Light of the seven

S'il en fallait beaucoup à Judd, pour se sortir la tête du travail et oublier pendant quelques heures la pesanteur de la situation actuelle au sein des Covens, il en fallait peu pour qu'il réponde présent à la demande d'un ami, aussi mystérieuse soit-elle. Le SMS de Ryung lui avait fait plisser des yeux, pas trop certain de comprendre de ce que son ami pyromancien souhaitait discuter en rapport avec leur magie. Peut-être sentait-il qu'elle changeait ? Se précisait ? Il était vrai que Ryung se rapprochait de l'âge vers lequel la lave commençait à leur répondre et où les incendies se pliaient à leur guise. Judd se rappelait parfaitement de ce moment où il avait commencé à effleurer du bout des doigts la puissance des volcans et la maîtrise des cendres. Jamais il n'avait été autant excité de sa vie, en comprenant que cette avancée sonnait le moment de son changement de carrière. Dès qu'il avait mieux contrôlé ces nouvelles facettes de sa pyromancie, le lapidaire avait plié bagage, fermé boutique et gravi les marches du Cœur de Magma, la confiance lui relevant le menton et la fierté, lui ouvrant les portes du rôle de Sentinelle. Même s'il avait pu obtenir ce grade bien avant, à ses yeux, cela n'aurait pas été possible. Judd Rivera n'arrivait jamais quelque part en tant que novice.

Alors, l'idée d'accompagner son ami sur cette nouvelle maîtrise lui tira un sourire un peu fier, même s'il ne s'agirait que d'une discussion pour débuter, certainement ! À moins que Ryung lui fasse une surprise et ait déjà les prémices d'une pyromancie avancée. Oh, la soirée n'en serait que plus captivante ! Et puis, entre deux questions, Judd pourrait aussi lui partager les quelques lignes importantes de son programme politique - la Sentinelle était comme une boussole et ne perdait jamais le nord, même avec ses ami·es. Surement, que Ryung en avait entendu parlé, même s'il n'avait pas vraiment le profil type d'un sorcier très attaché à la politique de la communauté sorcière, la tête davantage prise par un très agréable bar que le cinquantenaire fréquentait mensuellement. Mais bon, il fallait bien convaincre un peu tout le monde, que la place du Rivera était autant sur le terrain qu'à la table du Conseil.

Pas de moto ce soir. Juste ses pieds, sa longue doudoune, son écharpe en laine mauve, ses solaires malgré la grisaille qui annonçait une nuit chargée et sa besace. Nilsa avait préféré rester à l'appartement, pour rattraper les heures de sommeil perdues au profit d'un jeu de piste improvisé la nuit d'avant, avec Titan. Judd avait tellement ronchonné, de les entendre piailler dans tout l'appart, qu'il avait fini par jeter un coussin sur le duo. Heureusement, Armand dormait, ne l'avait pas vu et Titan avait évité le lourd oreiller de justesse. Ouf, pas d'esclandre à 4h du matin !

Après une demi-heure de marche active - un ajout dans son programme du soir, sur les conseils du médecin pour son dos -, il s'engouffra dans Cowan and Sons. À peine l'ancien lapidaire poussa la porte qu'un mince sourire de contentement illumina son doux visage : l'intérieur sentait bon le café, le bois sec, et le brouhaha avait quelque chose d'enveloppant. Peut-être était-ce dû à la chaleur du lieu ou alors à cette énergie qui émanait de la jeunesse pyromancienne, attablée à la droite de l'entrée. Il ne lui fallut pas plus longtemps pour reconnaître au fond de la salle la tignasse brune de Ryung et sa classe à toute épreuve. Ils n'étaient pas amis pour rien.

"J'espère que tu m'as déjà commandé un cappuccino. Il commence à faire frisquet dehors."

Il faisait encore 13°, mais en dessous de 20 et c'était la fin du monde pour tout pyromancien qui se respectait. Le feu de cheminée avait été allumé semaine dernière chez lui, Nilsa se dorant le ventre à chaque fois qu'elle passait devant. Bientôt, elle y installerait sa tente et des marshmallows.

"Ça fait plaisir de te voir en tout cas ! Je suis passé semaine dernière au Friday 13th, mais je ne t'y ai pas croisé" s'exclama-t-il, avant de retirer son manteau et de glisser sa carcasse sur la chaise face à Ryung.

TW : ergomanie

“Je suis arrivé il y a 5 min sûrement, donc je n’ai pas encore commandé. Mais un café est le bienvenue vu la fraîcheur de dehors !"

Ah ça, oui, il était même plus que le bienvenu et sans perdre une seconde, Judd héla un serveur d'une main tendue. Même si l'intérieur du lieu était cosy à souhait et que ses vieux os commençaient déjà à se réchauffer, il lui faudrait rapidement ce cappuccino pour détendre tout l'être qu'il était.

"Ah oui, j’avais pris ma semaine ! Besoin de repos. Mais au moins, on se voit aujourd’hui ! Je suis content que tu aies pu te libérer."
"Mais c'est tout à fait normal pour un ami. Et puis une pause est toujours agréable, surtout en bonne compagnie."

Quant aux congés... Ryung avait eu raison d'en prendre, mais Judd serait bien le dernier à en poser - et s'il savait ce dont seront faits ses prochains mois, peut-être aurait-il prit tout l'été pour se reposer ! Mais Judd était un précurseur, pas un devin. Les journées étaient déjà bien trop courtes pour y glisser tout ce qu'il avait à faire et s'il prenait quelques pauses, elles étaient de plus en plus brèves au grand dam de sa feuille de présence au Coeur de Magma qui comportait plus d'heures supp' que d'officielles. Et si on y ajoutait sa campagne... Rivera explosait les compteurs, à la fois conscient qu'il abusait, tout en étant le dernier à tenter d'endiguer le problème. Soyez votre meilleur ami et votre pire ennemi, un livre par Judd Rivera. Mais le moment où la Sentinelle comprendrait que cette recherche du surplus de travail tenait plus d'une dépendance que d'un simple besoin n'était pas encore d'actualité. Et que cette dépendance en disait long sur des sujets que Judd n'était pas encore prêt à creuser. De toute façon, il n'avait pas le temps!

Café et cappuccino commandés, muscles qui se détendaient au fil des secondes, il s'installa plus confortablement pour profiter de l'échange avec Ryung : corps à moitié en diagonale, une jambe croisée sur le genoux opposé, un bras pendant et l'autre posé sur la table. Rien de bon pour sa posture, mais rien de bizarre quand on connaissait Judd et ses positions assises pour le moins... surprenantes !

“Comment ça va depuis la dernière fois ? Est-ce que t’as pu retrouver cette figurine que Nilsa avait caché ?”

Arquant un sourcil, surpris d'entendre que Ryung se souvenait de cette aventure, le pyromancien ôta sa paire de solaire violette tout en laissant échapper un rire. La lumière ne le gênait jamais, mais l'habitude de vivre aux côtés des Vagabond·es avait tissé sa toile jusqu'aux lunettes constamment posées sur le bout de son nez.

"Figure-toi que oui, mais dans un triste état. Apparemment, "elle manquait de détails" selon Nilsa," ajouta-t-il, en dodelinant de la tête d'un air qui ne laissait rien présager de bon sur les dits-détails. Des morsures, des éclats, un pied en moins aussi. Judd ne l'avait pas rouspété pour autant car ce qui était fait ne pouvait être défait et il n'avait qu'à mieux ranger ses figurines. Nilsa avait beau être une fine stratège, elle ne pouvait pas ouvrir le cadenas de sa boite à fournitures ! Et s'il avait une boite, c'était pour que ses figurines y soient entreposées, pas pour qu'elle traîne sur son bureau à la vue de toustes - et surtout de la belette aux dents aiguisées.

"Et tout va bi... Oh, merci !" Le serveur posa les deux boissons fumantes au centre de leur table, faisant presque oublier à Judd de continuer sa phrase. L'odeur du cappuccino lui fit l'effet d'une flèche d'amour plantée droit dans son palpitant, mais il se fit violence pour reprendre sa remarque. "Tout va bien, la routine."

Une routine bien énergique, mais une routine quand même. Et puis s'ils étaient là, c'était avant tout pour parler de Ryung, l'heure de promouvoir sa campagne politique attendrait la fin de leur échange.

"Et toi ? Parle-moi de ton mystérieux SMS !"

Judd était beaucoup de choses, et aller droit au but faisait partie de ses qualités. Aux yeux de la Sentinelle, quand tout le monde connaissaient la raison de retrouvailles, pourquoi tourner autour du pot dix minutes? Pourquoi s'appesantir sur des banalités quand il y avait un sujet aussi brûlant que celui de ce message bien curieux. Et surtout, comment Ryung allait garder le secret plus de trente secondes alors que Judd le scrutait sans cligner des yeux ?