Gimme Shelter (ft Dubh)

Au bourdonnement sourd de la petite voiture s'ajoutait le grésillement de la radio. Elle l'écoutait de plus en plus, celle-ci, depuis qu'elle avait osé grossir ses rangs quelques semaines plus tôt. Encore entravée par son syndrôme de l'imposteur aigu, il lui avait fallu un peu de temps pour prendre ses marques au studio, mais sa gouaille et sa bonne humeur avaient, lui semblait-il, eu raison des premières réserves qu'elle avait pu susciter. Pour l'heure toutefois, la mélodie qui s'échappait de l'antique autoradio ne ressemblait en rien à ce qu'ils passaient dans son studio, et elle s'empresse d'ailleurs d'en faire part à son aîné dès qu'une voix d'un autre temps s'élève dans le véhicule. "C'est vraiment à chier, ça..." Elle triture quelques boutons à l'aveuglette, les yeux à moitié sur la route, le toucher frénétique, et s'agace de n'entendre la radio que lui répondre de quelques crépitements irrités. "J'aurais jamais dû acheter cette voiture, p'tain... Je savais que le mec était louche !" Sa petite tutute était clairement une épave, mais elle avait insisté pour la prendre, parce que "j'ai jamais l'occasion !" Ça ne l'empêche pas pour autant de lancer une oeillade incertaine à son frangin, puisqu'après tout, c'était elle qui avait tout initié et qui les menait tous les deux sur la route de l'imprévisible.

La veille au soir, le visage faiblement éclairé par les lueurs bleutées de son téléphone, Runa avait pourtant terminé leur conversation par un "Let's go" enthousiaste. Désormais, alors que les maisons de pierre se raréfiaient et que les montagnes déployaient leurs plus belles végétations, elle n'était plus très sûre d'elle. C'était l'appel de l'aventure qui avait sans doute appâté Dubh, néanmoins elle se demandait à quoi s'attendre désormais, et craignait que sa poisse ne lui joue des tours. Effectivement, officiellement, ils étaient partis s'impregner de la nature pour un exercice de théâtre. Officieusement, ils étaient partis s'impregner de la nature pour trouver un ent, créature aussi légendaire qu'invisible, jamais apparue à nul sorcier assez fou pour se promener dans des contrées dangereuses.

Mais les mains bien cramponnées au volant et le regard vacillant, poussée par l'enthousiasme de son frérot qui ne se départissait pas de son sourire près d'elle, Runa se sentait prête à affronter l'invisible comme l'inconnu. Ennis n'avait pas pu les accompagner, devoir parental oblige, et si elle se sentait parfois frustrée de devoir laisser son frère à son neveu, il n'était pas rare que les aventures qu'elle partageait avec Dubh seule ne se concluent en désastre absolue. Aussi aurait-elle dû se douter, dès leur départ, qu'ils partaient avec un handicap de taille. "Mais ça va bien se passer hein ! Au pire on en trouve pas et c'est tout." Si elle tenait absolument à trouver un Ent, c'était parce qu'elle souhaitait ajouter à ses recherches intensives la sagesse d'un être de la forêt. Peut-être lui saurait-il expliquer sa terrible malchance, ou même offrir un antidote à sa bouletitude colossale. Peut-être qu'ainsi, en plus de pouvoir se targuer d'avoir rencontré une entité légendaire, pourrait-elle aspirer à une normalité relative. Dubh, près d'elle, ne semblait pas moins optimiste, et elle puisait dans sa bonne humeur un courage remarquable. "A priori on devrait pas être surpris par la nuit." Effectivement, l'horloge affichaient un 10h32 d'un éclat vacillant, horaire extraordinairement matinale pour une jeune femme comme Runa. Et comme pour répondre à ses propres doutes, elle déblatéra : "Je suis pas sûre qu'il y en ait en Écosse en vrai. J'ai lu qu'un gars pense avoir vu un arbre qui bouge en 1856 dans les Cairngorms alors... Close enough non ? Puis on est déjà un peu en Europe du nord, hein ?" Elle ne brillait pas par ses connaissances en géographie, mais réalisait que laisser reposer ses rêves sur un témoignage bancal vieux de deux cent ans présentait certaines limites. "Vas-y dis moi que c'est pas une dinguerie ce que je fais..." Newt, assis sur la banquette arrière, son petit corps vert sagement ceint par la ceinture de sécurité, ne laissa pas à Dubh le loisir de lui répondre et gloussa. "OF FUCKING COURSE que c'est une dinguerie ce que tu fais." Tout ça avant de partir d'un éclat de rire rauque et grave qui faisait trembloter sa glotte sans fin.

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tw : cigarette, mention d'abandon de familier mais c'est pour rire hein.

Evidemment, évidemmeeeent qu’Aoife avait fait tout un cirque à l’idée de devoir monter dans un coffre, rendez-vous compte. Evidemment qu’elle avait jappé comme une folle, absolument indignée à l’idée de se retrouver là où on rangeait les courses. « Ce truc est déjà une épave, trois poils de plus ou de moins. » avait-elle groulé en regardant d’un oeil mauvais la carroserie, avant que Dubh ne la rabroue salement et qu’ils partent dans l’un de leurs débats qui s’était cloturé, comme souvent, par un glorieux « Sinon tu restes là ! » Compromis donc il y avait eu pour contenter à minima les 2 camps, et cahin-cahan sur le chemin de l’aventure, Aoife trônait sur une couverture qui sentait le fauve - Volusa, le lynx de Penny - histoire d’éviter de foutre des poils partout. Enfin, fort heureusement, tout ça n’avait en rien entaché la bonne humeur de Dubh, prêt à aller en excursion avec sa cadette, et tout paré d’une tenue dans des teintes vertes pour coller au délire camouflage. Toute contente de conduire son tacot, Runa semblait toutefois d’un peu mauvaise humeur, sûrement la faute de titine qui ne semblait pas vouloir lui obéir - du moins, côté radio. « Hep hep, focus sur la route, je nous trouve un truc. » Trifouillant les boutons, Dubh zappa un air de classique pour tomber sur un truc rock’n roll finalement très grésillant, entendu de loin, mais quand même. « Tu sais bien que les Ó Fearghail choisissent jamais la facilité, mais le caractère ! » Et pour sûr, cette bagnole en avait.

L’expédition l’avait surexcité depuis la veille. Il fallait bien avouer qu’aux rayons des idées à la con, Runa et lui étaient quand même en tête de gondole. Et surtout, surtout, le grand air lui rappelait ses moults excursions quand il était plus jeune, à toujours fuir le domicile familial pour explorer les alentours à dos de bourrasques. Aujourd’hui, encore, il le faisait parfois. Mais force était d’admettre que Dubh était devenu rat des villes, plus apte à froler les toitures que les cimes des arbres. Alors cette virée serait une pleine bouffée d’air frais dans son quotidien occupé entre les auditions et les stories pour Davi. D’ailleurs, il avait embarqué dans une valise une tenue histoire de taper un shooting dans la nature improvisé - il laisserait faire l’inspi, on verrait.  « Comment ça pourrait mal se passer, franchement ? » lâcha Dubh en réponse à sa soeur qui tentait de se rassurer d’une trouille ou il ne savait quoi qui n’avait pas lieu d’être.  « Franchement, si la route était pas aussi déglinguée, je serais déjà en train de rompicher, y’a vraiment que toi pour me tirer du lit à cette heure-là ! » A l’arrière, Aoife sembla approuver en claquant un ronflement qui couvrit le bruit du moteur sans souci. Aussi peu matinale que son sorcier.

Voilà donc qu’ils étaient partis à la chasse aux Ents. En vrai, Dubh se foutait un peu du prétexte, mais la chose avait l’air de tenir à coeur à Runa. Même qu’elle était bien informée sur le sujet.  « T’sais ce qu’on dit, 100% des gagnants ont tenté leur chance. » La devise de Dubh, et du loto. Surtout quand il s’apprêtait à faire n’importe quoi - Dubh, pas le loto.  « Mais non, c’pas… » Dubh fut soudain interrompu par le braillard petit Newt sur la banquette arrière, lui aussi abonné au club des dramas et consorts.  « Non mais sûr et certain que toi, dans aucune vie antérieure t’as été un prince charmant ! » répondit Dubh en se retournant pour fusiller le familier du regard. C’était quoi ces bestioles qui flinguaient les rêves ?  « La vie n’a aucun intérêt quand on fait pas de dinguerie. Et puis au pire quoi, on se pète la gueule dans une cascade ? » Connaissant sa propension à se blesser, et vu ses chaussures non adaptées, des chances que ça arrive si ça continuait. Il semblait finalement qu’Aoife ne dormait pas. « Pitié, que ça arrive pendant que tu filmes un reel, ça doublera tes abonnés. » Ricanant dans ses babines, la husky semblait ne pas avoir digéré le coup du coffre.

« Vous savez que c’est risqué de provoquer vos sorciers pas zoomanciens ? Non parce qu’à la base vous vivez là dehors quand même, je vous rappelle, pas dans 14 coussins donc mollo, ça peut vite changer. » La menace était en l’air, mais Dubh avait fait les gros yeux dans le rétroviseur. La voiture choisit ce moment précis pour toussoter salement. « T’en fais pas Rue, au pire tu sautes sur mon dos et zou, poussière de fée. » Nouveau coup d’oeil en arrière alors qu’il levait la voix exprès. « Mais ça vaudra pas pour tout le monde, HEIN ? » Dubh voyait déjà la scène. Aoife trottant dans la boue, Newt sur le dos, les deux pestant. Amusé, l’aéromancien ouvrit une fenêtre et sortit une cigarette qu’il alluma sans même demander si ça gênait. Pour l’air frais, bon, on repasserait.