TW : Propos suprémacistes, abandon familial, reniement
Ils n'eurent droit qu'à un faible sourire, sans chaleur et non dénué d'une certaine réserve. Non, il n'était pas prévu d'inviter l'autre versant des Galbreath, mais le fait est qu'en bon envahisseurs, ils s'étaient invités tout seuls. Comme s'ils voulaient nous embarrasser. Comme s'ils voulaient nous tester, voir si ce décorum irréprochable était à-même de s'étioler s'ils venaient fureter ici sans crier gare. Ils devaient être déçus de constater que cela n'avait guère entaché le savoir-vivre légendaire qui imprégnait cette demeure. Il m'en fallait plus pour faillir aux convenances et bien que cela m'ait coûté de les accueillir, au moins n'avaient-ils pas trouvé porte close. Sur le seuil de l'entrée, je les suivais du regard alors que leurs silhouettes s'estompaient dans les nombreux jardins du domaine. Puissent-ils ne plus les fouler avant un long moment.
Oh, je ne les
détestais pas. Du moins pas
tous. Certes, lorsqu'il s'agissait d'estime ou de considération, ils ne figuraient pas en tête de liste, mais je devais bien admettre que nous avions néanmoins quelques intérêts communs. Lorsque nous ne cherchions pas à nous discréditer, nous porter préjudice, nous mettre à l'épreuve, nous persécuter et nous déchirer les uns les autres, bien entendu. Alors par soucis d'abréger la longue liste de griefs et de ressentiments, disons simplement qu'ils n'étaient -à mon sens- pas les plus dignes pour partager mon couvert ce soir, et que si cela n'avait tenu qu'à moi, je me serais bien passée de cette piètre compagnie.
Comme c'était à prévoir, l'ambiance fut des plus pénible. Mais après tout, ne dit-on pas que la mauvaise compagnie épuise l'esprit, en plus de nous faire perdre son temps ?
1 Les adages de la belle époque semblaient encore se vérifier avec une justesse toujours inaltérée. Alors, puisque je n'étais pas animée par une réelle envie de participer, j'avais surtout écouté, le coup de fourchette lent et régulier afin de ne pas donner l'impression tacite de vouloir écourter cette entrevue - malgré cette envie impérieuse de le faire. Ma courtoisie me perdra, c'est certain. Avais-je eu raison de ne pas interrompre le discours ardent de mon détestable beau-frère ? Certainement. Sans cela, nous n'aurions probablement pas eu le loisir de l'entendre s'enflammer à propos d'Alasdair, ce fils aîné qui d'un coup d'un seul, avait décidé de vivre sa vie loin des siens, piétinant ces années de traditions et de perspectives au sein du coven. J'avais bu une gorgée de vin, détaillant le père offensé qui tapait du poing sur la table.
Comme il était furieux...comme il était contrarié. C'était un spectacle plaisant à voir. La déception vous va bien au teint, mon cher. Il faut l'avouer, j'avais craint un instant que les deux frères ne haussent encore le ton pour des broutilles, mais force était de constater qu'aujourd'hui, le sujet était sérieux. Ceux qui s'estimaient lésés réclamèrent un certain nombre de choses, dont le fait de ne plus mentionner ce fils renié tandis que, de leur côté, ils s'étaient empressés de l'effacer de leur succession. Leur cadet -quant à iel- s'était contenté d'étudier religieusement son assiette ou de fixer le lointain d'un air absent, redoutant visiblement d'aborder la question de ses nouvelles responsabilités.
Lorsqu'ils quittèrent enfin la table, j'avais échangé un bref regard avec Richard qui hocha la tête en retour. Bien que notre couple reste loin des modèles de proximité et de tendresse conjugale, il n'en restait pas moins que nous n'avions guère besoin de mots pour nous comprendre. Une connexion profonde, qui avait permis à cette demeure et à cette dynastie de s'établir sur de solides fondations. De celles qui -au contraire de mon aimable belle-famille- ne s'effondrera
jamais.
Mon époux les emmena dans le domaine, se chargeant de ce fait des humeurs de son frère. Pour ma part, je considérait en avoir déjà assez fait. Par ailleurs, je ne parvenais pas à éprouver la moindre compassion pour cet homme avec qui je m'étais querellé à de nombreuses reprises. S'il cherchait du soutien, ce n'était pas auprès de moi qu'il en trouverait. Peu à peu, leurs ombres se fondirent dans les allées sinueuses et richement agencées du parc, emportant hargne et amertume avec elles.
Alors, je m'étais dirigée vers le petit salon, refuge silencieux où mon Cecil s'était retiré. Je savais l'affection qu'il portait à son cousin ainsi que tous les moments de connivence qu'ils avaient partagé, et le fait qu'il ait choisi de s'isoler en disait long sur la peine qu'il devait ressentir.
❝Est-ce que tout va bien ?❞ Je refermais la porte derrière moi. S'inquiétait-il de me voir revenir seule ?
❝Ton père raccompagne nos invités.❞ répondis-je simplement, sans laisser tomber le masque. Bien-sûr, le départ d'Alasdair engendrerait un vide. Vide que lui seul était à-même d'effacer, s'il lui prenait l'envie de faire marche arrière et de revenir tel le fils prodige se repentant de ses erreurs. J'avais des doutes sur la probabilité d'un tel scénario, au vu des circonstances qui l'avaient mené à ce point de non-retour. Si les choses en étaient là aujourd'hui, c'est uniquement parce que la situation s'était envenimée d'année en année sans que rien ne soit initié pour l'apaiser. C'est vrai, cette décision était le préambule d'une nouvelle vie, mais surtout l'abolition de celle qui était la sienne jusqu'à présent. C'était ainsi que je voyais les choses mais pour autant, je me gardais bien d'exprimer mon avis, devinant qu'il y avait déjà suffisamment de morosité pour deux dans cette pièce.
Je laissais échapper un léger soupir, puis m'approchais de mon fils. D'ici, la vue sur les jardins était superbe, les agapanthes se mêlant aux clématites et aux glycines enivrantes.
❝Alasdair ne s'est jamais vraiment senti à sa place ici : mais s'il projetait de partir, il n'en a jamais parlé.❞ commençais-je avec douceur, décelant qu'une approche trop franche finirait par faire trembler le vaillant garçon devenu orphelin. Je l'observais quelques instants, en silence.
❝Ton oncle nous a demandé de ne plus jamais faire allusion à ton cousin de quelque manière que ce soit. Mais le fait est qu'il n'est plus là. Et quand bien même il désapprouverait, il n'a rien à nous dicter dans notre propre maison.❞ Non, je n'étais guère disposée à m'abaisser aux requêtes de ce vieil aigri. Ni aujourd'hui, ni jamais et s'il l'avait oublié, je me ferai un plaisir de le lui rappeler, peu importe la situation délicate dans laquelle il se trouvait. Le panda roux se blottit dans son cou, protectrice.
❝Est-ce que tu veux en parler ? Je sais combien vous étiez proches.❞ proposais-je finalement, reportant mon attention sur l'extérieur.
1François de La Rochefoucauldcrédits ; andersondaily (gif)