans la chambre, où je constate qu’il possède bel et bien une télévision juste en face de son lit. Comment parvient-il à dormir comme ça ? Ah, mais c’est sûrement parce qu’il ne peine pas à trouver le sommeil, avec sa…condition. Quoi qu’il en soit, je le fixe toujours d’un drôle d’air en constatant qu’il est en train de manger ses nuggets assis sur le matelas.

“Tu comptes vraiment…manger ça ici ?”

C’est sorti tout seul. Peut-être parce que j’ai l’impression d’être fou dans cet appartement, à être le seul à m’insurger face à ce comportement. Je grimace mais le rejoins sur son lit en faisant bien attention à ne pas toucher sa nourriture ou sa boisson. Je n’ai aucunement envie de salir le tout moi-même. Le connaissant, il doit laver ses draps lui-même ! Je ne sais même pas comment il fait.

“J’aime bien les films dans l’espace, mais je n’ai pas tellement le temps de regarder de film à la maison. Pas toujours le droit aussi, en fonction du planning de la famille.”

Globalement, ma vie est entièrement calquée sur celle de mes parents. Ce sont eux qui décident ce que je fais de mon temps libre, où je vais, comment je me présente. Ces moments où je m’enfuis de la maison familiale sont les seuls où j’ai un tant soit peu de liberté, moi, personnellement. Parce qu’il me semble qu’en-dehors de ça, Thanikos aussi trouve toujours le moyen de s’échapper de l’emprise familiale.

Puisque mon amant quitte sa chambre pendant un instant, je prends sa télécommande pour commencer à regarder ce qu’il y a sur sa télévision. Les services de streaming, je les connais sans les connaître. C’est à dire que je sais qu’ils existent, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en utiliser un seul. Ce n’est donc pas étonnant que je peine à comprendre comment ils fonctionnent, que je m’acharne sur cette télécommande qui ne semble pas comprendre ce que je veux. Les sourcils froncés, je finis pas la jeter à l’autre bout du lit et croise les bras, une moue sur le visage, avachi contre les coussins.

“C’est compliqué ce truc.”

Je me redresse d’un coup en le voyant revenir, et penche la tête sur le côté. Des oursons ? De quoi parle-t-il ? Je l’observe avec suspicion, ne comprenant pas où il veut en venir. Puis mes yeux se baissent vers ses mains, et je vois le paquet en plastique qu’il porte. Nouvel air interloqué de ma part.

“Jager, je ne sais même pas de quoi tu parles. Qu’est-ce donc que des ‘oursons’ ?”

Autre culture, autre moeurs, une fois de plus. Il semblerait que la chose en question soit le nom de friandises prisées par la plupart des gens normaux. Ah…une fois encore, me voilà hors du reste du monde.

“Je n’ai jamais mangé de bonbons, alors je ne peux pas te dire si j’aime ou pas. C’est juste une boule de sucre chimique, non ?”

Deux mondes peut-être un peu trop différents. Nero semble perdu et Lucius le remarque bien. Entre le fait qu'il soit choqué que l'on puisse manger dans son lit, qu'il y ait une télé dans la chambre, que celle-ci soit un peu compliquée avec trop de boutons et... Qu'il n'ait jamais mangé d'oursons ?!

« On va remédier à tout ça, votre altesse. Vous montrer comment vivent les simples gens de la plèbe comme moi. »

Petite boutade de l'oniromancien qui s'installe sur le lit à son tour. La télécomande dans la main, notant que Nero apprécie les films sur l'espace il se décide pour un classique du genre assez rapidement. C'est d’ailleurs assez rare que Lucius sache exactement quoi choisir comme film : avec tout le choix qu’il y a, c’est parfois dur de se décider tant il y a de possibilités. Peut-être que c’était plus simple à l’époque où il n’y avait que la télé ordinaire et pas tout ces services de streaming…

« On va regarder Interstellar. C'est pile poil un truc que tu devrais aimer, c'est un astronaute qui essaye de sauver le monde. C'est un peu long par contre. Mais si tu dors ici, c'est pas un problème non ? »

Nouvelle invitation sous entendue de Jager en vers Nero, pour l'inciter à rester. Oh, s'il a vu d'autres personnes entre-temps, puisque les choses n'étaient pas très claires... ça n'empêche pas qu'il ait pensé à lui de temps en temps. Régulièrement même, mais par excès de fierté, il ne l’avouera pas. Désormais, après avoir mis les choses à plat avec lui, il est un peu plus certain des limites entre eux. A priori, la relation serait visiblement exclusive. Plus régulière, à condition qu'il tienne sa promesse. Lucius qui espère qu’il tiendras parole. Lucius qui n’a plus envie d’être abandonné du jour au lendemain. Si il lui a annoncé que l’été était une période compliquée… Ils sont en automne désormais. Bientôt en hiver. Nero n’a plus d’excuses.

Le film lancé, Lucius installe la bouteille de coca et ouvre le paquet d’oursons pour le placer entre eux. Pour presser un peu l’Aéromancien à tester de nouvelles choses en sa compagnie, il se saisit d’un ourson rouge qu’il lui présente pour lui donner avec sa main. Un peu comme il le ferait avec des familiers ou des animaux… Mais l’insinuation est toute autre entre deux amants. Probablement de la tendresse, mais aussi autre chose.

« Les rouges c’est les meilleurs. T’inquiètes c’est pas empoisonné.  »

Petit sourire en coin. Lucius qui sait être charmeur lorsqu’il le veut, qui n’a jamais eu trop de difficultés à l’être une fois la période ingrate de l’adolescence terminée. Oh, pas qu’il ait été vilain lorsqu’il était encore en âge d’étudier à l’académie. Maladroit par contre ? Oui, totalement. Installé dans ses cousins après que le brun ait accepté son offrande, ouvrant la bouteille de soda qui produit un son caractéristique à cause du gaz qu’elle contient, il en boit une gorgée. C’est particulièrement bon, le fast food. Mais ça donne rapidement soif. Et en tant qu’Américain, il affirmeras jusque dans sa tombe qu’il n’y a rien de mieux qu’un coca cola bien frais. Le fait qu’il ait finalement vécu plus longtemps à Edimbourg qu’à Salem ne change pas grand-chose. En déménageant ici, sa mère a gardé ses habitudes américaines. Lui aussi. Et l’accent avec. Son oreille s’est fort heureusement habituée à l’accent local écossais, parfois vraiment prononcé. Mais ses intonations et ses expressions à lui n’ont pas réellement changées.

L’ambiance qui se détend, Nero qui semble un peu s’habituer à cette simplicité dont il n’a pas l’habitude. Nero qui semble particulièrement absorbé par le film d’ailleurs. Si Lucius le regrette un peu, qu’il aurait bien aimé en profiter pour se rapprocher de cet homme à ses côtés, il se montre tout de même ravi. Passer une bonne soirée… C’est déjà une bonne chose. Lucius qui passé un moment est obligé de prendre une pause dans le film, qui sans un bruit se lève en laissant tourner pour l’Aéromancien. Un brin jaloux de ne pas avoir l’attention qu’il voudrait, le voilà qui retire son sweat shirt à son retour. Oh, il sait ce qui plaît à Nero. Qu’un débardeur sur lui suffit généralement à susciter son intérêt.

« Tu aimes ?  »

Sans préciser s’il parle du film ou de lui, restant volontairement vague tout en reprenant place à ses côtés. Se rapprochant un peu plus de lui au passage, faisant mine d’être le plus naturel possible.

“Votre altesse”, hein ? J’avoue que j’aime bien qu’il m’appelle comme ça. Je gonfle d’ailleurs le torse, fier de moi, et esquisse un sourire en le voyant s’installer à côté de moi. Bon, par contre, que ça ne devienne pas une habitude de me voir galérer avec ce qu’il semble connaître par coeur, je ne suis pas sûr que mon ego puisse le supporter très longtemps.

Si au début je ne comprends pas trop ce qu’il m’a mis à la télévision, trop perturbé par de nombreux changements qui n’ont rien à voir avec la vie que je mène d’ordinaire - des habitudes qui pourtant semblent ancrées dans sa vie à lui - mon regard est vite attiré par l’écran incroyablement petit. Un soi-disant “ourson” dans la bouche, à goûter ce morceau de plastique sucré en ne sachant pas moi-même si j’aime ou pas, je sens l’intérêt de Thanikos s’éveiller pour ce qu’il voit à l’écran. Il est rare que nous cohabitons tous les deux, généralement l’un prend le dessus sur l’autre et le fait disparaître en arrière. Mais cette fois, attirés par un film autrement plus intéressant que la moyenne, nous sommes bel et bien deux à partager un corps.

Les étoiles ont quelque chose de fascinant. C’est peut-être ce qui m’a poussé à faire de nombreuses études à leur sujet, à rassembler toutes les connaissances que je pouvais trouver au fil des ans. L’astro-physique m’attire plus que je n’oserais l’avouer, quand bien même je garde bien mon intérêt pour moi. Nero partage cette affection pour l’espace, mais n’est pas aussi investi que moi sur cet intérêt. “Nerd”, qu’on disait parfois de moi quand je me mettais à en parler pendant des heures, incapable de me taire. Je voulais juste partager mes connaissances, tout ce que j’aime…et à en croire le succès d’un film comme Interstellar, je ne suis pas le seul à adorer les étoiles.

Il m’est impossible de décrocher du film, qui dure pourtant depuis un petit moment maintenant. Je reconnais certaines théories scientifiques, majoritairement celles de Stephen Hawking et de sa théorie sur la temporalité d’un trou noir ou l’utilisation théorique d’un trou de ver. Je reconnais aussi évidemment l’application de la théorie de la relativité par Einstein, ainsi que de quelques autres théories mathématiques transposées à l’écran avec brio. Si je ne m’intéresse absolument pas aux personnages et ce qu’ils représentent, je tente tout de même de déchiffrer l’équation finale et finis frustré de ne pas la comprendre dans son entier. On dirait une suite de chiffres un peu random…à moins qu’il s’agisse d’un clin d’oeil ? Je sors mon portable et pianote dessus, cherchant une information en particulier qui doit normalement se trouver dans la brève histoire du temps de Hawking. Frustré de ne pas la trouver, je laisse échapper un soupir en gonflant les joues.

“Oh oui, c’est trop bien ! Ils ont vraiment fait des recherches sur les théories en place encore actuellement, en se basant sur Hawking et en utilisant la théorie d’Einstein sur la déformation de l’espace-temps en fonction de la force gravitationnelle des planètes. Après il y a quelques facilités scénaristiques qui ne fonctionneraient pas dans la réalité, comme le paradoxe temporel qui n’est même pas présent en physique quantique, mais globalement c’est vraiment cool de voir apparaître toutes ces théories sur grand écran !”

Mon visage se fend d’un large sourire, et je pioche dans le paquet de bonbons pour attraper un ourson en plastique vert. Lucius préfère les rouges, mais moi, je les trouve bien meilleurs ! Je le regarde enfin, l’oeil pétillant. Il s’est mis à l’aise, c’est bien. Il doit avoir chaud ! Timidement, je pose ma main sur la sienne pour l’attraper. Je ne sais pas pourquoi, mais intérieurement, je sens que Nero s’agite.

“Tu vois, Hawking a théorisé beaucoup de choses qui constituent le savoir qu’on a sur l’espace et le temps. Alors je suis sûr que quiconque a créé ce film s’est inspiré de ses travaux. C’est incroyable !”

J’exerce une pression sur la main de mon copain, qui semble avoir du mal à suivre. Il faut dire que pour la plupart des gens, l’astro-physique est une discipline nébuleuse. Ha ! Nébuleuse ! Pour des étoiles ! Je me fais rire tout seul rien que d’y songer.

Mes doigts caressent mon amant, remontent sur son bras pour dessiner ses tatouages, les muscles sous sa peau encrée. Il est incroyablement sexy comme ça, et je suis un poil frustré que Thanikos ait décidé de prendre le contrôle à ce moment-là alors que j’aurais préféré lui sauter dessus. Maintenant, c’est un peu gênant. Je soupire, me mords la lèvre inférieure en le jaugeant du regard.

“Ca aussi, j’aime.”

Nous sommes tous les deux dans sa chambre, sur son lit, et il vient déjà de retirer une couche. C’est qu’il a envie de faire quelque chose avec moi, non ? N’en déplaise à mon alter si entreprenant, je conserve le contrôle et profite de la vue qui s’offre à moi. Si au début de la soirée je pensais qu’il me repousserait rapidement, cette invitation de sa part - et le fait qu’il vient d’attendre trois heures alors qu’il avait peut-être déjà quelques idées en tête - m’apprennent qu’il ne me tient plus rigueur de mon silence radio. Nous allons nous retrouver sous ses draps, et tout ira pour le mieux. Du moins…dans le présent, dans un futur proche. Je sais bien que mes nombreux secrets auront raison de notre relation, mais je préfère ne pas y songer pour le moment.

Lucius qui vraiment, ne s'attendais pas à ça. Lucius qui croyais que Nero allait reporter son attention sur lui, mais finalement, il semblerait qu'il devienne soudainement très enjoué. Le ton est plus léger, l'excitation est palpable dans chacune de ses paroles. Et lui découvre une nouvelle facette de son amant, qu'il ne connaissait pas forcément au part avant. L'Aéromancien semble passionné d'astronomie et même particulièrement bien renseigné sur le sujet. S'il y a des gens qui aiment lever leurs yeux vers les cieux, lui est semblerait-il particulièrement enclin à s'abreuver de savoir. Au delà de connaître le nom des constellations, de pouvoir les repérer ses connaissances vont même plus loin. Nero lui parle de choses qu'il ne comprend pas forcément très bien Lucius, mais il esquisse tout de même un sourire tendre et hoche la tête. Parce que même s'il n'est pas forcément en mesure de tout comprendre, il saisit le principal. Mais surtout, il ressent la joie soudaine de Nero d'aborder un sujet qui semble tant le passionner. Il est plaisant pour l'Oniromancien de le voir si enjoué, de le voir se dérider, au point de parler librement. Un moulin à paroles qui lui fait face, Lucius en est amusé et hoche la tête docilement tout en buvant quelques gorgées de coca.

Mais finalement, l'Aéromancien une fois son monologue scientifique terminé se rapproche un peu plus de lui. Son sourire s'étire un peu plus, d'être enfin remarqué.

« Tant mieux. »

Jager qui dans toute la douceur qui le caractérise si bien, se penche pour déposer un baiser sur les cheveux bruns de Nero. S'installe de nouveau dans ses cousins et ouvre ses bras pour l'inviter à venir s'y installer. Le film presque terminé autant qu'ils en profitent encore quelques instants. Lové sous son plaid à moitié, Nero dans ses bras, le fleuriste se sent parfaitement bien. C'est le genre de moments qu'il sait apprécier, plus que le reste, plus que tout. Ses doigts qui trouvent leur chemin jusqu'à sa tignasse pour jouer avec ses mèches d'ébène dans un mouvement apaisant et affectueux, Jager qui profite du calme ambiant pour se détendre lui aussi. Arrêter de penser à tout ces mois sans nouvelles qui l'ont tant angoissé.

Et le sommeil qui sans prévenir le prend. Lucius qui sombre en un court instant dans les bras de morphée, dans ses rêves alambiqués. Se mélange à ceux des autres, de parfaits inconnus pour donner un amalgame incompréhensible. Jager qui sursaute comme s'il venait d'être face au Jump scare d'un film d'horreur. Les lumières sont éteintes, la télé n'est plus allumées et il lui faut un instant pour que ses yeux s'habituent à l'obscurité. Il devine le corps de Nero sous les draps, qui lui tourne le dos. Quelle heure est-il ? Est-ce qu'il a sombré longtemps ? Un peu anxieux soudainement, il se rapproche de l'Aéromancien, dépose sa main sur son épaule pour le prévenir de sa présence et chuchote :

« Nero, tu dors ? »

Lucius qui se mord la lèvre un peu gêné soudainement.

« Pardon, je me suis endormi d'un coup. »

Pourquoi est-ce qu'il s'excuse au juste, alors qu'il n'y peut pas grand chose à cause de sa narcolepsie ? Sans doute parce qu'il en a l'habitude. Qu'il sait que ça emmerde parfois profondément les gens, qu'il somnole sans crier garde.  

Je pensais avoir tout vu dans ma vie. Mais que mon amant s’endorme alors que nous commençons à nous rapprocher, après avoir tout de même attendu deux bonnes heures devant un film qui en fait trois, c’est une première. J’ai bien senti sa respiration lente et profonde, mais quelle ne fut pas mal surprise de tomber sur un visage endormi en me redressant ! D’abord vexé - parce que quand même, c’est moyen de me faire un coup pareil, à moi ! - je secoue finalement la tête et soupire de déception en m’éloignant de lui. La télécommande à la main, je cherche un petit moment avant de trouver comment éteindre la télévision.

Je n’ai absolument pas sommeil. Mon esprit fourmille de pensées, les miennes bien sûr, mais également celles de Thanikos qui semble de plus en plus actif ces derniers temps. C’est épuisant, mentalement, de supporter plusieurs personnes à la fois. Mais je m’en sors comme je peux. Quoi qu’il en soit, je finis par fermer les yeux à mon tour, sachant très bien que je ne plongerai pas dans le sommeil avant un moment. Comme si j’avais vraiment envie de dormir avec un oniromancien, hein…

Alors que je pensais qu’il avait déjà bien entamé sa nuit, Lucius commence à bouger dans son sommeil. Un cauchemar peut-être ? Je ne me retourne pas pour vérifier, boudant encore un peu qu’il m’ait abandonné si facilement au sommeil. Oui, je sais, il est narcoleptique. Et alors ? Il pourrait faire un effort, quand même !

“Hmm.”

Il est réveillé, en fin de compte. Bien. Je me retourne, pose mon regard sur sa silhouette sombre que je devine dans la pénombre. Impossible de voir l’expression de son visage, mais à en juger par sa voix, il est honteux d’avoir sombré. Au final, je ne saurais pas dire à qui la faute. Thanikos m’a empêché de lui sauter dessus, et il est effectivement un peu tard pour un type qui doit normalement se coucher à des heures fixes. Un petit haussement d’épaule, et je tends la main pour caresser sa joue du bout des doigts.

“C’est beaucoup d’émotions pour ce soir, non ? Et c’est aussi ma faute. Je t’ai ennuyé.”

Enfin, monsieur Thanikos s’en est chargé pour moi, plutôt. Je dépose un doux baiser sur ses lèvres, ma façon de lui dire que j’accepte ses excuses. Il faut que je me fasse violence avec cet homme, ou je finirai par le perdre…et ce n’est clairement pas le but.

Il s'en veut toujours un peu, quand il déccroche comme ça soudainement. Lucius qui avait peur que Nero dorme déjà, ne sachant pas combien de temps a duré sa petite sieste exactement. Probablement pas longtemps si l'Aéromancien est encore éveillé. Ou alors, c'est qu'il est insomniaque. Il pourrait y remédier, pour l'aider à rejoindre les bras de morphée. L'enlacer contre lui, pour l'infuser de sa magie. Le plonger dans un état détendu qui invite au sommeil, Jager est un véritable spécialiste pour endormir les gens. Probablement que lorsque l'heure de toucher le palier trois des doigts viendra pour lui, il maîtriseras cet aspect de sa magie en premier. Le murmure des songes, il sait d'avance qu'il n'auras pas la moindre peine à l'utiliser correctement.

« Mh, mais non, tu m'as pas ennuyé. Jamais tu ne m'ennuieras. »

Dans la pénombre, le jeune fleuriste esquisse un sourire après ce baiser volé. Laisse tomber sa main sur la taille frêle de Nero, la faisant glisser de son épaule.

« J'aime bien quand t'es enjoué aussi. ça m'as fait plaisir de te voir parler d'un truc qui te passionne, même si j'ai pas tout compris. »

Pas spécialement absent à la distribution des cerveaux, mais il n'était pas non plus le premier dans la file. Lucius qui n'est pas spécifiquement bête, ni particulièrement intelligent. La moyenne, celle qui permet de suivre en classe et à l'école sans pousser réellement plus loin pour devenir un expert en mathématiques.

Mais plutôt que de continuer à parler d'Astrophysique, il aimerait profiter de ce qu'il reste de la soirée. Le baiser que lui a délivré Nero le pousse à croire qu'il est encore d'humeur. Un simple frôlement des lèvres pour le pardonner, premier contact réellement intime qu'ils aient eu depuis la dernière fois en aout. Et ça a suffit à raviver la flamme dans son cœur, à Lucius. A instantanément lui pardonner ses tords à lui aussi. Ses absences et ses longs mois de silence.

« Tu n'as pas sommeil ? »

Pour une fois il espère qu'il n'a pas envie de dormir. Sa sieste qui l'a en partie revigoré, le fait de le voir encore éveillé est surtout ce qui a aidé.