TW : mention de blessure, d'angoisse, de possible mort, paranoïa, dépressionLe temps passe, la vie suit son court, et la guérison bien que lente commence à évoluer. La douleur des premières semaines s'estompe peu à peu, grâce notamment à l'intervention de Hyde qui a été un allié plus ou moins...étonnant, je dois dire. La balafre dans mon esprit, elle, met plus de temps à se calmer. Les soins de Lucius, sa présence régulière et nos nuits mouvementées dans un monde cauchemardesque ont entamé un processus qui, je le sais, mettra bien du temps à aboutir. Toutes les pièces sont dans mes mains maintenant, je n'ai plus qu'à...espérer que rien ne vienne aggraver la situation.
Si beaucoup de choses ont changé en août, au point de me forcer à porter un masque d'assurance en public, le contrecoup s'est vite fait ressentir. Pourquoi la vie souhaite à ce point m'enfoncer la tête sous l'eau à cette période de l'année ? Je haïssais déjà la chaleur de l'été, mais désormais je pense que je vais commencer à hiberner - estiver ? - de juillet à septembre. Ha ! Comme si ce n'était pas déjà le cas lorsque Thanikos prenait le dessus. C'était bien la première fois depuis des années qu'il n'avait pas "front" à ce moment. Peut-être parce qu'il était prisonnier de ma psyché. Etant donné mon état à ce moment-là, je comprends plus facilement son utilité. Moi qui ai souvent râlé, qui l'ai même confronté pour ce comportement ! Je l'ai supplié de me sauver, une fois encore. Comme quoi, cette épreuve m'a permis d'embrasser qui j'étais, dans mon entier. Moi qui ai combattu mes alters durant tant d'années, j'ai enfin compris à quel point j'avais besoin d'eux. Du moins...jusqu'à ce que j'oublie cette leçon.
La chose qui a le plus changé dans ma vie depuis cette nuit-là, c'est l'omniprésence de Freya à mes côtés. Avant, mon familier vivait sa vie à l'extérieur et s'éloignait souvent, ne restant au final avec moi que quelques heures à peine par jour - quand elle ne fuyait pas le regard parental ne supportant pas sa présence et sa langue acérée. Mais depuis que nous avons failli mourir elle et moi, cette petite boule de plumes se retrouve toujours perchée sur mon épaule ou posée non loin. Il a fallu longtemps pour qu'elle accepte de me laisser déambuler au cottage sans me suivre jusqu'aux toilettes, plus longtemps encore pour qu'elle reprenne ses chasses nocturnes. Le traumatisme de m'avoir "abandonné" en pleine nuit, quand bien même elle n'aurait rien pu faire. Pire encore : qui sait ce qu'ils lui auraient fait subir si elle avait été à mes côtés ? Je ne préfère pas imaginer. La perdre aurait signé mon arrêt de mort.
C'est la toute première fois que je sors me "balader" dans le quartier. Angoissé à l'idée d'être abordé, que qui que ce soit me voit dans cet état, angoissé de perdre mes moyens hors du confort de chez moi, je rassemble généralement mon énergie pour porter ce masque d'assurance lorsque j'ai besoin de signer des papiers ou me rendre à un rendez-vous. Sortir pour le plaisir de sortir...ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Mais ce soir, je n'ai pas vraiment le choix. Enfin si, personne ne m'y oblige : c'est de voir Freya tourner en rond et sentir sa détresse qui me fait passer le pas. Je lui dois bien ça. Elle peine toujours à s'éloigner plus de quelques mètres de la maison pendant ses rares chasses...alors à moi de lui faire découvrir les lieux, je suppose. Elle semble apprécier, si j'en juge par son numéro de cirque aérien au-dessus de ma tête.
"Aaaaah ! Ca fait du bien de se dégourdir les ailes."
"Tu pouvais le faire toute seule, tu sais."
"On en a déjà causé, Nero ! Jamais je te lâche. C'est trop tard maintenant."Je soupire pour la forme, mais au fond, j'apprécie cette présence à mes côtés. Parce que lorsque Lucius n'est pas disponible, ayant lui-même ses obligations, je ne peux pas rester seul. Seul, les pensées noires m'engloutissent. Seul, je sais que je pourrais faire des horreurs. Je sais que j'abandonnerais, que je me noierais dans la douleur qui reste là, tapie dans l'ombre, à attendre son heure. Je ne peux pas rester seul.
"Oh !"
"Quoi, oh ?"
"Regarde !"Je suis le regard de ma chouette, et mon coeur rate un battement. Je me fige sur place, ma respiration s'arrête pour reprendre, plus rapide, plus irrégulière. Une présence, là, en face...une présence qui ne peut que m'avoir vu, comme je la vois moi. Féminine. Frêle, même. Mais dans un monde où la magie est omniprésente, l'apparence d'une personne n'indique rien sur sa puissance. Avant cet horrible soir, j'étais moi-même plutôt dangereux malgré ma carrure, après tout. Maintenant...j'aime me dire que mon problème magique vient de cette main en écharpe autour de mon cou, et pas d'un blocage qui risque de durer des années.
"Oh je la connais ! Je la connais Nero !"
"Quoi ?"
"C'est elle qui m'a sauvée !"
"...quoi ?"
"Viens !"Je n'ai jamais vu Freya aussi excité de rencontrer quelqu'un, d'autant plus une parfaite inconnue à l'orée de la forêt. Elle qui refusait de s'éloigner me quitte pour voler vers elle, se poser sur ses mains tendues comme si elles avaient élevé les cochons ensemble. Et moi, plus prudent, je me contente de rester à bonne distance, m'approchant simplement suffisamment pour ne pas risquer de fuir par crainte. Et peut-être pour entamer la conversation, la curiosité m'envahissant alors que j'observe cette demoiselle avec suspicion.
"Comment ?"Je fais encore quelques pas, mais m'arrête à deux bons mètres de l'inconnue. Elle a l'air...éthérée. Comme un esprit de la forêt. Est-ce une hallucination, donc ? Non, elle peut toucher Freya, ce n'est donc pas un esprit. Pas un fantôme non plus. Une vraie personne...qui doit avoir un rapport avec les Vergers, vu son air. A moins qu'elle soit oniromancienne ? J'ai du mal avec ces gens. Son regard est si perturbant...
"Je t'ai dit, elle m'a sauvée ! Sans elle je serais morte ok ?""Sans moi, tu serais morte. Rien ne peut sauver un familier dans ce genre de situation.""Nero ! Sois gentil !""Mais j'ai rien dit..."Je suis embarrassé par cette dispute en public, qui me rappelle tellement les conversations que j'ai pu avoir avec Lucius. Pourquoi toutes les personnes autour de moi aiment tant dire que je manque d'empathie lorsque je ne fais qu'exposer des faits ? C'est vrai que peu importe ce que cette fille a pu faire à la petite chouette, si j'avais passé l'arme à gauche, elle aussi aurait disparu. Les soins ne l'auraient pas sauvé. C'est Jake qui l'a sauvée, non pas cette inconnue.
"Je sais même pas comment tu t'appelles madame ! J'ai essayé de te retrouver, mais c'était difficile sans nom. Moi, c'est Freya ! Le type qui râle tout le temps là-bas, c'est Nero.""T'es sérieuse là ?""Quoi ? C'est vrai que tu râles tout..."
"Tu donnes mon nom à n'importe qui maintenant ?"Je suis de plus en plus mal à l'aise. Comme si la panique de rencontrer de nouvelles personnes faisait resurgir d'anciennes insécurités. J'ai encore cette crainte au fond de moi de tomber sur des anciens alliés de mes parents, des personnes que je n'ai encore jamais rencontrées et qui seraient capable de m'enfoncer. De me tuer peut-être ? Est-ce que cette demoiselle serait capable de me faire disparaître de la surface de la terre ? Ce serait si bien...non, je ne dois pas penser ainsi. C'est horrible. Je...je dois reprendre contenance. Elle n'a pas l'air méchante. Mais les plus fourbes ont ce genre d'innocence sur le visage également. Elle tient mon familier dans sa main. Elle pourrait si facilement l'écraser, l'étrangler, me tuer à distance...je...je dois fuir d'ici.