L'arme fatale ft. Zephyr

TW : mention de consommation de drogues, classisme

Vous m'appelez Maître et Seigneur; et vous dites bien, car je le suis.
Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres;
car je vous ai donné un exemple, afin que vous fassiez comme je vous ai fait.

Lazarus n'iras pas jusque-là. C'est pourtant le passage de la bible lui venant en tête lorsqu'il aperçoit cet homme au loin marchant pieds nus. Il semble perdu. Aussi bien d'un point de vue géographique, puisqu'il lève le nez pour regarder en l'air chercher quelque chose du regard qui pourrait lui être familier et lui indiquer où il se trouve. Mais aussi, de manière générale. C'est mal, de juger les gens : le fils du pasteur le sait. Tout le monde n'a pas autant de chance que lui. Il est né dans une très bonne famille, avec beaucoup de moyens et une fortune qui remonte à il y a très longtemps -sans pour autant qu'on ne saches d'où elle vienne. Son grand-père a un titre de Lord, ils ont des résidences secondaires et lui porte une rolex au poignet. Un modèle classique, car ceux top tapes à l'oeil sont vulgaires et d'un mauvais goût certain. Il n'y a pas besoin d'étaler sa richesse, quand on en est certain. C'est le cas de tout ceux nés dans ce cercle social : ils s'affichent avec des vêtements simples qui pourtant sont de bonne facture. A vue d'œil, on n'irait pas croire que leurs chaussures cirées coûtent un mois de salaire pour une caissière.

Lazarus ne s'habille pas comme un grand père, mais il faut bien avouer qu'il est un garçon très classique. Il n'y a jamais d'extravagance dans ses tenues, il est un monsieur tout le monde un jeune homme comme les autres en apparence. Même ses cheveux un peu plus longs qu'une coupe que son aïeul qualifierait de réglementaire, ne lui donnent pas un air trop négligé. Simplement jeune, simplement l'air de quelqu'un de son âge. Un type de la vingtaine, avec des occupations de type de la vingtaine. A première vue.

La cigarette à peine allumée en bas des marches du temple et légèrement sur le côté, le fils du Pasteur observe un temps cet énergumène qui vagabonde pieds nus dans l'herbe. Il a l'air heureux, de sentir la pelouse. Au point qu'avec étonnement, voilà qu'il le regarde s'y allonger de tout son long. Est-ce que c'est un hippie ? Il y a des gens qui auraient aimé vivre dans les années soixante dix. Laz' a connu une nana comme ça, avec qui il était à l'école à Londres. Elle aussi, venait d'une famille toute aussi riche que la sienne. Pourtant, elle se la jouait bohème et portait des dreadlocks. Olivia avait un crush sur lui au Lycée et le Matthews n'y a jamais répondu positivement. Parce que même si c'est mal de juger, il le fait, et était persuadé qu'elle avait probablement des poux dans ses dreads. Ce type au moins, semble relativement propre. Ce qui est un miracle, quand on se balade pieds nus dans les rues d'Edimbourg. Un peu hésitant, le fils du Pasteur grimace en voyant les premiers fidèles arriver.

Aujourd'hui, c'est le jour de la soupe populaire. Le seigneur met probablement le présumé toxicomane du parc sur son chemin pour éprouver sa foi. Il se doit d'aider les âmes dans le besoin. Toutes les âmes d'ailleurs, mais surtout celles qui sont aussi perdues que la sienne. Ecrasant son mégot contre le couvercle d'une poubelle, regardant rapidement à droite et à gauche de la route voilà Lazarus trottinant jusqu'au patch d'herbe verte.

« Monsieur ?... Bonjour, vous avez besoin d'aide ? Tout va bien ? »

ça pourrait être dangereux, s'il a effectivement pris quelque chose de plus fort qu'une cigarette. Mais il n'a pas l'air bien méchant... Est-ce qu'un dangereux junkie en manque de substances se roulerait dans l'herbe en souriant ?... Probablement pas. Du moins, c'est ce que pense Lazarus emprunt d'un jugement qui ne plairait pas beaucoup à Jésus.

"Oh oh ooooooooooh weskechui ?"

Il fait beau, il fait chaud, et la ville sous le soleil est incroyablement belle. Enfin "chaud"...selon les hydromanciens plutôt que les pyromanciens ! Je supporte largement mon sweat délavé, même si je reste éternellement pieds nus sur les pavés. Je danse sous le soleil, profite de ce beau patch d'herbe malheureusement tondue. Pourquoi tondre de l'herbe, franchement ?! C'est méchant pour les insectes qui y vivent, les pauvres ! Après, où est-ce qu'ils vont faire leur maison ? Au moins à Green Bank, on évite de tondre quand c'est pas nécessaire !

Green Bank...je crois qu'à l'origine je voulais aller là. Mais à force de ne pas regarder où je mets les pieds, j'ai fini par traverser l'un des portails d'Old Town et me retrouver de l'autre côté du miroir. C'est peut-être pour ça qu'il criait l'autre type de tout à l'heure ? Hmm...j'ai pas fait attention, je suivais un bourdon. Il y en a encore plein à cette période de l'année ! Bref. J'ai perdu le bourdon, et je pensais le retrouver de ce côté...sauf que je crois que j'ai passé le portail à ce moment-là. Et le temps de me rendre compte de mon erreur, me voilà paumé dans un Edimbourg que je n'ai pas visité depuis bien des années. C'est que je ne suis pas du genre à aller du côté humain, moi ! Pas qu'ils me fassent peur, hein, mais y'a des gens dans mon coven qui m'ont limite interdit d'y mettre les pieds. Bon, c'est pas pour ça que j'y vais pas, puisque je m'en fiche des interdits...enfin un peu...mais c'est surtout que j'ai rien à foutre là-bas en fait. Je connais pas d'humains, et c'est trop industriel pour moi !

Pourtant, j'ai trouvé ce petit coin super sympa dans ce mini-parc. Un coin tout beau que j'aimerais faire pousser pour m'y sentir mieux, et aider les petites bêbêtes du coin. Oh, juste un petit coup de pouce...personne le remarquerait, si ? Allongé à même le sol, un large sourire sur le visage, je laisse ma magie pénétrer dans le sol et envelopper l'ensemble de l'endroit. Mais alors que j'allais donner la dernière impulsion, me demandant même si je n'y ferais pas pousser quelques champignons en plus, une voix juvénile semble s'adresser à moi. Je commence par ouvrir un oeil, puis l'autre, et finis par me redresser pour dévisager l'inconnu.

Il a une tête de bébé celui-là, mais des fringues vachement vieilles et classy. Le mix est trop bizarre ! Je penche la tête sur le côté, mais finis par afficher un large sourire et saute instantanément sur mes pieds.

"Oooooooh c'est trop gentil ! Il fait super beau t'as vu ? Et l'herbe est toute douce ! C'est dommage qu'ils l'aient coupée, hein ? Elle est encore plus belle quand elle est sauvage...tiens, viens avec moi !"

Sans lui demander son avis, je prends la main du gamin et le tire doucement jusqu'au patch d'herbe, le laissant là en gardant ma main dans la sienne. Je l'incite à s'accroupir à mes côtés, et passe ma main sur l'herbe comme pour la caresser doucement.

"Là, regarde...tu la sens ? Elle est en bonne santé. Mais elle est un peu triste, parce qu'elle est toute seule ici. Parce qu'il y a pas d'arbre, ses fleurs ont été coupées et surtout, SURTOUT, y'a pas de coin à champignons. Tiens, appuie sur la terre là...tu vois ? Elle est bien meuble. C'est qu'elle est prête à accueillir de nouvelles espèces. Plein de nouvelles fleurs colorées. Ce serait cool d'en voir ici, hein ?"

Peut-être que je suis un peu responsable de la santé du sol ici, mais c'est pas quelque chose qu'il faut dire à un humain. Enfin je crois qu'il est humain ? C'est difficile de savoir, de ce côté ! Il y a quand même plus de chances pour qu'il soit humain.

"Tu viens d'ici, toi ?"

C'est qu'il a un accent un peu snob, et définitivement pas l'accent écossais...mais qui sait ? Moi j'suis trop nul pour savoir qui vient d'où juste avec l'accent ! Je reconnais juste celui du Yorkshire parce que c'est le mien, et je sais quand des gens parlent comme moi. Le reste ? Bah. Aucune foutue idée.

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D'accord. Il n'est pas bien méchant, Lazarus avait raison. C'est juste un illuminé, qui l'attire dans l'herbe et qui lui parle des besoins de cette dernière. ça semble lui tenir à cœur, au va-nu-pieds. Il s'inquiète du manque de fleurs sur la pelouse et Lazarus ne sait pas quoi bafouiller d'autre qu'un :

« Je.. j'en parlerai à mon père. Vous avez raison, ce serait bien, des fleurs. C'est plus... joyeux ? Accueillant ? »

Ils n'ont jamais fait trop attention à la verdure du parvis de leur temple. La pelouse est entretenue pour que ça ne semble pas être à l'abandon, mais des fleurs, ça ne ferait sans doute de mal à personne ? Tout le monde aime ça non ? Peut-être qu'ils pourraient faire un atelier jardinage avec les enfants du catéchisme ? ça devrait rentrer dans leur programme pour la jeunesse ça, non ? Avec un petit mot sur l'environnement, pour être dans les clous. Les britanniques adorent leur jardin, pour la plupart. Ils y passent du temps, pour que ce soit joli et le jardinage fait partie des hobbies les plus courants. Malheureusement, les Matthews eux ne sont pas vraiment portés sur la chose. Isaac ou Lazarus tondent la pelouse devant leur maison pour que les voisins n'aient pas à se plaindre que chez eux, c'est mal entretenu. Mais vous ne verrez probablement pas le père ni le fils se mettre à planter des pétunias un dimanche après-midi pour décorer. Ni l'un ni l'autre ne semble en voir l'utilité, personne au sein du foyer n'a jamais manifesté l'envie de se mettre à jardiner.

« Je n'habite pas au temple, mais pas très loin. »

Non mais, il ne va quand même pas lui donner son adresse non plus, si ? Le fils Matthews se force à sourire. Se relève de l'herbe en essuyant son jeans avant de tendre la main au hippie qui squatte sa belle pelouse. Sa pelouse en bonne santé, parait-il. C'est une bonne nouvelle à prendre, en attendant de discuter... Fleurs, avec son père. Pour la première fois de sa vie. Non, la deuxième : il lui avait déjà demandé conseil sur quel bouquet offrir à une jeune fille il y a quelques années, n'y connaissant rien. Laz' lui étant plutôt du genre à offrir des chocolats. Il faut dire que dans ce contexte de double rendez-vous, son ami avait proposé d'aller chercher des fleurs ensemble pour les filles. Le fils Matthews s'était avéré être complètement perdu à cette idée.

« Venez, on offre un repas le culte. C'est un simple moment de partage, et ça n'engage à rien. »

Il ne juge pas utile de préciser pour les gens dans le besoin. Parce que parfois, on n'ose pas demander d'aide par fierté. Il semble en avoir besoin, pourtant. Ecouter un prêche de son père -sur quoi porteras-t-il aujourd'hui d'ailleurs ?- et manger quelque chose après, c'est la moindre des choses pour aider cette âme vraisemblablement très perdue. Au moins, il aura eu quelque chose à se mettre sous la dent et en bonus, il entendras peut-être l'appel de Dieu pour se sortir de sa situation de junkie.

Est-ce que c'est une bonne idée, de l'amener là-dedans ? Pourra-t-il se tenir tranquille et silencieux ? Sans doute que non. Heureusement les premiers rangs sont pris et Lazarus s'installe vers le milieu sur un banc en compagnie de son invité, à qui il tend la bible posée contre le rang de devant. Il n'en a à l'évidence pas une sur lui, contrairement à Lazarus, qui pose la sienne sur les genoux par habitude. Pour autant, le bouclé ne l'ouvre pas encore, attendant les instructions du Pasteur qui ne devrait plus tarder pour énoncer quels versets seront lus aujourd'hui.