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:: ✦ Archives :: ✧RPs[Terminé] Duty means doing things your mind will regret - Nero
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A la réflexion, l’insistance de ses parents pour qu’elle se rende à cette énième soirée mondaine aurait dû lui paraitre plus qu’étrange. Moira n’était plus à une incohérence près avec eux, mais qu’ils souhaitent organiser une réception le soir de Noël – bien qu’ils ne soient pas friands de cette fête – lui avait paru suspect.
Sortant d’un léger rhume suite à la bataille de boules de neige survenue lors des célébrations en l’honneur de l’hiver, Moira ne s’était pas du tout préoccupée des préparatifs. A sa grande surprise, sa mère n’avait pas insisté pour que son héritière ne l’assiste pour la décoration, l’élaboration des menus et autres fadaises. Cela convenait parfaitement à la jeune femme, qui avait été très sollicitée ces derniers jours en sa qualité de Gardienne des écrits.
Et cela lui avait laissé quelques heures pour voler des instants avec Haesik. Ses parents ne lui avaient plus fait de réflexions à son sujet depuis quelques temps. Autre indice qui aurait pu la rendre méfiante. Depuis qu’ils les avaient surpris quelques semaines auparavant dans une situation des plus… compromettantes, elle subissait un acharnement sans précédent de leur part pour qu’elle renonce à cette « idylle idiote ».
Moira leur avait ainsi présenté son mépris et son refus, leur faisant bien comprendre qu’il en était hors de question.
La chanteuse percevait leurs manières plus ouvertes comme un geste de leur part. Lui donner un peu d’espace pour respirer était probablement leur façon d’enterrer la hache de guerre.
De son côté, Moira était disposée à montrer patte blanche, d’autant plus qu’on ne lui demandait rien de plus qu’être sociable et jolie ce soir – ce qui était dans ses cordes. Jusqu’à ce que sa chère et tendre mère ne reprenne ses mauvaises habitudes, et soit extrêmement intrusive concernant la tenue qu’elle devait arborer. Apparemment, tout devait être parfait.
Son père avait apparemment conclu une grande affaire qu’il comptait annoncer ce soir. Cela avait mit la famille d’excellente humeur – et la nervosité ambiante se ressentait jusqu’en dans les vieilles pierres du manoir. Malgré leurs différends, Moira tenait assez à ses parents pour se réjouir de leurs réussites. S’ils tenaient tant que cela à sa toilette, elle ferait les efforts qu’ils voudraient.
La réception battait son plein lorsqu’elle descendit les escaliers menant à la salle de bal, déjà envahie par nombre de convives. Vêtue d’une longue robe noire laminée d’or, son col était parcouru de quantité de sequins brillant sous la lumière des candélabres. Le bas de la robe était plus sobre pour contrebalancer cette charge d’ornements.
Elle avait réuni ses cheveux en chignon extrêmement compliqué, et avait achevé le tout avec une pointe de maquillage et de lourdes boucles d’oreilles.
Elle était prête à jouer la bonne petite fille à papa et nouer des liens intéressants pour sa famille. Ces petites fêtes n’avaient rien d’agréables, elles n’étaient que des prétextes pour avancer ses pions sur l’échiquier du monde. L’ascension sociale entamée par les Auchincloss depuis des générations ne faisait que commencer. Elle savait que ses ancêtres aspiraient aux plus hautes sphères, et elle mentirait en prétendant que cela ne la tentait pas un petit peu.
Mais il était des choses plus importantes que cela, elle l’avait appris récemment.
De sa démarche la plus étudiée, elle commença à adresser ses salutations ici et là avec un sourire travaillé depuis l’enfance. Moira plaçait un bon mot pour chacun, riant aux plaisanteries les moins drôles et délivrant des compliments crédibles à ceux qui voudraient bien les entendre – sans en penser un mot la plupart du temps.
Elle échangeait parfois des regards ennuyés avec Sùmaid. L’hippocampe avait été transvasé dans l’aquarium gigantesque qui faisait le tour de la salle de réception. Créé pour accueillir les deux mammifères marins de ses parents, cet espace avait l’avantage de garder son familier près d’elle, bien qu’elle ne puisse pas lui parler aussi aisément qu’à l’accoutumée.
Chassant son sentiment de solitude, Moira remarqua finalement une connaissance à l’autre bout de la pièce.
Nero.
Si Moira et lui n’avaient jamais vraiment pu échanger auparavant du fait de leur différence d’âge, ils se croisaient depuis quelques années assez régulièrement dans ce genre de milieu pour ne plus être des inconnus. Le jeune homme était promis à un avenir brillant, issu d’une famille influente dans son propre Coven. Sur le papier, il avait tout pour lui. Si les Auchincloss souhaitaient faire de leur fille la princesse des Vagues, la question ne se posait pas vraiment pour son comparse des Vents.
C’était d’ailleurs avec sa famille que son père avait conclu son affaire juteuse. Ils étaient tout autant à l’honneur que les hôtes de la soirée. Moira avait d’ailleurs vu qu’ils étaient placés face à face lors du dîner qui suivra.
Il y avait pire compagnie qu’un autre héritier disposé à énoncer des banalités pour faire passer le temps.
Soucieuse de soigner les relations entre les deux familles – et également parce qu’elle rêvait de se soustraire à la présence de certains vieux collègues de son père, Moira se dirigea vers lui d’un pas mesuré. Il sera de bon ton de se montrer un peu avec lui.
Elle évita tant bien que mal les quelques journalistes présents, sans doute pour officialiser l’annonce future.
Arrivée devant Nero, Moira lui adressa un sourire un peu moins faux qu’à tous les autres.
- Bonsoir. As-tu la moindre idée de ce que nos pères concoctent ? Je suis dans le flou le plus absolu.
Elle récupéra au passage une coupe de champagne que lui présenta un serveur, détaillant son interlocuteur du coin de l’œil.
- As-tu profité de la fête de l’hiver ? Je t’y aie aperçu.
Essayant de mener une conversation cordiale avec le jeune homme, elle fut interrompue une fois tous les invités arrivés par un serveur qui vint indiquer aux deux jeunes gens qu’ils étaient attendus en compagnie de leurs parents en haut de l’escalier principal, à la vue de tous.
Intriguée, l’hydromancienne échangea un nouveau regard vers son comparse, avant de prendre sa place désignée. Sa mère arborait un sourire qui ne lui disait rien qui vaille. Moira se sentit soudainement très mal à l’aise, tandis qu’elle surplombait l’assemblée.
Le tintement d’un couteau sur une coupe de champagne l’empêcha de se questionner davantage. Les patriarches des familles Auchincloss et Karlsson venaient de prendre la parole. Le baratin habituel. Ils remerciaient tout le monde d’avoir répondu présents, présentaient leurs meilleurs souhaits pour l’année à venir blablabla…
Si elle n’avait pas été mieux élevée, Moira aurait été tentée de lever les yeux au ciel.
Vint le moment tant attendu, où les deux commencèrent par se congratuler mutuellement, et la Gardienne sentit sa patience s’écouler dangereusement, tout en présentant à tous son même sourire de convenance.
Qu’ils en viennent au fait. Quel genre d’affaires avaient-ils bien pu conclure pour être aussi fiers d’eux ?
Et c’est avec un grand honneur qu’ils annoncèrent
Ses fiançailles avec Nero.
Moira n’entendit pas les applaudissements, ne perçu aucunement le flash des photographes et le brouhaha qui avait envahi l’immense pièce. Son monde s’était figé, le seul bruit qui lui parvenait était un effet larsen qui lui vrillait les tympans.
Fiançailles ?!
Elle crut tout d’abord que l’on parlait d’une autre qu’elle. Y avait-il une autre Moira Auchincloss dans l’assemblée ? Forcément, car il ne pouvait s’agir d’elle.
Ses parents ne lui auraient pas fait un coup pareil. Ils avaient beau s’entendre de moins en moins bien, ils ne lui imposeraient jamais un mariage ? Ils ne lui forceraient pas la main pour y enfiler une alliance qu’elle n’avait aucunement demandé ?!
Fiançailles, union, les mots s’entrechoquaient dans son esprit tandis que la tête lui tournait. Elle avait chaud, beaucoup trop chaud. Elle se sentait suffoquer, il n’y avait pas assez d’air dans cette salle bondée.
Elle étouffait littéralement, ses yeux cherchant un soutien quelconque. N’importe qui. Elle n’en trouva aucun après de sa mère qui rayonnait, ou de son père, qui accueillait déjà des félicitations indignes.
Au bord de l’évanouissement, Moira ne songea qu’à une seule chose – Haesik.
Comment ses parents avaient-ils osé lui infliger cela, sachant pertinemment que ses affections étaient ailleurs ? Même si le coréen n’avait pas été dans le tableau, ils allaient beaucoup trop loin.
Sùmaid était trop petit pour qu’elle puisse le voir de là où elle se tenait.
Elle était seule. Terriblement seule, et sa robe trop serrée lui écrasait l’estomac.
Affolée, elle avait perdu toute prétention de politesse, bien que sa mère lui souffle de se reprendre. Figée sur place, Moira n’avait d’autre choix que de scanner la pièce encore et encore, réduite au silence, espérant que quelqu’un ne se révolte, ne se manifeste.
Si personne ne le faisait, elle prendrait la parole. Déjà, ses lèvres menaçaient de s’animer sous le coup de l’émotion.
Il en était hors de question.
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Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
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Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
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Arrivé.e le : 09/10/2023
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Le temps de décembre est tout aussi terrible que celui de novembre. La pluie fine et glaciale se transforme parfois en neige épaisse, annonciatrice d’un hiver rude comme l’Ecosse sait si bien le faire. Décembre, la saison des dernières fêtes de l’année. Décembre où les jours continuent à raccourcir, puis commence à se rallonger peu de temps après la fête de l’hiver. Je devrais me réjouir comme n’importe qui d’autre durant ce dernier mois, et pourtant, mon humeur est à l’image de la météo quotidienne : maussade.
Mon escapade à la fête de l’hiver n’est pas passée inaperçue, et j’ai encore mal de la punition qui a suivi. Ridiculiser le nom des Karlsson, même si c’est auprès de ceux qui ne sont rien, n’est pas une option dans cette famille. J’aurais dû rester à ma place, ne pas mentir quant au travail qui m’attendait, et accepter mon rôle. Au lieu de ça, je suis sorti batifoler dans la neige comme un enfant, désobéissant à l’ordre familial. Aurelius aurait fait de même, que je songe alors. Où est le mensonge ici ? Mon cadet était le premier à défier l’autorité de nos parents pour jouer, expérimenter, s’intéresser au reste du monde. C’est d’ailleurs ce côté tête brûlée qui a eu raison de lui.
Repenser au passé me fait frissonner d’horreur, et me rappelle immédiatement à l’ordre. Les petits curieux finissent souvent dans les filets des gros poissons. Si j’ai passé l’âge d’être une victime, le risque n’est pas nul. Plutôt le risque pour mes agresseurs, d’ailleurs ; mon “système de défense” comme j’aime l’appeler n’a pas conscience de la mesure. Faites-moi du mal si vous le souhaitez. Si vous n’êtes pas un Karlsson, vous vous en mordrez les doigts.
Assis sur une chaise, la maquilleuse papillonnant autour de moi, je conserve un air neutre et sans émotion. Docile, je la laisse masquer mes tatouages à la gorge tout en écoutant ses jérémiades concernant les “erreurs de jeunesse” qu’on regrette vite ensuite. Erreurs…clairement, ça n’en est pas, mais je ne ferai aucun effort pour me justifier. Je me contente de regarder mon reflet sur le miroir de la coiffeuse, observant avec attention l’encre disparaître de ma peau comme si je revêtais un nouveau costume. C’est toujours aussi douloureux, de se voir privé de son identité de la sorte. Douloureux de voir disparaître une partie de moi que j’assume pleinement, pour la simple et bonne raison que cette apparence ne convient pas à la famille. La femme finit par s’éloigner, non sans avoir râlé de nouveau, et désigne mes mains encrées posées sur le bras du fauteuil.
“Je ne peux rien faire pour ça, monsieur Karlsson. Vos mains vont certainement toucher de nombreux objets, il n’existe pas de maquillage suffisamment résistant. Il va falloir penser au laser un jour !”
“J’ai des gants.”
Qu’une parfaite inconnue - certes payée par mes parents et connaissant la famille depuis longtemps - mentionne elle aussi l’idée d’effacer définitivement cette partie de moi me met en colère. Une colère sourde que je n’exprime pas, mais qui transparaît dans le regard que je pose sur elle. Au moins, ma réponse a l’avantage de la satisfaire, puisqu’elle me laisse enfin sans demander son reste. Las, l’esprit ailleurs à songer à quel point j’ai hâte que cette soirée se finisse pour probablement terminer chez Lucius, je profite de cet instant pour enfin enfiler mon costume. Pantalon noir, chemise noire, veste noire…on pourrait croire que je vais à un enterrement ainsi vêtu. Pour compléter tout cela, mes mains encrées se retrouvent camouflées sous une paire de gants en tissu noir sélectionnés parmi de nombreux autres dans ma commode. J’ajoute également une touche de couleur : une simple broche en or massif, un aigle royal aux ailes déployées, héritage de la famille. Si je ne la porte pas à chaque sortie, on m’a bien fait comprendre qu’elle était très importante ce soir. Le monde entier doit savoir à quelle famille j’appartiens.
“Tu devrais t’en aller maintenant, Freja, avant qu’ils ne décident de t’enfermer dans un placard pour le reste de la soirée.”
Je ne me donne pas la peine de me tourner vers mon familier, cette minuscule boule de plumes qui juge tous les faits et gestes des personnes qui naviguent dans ma chambre depuis quelques heures maintenant. Elle sait qu’elle n’a pas le droit d’être avec moi, ne sachant pas tenir sa langue.
“En voilà une idée qu’elle est bonne ! Comme ça, tu seras le seul à te faire torturer pendant des heures, n’est-ce pas ?”
”Arrête…c’est pas de la torture. Tu vas toujours trop loin, et c’est ce qui t’a mené dans de très mauvaises situations, souviens-toi.”
La chouette piaille de colère, mais finit par se décider à quitter les lieux. Je lui ouvre la fenêtre et la regarde s’envoler dans la nuit, le sentiment d’être pris au piège se trouvant bien plus présent en moi maintenant que ma seule amie s’est enfuie. Je devrais peut-être l’imiter, au fond. Ce serait une bonne idée. La voir voler au loin me donne tellement envie de la rejoindre…
“Encore là, toi ?! Dépêche-toi de descendre, nous sommes attendus !”
La voix de madame Karlsson me fait sursauter, si bien que je manque de me cogner contre le battant de la fenêtre. Je referme celle-ci promptement et me retourne d’un geste, les yeux rivés vers ce visage qui ne montre une fois encore qu’un profond dégoût.
“Oui.”
“Et ne dis pas “oui” sur ce ton, idiot. Tu devrais être heureux qu’on puisse enfin faire quelque chose de toi, et tu as intérêt à profiter de l’opportunité pour remplir un peu plus ton carnet d’adresses !”
“J’en suis très heureux.”
Le mensonge, prononcé de cette voix robotique qui me caractérise si bien dans cette maisonnée, a au moins le bénéfice de passer crème aux oreilles de la matriarche. Je ne comprends pas tellement où elle veut en venir avec ces paroles, mais qui suis-je pour juger ? Seulement son fils, qu’elle déteste au plus haut point. Je m’approche de la porte d’entrée, m’attendant à ce qu’elle ouvre la voie…mais une douleur soudaine traverse mon échine lorsqu’elle attrape ma tignasse avec force de ses petits doigts boudinés.
“Si tu me fais honte, enfant, si tu fais le moindre geste qui puisse ternir notre réputation, je te le ferai regretter.”
Oui, lève encore la main sur moi, femme. Cette main que je me ferai une joie d’arracher à ton corps encore chaud, ce coeur palpitant qui finira dans ma paume…touche-moi encore, femme, et tu comprendras la définition même du mot souffrance. Tu seras la première sur la longue liste des sacrifiés.
Mon coeur tambourine dans ma poitrine tandis que ces paroles résonnent à mes oreilles, pensées sombres et violentes d’un alter qui ne devrait certainement pas prendre le contrôle à cet instant précis. Fort heureusement, madame Karlsson lâche son emprise au bon moment, et je remets ma tignasse en place d’un geste de la main. Il faut être parfait. Garder les apparences. Masquer la douleur, la terreur, l’esprit brisé. Thanikos relégué dans un coin pour le protéger, Jake enfermé derrière des barreaux de crainte qu’il ne cause un scandale plus…violent. Je suis seul face à l’épreuve qui m’attend.
Les lieux sont déjà bondés lorsque la famille Karlsson au complet débarque. J’observe les alentours avec intérêt, cherchant tant bien que mal les différentes sorties de secours au cas où l’instant soit trop intense pour moi. Je n’aime pas la foule, je n’aime pas me montrer ainsi, encore moi après les menaces non voilées de ma génitrice. Le dos droit, l’air suffisant qu’on me connaît déjà, je multiplie les politesses devant les personnalités que je sais être les plus importantes. Cet homme à la cravate rouge, c’est l’ancien Conseiller, qui tente depuis quelques années de faire un retour en politique et reste ami avec mon père. L’homme au béret est un ancien Président d’il y a trois mandats de cela, un français qui a mis un point d’honneur à faire valoir ses racines, détesté de tous mais adulé par les familles les plus aisées. Celle-là…ah, il me semble qu’il s’agit simplement d’une riche héritière dont la famille tire les ficelles de son coven, comme la mienne a le Conseil dans sa poche. Cette autre femme en retrait, qui semble déjà avoir entamé le champagne, est une journaliste renommée du Edimbourg Times, un journal très lié à la politique isolationniste. A bien y regarder, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup trop de journalistes ici. Des caméras, des photographes, des visages déjà connus. Je comprends maintenant pourquoi Madame Karlsson a tant insisté sur le côté “parfait” de la représentation que la famille devait avoir. La dernière fois que j’ai vu un tel rassemblement…c’était pour l’élection de mon grand-père au Conseil Sorcier, il y a des années de cela.
Alors que je ne sais toujours pas par où commencer, évitant soigneusement mes deux parents, une demoiselle au visage familier vient me trouver. Celle-là, je la connais depuis un petit moment maintenant : Moira Auchincloss, jeune et unique héritière de son nom prestigieux, tout comme je reste le dernier héritier des Karlsson. Ironique, quand on y pense.
“Je l’ignore. Je n’ai rien entendu de très important concernant cette soirée, hormis le fait qu’elle doive être parfaite.”
Mais ça, ce n’est pas très différent de d’habitude chez les Karlsson. Je me doute qu’il en va de même pour les Auchincloss.
Je grimace à sa réflexion, et comme par un effet psychologique, les blessures dans mon dos se rappellent à moi. La fête de l’hiver, hein…j’ai du mal à retrouver mon expression neutre, à empêcher le tic de tordre mes mains d’anxiété. Mais finalement, le Nero sans émotions ressort enfin, et sa voix robotique prend le relai.
“Il ne vaut mieux pas mentionner cette fête. Je n’y avais pas ma place.”
Simple, précis, et plutôt radical. Nous n’avons pas le temps de plus en discuter, que déjà notre présence à tous les deux est demandée. La méfiance est de mise chez moi ; j’ai une désagréable sensation de déjà-vu, sans pour autant mettre le doigt sur ce qui me dérange. Alors je choisis la passivité, comme d’habitude, et obéis sagement en espérant que cette histoire ne me concerne pas.
Oh, comme j’aurais aimé avoir raison, pour une fois.
L’annonce semble irréelle. Les patriarches sur leur estrade semblent particulièrement heureux de leur coup, comme s’ils avaient placé leur argent en bourse et fait fructifier leurs actions. Au bas des marches, Madame Karlsson me fixe intensément. Cette idée vient d’elle, il n’y a pas de doute. Après les échecs de mes deux précédentes fiançailles - les deux ayant eu lieu en huit clos à l’origine, sans atteindre l’annonce officielle - annoncer ainsi en grandes pompes une union lui permet d’être certaine que je ne viendrai pas la briser.
Je suis incapable de réagir. Je savais que ce jour arriverai, bien entendu, j’en avais déjà parlé à Ichabod. Je savais qu’ils ne me laisseraient pas libre très longtemps. Mais pas si tôt. Pas si vite, si soudainement. Je pensais pouvoir m’y préparer. Les journalistes se pressent autour de nous, mais je ne les vois pas. Tout ce que je sens, c’est le regard de mes deux parents à l’affût de la moindre erreur de ma part. Je reste digne. Droit comme un i. Le menton relevé. Mais intérieurement, tout mon être s’écroule de désespoir.
Mon escapade à la fête de l’hiver n’est pas passée inaperçue, et j’ai encore mal de la punition qui a suivi. Ridiculiser le nom des Karlsson, même si c’est auprès de ceux qui ne sont rien, n’est pas une option dans cette famille. J’aurais dû rester à ma place, ne pas mentir quant au travail qui m’attendait, et accepter mon rôle. Au lieu de ça, je suis sorti batifoler dans la neige comme un enfant, désobéissant à l’ordre familial. Aurelius aurait fait de même, que je songe alors. Où est le mensonge ici ? Mon cadet était le premier à défier l’autorité de nos parents pour jouer, expérimenter, s’intéresser au reste du monde. C’est d’ailleurs ce côté tête brûlée qui a eu raison de lui.
Repenser au passé me fait frissonner d’horreur, et me rappelle immédiatement à l’ordre. Les petits curieux finissent souvent dans les filets des gros poissons. Si j’ai passé l’âge d’être une victime, le risque n’est pas nul. Plutôt le risque pour mes agresseurs, d’ailleurs ; mon “système de défense” comme j’aime l’appeler n’a pas conscience de la mesure. Faites-moi du mal si vous le souhaitez. Si vous n’êtes pas un Karlsson, vous vous en mordrez les doigts.
Assis sur une chaise, la maquilleuse papillonnant autour de moi, je conserve un air neutre et sans émotion. Docile, je la laisse masquer mes tatouages à la gorge tout en écoutant ses jérémiades concernant les “erreurs de jeunesse” qu’on regrette vite ensuite. Erreurs…clairement, ça n’en est pas, mais je ne ferai aucun effort pour me justifier. Je me contente de regarder mon reflet sur le miroir de la coiffeuse, observant avec attention l’encre disparaître de ma peau comme si je revêtais un nouveau costume. C’est toujours aussi douloureux, de se voir privé de son identité de la sorte. Douloureux de voir disparaître une partie de moi que j’assume pleinement, pour la simple et bonne raison que cette apparence ne convient pas à la famille. La femme finit par s’éloigner, non sans avoir râlé de nouveau, et désigne mes mains encrées posées sur le bras du fauteuil.
Qu’une parfaite inconnue - certes payée par mes parents et connaissant la famille depuis longtemps - mentionne elle aussi l’idée d’effacer définitivement cette partie de moi me met en colère. Une colère sourde que je n’exprime pas, mais qui transparaît dans le regard que je pose sur elle. Au moins, ma réponse a l’avantage de la satisfaire, puisqu’elle me laisse enfin sans demander son reste. Las, l’esprit ailleurs à songer à quel point j’ai hâte que cette soirée se finisse pour probablement terminer chez Lucius, je profite de cet instant pour enfin enfiler mon costume. Pantalon noir, chemise noire, veste noire…on pourrait croire que je vais à un enterrement ainsi vêtu. Pour compléter tout cela, mes mains encrées se retrouvent camouflées sous une paire de gants en tissu noir sélectionnés parmi de nombreux autres dans ma commode. J’ajoute également une touche de couleur : une simple broche en or massif, un aigle royal aux ailes déployées, héritage de la famille. Si je ne la porte pas à chaque sortie, on m’a bien fait comprendre qu’elle était très importante ce soir. Le monde entier doit savoir à quelle famille j’appartiens.
Je ne me donne pas la peine de me tourner vers mon familier, cette minuscule boule de plumes qui juge tous les faits et gestes des personnes qui naviguent dans ma chambre depuis quelques heures maintenant. Elle sait qu’elle n’a pas le droit d’être avec moi, ne sachant pas tenir sa langue.
“En voilà une idée qu’elle est bonne ! Comme ça, tu seras le seul à te faire torturer pendant des heures, n’est-ce pas ?”
La chouette piaille de colère, mais finit par se décider à quitter les lieux. Je lui ouvre la fenêtre et la regarde s’envoler dans la nuit, le sentiment d’être pris au piège se trouvant bien plus présent en moi maintenant que ma seule amie s’est enfuie. Je devrais peut-être l’imiter, au fond. Ce serait une bonne idée. La voir voler au loin me donne tellement envie de la rejoindre…
La voix de madame Karlsson me fait sursauter, si bien que je manque de me cogner contre le battant de la fenêtre. Je referme celle-ci promptement et me retourne d’un geste, les yeux rivés vers ce visage qui ne montre une fois encore qu’un profond dégoût.
“J’en suis très heureux.”
Le mensonge, prononcé de cette voix robotique qui me caractérise si bien dans cette maisonnée, a au moins le bénéfice de passer crème aux oreilles de la matriarche. Je ne comprends pas tellement où elle veut en venir avec ces paroles, mais qui suis-je pour juger ? Seulement son fils, qu’elle déteste au plus haut point. Je m’approche de la porte d’entrée, m’attendant à ce qu’elle ouvre la voie…mais une douleur soudaine traverse mon échine lorsqu’elle attrape ma tignasse avec force de ses petits doigts boudinés.
Mon coeur tambourine dans ma poitrine tandis que ces paroles résonnent à mes oreilles, pensées sombres et violentes d’un alter qui ne devrait certainement pas prendre le contrôle à cet instant précis. Fort heureusement, madame Karlsson lâche son emprise au bon moment, et je remets ma tignasse en place d’un geste de la main. Il faut être parfait. Garder les apparences. Masquer la douleur, la terreur, l’esprit brisé. Thanikos relégué dans un coin pour le protéger, Jake enfermé derrière des barreaux de crainte qu’il ne cause un scandale plus…violent. Je suis seul face à l’épreuve qui m’attend.
Les lieux sont déjà bondés lorsque la famille Karlsson au complet débarque. J’observe les alentours avec intérêt, cherchant tant bien que mal les différentes sorties de secours au cas où l’instant soit trop intense pour moi. Je n’aime pas la foule, je n’aime pas me montrer ainsi, encore moi après les menaces non voilées de ma génitrice. Le dos droit, l’air suffisant qu’on me connaît déjà, je multiplie les politesses devant les personnalités que je sais être les plus importantes. Cet homme à la cravate rouge, c’est l’ancien Conseiller, qui tente depuis quelques années de faire un retour en politique et reste ami avec mon père. L’homme au béret est un ancien Président d’il y a trois mandats de cela, un français qui a mis un point d’honneur à faire valoir ses racines, détesté de tous mais adulé par les familles les plus aisées. Celle-là…ah, il me semble qu’il s’agit simplement d’une riche héritière dont la famille tire les ficelles de son coven, comme la mienne a le Conseil dans sa poche. Cette autre femme en retrait, qui semble déjà avoir entamé le champagne, est une journaliste renommée du Edimbourg Times, un journal très lié à la politique isolationniste. A bien y regarder, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup trop de journalistes ici. Des caméras, des photographes, des visages déjà connus. Je comprends maintenant pourquoi Madame Karlsson a tant insisté sur le côté “parfait” de la représentation que la famille devait avoir. La dernière fois que j’ai vu un tel rassemblement…c’était pour l’élection de mon grand-père au Conseil Sorcier, il y a des années de cela.
Alors que je ne sais toujours pas par où commencer, évitant soigneusement mes deux parents, une demoiselle au visage familier vient me trouver. Celle-là, je la connais depuis un petit moment maintenant : Moira Auchincloss, jeune et unique héritière de son nom prestigieux, tout comme je reste le dernier héritier des Karlsson. Ironique, quand on y pense.
Mais ça, ce n’est pas très différent de d’habitude chez les Karlsson. Je me doute qu’il en va de même pour les Auchincloss.
Je grimace à sa réflexion, et comme par un effet psychologique, les blessures dans mon dos se rappellent à moi. La fête de l’hiver, hein…j’ai du mal à retrouver mon expression neutre, à empêcher le tic de tordre mes mains d’anxiété. Mais finalement, le Nero sans émotions ressort enfin, et sa voix robotique prend le relai.
Simple, précis, et plutôt radical. Nous n’avons pas le temps de plus en discuter, que déjà notre présence à tous les deux est demandée. La méfiance est de mise chez moi ; j’ai une désagréable sensation de déjà-vu, sans pour autant mettre le doigt sur ce qui me dérange. Alors je choisis la passivité, comme d’habitude, et obéis sagement en espérant que cette histoire ne me concerne pas.
Oh, comme j’aurais aimé avoir raison, pour une fois.
L’annonce semble irréelle. Les patriarches sur leur estrade semblent particulièrement heureux de leur coup, comme s’ils avaient placé leur argent en bourse et fait fructifier leurs actions. Au bas des marches, Madame Karlsson me fixe intensément. Cette idée vient d’elle, il n’y a pas de doute. Après les échecs de mes deux précédentes fiançailles - les deux ayant eu lieu en huit clos à l’origine, sans atteindre l’annonce officielle - annoncer ainsi en grandes pompes une union lui permet d’être certaine que je ne viendrai pas la briser.
Je suis incapable de réagir. Je savais que ce jour arriverai, bien entendu, j’en avais déjà parlé à Ichabod. Je savais qu’ils ne me laisseraient pas libre très longtemps. Mais pas si tôt. Pas si vite, si soudainement. Je pensais pouvoir m’y préparer. Les journalistes se pressent autour de nous, mais je ne les vois pas. Tout ce que je sens, c’est le regard de mes deux parents à l’affût de la moindre erreur de ma part. Je reste digne. Droit comme un i. Le menton relevé. Mais intérieurement, tout mon être s’écroule de désespoir.
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Nageant en plein cauchemar, la brune se tient tant bien que mal à la barrière du petit balconnet entourant l’escalier. Elle se porte le plus droite possible, aidée par des années de pratique pour toujours paraitre poupée de porcelaine sans défaut. Pourtant ses phalanges sont blanches-linge à force de serrer la rambarde dorée de toutes ses forces, et son visage porte la teinte du linceul. Parfait, peut-elle presque imaginer sa mère susurrer. Son teint d’albâtre permettra de faire ressortir le rouge léger de ses lèvres, rendant les photographies d’autant plus impactantes.
Il n’y avait donc que cela qui les intéressait. Les apparences, la manière dont le monde les percevait.
Moira jeta un regard incrédule à ses parents. Ils venaient de briser quelque chose entre eux, et ce à tout jamais. Les disputes, les nombre de cris supportés aux repas et les reproches constants, l’hydromancienne pouvait les tolérer. Elle n’avait connu que cela – comment aspirer à autre chose lorsque le calme lui était inconnu? Elle avait enduré les remarques acerbes, les incitations à n’être rien de moins qu’exceptionnelle. L’héritière s’était conformée toute son existence à leurs souhaits, dans une recherche effrénée de leur approbation. Elle avait couru après une validation qu’elle n’obtiendra jamais : on pouvait toujours faire mieux, ma fille. Ils l’avaient poussée dans ses retranchements tant de fois, en lui donnant l’impression qu’ils l’aimeraient davantage si elle atteignait les sommets. Elle se rappelait cette journée d’école, toute petite, où elle était arrivée deuxième sur le podium. Sa mère l’avait à peine félicitée, tout sourire cependant. D’une voix doucereuse, elle lui avait appris qu’elle avait bien agi, qu’elle serait récompensée. Mais que si dans les six prochains mois, elle se hissait en tête, sa friandise serait plus importante.
Ils l’avaient modelée pour devenir une masse d’incertitudes derrière un masque de prétention. Leur exigence perçait ses pensées à chaque pas qu’elle parcourait, rendant chacun de ses gestes un peu moins spontanés que le précédent. Encore en cet instant, elle obéissait d’une certaine manière, en restant immobile et subissant les éloges.
Mais ils avaient été trop loin.
Ce soir, Moira réalisait que tous ses efforts ne seraient jamais suffisants à leurs yeux. Ils l’avaient tenue en otage par la bourse et l’affection qu’elle leur portait, jouant des peurs qu’ils avaient pris plaisir à eux-mêmes instiller.
Ce soir, aucun amour filial ne la retiendra. Parmi les nombreux émois qui prenaient possession d’elle, Moira comprenait qu’ils la voyaient plus comme une extension d’eux qu’une personne à part entière. Elle avait toujours su qu’elle était destinée à servir leurs buts, leurs rêves de grandeur. Moira avait juste espéré représenter davantage.
Mais sa mère ne la verrait jamais autrement que comme sa petite chose, la version d’elle-même qu’elle aurait voulu être. Et son père… du haut de son absence, sa vision n’était pas bien différente.
La Gardienne des écrits ignorait si leur décision avait été motivée par leur découverte récente de la grande histoire d’amour de sa vie. Parce qu’il s’agissait bien de cela, pour Moira. Elle s’était éprise pour la première fois de son existence – Haesik et Dalsoon étaient la véritable famille à laquelle elle aspirait. Son air rêveur apparaissait plus souvent depuis qu’ils étaient revenus dans sa vie – elle se surprenait à désirer davantage : à former ses propres souhaits. Le bonheur était une arme des plus redoutables –
L’avaient-ils vu au creux de son visage épanoui, jusqu’à s’en sentir menacés ?
Moira écarta cette idée. Un tel projet avait dû faire l’objet de nombres de négociations entre les deux familles. Les plans étaient en marche depuis longtemps, bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer, supposait-elle. Ils n’avaient même pas cherché à faire entre le piège à Troie, ils avaient vendu Hélène.
Elle représentait donc si peu qu’ils la marchandaient pour quelques nouveaux titres ? Moyen-Âge dans les veines, ils s’opposaient à sa renaissance au point de la soumettre à ce régime nouveau.
Qu’ils marquent cette nuit d’une pierre : elle était celle où ils avaient perdu son respect à jamais.
Quand le brouhaha s’apaisa, elle retrouva le contrôle de ses membres. Toujours aussi pâle, le souffle difficile, elle agrippa le bras de sa mère.
- Un mot.
Elle ignora ses protestations – encore et toujours cette préoccupation de ce que les autres allaient penser. Moira entraina sa mère dans une pièce à part. La jeune fille commença par faire les cent pas pour se calmer, se donner une contenance hors d’atteinte.
- Comment avez-vous pu me faire cela ?
Sa voix est tremblante. Pleine de rage contenue, mais surtout d’incompréhension. Quelque part, elle suppliait sa mère d’avoir une bonne raison d’avoir agi de la sorte. Une vraie raison. Non pas des prétextes sur leur stature, sur leurs craintes pour le futur. Elle demandait une justification qu’elle pourrait accepter – qu’ils donnent du sens à ces inepties, par pitié !
Mais rien ne vient, seulement les mêmes platitudes que d’ordinaire, et Moira sent une colère dévastatrice l’envahir, rongeant ses os comme un acide distillé dans son sang. Si seulement il pouvait contaminer toute la lignée.
- Je ne le ferai pas. Je m’y refuse.
- Tu n’as pas le choix.
- Que tu crois. C’était bien votre but, n’est-ce pas ? De l’annoncer de cette manière – pour m’empêcher de réagir. Vous êtes encore pire que ce que je ne le croyais. Si vous avez insisté pour qu’autant de journaliste soient présents, c’était bien pour éviter un esclandre ? Devine quoi, je m’apprête à leur en donner une.
Moira se dirigeait déjà vers la porte, avec la ferme intention de mettre un terme à cette mascarade avant que le bal ne puisse commencer. La jeune femme était décidée, peu importe les conséquences.
Une poigne de fer sur son bras l’arrêta. Entre ses dents serrées, Moira pesta.
- Lâche-moi tout de suite.
- Est-ce ton coréen qui te rend si rebelle ? Tu n’aurais jamais osé protester, avant.
Moira se dégagea d’un mouvement sec de l’étreinte de sa mère, avant de baisser la voix tout en s’approchant dangereusement de la matriarche.
- Je te défends de parler de lui. Et pour ta gouverne, non, ce n’est pas lui qui m’a faite changer. J’ai simplement ouvert les yeux sur vous.
Elle se força à garder les yeux ouverts tandis qu’un flot de remontrances la noyait. Ingrate, ils n’avaient jamais eu d’autres vœux que sa réussite, à trimer pour elle… Moira connaissait le refrain par cœur, un chant récité tant de fois qu’il était devenu prière, sonnet d’église dans une chambre d’enfant.
Elle le repoussait fermement.
- Que cela te plaise ou non, Maman – je ne céderai pas à ce mariage forcé. Je n’épouserai personne contre mon gré. Peu m’importe de ruiner notre précieuse réputation. Je donnerai mon temps, dédierai ma vie pour le Coven comme vous me l’avez demandée, mais je refuse de lui donner mon bonheur.
Elle venait de le trouver tout juste un an et demi auparavant. Cela était beaucoup trop court.
Moira reprit sa jupe en main, avant d’être de nouveau arrêtée.
- Réfléchis, petite sotte. Crois-tu que nous serions les seuls touchés par ton scandale ? Ton père perdrait nombre de contact, je serai une paria parmi les médecins. Tu jouis d’un respect sans pareil en tant que Gardienne des écrits, crois-tu que l’on laissera la responsabilité de la mémoire du culte à une inconstante ? Pense-tu que les Karlsson prendront aimablement ta décision également ? Que tes cousins n’en pâtiront pas ? Toute la famille ?
Si cela était encore possible, Moira aurait blêmit davantage. Elle n’avait que faire de son rôle qu’elle n’aimait pas, de la vie de ses parents.
Mais sa mère avait raison. Heurter un clan aussi important que celui des aéromanciens ne serait pas sans conséquences. Et bien qu’elle ne les porte pas dans son cœur, sa famille étendue n’avait rien demandé. Contrairement à la pensée populaire, elle était loin d’être égoïste. Jamais elle ne nuirait à ses oncles et leur descendance.
Elle était coincée. Et elle se sentit sombrer.
Madame Auchincloss le perçut également, car elle secoua la tête.
- C’est bien ce que je pensais.
Dans un geste qui se voulait rassurant, elle prit sa fille dans ses bras. L’intéressée avait envie de vomir.
- Ne te tracasse pas trop, ma chérie. C’est un excellent parti, je n’aurais pas choisi n’importe qui pour toi. Tu n’auras pas à te plaindre.
Moira resta de marbre, si rigide qu’on aurait pu la confondre avec une statue.
- Tu n’as aucune complainte à exprimer avec mon père, c’est vrai.
Cette fois, elle sortit de la pièce sans se retourner. Elle avait blessé suffisamment sa mère dans son ego pour être persuadée qu’elle ne la suivrait pas.
Ses parents se supportaient à peine, unis par les convenances. Leur mariage désastreux l’avait placée en témoin involontaire d’abus divers. Elle s’était promis de ne pas vivre le même sort.
De retour dans la salle de bal, elle présenta un sourire reconnaissant devant les félicitations, répondant avec un automatisme étonnant. Moira ne se sentait pas capable d’assumer son armure de courtoisie, mais il fallait croire que les habitudes avaient la vie dure.
Se frayant un chemin parmi la foule, elle vit enfin celui qu’elle cherchait.
Son désormais fiancé.
Moira ne savait pas du tout sur quel pied danser avec lui. Elle le connaissait à peine – encore une raison qui prouvait que cet arrangement n’avait pas lieu d’être, nom d’un chien ! Elle ignorait tout de lui, de ses loisirs, et pour être honnête, cela lui importait peu.
Elle ne voulait pas de lui. Si elle ne pouvait rompre ces vœux seule, peut-être accepterait-il ? Si tant est qu’il n’approuve pas le plan de leurs parents… Qu’en savait-elle ? S’il se pliait aux usages, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle ferait.
Mais elle trouvera. Elle n’avait pas le choix.
Adressant un air ravi si faux qu’il lui donnait envie de se gifler, Moira approcha du groupe qui s’était formé autour de Nero. Charmeuse, elle fit quelques pas dans sa direction.
- Excusez-moi Messieurs, puis-je vous emprunter mon fiancé quelques instants ?
Ce mot lui écorchait la langue, mais elle n'en laissa rien paraître. Elle aussi, était bonne actrice. Poursuivant la comédie jusqu’à être assez loin d’oreilles indiscrètes, elle se tourna vers l’aéromancien. Elle conserva son sourire qui lui brisait la mâchoire, pour continuer d’amuser la galerie malgré les mots qu’elle lui destinait.
- Si j’en crois notre échange précédent, tu n’en savais pas plus que moi. Je vais être franche : je ne compte pas t’épouser.
Elle savait ce qu’elle risquait à jouer cartes sur table directement avec lui. Un pari risqué, dangereux, même. Mais elle ne pouvait se permettre de patienter, elle devait prendre les choses en main.
Et même pour lui, il méritait la vérité à son égard.
Tant pis, elle misait tout.
- J’ai déjà quelqu’un. Et Moira Karlsson sonne atrocement mal.
Maintenant nerveuse à l’idée de ce qu’il pourrait répondre, elle chercha son regard et son visage impassible. Elle priait tous leurs dieux pour y trouver quelque chose, n’importe quoi. Un peu de soutien, de compréhension.
- Dis quelque chose, s’il-te-plait.
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Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
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Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
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Arrivé.e le : 09/10/2023
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C’est un cauchemar, un simple cauchemar. Je vais me réveiller dans les bras de Lucius, le soleil ne se sera pas encore levé, et je pourrai profiter du calme et de la chaleur de sa peau contre la mienne. Rien de tout cela n’est réel, je refuse d’y croire. Je refuse de penser un seul instant que mes parents aient fini par décider ça seuls, comme si je n’étais qu’un objet à placer pour leur apporter plus de prestige. C’est parce que j’ai parlé de cette possibilité avec Ichabod le mois dernier, n’est-ce pas ? Mon cerveau a fait ses petites affaires, et inventé toute une histoire pour m’effrayer. Je dois dire que ça change des autres cauchemars qui tourmentent mes nuits. Celui-ci semble lucide, presque réel…mais c’est impossible, n’est-ce pas ?
Mon coeur peine à retrouver un rythme normal. Mon visage reste de marbre, mais ma respiration est difficile. Comme à chaque fois que je fais face à une difficulté, à un traumatisme personnel, j’entre en “mode survie”. La réalité semble s’éloigner, à moins que ce soit moi qui m’éloigne d’elle. Mon corps s’automatise, chacun de mes gestes devient robotique. La respiration qui se calme pour commencer ; la tête, qui tourne de gauche à droite, les yeux qui fixent sans les voir les nombreuses convives ; les oreilles, qui ne perçoivent plus qu’un intense brouhaha sans queue ni tête. Des questions que je ne perçois pas, des félicitations qui viennent de toute part. Plus les secondes passent, et plus je me sens flotter au-dessus de cette scène irréaliste.
Puis, de deux piliers face aux vents contraires, je me retrouve seul à supporter la tempête. J’aperçois ma nouvelle “fiancée” se faire la malle avec celle que je devine être sa mère, sans que je n’aie le temps de la rattraper. Compte-t-elle faire un scandale ici et maintenant ? Se donner en spectacle peut-être…elle ridiculiserait son nom, et me protégerait de la même façon. Cependant je doute que les Karlsson laissent passer un tel affront, devant un public aussi avide des derniers scoops. Comment rattraper une crise de la future mariée au milieu des requins ? Peut-être que cela me retomberait dessus…non, il ne faut pas que Moira craque. Pas tout de suite, en tout cas. Si elle m’entraîne dans sa chute, autant signer mon arrêt de mort.
Je commence à reprendre pied avec la réalité, retrouver l’usage de mes membres petit à petit. Mon regard cherche celui de Madame Karlsson, qui sait si bien masquer son agacement quant au comportement de sa belle-fille. Je sais, moi, ce qu’elle ressent. J’ai appris à la connaître depuis le temps. Je sais que ce sourire mesquin est factice, que ses coups d’oeil fréquents vers la porte derrière laquelle se sont enfermées les deux femmes Auchincloss trahissent sa colère et son impatience. Je ne peux lui en vouloir ; leur départ, alors que l’annonce vient tout juste de se faire, est d’une honteuse impolitesse.
Comme elle me voit l’observer, la femme me fait signe de la rejoindre sur les marches de l’estrade sans perdre une seule seconde son faux sourire. Je sais déjà quelles paroles vont sortir de sa bouche, mais docile, je me contente de la rejoindre en baissant légèrement le regard. Elle n’aime pas quand je le soutiens sans autorisation.
“Cette gamine ose quitter les lieux sans prévenir.”
Elle marmonne entre ses dents, de sorte que je sois le seul à comprendre ce qu’elle raconte. Ne sachant pas où elle veut en venir, je me contente d’acquiescer silencieusement. Elle poursuit.
“Si elle nous fait une esclandre ici, nous serons tous ridiculisés.”
“Oui.”
“Alors sois un homme, et contrôle-la ! Je te tiendrai pour personnellement responsable si un scandale éclate avant la fin de la soirée. Compris, enfant ?”
“Bien.”
Et en quelques mots à peine, un nouveau poids s’abat sur mes épaules. Celui de devoir limiter les actions d’une autre personne, sous peine d’en payer les conséquences. Je savais bien que tout ça retomberait sur moi quoi qu’il advienne. Elle ne m’aurait jamais laissé me défiler, me rétracter dans cette histoire. Pas après ce que j’ai pu faire avec les deux précédentes, ces filles tout aussi désespérées d’être liées de force à ma personne que j’étais désespéré d’être lié à la leur. Cette fois, plus d’échappatoire : cette demoiselle et moi finiront mariés, pour le meilleur…et surtout pour le pire.
Lorsqu’elle débarque à nouveau dans la salle de réception, ma chère fiancée semble avoir repris des couleurs. Son visage s’éclaire d’un sourire - chose qui m’est impossible, quand bien même je le souhaiterais de toutes mes forces - tandis qu’elle marche droit vers moi. M’emprunter ? Soit ; je suppose que nous avons beaucoup de choses à nous dire. Galant, j’attrape sa main pour me pencher et la frôler de mes lèvres.
“Je vous suis, très chère.”
Visage de marbre et coeur de glace, mais des manières irréprochables malgré tout. L’accompagnant d’un air digne, la tête haute et le bras offert, je comprends qu’elle compte me parler en tête à tête. Dans une autre pièce une fois encore ? Ce serait indécent, et je sens déjà le regard de Madame Karlsson me brûler la nuque. Heureusement, la demoiselle semble avoir compris toute seule la limite, et se stoppe bien avant de quitter les lieux.
“Non.”
Simple, concis. Je n’ai pas besoin de développer pour lui avouer que moi non plus, je n’étais pas au courant de ce qu’ils prévoyaient en cachette depuis sûrement de nombreuses semaines. Dire que cela me surprend serait mentir, cependant. Et à en juger par son apparence, Moira est suffisamment âgée pour se douter qu’elle aussi risquait de finir épouse d’un inconnu un jour prochain. Cependant ce qu’elle me dit brise mon expression, me faisant hausser un sourcil d’étonnement.
Elle a déjà quelqu’un. Ah, nous sommes deux ici, mademoiselle ! Mon cerveau tourne à plein régime avec cette nouvelle information. Elle a un autre homme dans sa vie, et pourtant ses parents ont osé la proposer en mariage aux miens ? Sa relation serait-elle aussi secrète que la mienne ? Est-ce qu’il s’agit de ce type aperçu lors de la Fête de l’Hiver ? Mais…d’autres ont dû les voir batifoler ensemble, ceux-là. Comment les Auchincloss comptent-ils cacher cette histoire ? A moins qu’ils décident de la contrôler à partir de ce soir, de lui interdire de le voir…non, ça ne fonctionnera pas. Les interdictions, je suis bien placé pour savoir qu’elles peuvent être contournées quand bon nous semble. J’ai plusieurs années d’expérience là-dedans d’ailleurs pour le prouver.
“Fais un scandale, et ce problème disparaîtra de lui-même.”
Je la jette sous les roues du carrosse sans aucune honte, sautant sur l’occasion pour me dédouaner entièrement de ses actions. Mais mon regard balaye l’assemblée et tombe sur le visage de Madame Karlsson, et alors que ses paroles me reviennent en tête, une grimace déforme momentanément mon visage. Non…je ne peux plus agir ainsi. Je ne peux pas lui laisser cette responsabilité. Je plonge mon regard dans le sien, des yeux si profonds qu’ils donnent l’impression de sonder son âme.
“Si tu fais ça…ta famille entière sera ruinée. La mienne est suffisamment bien placée pour détruire tout espoir de percer en politique, tout espoir de rajouter un nouveau nom à ton carnet d’adresse. Et si tu fais un scandale ici, moi aussi, je serai impacté. Alors non, ne fais rien. En réalité…ni toi, ni moi ne pouvons agir.”
Mon regard dérive vers l’extérieur à travers l’immense baie vitrée de la salle de réception. J’ai beau chercher, j’ignore totalement quoi faire. J’ai l’impression d’être pieds et poings liés.
“Tu as quelqu’un, hein…mais à partir de ce soir, tu n’as plus personne d’autre que moi. Cet homme que tu vois, il n’existe plus, pour le commun des mortels. Il est relégué au rang de l’amant dans le placard, un secret que tu dois préserver.”
Moi aussi, j’ai un amant dans le placard. Et quelque chose me dit que lorsqu’il saura pour ces fiançailles, Lucius ne sera pas forcément très heureux. En fait, je me demande même s’il n’en profitera pas pour me larguer…assurer ses arrières, se protéger lui-même de peur de souffrir. Parce que ces fiançailles, ce n’est qu’un début. Viendra le mariage ensuite. La vie commune. Puis…il faudra bien faire des enfants, pour contenter les deux familles. Rien que de penser à cela, mon teint déjà pâle blanchit encore davantage. J’ai envie de vomir. Devoir me retrouver dans le même lit qu’une femme…ah, nul doute que je n’aurai d’autre choix que d’avaler l’une de ces potions destinées aux plus âgés. Ou peut-être me contenter de boire jusqu’à en oublier mon propre nom, oublier ce qui se trouve dans mon lit et imaginer un être plus appréciable.
Non, ce n’est pas viable comme solution. Je ne peux pas finir comme ça, rien que d’y songer, j’ai une furieuse envie de m’enfuir loin d’ici en brûlant tout sur mon passage. Je ne me forcerai pas à partager la couche d’une femme. Pas encore. Plus maintenant. Ce sera mon propre défi face à l’autorité parentale, de les laisser gagner jusqu’au moment de leur donner un héritier. Car c’est bien ce dont il s’agit, n’est-ce pas ? Enfanter un petit aéromancien, en espérant qu’il prenne la magie de mon côté plutôt que de celui de sa mère. Recommencer jusqu’à obtenir la bonne combinaison. Obtenir une tripotée de gamins pour satisfaire les délires de Monsieur Karlsson, encore déçu de n’avoir pu obtenir que trois fils - dont deux hors parcours.
“Sache que même si nous finissons mariés, je n’ai aucune intention de faire quoi que ce soit avec toi. Tu ne m’attires pas le moins du monde, et ce n’est pas quelque chose qui changera avec le temps.”
C’est peut-être un peu radical comme façon de s’exprimer, et peut-être qu’elle le prendra mal ; pour ce que j’en ai à faire.
Mon coeur peine à retrouver un rythme normal. Mon visage reste de marbre, mais ma respiration est difficile. Comme à chaque fois que je fais face à une difficulté, à un traumatisme personnel, j’entre en “mode survie”. La réalité semble s’éloigner, à moins que ce soit moi qui m’éloigne d’elle. Mon corps s’automatise, chacun de mes gestes devient robotique. La respiration qui se calme pour commencer ; la tête, qui tourne de gauche à droite, les yeux qui fixent sans les voir les nombreuses convives ; les oreilles, qui ne perçoivent plus qu’un intense brouhaha sans queue ni tête. Des questions que je ne perçois pas, des félicitations qui viennent de toute part. Plus les secondes passent, et plus je me sens flotter au-dessus de cette scène irréaliste.
Puis, de deux piliers face aux vents contraires, je me retrouve seul à supporter la tempête. J’aperçois ma nouvelle “fiancée” se faire la malle avec celle que je devine être sa mère, sans que je n’aie le temps de la rattraper. Compte-t-elle faire un scandale ici et maintenant ? Se donner en spectacle peut-être…elle ridiculiserait son nom, et me protégerait de la même façon. Cependant je doute que les Karlsson laissent passer un tel affront, devant un public aussi avide des derniers scoops. Comment rattraper une crise de la future mariée au milieu des requins ? Peut-être que cela me retomberait dessus…non, il ne faut pas que Moira craque. Pas tout de suite, en tout cas. Si elle m’entraîne dans sa chute, autant signer mon arrêt de mort.
Je commence à reprendre pied avec la réalité, retrouver l’usage de mes membres petit à petit. Mon regard cherche celui de Madame Karlsson, qui sait si bien masquer son agacement quant au comportement de sa belle-fille. Je sais, moi, ce qu’elle ressent. J’ai appris à la connaître depuis le temps. Je sais que ce sourire mesquin est factice, que ses coups d’oeil fréquents vers la porte derrière laquelle se sont enfermées les deux femmes Auchincloss trahissent sa colère et son impatience. Je ne peux lui en vouloir ; leur départ, alors que l’annonce vient tout juste de se faire, est d’une honteuse impolitesse.
Comme elle me voit l’observer, la femme me fait signe de la rejoindre sur les marches de l’estrade sans perdre une seule seconde son faux sourire. Je sais déjà quelles paroles vont sortir de sa bouche, mais docile, je me contente de la rejoindre en baissant légèrement le regard. Elle n’aime pas quand je le soutiens sans autorisation.
Elle marmonne entre ses dents, de sorte que je sois le seul à comprendre ce qu’elle raconte. Ne sachant pas où elle veut en venir, je me contente d’acquiescer silencieusement. Elle poursuit.
Et en quelques mots à peine, un nouveau poids s’abat sur mes épaules. Celui de devoir limiter les actions d’une autre personne, sous peine d’en payer les conséquences. Je savais bien que tout ça retomberait sur moi quoi qu’il advienne. Elle ne m’aurait jamais laissé me défiler, me rétracter dans cette histoire. Pas après ce que j’ai pu faire avec les deux précédentes, ces filles tout aussi désespérées d’être liées de force à ma personne que j’étais désespéré d’être lié à la leur. Cette fois, plus d’échappatoire : cette demoiselle et moi finiront mariés, pour le meilleur…et surtout pour le pire.
Lorsqu’elle débarque à nouveau dans la salle de réception, ma chère fiancée semble avoir repris des couleurs. Son visage s’éclaire d’un sourire - chose qui m’est impossible, quand bien même je le souhaiterais de toutes mes forces - tandis qu’elle marche droit vers moi. M’emprunter ? Soit ; je suppose que nous avons beaucoup de choses à nous dire. Galant, j’attrape sa main pour me pencher et la frôler de mes lèvres.
Visage de marbre et coeur de glace, mais des manières irréprochables malgré tout. L’accompagnant d’un air digne, la tête haute et le bras offert, je comprends qu’elle compte me parler en tête à tête. Dans une autre pièce une fois encore ? Ce serait indécent, et je sens déjà le regard de Madame Karlsson me brûler la nuque. Heureusement, la demoiselle semble avoir compris toute seule la limite, et se stoppe bien avant de quitter les lieux.
Simple, concis. Je n’ai pas besoin de développer pour lui avouer que moi non plus, je n’étais pas au courant de ce qu’ils prévoyaient en cachette depuis sûrement de nombreuses semaines. Dire que cela me surprend serait mentir, cependant. Et à en juger par son apparence, Moira est suffisamment âgée pour se douter qu’elle aussi risquait de finir épouse d’un inconnu un jour prochain. Cependant ce qu’elle me dit brise mon expression, me faisant hausser un sourcil d’étonnement.
Elle a déjà quelqu’un. Ah, nous sommes deux ici, mademoiselle ! Mon cerveau tourne à plein régime avec cette nouvelle information. Elle a un autre homme dans sa vie, et pourtant ses parents ont osé la proposer en mariage aux miens ? Sa relation serait-elle aussi secrète que la mienne ? Est-ce qu’il s’agit de ce type aperçu lors de la Fête de l’Hiver ? Mais…d’autres ont dû les voir batifoler ensemble, ceux-là. Comment les Auchincloss comptent-ils cacher cette histoire ? A moins qu’ils décident de la contrôler à partir de ce soir, de lui interdire de le voir…non, ça ne fonctionnera pas. Les interdictions, je suis bien placé pour savoir qu’elles peuvent être contournées quand bon nous semble. J’ai plusieurs années d’expérience là-dedans d’ailleurs pour le prouver.
Je la jette sous les roues du carrosse sans aucune honte, sautant sur l’occasion pour me dédouaner entièrement de ses actions. Mais mon regard balaye l’assemblée et tombe sur le visage de Madame Karlsson, et alors que ses paroles me reviennent en tête, une grimace déforme momentanément mon visage. Non…je ne peux plus agir ainsi. Je ne peux pas lui laisser cette responsabilité. Je plonge mon regard dans le sien, des yeux si profonds qu’ils donnent l’impression de sonder son âme.
Mon regard dérive vers l’extérieur à travers l’immense baie vitrée de la salle de réception. J’ai beau chercher, j’ignore totalement quoi faire. J’ai l’impression d’être pieds et poings liés.
Moi aussi, j’ai un amant dans le placard. Et quelque chose me dit que lorsqu’il saura pour ces fiançailles, Lucius ne sera pas forcément très heureux. En fait, je me demande même s’il n’en profitera pas pour me larguer…assurer ses arrières, se protéger lui-même de peur de souffrir. Parce que ces fiançailles, ce n’est qu’un début. Viendra le mariage ensuite. La vie commune. Puis…il faudra bien faire des enfants, pour contenter les deux familles. Rien que de penser à cela, mon teint déjà pâle blanchit encore davantage. J’ai envie de vomir. Devoir me retrouver dans le même lit qu’une femme…ah, nul doute que je n’aurai d’autre choix que d’avaler l’une de ces potions destinées aux plus âgés. Ou peut-être me contenter de boire jusqu’à en oublier mon propre nom, oublier ce qui se trouve dans mon lit et imaginer un être plus appréciable.
Non, ce n’est pas viable comme solution. Je ne peux pas finir comme ça, rien que d’y songer, j’ai une furieuse envie de m’enfuir loin d’ici en brûlant tout sur mon passage. Je ne me forcerai pas à partager la couche d’une femme. Pas encore. Plus maintenant. Ce sera mon propre défi face à l’autorité parentale, de les laisser gagner jusqu’au moment de leur donner un héritier. Car c’est bien ce dont il s’agit, n’est-ce pas ? Enfanter un petit aéromancien, en espérant qu’il prenne la magie de mon côté plutôt que de celui de sa mère. Recommencer jusqu’à obtenir la bonne combinaison. Obtenir une tripotée de gamins pour satisfaire les délires de Monsieur Karlsson, encore déçu de n’avoir pu obtenir que trois fils - dont deux hors parcours.
C’est peut-être un peu radical comme façon de s’exprimer, et peut-être qu’elle le prendra mal ; pour ce que j’en ai à faire.
Invité
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L’ombre d’un baisemain traîne entre ses doigts, et Moira sent son dos aussi raide que la planche sur laquelle elle dérive. Elle erre en pleine mer, avec à peine assez d’air pour hoqueter. Le sel colle à sa robe de soirée et à ses paupières, les vagues heurtent ses membres en grands fracas alors que le rivage continue de s’éloigner inexorablement. Et sur ce paquebot qui avance à quelques mètres d’elle, empli de verres de pétillant à sa santé, la foule se tourne vers elle pour assister à sa noyade.
Et il faut encore sourire, se pavaner – elle amuse la galerie en gardant la tête à la surface, alors qu’elle souhaite s’effondrer. Etrangement, le bras de son fiancé l’aide à se maintenir. Pendant les quelques secondes qu’il leur faut pour se mettre à part, elle se retient de s’appuyer plus que de raison, mais elle croit défaillir. L’hydromancienne cherche son familier du regard, mais le violet de l’hippocampe a disparu derrière des murs noirs de monde.
Une fois arrivés à bon port, la jeune femme se fait violence. Elle arbore un sourire charmant, un air heureux qui ne laisse rien transparaitre de son désarroi profond. Sa petite escapade avec sa mère n’était rien de plus qu’un caprice d’adolescente pour l’assemblée, un petit moment pour se remettre de ses émotions. Être ainsi mise sous le feu des projecteurs, voilà de quoi intimider une héritière chétive : elle était oisillon fragile, la personnification de l’innocence.
Un ange de candeur, avec juste assez de provocation pour éveiller les sens de ces vieillards déposant leurs regards envieux sur elle. La brune le savait : il n’y avait rien de plus attirant que l’inaccessible. Son écart sera bien vite oublié : comment pouvait-on la détester ?
Pourtant, Moira se hait. Elle honnit cet héritage, ces mœurs sordides, cette bonne société dont elle fait partie et qui lui crache au visage. Mais il faut tenir bon.
Elle n’a pas d’autres choix.
Lorsque Nero lui confirme qu’il n’avait pas plus connaissance qu’elle de ce projet indécent, elle manque de laisser échapper un soupir de soulagement. Elle se retient en saisissant une coupe de champagne – l’autre ayant disparu elle ne savait où sans qu’elle ait eu le temps d’y toucher. L’apaisement fut bref, mais savoir qu’elle n’était pas la seule idiote dans cette histoire avait quelque chose de rassurant. Elle se sentait un peu moins stupide, peut-être moins abusée.
La voix de son fiancé lui fait lever la tête. « Fais un scandale. »
Cela serait si simple. Une échappatoire, enfin.
Les yeux verts de la sorcière brillent de nouveau. Elle pouvait mettre fin à cette mascarade ici et maintenant. Il ne faudrait pas grand-chose. Elle pourrait se placer au centre de la pièce, appeler de son couteau sur le verre comme on l’avait fait pour elle quelques instants auparavant. Elle priverait sa famille de sa satisfaction, de son pouvoir sur elle, de tout.
Elle n’avait que quelques mots à dire, la tête haute, d’une voix claire. Elle pourrait même user des notes délicieuses de ses mélodies pour ranger quelques alliés de son côté.
Des phrases simples : je refuse. J’en aime un autre.
Moira se sent renaître. On lui apporte une solution, on lui donne un aval qu’elle attendait comme son salut. Peu importait les conséquences : elle serait libre.
Déjà, elle esquisse un pas pour s’éloigner, mais Nero l’arrête d’un regard. Lui qui l’incitait un moment auparavant à provoquer toutes les foudres sur elle, il la dévisageait désormais avec une intensité qui ferait rougir bien des demoiselles de la pièce dans les jours à venir. Qu’elles s’imaginent que les serments se prononçaient déjà, Moira leur laissait leurs rêveries. Elle sait que leur échange alimente les ragots, que leur proximité et leurs yeux accrochés dans l’urgence peuvent donner une apparence d’émoi.
Sauf que les frissons qui parcourent sa nuque ne sont pas ceux d’une femme éprise, mais d’une condamnée aux galères. Les iris de l’aéromancien dansent dans l’horizon du vert d’eau, Moira est happée, muette tandis qu’il la ramène à la réalité.
La ruine. Voilà ce qui la guette. Elle se souvient des leçons d’histoires qu’elle avait ingurgité, ces pages entières qu’on lui enfonçait à la gorge bien plus que de douceurs. Les Karlsson, un clan puissant, redoutable. Cela faisait déjà des années que son père tentait de se rapprocher d’eux. Quand avait-il réussi ce tour de force de la placer dans leur sein ? A quel moment l’influence des Auchincloss avait-elle suffisamment résonné dans les couloirs mondains pour que son écho ne parvienne dans les brises aéromanciennes ?
Est-ce que cela importait, après tout. Son père avait réussi l’œuvre de sa vie, et aller à contre-courant signifierait leur destruction à tous.
Sous le poids d’une couronne d’épine, elle se hâte de siroter quelques gorgées d’or liquide pour se donner contenance. Autrement, elle allait tourner de l’œil.
Nero évoque l’échec total de leur jeu politique, mais Moira sait qu’il s’agit de bien plus que cela. Ceux qui se taisaient pouvaient tout aussi bien être enterrés. Si cette famille décidait qu’ils ne seraient plus rien, même leurs cendres seront oubliées. Il n’était pas question de gravir l’échelle sociale : mais bel et bien de survivre. Ils seraient encore moins que rien, moins que la poussière sous leurs pas.
Ses parents ne survivraient pas à la honte. Sa famille éloignée coulerait avec eux, par effet papillon, et le raz-de-marée emportera leur blason et leurs espoirs.
Mais qu’en était-il des siens ?...
Moira sombre, à mesure que Nero lui remet du plomb dans la cervelle, son sourire se fige un peu plus. Il se cristallise, un minois conçu pour des toiles de maitres, mais il serait plus approprié de parler de portrait funéraire.
Sa mère lui avait déjà dit qu’elle n’était jamais aussi belle que lorsqu’elle pleurait, et Moira était sur le point d’être des plus ravissantes.
En quelques phrases, les rêves qu’elle projetait sur son futur sont de nouveau simples songes à conserver entre ses draps. Les belles promesses échangées sur l’oreiller avec Haesik, les murmures après les baisers sont désormais caresses d’un temps révolu.
Et au fond d’elle, elle sait que Nero a raison : celui qu’elle a choisi pourrait tout aussi bien n’avoir jamais vécu, dans le grand ordre des choses. Il était un grain de sable broyé par une machine trop puissante pour eux, elle se cassait déjà chaque os avant même d’avoir pu attenter une quelconque rébellion.
Moira ne remonte plus à la surface, seul son corps est encore présent, tandis que sa psyché se brise petit à petit.
Cependant, la formulation employée par Nero l’interpelle. Un amant dans le placard.
Couplé à son vœu de ne jamais la toucher, Moira s’interroge. A aucun moment, il ne lui a interdit de revoir son zoomancien. Il ne pose pas de question, son honneur de futur époux semble intact. Il n’en a cure.
Serait-il prêt à accepter un amant, comme il le sous-entend ?
Elle se redresse, digne dans l’épreuve. Malgré elle, les dernières phrases lui tirent le premier véritable sourire de la soirée. La situation est si irréaliste, hors de tout sens, qu’elle trouve de l’humour dans les recoins les plus obscurs.
Un petit rire amusé lui échappe même, et elle sent les regards ravis de sa mère dans son dos. Si elle savait ce qu’ils se disaient…
-
Le désintérêt manifeste de Nero aurait pu la vexer. Elle était une Auchincloss, son orgueil n’avait d’égal que les largesses de sa dot. Elle aimait plaire, séduire, provoquer l’admiration chez les passants.
Elle n’a jamais été aussi heureuse de laisser indifférente. Cela l’arrangeait tant, de lui déplaire. Cet homme qu’elle avait côtoyé de loin depuis quelques temps déjà, à qui elle n’avait que peu adressé la parole, se trouvait irrémédiablement lié à elle – pour un temps du moins.
Il n’était pas plus heureux de ce sort qu’elle, et le soulagement est réel, cette fois-ci. L’ignorance était une chose à partager, la peine en était une autre.
Et elle pouvait se tromper, mais elle avait l’impression qu’ils portaient ensemble ce fardeau.
A ceci près qu’elle, elle n’avait pas dit son dernier mot.
-
Elle se penche vers lui – sans jamais franchir la barrière des convenances si chères à leurs rangs, juste assez pour donner du grain à moudre aux observateurs. Elle fait le bonheur de tous, alors qu’elle prévoit sa fuite.
-
L’idée de porter la robe blanche pour lui, de vivre une éternité infernale à ses côtés, et répondre à ce devoir qu’on attendait d’eux l’insupportait. Evidemment, qu’elle y pense. A cet après en sa compagnie, à ses naissances qu’on guettait.
Il avait amené la conversation de lui-même. Rien que d’imaginer ces mains gantées sur elle, des effleurements d’un autre que celui qui l’attendait à peine quelques kilomètres plus loin la révoltait. ils étaient ainsi sur la même longueur d’onde.
Nero faisait fausse route, cependant. Haesik n’était pas simplement « un amant dans le placard » - sauf une fois. Il était bien plus que cela. Même si son époux se montrait généreux, elle ne voulait pas garder son aimé comme amant. Il méritait bien plus que cette position infamante.
Elle le voulait à son bras, à la vue de tous. Moira avait mis des mois à le réaliser, encore plus à l’accepter. Elle ne fera jamais machine arrière.
-
Elle lui présente sa main, comme le veut l’usage, mais ce ne sont pas ses baisers qu’elle attend. C’est son approbation.
-
Elle sait ce qu’elle sous-entend, elle a conscience des enjeux. Son visage est déterminé, il n’est pas celui d’une petite fille idéaliste qui se croit dans un conte de fées. Moira n’ignore rien des risques, de l’influence des géants qui la surplombent.
C’est parce qu’elle est tout à fait lucide sur les montagnes qu’elle doit soulever qu’elle est forte de sa résolution.
Si Nero n’osait pas agir, elle le ferait pour deux.
L’annonce que le dîner était servi se fait entendre, et sa tête reste pourtant dirigée vers son fiancé. Elle ne sait pas ce qu’elle espère. Ses prétentions à un soutien ont disparu, mais au moins qu’il ne s’y opposerait pas.
Elle était sincère, en disant qu’elle ne le mettrait pas en danger. Contrairement à tous ces beaux parleurs, elle assumera ses propos jusqu’au bout. Il devait juste accepter.
Et ce serait également la seule demande qu’elle lui transmettra.
Elle prend ensuite son bras pour le laisser la mener dans la salle à manger, port de tête altier.
Que le théâtre s’ouvre.
Isolationniste
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Bêta testeur.se aguerri.e
La discordance des temps modernes
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Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
Familier :
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
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Je pense qu’elle a compris, cette demoiselle qui pourtant a l’air d’avoir de l’air à la place de la cervelle. Comme quoi, les apparences peuvent être trompeuses. Satisfait, je m’éloigne légèrement d’elle pour mettre une distance de sécurité. Pourquoi ? J’en sais rien, à vrai dire. Peut-être parce que j’ai peur qu’elle tente de faire semblant, qu’elle m’attrape et m’embrasse comme on s’attend à ce qu’elle le fasse. Heureusement pour moi - pour nous peut-être - la pudeur dont un couple doit faire preuve en public me protège des effusions d’amour creux. Je n’ai donc normalement rien à craindre…pour le moment.
Tu as tort, qu’elle me répond presque immédiatement. Tort sur quoi ? Je hausse un sourcil en la fixant du regard. Tort au sujet de la ruine qu’un scandale lui apporterait ? Tort de la repousser dès les premières minutes alors qu’elle aussi souhaiterait se trouver n’importe où ailleurs plutôt qu’ici ? Tort de l’autoriser à continuer à voir son amant alors que nous sommes mariés ? Quoi, femme ! Pourquoi dire cette simple phrase sans développer quoi que ce soit ?
Je n’ai pas besoin de la relancer, cependant. Et pour le coup, ses paroles m’effraient un peu. Elle ne se laissera pas faire…soit. Mais que compte-t-elle faire qui risque de nous mettre tous les deux face à toute une foule de requins prête à noter chacun de nos faux pas ? D’un seul coup, mon anxiété crève le plafond. Dans ce genre de situation, sa volonté importe peu, normalement. Tout un système est concerné, et c’est ce système qui risque de nous mettre des bâtons dans les roues. Pourquoi fait-elle la difficile ? Pourquoi ne se contente-t-elle pas de se rassurer toute seule sur notre avenir, de se dire qu’elle continuera à voir cet homme qu’elle préfère ? Les femmes ne pensent qu’avec leurs émotions parfois. Je serre la mâchoire pour m’empêcher de répliquer, ce qui lui donne le temps de répondre à nouveau, de s’expliquer en quelque sorte.
Ne rien faire est la seule solution de survie, du moins ma survie à moi. Maintenant que la responsabilité de ce couple en devenir est sur mes épaules, je comprends que chaque écart sera scruté par toutes les personnes présentes ce soir, comme toutes les autres qui s’approcheront de nous dans le futur. En particulier, nos faits et gestes seront analysés par mes parents, qui décideront si oui ou non je réponds à leurs exigences. Comprend-t-elle le dilemme auquel je fais face ? Non, évidemment. C’est une femme, et une petite égoïste en plus de cela, comme toutes les autres avant elle. Des filles élevées dans un cocon incapables de comprendre le monde extérieur, qui ne servent qu’à être la potiche de service et s’afficher comme un trophée au bras de l’homme accompli qu’elles épousent. Pourtant, tout comme je doute d’être véritablement suffisamment “accompli” pour mériter une telle attention, je suis prêt à parier qu’elle n’est pas uniquement une jolie plante tout juste bonne à briller avant de faner prématurément. Ca pourrait être un avantage, si son comportement ne me terrifiait pas au plus haut point.
Nous devons nous rendre dans la salle du banquet, endroit où les codes sont encore plus présents. Je regrette fort de ne pas avoir Thanikos pour me distraire, d’un coup. Parce qu’avec lui à mes côtés, au moins, je me sens moins seul face à ce genre d’épreuve. Mais je sais également pourquoi il est absent : la situation est trop tendue pour qu’il débarque, trop dangereuse pour nous tous. Inconsciemment, je le protège de cet endroit et de ces vipères prêtes à nous détruire en une seule phrase. Je dois apparaître comme quelqu’un de normal, d’équilibré. Mais je suis si seul…
Bras dessus bras dessous, nous entrons ensemble escortés par les convives aux visages trop joyeux pour être honnête. Combien d’entre eux ont déjà décidé de nous mettre des bâtons dans les roues ? Combien nous observent à l’affût du moindre faux pas, dans l’espoir de nous écraser dans la boue et de prendre notre place sous le feux des projecteurs ? Je sens la tension dans l’atmosphère, appuyée par le regard insistant de mes parents. Des siens aussi, d’ailleurs, nos aïeux exigent de nous que nous soyons absolument parfaits.
La table est déjà mise, et les codes sont observés. Les hôtes s’installent au centre, Moira et moi-même juste en face. A leur droite s’assoient le couple Karlsson, ce qui leur permettra certainement de discuter affaires pendant tout le repas. Le reste des invités s’installe selon leur ordre d’importance tout autour de nous, et une fois de plus, le malaise me donne des sueurs froides dans le dos. Je déteste la foule, je déteste les autres, et malgré mon air impassible, j’ai envie de hurler. Au final, c’est un heureux hasard que le monde entier soit habitué à mon comportement robotique ; je n’ai pas à faire semblant, me contente de supprimer entièrement mes émotions et sentiments ici.
Mon dos se raidit à ces quelques paroles échangées, tandis que les aînés se félicitent dans leur égoïsme d’avoir réussi ce coup de maître. En évitant le regard brûlant de ma mère, je tourne la tête vers ma désormais fiancée en priant pour qu’elle n’en rajoute pas une couche. J’aimerais tant fuir à l’instant…mes entrailles sont nouées, ma bouche sèche. Mes pensées se tournent vers Lucius, qui ne s’attend certainement pas à une telle nouvelle ; comment pourrais-je le lui annoncer ? Comment pourrais-je lui dire que ma vie est décidée par d’autres que moi, que notre amour est voué à l’échec depuis le premier jour ? C’était si simple avant, lorsque je n’avais pas encore trouvé l’amour de ma vie…peut-être que s’il n’existait pas, je ne me sentirais pas si mal. Ou peut-être qu’au contraire je serais dans un triste état, sans aucun espoir auquel me raccrocher.
Je me demande ce que dira Ichabod, lorsqu’il lira le journal demain matin. Si tant est qu’il s’intéresse encore aux histoires de l’élite. Est-ce qu’il m’abandonnera de nouveau ? Est-ce qu’il cherchera à me sortir de là ? Nous en avons discuté, lors de nos retrouvailles. Il sait que je n’ai pas le choix. Sait que c’est mon destin tout tracé. Il voulait même, dans un acte héroïque, revenir à la maison pour prendre ma place…et pourtant, rien n’a été fait. Pourtant, c’est bien moi qui finirai la bague au doigt, et lui qui peut profiter de sa liberté pour sortir avec l’une de ces petites minettes qui lui tournent autour.
Ces fiançailles, c’est un peu comme une condamnation à mort. Je repense à cette vie que j’ai subie plus que vécu, je repense à cette prison qui m’a retenu durant si longtemps. Aurais-je dû disparaître des radars il y a treize ans, lorsque j’étais encore en amérique ? Aurais-je dû abandonner ma famille et profiter de cette liberté qu’on m’a offert avant de mieux me la reprendre ? Je repense à cette période, et me souviens de la douleur que mon retour a déclenché dans ma poitrine. Je me souviens de ce désespoir, le même que je ressens aujourd’hui, lorsque j’ai dû abandonner Chris derrière moi sans un mot, de peur de le faire souffrir davantage. De peur de souffrir moi-même. Aujourd’hui, l’histoire se répète. Est-ce que je devrais laisser tomber Lucius ? Est-ce que je peux le garder à côté, ma seule petite lueur d’espoir dans cet abysse qui m’engloutit un peu plus chaque jour qui passe ?
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Quelque part, Moira comprenait les propos de son désormais promis – quelle horreur d’employer ce mot en pensant à cet inconnu ! – et ses craintes. Elle avait toujours considéré les cours et les conversations comme des champs de bataille à part entière. Nul besoin de soldats, d’armes néfastes et de destruction, lorsque le risque se trouvait au détour d’une phrase, une parole malheureuse se substituant aux lames les plus affutées.
Assise aux côtés de Nero à cette table aux allures d’autel sacrificiel, elle sent le regard de sa mère sur elle. Ses yeux sont des discours plus éloquents que n’importe quelle déclaration sur le podium. Elle entend même ses mots entre ses oreilles : rien ne viendra à toi gratuitement, ma fille. Souhaite-tu te satisfaire d’une vie ordinaire lorsque tu peux avoir le monde ?
Moira veut tout, en effet. La gloire, l’argent et le statut. Mais ces derniers mois lui ont appris qu’elle demandait encore davantage : elle désirait également les élans passionnés, les rêveries de jeunesse. Ce à quoi elle n’a jamais osé songer était venue s’imposer à elle en la personne d’un fantôme des étés passés, et elle ne pouvait y renoncer.
L’aéromancien l’a prévenu : pas d’imprudence. Et la jeune fille ne compte pas se montrer si insouciante : comment le pourrait-elle, avec tous ses regards braqués sur elle ? Elle tentait de rassurer son compagnon d’infortune, saisie d’une sympathie terrible à son égard. Ils étaient deux prisonniers dans cette galère les amenant au bagne marital, elle se voit mal lui reprocher son commentaire sec de tout à l’heure.
Tandis qu’elle l’observe du coin de l’œil, en prétendant se régaler de mets qu’elle voudrait recracher aussitôt, ses réflexions se mêlent aux clameurs et bruits de couvert entre les dents. Il n’était pas désagréable à regarder. Pas son genre, évidemment, mais loin d’être hideux. Elle s’imagine que dans le cheminement de ses parents, ils l’avaient particulièrement gâtée. La Gardienne des Ecrits avait conscience qu’ils auraient pu lui soumettre un candidat bien plus détestable. Un homme deux fois plus vieux, sans charme ni avantage autre que sa bourse pour trouver grâce à ses yeux. Ils avaient peu ou prou le même âge, avaient pour eux l’apparence et la réputation.
Cependant, Moira savait. L’homme à côté d’elle était un acteur, tout comme elle. Pas plus tard que ce mois-ci, elle l’avait vu à la fête de l’hiver, plus détendu, et les échanges guindés prenaient alors la forme de boule de neige dans l’air glacé. Qu’en était-il ce soir, où se trouvait ce garçon véhément et disposé à la bagatelle qu’elle avait aperçu ?
Il souhaitait lui laisser le droit de voir Haesik, et cet arrangement n’était pas si horrible, sur le papier. Une vie commune d’apparat, et chacun leurs aimés sous le balcon. Une histoire vieille comme le monde, et qui pourrait être bien plus tragique.
Moira se laisser aller à l’hypothèse. Si elle n’avait pas rencontré Haesik, si elle n’était pas tombée amoureuse, aurait-elle eu cette réaction épidermique ? Elle qui avait toujours su qu’elle était destinée à un grand mariage et des projets faramineux – fortune de son prénom – elle supposait qu’elle aurait plié. Cette hydromancienne de début d’année aurait certainement trouvé son compte, peut-être même aurait-elle été satisfaite dans une certaine mesure.
Mais qu’importe les « et si » désormais. Elle se refusait à céder. Elle avait trop enduré, trop accepté. Alors, ses parents avaient encore choisi pour elle, qu’ils aillent au diable. Elle jurait solennellement que, plus tard, ce qu’ils diraient n’aura aucune sorte d’importance. Pas ce soir, pas maintenant. Elle ne voulait pas placer Nero dans l’embarras, avec son insistante de « rester à sa place ».
C’était donc ce qu’elle faisait, pour l’heure. Personne ne pouvait lui reprocher ses manières impeccables, les sourires qu’elle adressait à ses parents et sa belle-famille. Elle allait même jusqu’à parfois adresser la parole à son fiancé, s’enquérant de tout et de rien pour faire bonne figure.
-
Elle ressent comme une chappe de plomb les regards satisfaits des familles sur elle. La jeune fille ingénue qui se demande à quoi sa vie future va ressembler, qui se dévoue au petit plaisir de son mari, n’était-ce pas le tableau parfait ? Tandis qu’ils se félicitent allégrement dans un dithyrambe révoltant, elle prétend. L'hydromancienne n’a que faire de la réponse, tout comme elle se doute que la question irrite plus son interlocuteur qu’autre chose.
Moira ne porte aucun intérêt à ceux de cet époux tout trouvé. Qu’il aime la lecture, les jeux d’argent ou même empailler des souris, grand bien lui fasse. Il ne sera bientôt plus son problème, cela elle se le promet. Son interrogation a cependant un but caché : qu’il voit qu’elle tient parole. Il n’y aura pas de scandale ce soir, pas de grande scène les mettant sous la guillotine.
Elle joue son rôle pour eux deux, elle espérait qu’il apprécierait l’effort. Qu'il voit qu'elle est digne de confiance, dans l'espoir de trouver un peu de réconfort dans une alliance d'infortune. Son caractère impétueux est bridé, Moira déteste se sentir en laisse. Mais elle continue de sourire, avaler son repas, minauder à droite et à gauche. Seule la manière dont elle serre ses doigts fins sur sa fourchette trahit parfois la tension qui a envahi son dos, tous ses membres.
Les affaires des deux familles occupent une bonne partie des différentes entrées, et les plats sont aussi insupportables. Le coup de grâce vint à l’évocation des noces.
- Nous commencerons à préparer le mariage dès que possible. Peut-être devrions-nous prévoir un rendez-vous plus tard, pour le thé sûrement ?
Les voix parentales la crispent un peu plus. Comme si elle était capable de parler robes blanches, liste d’invités qu’elle ne connaitra de toute manière aucunement et réception entre deux scones. Elle se demandait combien de temps dureraient ses fiançailles – si leurs ainés avaient choisi de respecter la tradition d’un an ou si au contraire, ils voulaient expédier cela au plus vite. Paradoxalement, un long engagement l’arrangerait, elle aurait ainsi plus de temps pour défaire cette union en devenir.
- Nous devons également encore discuter des derniers détails, afin de sceller cette heureuse occasion dans la roche.
Moira blêmit de nouveau, et elle croit perdre connaissance quelques secondes. Yeux clos, elle prétend savourer sa bouchée pour camoufler cette pamoison certaine. « Les détails », voilà qui sonnait atrocement précis dans leur paroles vagues. Elle se doute de ce qu’il s’agit.
Le contrat qu’elle devra signer, énonçant les modalités de sa future vie. Dans quelle résidence elle vivra, le partage des richesses.
Le nombre d’enfants prévu. Elle ne se fait aucune illusion, les arrangements familiaux sont toujours assez classiques dans le cas d’une fille unique. Il lui sera probablement demandé de pondre des garçons. Au moins trois, s’ils se montrent généreux. Deux garçons aéromanciens, sûrement, et un hydromancien pour reprendre le nom Auchincloss destiné à disparaitre avec elle. Moira savait déjà ce qu’il arrivera si elle ose demander ce qu’il se passera si elle ne donne naissance qu’à des filles, ou qu’un Coven prend la préférence de ses grossesses.
Son corps n’est plus qu’une propriété à leurs yeux, et il est déjà assez horrible d’imaginer s’allonger auprès d’un homme inconnu, il l’est encore plus de penser qu’elle devra mettre bas comme un vulgaire animal encore et encore. Nero a beau l’avoir assuré sur le fait qu’il ne souhaitait absolument pas remplir son devoir conjugal, combien de temps tiendraient-ils face à la pression des deux côtés ? S’il courbait déjà l’échine sur le mariage, qu’est-ce qui lui garantissait qu’il ne mettrait pas genou à terre pour le reste ?
Elle se force à revenir à elle, à prétendre que tout va bien, malgré le malaise qu’elle a combattu à l’instant. Moira doit se reprendre, continuer de jouer les filles modèles. C’est dans ses cordes, assez pour s’y pendre.
Fais face, Moira, imagine-t-elle son pauvre hippocampe lui intimer de son aquarium. Et elle s’exécute, évidemment, alors que sa mère reprend la parole en s'adressant à Mrs Karlsson. Elle repousse les limites de sa propre endurance, et se raccroche à son projet de ne rien accepter…
- Bien sûr, demandez ce que vous souhaitez à Moira. Elle se fera un plaisir de vous assister et de faire tout ce que vous jugerez nécessaire.
-
…Car une seule pensée la maintient en place : elle se refuse à cette charade. Le monde ne s’arrête pas de tourner, il en donne juste l’impression.
Si seulement elle pouvait plus s’appuyer sur Nero. Savoir qu’il avançait à reculons tout comme elle aurait pu être une bénédiction, et pourtant elle se sent sombrer toute seule. Elle commence à croire qu’elle ne trouvera aucun soutien de sa part, et cela achève de la démolir. Elle regrettait les temps plus simples, quand sa seule préoccupation était de jouer dans la neige. Moira se sent lasse, fatiguée de prendre des initiatives.
Le repas se poursuit avec une lenteur tortueuse, et lorsqu’elle sort de table, Moira salue les invités d’un signe de tête, sourit mais elle n’est déjà plus là – son esprit a rejoint d’autres compagnies plus agréables. Elle reste aux côtés de son assigné, attendant que sa belle-famille vienne faire sa connaissance, ou que les danses ne démarrent, et qu’on s’attende à ce qu’elle entame avec son père, beau-père, fiancé ou qu’importe. Elle était femme dans une marée de requins.
Elle est pantin dans ce monde, alors elle les laisse la guider. Qu’il la mette en scène s’ils le souhaitaient, mais qu’on ne lui demande pas d’improviser.
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Tuer le temps : Bourrasqueur des Enfants des Vents depuis 2016, il est destiné à avoir un grand avenir en politique. Avenir dont il ne veut pas, assurément, mais qu'il n'a pas vraiment d'autre choix que de poursuivre sous peine de conséquences désastreuses.
Familier :
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
Freja, la chouette chevêche qui semble en permanence en colère. Ce n'est pas qu'une apparence, croyez-le ; elle déteste tout et tout le monde. Attention aux coups de bec !
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J’ai complètement dissocié, je crois. Mon esprit vagabonde ailleurs, flottant au-dessus de la ville jusqu’à atteindre un certain quartier, un certain appartement. Mon coeur se serre tandis que je repense à Lucius, encore et encore. Chaque geste, chaque parole, même cette légère brise de l’air conditionné me rappelle son visage. Ce visage aimé qui sera déformé par la tristesse lorsqu’il apprendra la nouvelle, sa voix tremblante, ce désespoir partagé qu’il ne pourra supporter. Est-ce qu’il me laissera tomber pour cette raison ? En serait-il capable ? Oh, Lucius…je ne pourrais pas supporter cette nouvelle épreuve seul. J’ai terriblement besoin de toi, maintenant. Mes défenses ont été altérées, ce mur épais que j’ai érigé entre moi et le reste du monde est couvert de brèches et commence à tomber en ruines. Si tu m’abandonnes, Lucius, c’est moi qui abandonne cette vie.
Mon teint est blême, mes yeux morts lorsque je tourne la tête vers ma fiancée. J’essaye de me détacher au maximum de ce qui nous retient ici, mais je constate vite qu’il va falloir que je redescende sur terre. Les mains crispées sur mes couverts à en faire blanchir les jointures, il me faut faire un effort colossal pour comprendre les paroles qu’elle vient de déblatérer. Une question ? Non, pas n’importe quelle question. Elle tente de faire la conversation, de me connaître peut-être. Je suis tenté de l’envoyer chier je dois avouer, mais ce n’est pas le moment. Elle fait des efforts devant nos aïeux, s’assure qu’on ne vienne pas nous chercher des noises. Peut-être que si nous faisons suffisamment bien semblant, on nous laissera un peu de liberté ? J’imagine mal mes propres parents espionner nos faits et gestes dans la chambre conjugale, mais…je ne suis pas non plus certain à cent pour cent, si je leur donne la moindre occasion de douter de mes intentions. Je soupire discrètement, pose les couverts et conserve les mains sous la table, comme l’étiquette anglaise l’exige. Puisqu’elle semble vouloir faire un effort, je ne vais pas la bloquer dans l’immédiat et me plier à son petit jeu. C’est préférable à une esclandre, n’est-ce pas ?
“Le temps manque aux loisirs. Je n’en ai pas.”
C’est faux, bien entendu, cependant c’est ce que ma propre famille pense de moi. Constamment dehors, à enchaîner les contrats comme l’exige mon rôle de Bourrasqueur. J’ai bien une certaine passion pour l’astrophysique et la musique, deux domaines que je n’ai malheureusement pas le loisir de développer. La tête dans les étoiles, ce n’est pas appréciable pour un Karlsson, pas suffisamment prestigieux. La musique ? C’est peut-être pire, encore. Savoir en jouer - surtout du piano plus qu’autre chose, certains instruments n’étant pas considérés comme suffisamment nobles - et l’analyser est normal pour un aéromancien, on n’en attend pas moins de moi. En ce sens, Thanikos a de la chance ; lui a le droit de poursuivre ses envies, d’apprendre encore et encore, de développer des compétences diverses. Encore une raison d’être jaloux de mon alter le plus encombrant.
Le temps passe, et j’avoue que je ne suis pas plus réveillé qu’avant. Robotique à souhait, le visage neutre et le regard aussi mort qu’un poisson hors de l’eau, je ne saisis plus grand-chose de ce qui se passe autour de moi. Mon esprit est lui aussi étrangement calme ; l’inconscient, comme d’habitude, qui protège toutes les personnes présentes dans ce corps et me laisse démuni face à la réalité. C’est peut-être pour le mieux. J’ai toujours mis un point d’honneur à protéger Thanikos, lui permettre d’avoir une vie normale hors de portée pour moi. Je ne suis même pas certain de lui avouer cet événement, il n’a pas à savoir que nous sommes fiancés maintenant. Il peut…continuer à être heureux avec Lucius. Être heureux tout court.
Le repas se termine sur de belles promesses, une félicitée que je peux sentir de l’autre côté de la table et qui me donne envie de vomir. Ils sont si heureux d’avoir fait une bonne affaire ! Comme si nous étions deux morceaux de viande achetés sur le marché, échangés et baladés avec fierté. Je n’arrive pas à trouver du positif à cette situation - comme si j’étais doué pour cela, à l’origine…non, tout ce que j’espère, c’est qu’une météorite tombe sur cet endroit et le réduise en poussière. Oui, j’espère voir la mort arriver plutôt que de mettre la bague au doigt à cette demoiselle que je ne connais définitivement pas suffisamment.
Nous finissons par quitter la table, et selon les coutumes, il s’agit désormais d’entamer le bal. Elle et moi en premier sur la piste de danse, comme la tradition l’exige, les codes de ce monde qui m’est de plus en plus étranger. Le dos droit, toujours aussi tendu et robotique, je conserve un bras ferme offert à ma fiancée. Nous n’avons pas vraiment parlé durant le repas, n’avons pas pu se concerter sur ce que nous devions faire ou non. Cependant, les paroles échangées par nos aînés n’ont pas dû passer inaperçu ; elle sait ce qu’ils comptent faire. Précipiter les choses, nous marier avant que nous ne tentions quoi que ce soit contre cette décision.
Au centre de la piste, toujours aussi digne, j’attrape Moira par la taille et retient l’une de ses mains de l’autre côté. C’est que je ne suis pas très doué en danse, ayant réussi à y échapper durant toutes ces années. Mais il paraît que c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Je l’ignore, je n’ai jamais fait de vélo de ma vie. C’est une expression comme une autre, donc.
“Les avez-vous entendu ? Au sujet des préparatifs.”
Ma voix n’est qu’un murmure, mes lèvres bougent à peine tandis que la musique nous entraîne tous les deux dans une valse plus codifiée encore que ce que nous venons de traverser. Je fais attention à chacun de mes gestes - n’importe quel faux pas donnerait lieu à un article long comme le bras, avec tous ces regards rivés sur nous à l’affût de la moindre erreur - et ma concentration crève le plafond. Pourtant, je trouve tout de même le moyen de discuter.
“Ils vont accélérer les choses. Nous emprisonner avant qu’on puisse faire quoi que ce soit. N’est-ce pas ? Je…ne sais pas quoi faire. Plus j’y pense, et plus j’ai envie de les tuer. Six pieds sous terre, nous serions libres, non ?”
C’est peut-être l’influence de Jake qui parle à ma place, pourtant cette réflexion vient bien de ma propre psyché. C’est qu’il ne vient pas de nulle part, mon alter le plus violent…
Mais soudain, mes paroles paraissent un peu trop brutale pour un homme respectable comme je suis censé être. Je fronce les sourcils un instant, avant de reprendre une expression neutre. S’il se passe effectivement quelque chose et qu’elle se souvient de cette réflexion, elle serait capable de me jeter sur les rails d’un train à pleine vitesse. Et malgré ma richesse, je risque tout de même un scandale et un petit séjour derrière les barreaux. Oh, rien de très long, voyons ; on n’enferme pas un Karlsson si facilement. Mais ce serait tout de même gênant, et ternirait ma réputation jusqu’à la fin de mes jours. Je me racle donc la gorge, et me force à afficher un sourire factice.
“Bien entendu, ce n’est qu’une hypothèse. Pas une menace pour qui que ce soit. N’allez pas penser que je serais capable de lever la main contre eux. Croyez-moi, si c’était possible, je l’aurais déjà fait et nous ne serions pas là à subir leurs caprices.”
Mon teint est blême, mes yeux morts lorsque je tourne la tête vers ma fiancée. J’essaye de me détacher au maximum de ce qui nous retient ici, mais je constate vite qu’il va falloir que je redescende sur terre. Les mains crispées sur mes couverts à en faire blanchir les jointures, il me faut faire un effort colossal pour comprendre les paroles qu’elle vient de déblatérer. Une question ? Non, pas n’importe quelle question. Elle tente de faire la conversation, de me connaître peut-être. Je suis tenté de l’envoyer chier je dois avouer, mais ce n’est pas le moment. Elle fait des efforts devant nos aïeux, s’assure qu’on ne vienne pas nous chercher des noises. Peut-être que si nous faisons suffisamment bien semblant, on nous laissera un peu de liberté ? J’imagine mal mes propres parents espionner nos faits et gestes dans la chambre conjugale, mais…je ne suis pas non plus certain à cent pour cent, si je leur donne la moindre occasion de douter de mes intentions. Je soupire discrètement, pose les couverts et conserve les mains sous la table, comme l’étiquette anglaise l’exige. Puisqu’elle semble vouloir faire un effort, je ne vais pas la bloquer dans l’immédiat et me plier à son petit jeu. C’est préférable à une esclandre, n’est-ce pas ?
C’est faux, bien entendu, cependant c’est ce que ma propre famille pense de moi. Constamment dehors, à enchaîner les contrats comme l’exige mon rôle de Bourrasqueur. J’ai bien une certaine passion pour l’astrophysique et la musique, deux domaines que je n’ai malheureusement pas le loisir de développer. La tête dans les étoiles, ce n’est pas appréciable pour un Karlsson, pas suffisamment prestigieux. La musique ? C’est peut-être pire, encore. Savoir en jouer - surtout du piano plus qu’autre chose, certains instruments n’étant pas considérés comme suffisamment nobles - et l’analyser est normal pour un aéromancien, on n’en attend pas moins de moi. En ce sens, Thanikos a de la chance ; lui a le droit de poursuivre ses envies, d’apprendre encore et encore, de développer des compétences diverses. Encore une raison d’être jaloux de mon alter le plus encombrant.
Le temps passe, et j’avoue que je ne suis pas plus réveillé qu’avant. Robotique à souhait, le visage neutre et le regard aussi mort qu’un poisson hors de l’eau, je ne saisis plus grand-chose de ce qui se passe autour de moi. Mon esprit est lui aussi étrangement calme ; l’inconscient, comme d’habitude, qui protège toutes les personnes présentes dans ce corps et me laisse démuni face à la réalité. C’est peut-être pour le mieux. J’ai toujours mis un point d’honneur à protéger Thanikos, lui permettre d’avoir une vie normale hors de portée pour moi. Je ne suis même pas certain de lui avouer cet événement, il n’a pas à savoir que nous sommes fiancés maintenant. Il peut…continuer à être heureux avec Lucius. Être heureux tout court.
Le repas se termine sur de belles promesses, une félicitée que je peux sentir de l’autre côté de la table et qui me donne envie de vomir. Ils sont si heureux d’avoir fait une bonne affaire ! Comme si nous étions deux morceaux de viande achetés sur le marché, échangés et baladés avec fierté. Je n’arrive pas à trouver du positif à cette situation - comme si j’étais doué pour cela, à l’origine…non, tout ce que j’espère, c’est qu’une météorite tombe sur cet endroit et le réduise en poussière. Oui, j’espère voir la mort arriver plutôt que de mettre la bague au doigt à cette demoiselle que je ne connais définitivement pas suffisamment.
Nous finissons par quitter la table, et selon les coutumes, il s’agit désormais d’entamer le bal. Elle et moi en premier sur la piste de danse, comme la tradition l’exige, les codes de ce monde qui m’est de plus en plus étranger. Le dos droit, toujours aussi tendu et robotique, je conserve un bras ferme offert à ma fiancée. Nous n’avons pas vraiment parlé durant le repas, n’avons pas pu se concerter sur ce que nous devions faire ou non. Cependant, les paroles échangées par nos aînés n’ont pas dû passer inaperçu ; elle sait ce qu’ils comptent faire. Précipiter les choses, nous marier avant que nous ne tentions quoi que ce soit contre cette décision.
Au centre de la piste, toujours aussi digne, j’attrape Moira par la taille et retient l’une de ses mains de l’autre côté. C’est que je ne suis pas très doué en danse, ayant réussi à y échapper durant toutes ces années. Mais il paraît que c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Je l’ignore, je n’ai jamais fait de vélo de ma vie. C’est une expression comme une autre, donc.
Ma voix n’est qu’un murmure, mes lèvres bougent à peine tandis que la musique nous entraîne tous les deux dans une valse plus codifiée encore que ce que nous venons de traverser. Je fais attention à chacun de mes gestes - n’importe quel faux pas donnerait lieu à un article long comme le bras, avec tous ces regards rivés sur nous à l’affût de la moindre erreur - et ma concentration crève le plafond. Pourtant, je trouve tout de même le moyen de discuter.
C’est peut-être l’influence de Jake qui parle à ma place, pourtant cette réflexion vient bien de ma propre psyché. C’est qu’il ne vient pas de nulle part, mon alter le plus violent…
Mais soudain, mes paroles paraissent un peu trop brutale pour un homme respectable comme je suis censé être. Je fronce les sourcils un instant, avant de reprendre une expression neutre. S’il se passe effectivement quelque chose et qu’elle se souvient de cette réflexion, elle serait capable de me jeter sur les rails d’un train à pleine vitesse. Et malgré ma richesse, je risque tout de même un scandale et un petit séjour derrière les barreaux. Oh, rien de très long, voyons ; on n’enferme pas un Karlsson si facilement. Mais ce serait tout de même gênant, et ternirait ma réputation jusqu’à la fin de mes jours. Je me racle donc la gorge, et me force à afficher un sourire factice.
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Tout le monde a des loisirs.
C’est ce qu’avait envie de lui répondre Moira, en entendant son fiancé répondre d’un ton guindé, très approprié pour l’occasion. Elle se mordit cependant la langue, et garda son opinion pour elle. Il serait de mauvais ton de publiquement contredire son promis de la sorte. Egales en tout point sur le papier, les convenances avaient encore la vie dure dans la haute société, et l’hydromancienne était trop intelligente pour commettre ce faux pas maintenant.
Il n’en reste pas moins que l’affirmation laconique de l’héritier Karlsson lui fait hausser un sourcil. L’expression a disparu aussi vite qu’elle est apparue. Moira sait dissimuler, elle-aussi. Elle s’interroge en silence, sur la véracité de ses propos.
Qu’elles soient ennuyeuses ou passionnantes, diverses ou réduites, les occupations rythmaient la vie de tout un chacun. La jeune femme en comptait déjà trois pour elle-même : le chant, la danse et agacer les autres. Nero n’était pas dispensé de passion, elle ne connaissait personne en ce bas monde totalement dépourvu d’intérêt. Le temps, cette denrée rare, se prenait quand il le fallait. Et elle en avait été témoin à la fête de l’hiver, il était loin d’être le dernier à répondre présent lorsque l’amusement sonnait.
Que cela soit la lecture, le sport ou empailler des bébés animaux, il devait obligatoirement garder un recoin à l’écart de leurs regards indiscrets.
Ce qui lui signifie donc que ses mots ne sont que mensonges destinés à leurs oreilles. A cette bande d’aristocrates qui n’était qu’une plèbe grouillante, des rats passant sous les tables pour récolter la moindre miette tombant devant eux. Les aspirations des futurs mariés et la manière dont ils remplissaient leurs journées n’avaient aucune importance, pour eux. Elle ne pouvait en vouloir à Nero de souhaiter conserver cette partie de lui-même secrète. Ils n’étaient pas autorisés à sortir des cases, à choisir. Qu’ils pensent auraient été un sacrilège, bien loin d’eux l’idée d’avoir un avis sur la question. Respirer était même contrôlé, comme le prouvait ses halètements qu’elle cachait du mieux qu’elle pouvait depuis le début de cette soirée terrible.
Ses réflexions l’amènent également à se demander à quelles personnes il laissait le privilège de connaitre la vérité. Entre deux gorgées d’eau fraîche pour se requinquer, elle espérait pour lui que quelqu’un soit suffisamment proche pour être admis dans ses messes basses, les chœurs qui l’animaient loin de ces nantis aux yeux baladeurs et sans émotion.
Mais qu’en savait-elle ? Peut-être était-il l’exception qui confirmait la règle, que rien ne travaillait cet homme glacial hormis son emploi. La probabilité qu’il soit bel et bien la machine parfaite, créée pour produire et assurer le prestige familial était ténue mais existante.
Quelque part, elle en doutait.
Pour la énième fois ce soir, la Gardienne des écrits sentait émaner de lui la même détestation pour cet enfer qu’elle arborait. Et même si elle se faisait des idées, cela l’aidait à tenir droite.
Ils ouvrirent le bal, et elle se retint de grincer des dents en sentant sa main sur sa taille, l’autre dans la sienne. Non pas que le trouve particulièrement repoussant, mais elle avait toujours choisi ses cavaliers selon ses envies. Il avait beau être jeune, bien présenter et observer une prestance indéniable, elle n’avait aucune envie de sentir sa peau contre la sienne.
Fort heureusement il portait des gants.
Une partie d’elle lui soufflait qu’elle devait déjà se faire à l’idée, si le pire devait advenir. Dans d’autres circonstances, s’ils avaient échangé en connaissances agréables au cours de la soirée, peut-être aurait-elle pu apprécier une danse en sa compagnie. Elle qui ne vivait que pour les enchaînements de pas compliqués et la musique au bout des doigts, elle ne se serait pas opposé à ces tournoiements répétés.
Sauf que se trouver dans ses bras, attirant l’admiration de tous en passant, n’était qu’un énième rappel que l’homme devant elle n’était pas celui qu’elle attendait. Moira évoluait donc sur la piste, dans une robe neuve et reflétant la lumière de tous les candélabres, alors qu’elle préférerait virevolter en pyjama dans la lumière bleutée d’une petite cuisine. Lorsqu’elle était avec Haesik, elle avait l’impression que la ville lui appartenait, qu’en emplissant l’espace par le bruit que produisaient leurs rires, elle pourrait tromper l’ensemble du monde.
Et ce soir, elle dansait avec la grâce qui la caractérisait, essayant d’oublier un instant ce qui se tramait. Mais elle n’avait pas envie de valser, si ce n’était pas avec celui qu'elle appelait secrètement de ses vœux.
Demeurait que Nero n’était pas un mauvais danseur, enfin… pas à probablement parlé. Les gestes étaient ceux que l’on attendait, il la menait comme il se devait. Moira ne sentait pas plus d’entrain que cela dans ses mouvements, mais elle pouvait difficilement le lui reprocher. Elle était cependant prête à parier qu’il ne nourrissait aucune affection pour l’activité, et cela la convainc un peu plus qu’ils étaient horriblement mal assortis.
Elle tenterait bien de l’aider un peu, mais elle n’a pas envie de se donner en spectacle si cela tourne mal. Quelques petites pirouettes par ci et par là suffirait à rendre l’épreuve moins pénible, et encore. Mais tout tenait en l’habilité de l’homme – quelle qu’en soit la quantité – et l’alchimie du couple – ce qu’ils ne possédaient nullement.
Mais ils parviennent à donner le change, sûrement grâce aux restes d’un enseignement classique si ancré en eux qu’il faudrait probablement les trépaner pour les extraire.
Cette proximité forcée à l’avantage de leur donner un semblant d’intimité. Pas de celle qu’espère leurs parents, évidemment. Elle les perçoit du coin de l’œil lorsque sa tête fait le tour de la pièce, à scruter les premières lueurs d’une romance qui ne verra jamais le jour. Si seulement ils désiraient vraiment que cela soit le cas. Les deux richissimes paires de couples ne s’aimaient probablement guère plus lorsqu’ils s’étaient mariés, ils s’en étaient accommodés du mieux qu’ils pouvaient. Moira ignore ce qu’il en est du côté Karlsson, mais elle sait au moins que les Auchincloss seraient plus qu’heureux si elle venait à apprécier son fiancé. Pour tous leurs défauts, ils souhaitaient son bonheur – bien qu’ils prennent le problème dans tous les mauvais sens possibles.
Malheureusement pour eux, leur fille n’avait aucune trace d’attachement naissant à leur présenter.
Quoi qu’il en soit, les deux sujets des épousailles pouvaient à présent parler avec un minimum de tranquillité, pour parler à voix basses. Qu’ils s’imaginent des minauderies niaises si cela leur chantait, Moira présentait un sourire parfait qui fera la une des journaux le lendemain, mais qu’ils ne s’y trompent pas. Chaque seconde ainsi accordée n’est qu’une nouvelle opportunité de comploter pour sortir de cette situation désastreuse.
Les paroles à peines audibles de son fiancé lui parviennent, et les phrases à peine perceptibles la rassurent un peu. Elles restent froides, mais n’ont plus ces accents de faux-semblants qui lui hérissaient le dos. Il donne au monde l’illusion de la courtoisie la plus pure, sachant que toute l’attention convergeait vers eux. L’hydromancienne n’en mène pas large, elle mesure sa cadence tout en œuvrant pour entendre ce qu’il essayait de lui dire.
Elle hoche imperceptiblement la tête.
Bien sûr qu’elle avait entendu ce qui se disait autour d’eux, les projets que l’on plaçait devant eux sans qu’ils n’aient leurs mots à dire.
-
Elle essaie de se convaincre elle-même. Elle suppose que le voile est déjà posé sur sa tête, que tout est décidé d’avance pour les instigateurs de son malheur. Mais même avec la meilleure volonté du monde, ils étaient pris à leur propre jeu. Les règles qu’ils avaient imposées étaient celles du faste, et il n’aura aucune prise sur le temps.
Ils avaient peut-être choisi le lieu, la liste des invités, le décor. Mais ils avaient dû choisir une date plus éloignée, afin de s’assurer que le maximum de leurs amis soient disponibles pour ce jour ô combien important. La confection des tenues, les derniers détails pour son emménagement dans sa nouvelle demeure, tout cela exigeait une patience qui leur faisait défaut, mais qui convenait parfaitement à Moira. Si elle en a la possibilité, elle fera durer cet entre-deux aussi longtemps que possible.
En continuant sa mascarade de jeune fille gâtée, qui voulait que tout soit parfait pour le grand jour, elle pourra aisément traîner sur le moindre petit élément, sans paraitre hors de propos. Que pouvait-on reprocher à une jeune fille qui souhaitait que tout soit parfait pour le plus beau jour de sa vie ?
Et soudain, son fiancé se montre vulnérable pour la première fois, trébuchant sur ses mots dans un aveu d’impuissance qui lui brise le cœur. Elle se lamente également, profusion d’auto-apitoiement dansant dans ses yeux tout comme leurs silhouettes. Mais elle ressent également un pincement dans son âme, lorsqu’il admet être aussi perdu qu’elle. Moira a le sentiment de le comprendre un peu pour la première fois depuis qu’ils avaient été enchaînés l’un à l’autre. Le constat qu’il se sentait aussi pieds et poings liés qu’elle, peut-être même tout aussi désemparé…
La vague de compassion s’écroule sur elle, et la fiancée sert légèrement sa main dans la sienne. Qu’ils y voient un signe de tendresse, il s’agissait simplement d’un geste de soutien. Naïvement, elle tentait de lui montrer qu’il n’était pas seul à dériver. La notion que Nero ne soit pas adepte de cette marque d’alliance lui traverse l’esprit, mais elle l’estime nécessaire. Elle sera toujours plus agréable que celle qu’ils souhaitaient tatouer à leur annulaire.
Si les mots ne pouvaient être prononcés, au moins exprimait-elle leur agonie commune dans un silence éloquent.
Elle compte exposer l’idée à Nero, quand ses prochaines paroles lui glacent le sang. Elle manque même d’esquisser un faux pas, se reprenant juste à temps.
Moira ignore s’il s’agit d’une plaisanterie macabre, ou d’un véritable souhait. Elle relâche lentement la main qu’elle avait serrée, tout en étudiant son visage avec attention.
Elle qui avait affirmé en hurlant dans les cavernes sombres de son fort-intérieur qu’elle pourrait assassiner ses parents pour ce qu’ils lui faisaient subir est retournée par le souhait formulé à haute voix. Il était une chose songer au pire, de laisser les pensées intrusives prendre le dessus de temps à autres. Elles laissaient toujours un sentiment de culpabilité intense, qui s’estompait lorsque l’on œuvre pour les enterrer sous les émotions positives.
C’en était une autre que d’énoncer clairement lesdites idées interdites.
Ou l’était-ce réellement ?
Moira se sait hypocrite, comme souvent. Combien de fois avait-elle imaginé la mort de ses parents ? D’abord enfant, pour s’attirer la sympathie des autres ? Ou au cours de sa longue adolescence, qui se poursuivait dans sa vie d’adulte ? La volonté passagère d’être enfin aptes à faire ce que bon lui semblait, sans se soucier de ce que ses tuteurs pourraient critiquer, ou saccager.
Oui, Moira avait déjà pensé au jour où sa famille s’éteindrait, maintes et maintes fois. Mais elle n’était jamais à l’origine de cette issue. La perception éphémère que tout serait mieux ainsi, elle l’avait eu. Elle ne l’avouera jamais, qu’elle comprenait un tout petit peu ce que sous-entendait Nero.
La différence était qu’elle ne pouvait considérer ce futur hypothétique sans le regretter immédiatement. Moira reprochait bien des choses à ses géniteurs, mais elle les aimait profondément. Elle savait que leur trépas la dévastera inévitablement, et elle se sent toujours au plus bas lorsque ses désirs les plus sombres remontaient à la surface.
L’air semi-sérieux, mais également un peu rêveuse de Nero en évoquant cette idée la perturbait donc, tout en trouvant un écho chez elle.
Elle prend le parti de le prendre à la légère, pour des paroles en l’air émises dans un soubresaut de désespoir.
Mais elle déteste la manière dont il la fait douter, examiner ce choix – qui n’en était pas un, qu’est-ce qui lui prenait ?!
Elle devait cependant reconnaitre que…
-
Dans une autre vie,
Moira serait ainsi libérée de ses obligations, dans son droit de choisir qui elle le souhaitait sans craindre de représailles. Quelque part, l’idée avait ses bons côtés.
Quel dommage que quatre personnes doivent rendre l’âme pour cela, et qu’elle ait le cœur bien trop tendre pour considérer l’hypothèse avec autre chose qu’effroi.
Les prochaines paroles de Nero, après un raclement de gorge, ne la rassurent pas plus. Qu’il se sente le besoin d’affirmer qu’il ne commettra rien d’irréparable – et pire – qu’il l’aurait déjà fait s’il l’avait pu, était plus qu’inquiétant.
Moira secoua la tête. Elle se faisait des idées, ce n’était qu’une manière d’évacuer la tension, de se soulager. Elle n’était pas fiancée à un dangereux psychopathe, il était tout ce qu’il y avait de plus normal. Elle avait suffisamment de problèmes comme cela pour ajouter des pulsions meurtrières à la liste.
Décidant de passer outre, elle répond d’une voix guère plus haute que la sienne.
-
Alors que la musique entame ses dernières notes, elle se penche vers lui, sous le cliquetis des photographes.
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Dans un optimisme forcé – sinon elle risquait de sombrer – elle lui propose de se revoir prochainement, seul à seul. L’organisation de leurs noces, où leurs parents respireront dans leurs nuques, ne leur permettra jamais que d’échanger quelques mots volés. Ils étaient pour autant deux adultes, et bien que la surveillance soit accrue, ils ne pourraient pas les empêcher d’aller et venir éternellement.
Elle lui adresse un regard qu’elle se veut complice, un peu rassurant. Elle ignore si un homme tel que lui se laissera aller à de telles émotions, mais elle le préfère comme allié qu’ennemi. Ils en avaient déjà trop.
Le reste de la soirée ne leur laisse guère le temps d’échanger, et c’est donc un aperçu des prochaines semaines qui leur est offert. L’heure tourne, et plus l’aiguille bouge, plus elle brûle de quitter cet endroit, de courir là où bourdonne les abeilles.
Elle tient difficilement en place, se force à rester impassible. Elle cherche le regard de Nero, pour se donner le courage de venir à bout de ce supplice.
Quand enfin vient le moment de se séparer, une nouvelle épreuve l’attend. Aux côtés de ses parents, elle doit saluer tous les invités sur le départ. Les remercier de leur présence, leur souhaiter bon retour. Certains s’éternisaient, et elle a envie de les gifler.
Quand vient le tour des Karlsson, elle salue avec déférence les plus vieux, yeux baissés comme l’exige le respect qu’elle leur doit – et qu’elle ne ressentait aucunement.
Quand la main qu’elle tend rejoint la peau de son fiancé, elle se risque à une dernière œillade entendue, et espère que le message passe.
-
Et une fois que les dernières lumières s’éloignent, elle se jette sur l’aquarium, récupère son hippocampe et monte les marches quatre à quatre, ignorant ses parents qui demandent à lui parler.
Moira aura l’occasion de les voir. De les croiser pendant les préparatifs, de les subir, les supporter. Mais elle en a assez fait pour ce soir.
Elle, comme son nouveau promis, avaient mérité un peu de répit.
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