Home sweet home ft. Amor

La flotte ne semble pas vouloir s’arrêter. Le regard posé sur les gros nuages noirs qui ne veulent définitivement pas se barrer, je soupire longuement en maugréant dans ma barbe. Même si je suis allergique au soleil - comme tous mes petits camarades en fait - vivre constamment sous la pluie a tendance à m’emmerder au plus haut point. Pourquoi se pointer en Ecosse alors ? Ce pays réputé pour avoir de vastes plaines vertes…et une pluviométrie plus élevée que la moyenne ? HA ! Si j’avais seulement le choix !

Je n’en veux pas à Amor de s’être paumé dans ce pays de merde. En fait, je ne sais même pas si je le trouve si merdique que ça, pour être honnête. Je viens à peine d’atterrir et les heures de voyage m’ont épuisé, alors être accueilli par la flotte…on va dire que c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Goutte d’eau, pluie, vous saisissez ?

Quoi qu’il en soit, je soupire encore une fois avant de me redresser légèrement sur mon siège, histoire de faire circuler le sang dans mon fessier sur lequel je me suis assis pendant bien trop longtemps aujourd’hui. La luminosité est basse - est-ce parce que le soleil se couche, ou parce qu’il fait vraiment SUPER MOCHE ? Franchement, j’en sais rien à ce stade. Entre la météo et le jetlag, je ne sais même plus quel jour on est et quelle heure il est. Heureusement, je ne suis pas solo dans cette aventure.

Amor ne sait pas la fermer, mais c’est peut-être pour ça que je l’aime autant. Il fait la conversation pour deux, à déblatérer une série d’informations plus ou moins importantes dans un mélange d’anglais et d’espagnol que je ne comprends absolument pas tant mon cerveau est plus lent qu’à l’ordinaire - ce qui est déjà beaucoup, puisque je ne suis apparemment pas le plus vif des hommes sur terre. Bref. Je ne réagis qu’en le regardant avec des yeux ronds quand son anglais vire sur quelque chose que je ne connais pas, qu’il s’agisse de termes espagnols ou…je suppose d’ici ? Il n’y est pas depuis très longtemps pourtant en Ecosse, et déjà il a pris le pli. Comme quoi, c’est une véritable pâte à modeler, lui aussi. Est-ce que je vais causer écossais dans deux ou trois mois, moi aussi ?

“Mi Amor, j’ai rien capté…je suis lent ce soir. Ce matin ? Cette aprem ? Putain, on est quand ? Tu sais quoi, on va dire que c’est le soir.”

Les yeux rivés en face cette fois, je concentre ma magie et tend légèrement le bras devant moi. Aussitôt, la luminosité semble baisser un peu plus encore, et de petites lumières colorées flottent dans les airs avant de disparaître à chaque fois que le véhicule s’en approche. L’ambiance est plutôt cosy, un début de soirée tranquille et sympa…du moins il serait sûrement plus sympa si le ciel n’avait pas décidé de nous balancer la sauce.

“J’espère que tes bestioles n’essaieront pas de me bouffer, je suis pas sûr de gagner contre elle en 1 v 1.”

Amor, l’amoureux des petites bêtes, m’a déjà prévenu que son cher cottage était un véritable refuge pour araignées et…probablement d’autres trucs tout aussi peu ragoûtants. Pour l’avoir côtoyé pendant des années, lui et sa chère Marisol, je sais déjà de quoi il est capable. Je soupire longuement, et agite un peu plus la main pour décorer l’extérieur avec un peu plus de lueurs étranges. Je me demande s’il les voit avec autant d’intensité que moi, tiens…

“Tu me dis si ça t’emmerde pour conduire, j’ai pas envie de finir entre quatre planches alors que je viens de me taper treize heures d’avion.”

C’est quand même plus classe de crever d’un crash d’avion qu’un accident de voiture, hein…

Crédits : Mayfare group ; Jessica Johnson

La vie c'est parfois plutôt drôle. C'est souvent un enchaînement d'évènements qui mènent à un moment précis. Tout a commencé en 1994, quand Amor est né. L'histoire serait trop longue à raconter dans les détails mais le voici réuni avec le frère qu'il n'a jamais eu. A brother from another mother Un frère d'une autre mère, comme l'exprime si bien cette expression toute faite. Amor aimerait croire qu'elle a été crée spécialement pour Sky et lui, tant elle leur correspond si bien. Cette expression d'ailleurs, sans lui, il ne l'aurait jamais connue l'Anglais n'étant pas sa langue natale. C'est ce que le Zoomancien essaye d'expliquer dans son monologue mélangeant l'Anglais et l'Espagnol par habitude. Plaçant quelques mots dans une langue latine pour ponctuer ses phrases, employant le therme Hermano plutôt que Frérot. Mais les mots se mélangent et le voilà à sortir une expression tympiquement écossaise en plein milieu, semblant perturber son ami :

You look a little bit peely wally Tu as l'air un peu pâle, mot d'argot écossais qu'il entend régulièrement quand il annonce être Portoricain aux locaux d'Edimbourg. Rigolant à la réflexion de l'Oniromancien, le voilà qui hausse les épaules tout en attendant au feu rouge :

« Ce midi Hermano. C'était une expression écossaise pour dire que t'as l'air un peu pâle. Mais ouais, ça doit être la fatigue ! T'as fait un long voyage. Moi aussi quand je suis arrivé, j'étais fatigué d'un coup ! Le pire, c'est pour dormir les premiers temps. Je me réveillais en plein milieu de la nuit en croyant que c'était le matin. Il parait que le jetlag c'est plus difficile à réguler quand on va d'ouest en est que l'inverse. Mais t'inquiètes, j'ai du thé au gingembre à la maison on m'avait conseillé ça comme remède de grand-mère et ça avait bien fonctionné pour me caller sur le fuseau horaire écossais. »

En parlant des bêtes, Amor se met à rire de bon cœur alors que la voiture redémarre pour s'engouffrer sur l'autoroute. L'attente a été longue à la sorte de l'Aéroport, bondé comme bien souvent. Ils ne sont pourtant pas au bout de leur peine, en pleine pause de midi les routes sont fréquentées du côté humain. Tout autant du côté sorcier, mais ils ont encore un certain temps avant d'y arriver : encore un bon quart d'heure si ce n'est plus.

« C'est jamais la petite bête qui a mangé la grosse tu sais. J'ai rien de réellement dangereux à la maison en réalité. Faut juste pas que tu descendes à la cave, tu fais bien d'en parler j'avais oublié. J'ai des tégénaires qui se sont installées là, elles sont un peu spéciales au niveau du caractère. Mais même comme ça, leurs crochets sont trop petits pour mordre un humain ! »

C'est d'ailleurs intéressant pour lui à étudier, cette mafia qui s'est formée au sous-sol de son cottage. Habituellement, l'espèce est solitaire mais là elles se sont rassemblées. Tout en restant chacune dans son coin, mais coopèrent pour faire régner la peur au près des autres arachnides sauvages et insectes présents.

« Non bro, je suis bien réveillé moi t'en fais pas pour ça ! J'ai pas trop dormi cette nuit, parce que j'avais trop hâte de venir te chercher, mais ça va t'inquiètes ! T'as faim d'ailleurs ? Tu préfères qu'on cuisine un truc à la maison ou on s'arrête au Drive ? Histoire de pas te dépayser d'un coup, on peut se faire un Macdo si tu as envie, à moins que tu préfères une immersion totale dans la culture locale. »

Amor se stop un instant, fronce les sourcils à sa phrase précédente :

« Que dalle en fait, Hermano. Je sais pas cuisiner les trucs écossais, je t'ai raconté de la mierda. »

Mettant son clignotant en route d'un coup de main agile, le Zoomancien rectifie donc les informations :

« Macdo ou je te cuisine un bon petit plat pas écossais alors ? Promis, je te fais pas un truc trop épicé, même si ça te réveillerais pour le coup. Ou ça te plongerais dans le coma. »
Crédits : Mayfare group ; Jessica Johnson

Midi, hein ? J’ai vraiment complètement perdu la notion du temps, il faut croire. Ca explique pourquoi mon estomac se met à grouiller, comme s’il avait compris que “midi” signifiait “manger” dans l’immédiat. Je n’avais pas faim il y a encore quelques secondes, mais c’est une réaction psychologique je crois. Je suis un homme simple, avec des besoins simples.

“Peely…wally.”

Sans écouter la moitié de ce que me raconte Amor - comme d’habitude, mais il ne m’en veut pas, je crois - je répète cette expression comme si elle était absolument importante pour ma vie ici, et esquisse un sourire amusé devant cette sonorité particulière. Je raccroche donc les wagons de notre conversation, satisfait de ce que je viens d’apprendre, pour entendre mon ami parler…de bouffe. C’est mon estomac une fois de plus qui répond à ma place, et je laisse échapper un petit rire.

“J’en sais rien…”

Manger un mcdo ou tester la cuisine d’Amor ? Je ne sais même pas ce qui sonne le mieux dans cette histoire. Honnêtement, c’est pas parce qu’il s’agit de mon pote, mais j’ai pas méga confiance en ses talents de cuisinier. Peut-être parce que je projette un peu de moi en lui ? J’ai jamais fait l’effort d’apprendre quoi que ce soit de spécial, même lorsque c’était à moi de faire la bouffe à la maison pendant la pandémie. Tous les plats que je faisais, c’était des trucs tout simples, rien de très traditionnel. Tout ce qui importait, c’était de nous nourrir…qu’elle soit de bonne humeur pour son shift.

Mon regard s’assombrit malgré moi tandis qu’une étrange mélancolie me submerge tel un tsunami d’émotions contradictoires. Je devrais y être habitué depuis le temps, c’est toujours ce que je ressens lorsque Veronica s’impose à mon esprit. Malgré le temps qui passe, les nombreux mois depuis notre rupture, je peine encore à songer à notre vie d’avant. J’ai refusé le contact, effacé tout ce que je pouvais d’elle, et pourtant…c’est encore son visage dans mon esprit qui me blesse aujourd’hui.

“Hmm…”

Un pâle sourire se dessine sur mon visage alors qu’Amor comprend tout seul qu’il n’est pas de taille face à la cuisine d’ici. Mon illusion s’efface peu à peu devant moi, les couleurs devenant plus fades, plus ternes. C’est avec un pincement au coeur que je les vois disparaître une à une, et je lâche un soupir de déception avant de me redresser sur mon siège.

“Si tu me promets de pas essayer de m’empoisonner, je suis d’accord pour tester tes…compétences culinaires. Pis j’ai pas une thune bro, je peux même pas me payer un mcdo là. J’ai pas envie de te devoir des millions.”

J’exagère un peu en parlant de millions, mais l’idée est là. J’ai pris l’habitude d’une vie austère depuis que la mienne s’est effondrée, appris à compter les pennies pour être sûr de ne pas trop galérer financièrement. Alors je ne vais pas dépenser inutilement dès mes premières heures passées sur le sol écossais !

Crédits : Mayfare group ; Jessica Johnson

« Je sais bien que t'as pas une thune. »

Est-ce que c'est un reproche ? Non, absolument pas. Amor n'est pas comme ça. Pour lui, ce n'est pas quelque chose de grave. D'ailleurs, rien n'est jamais réellement grave avec le Portoricain, tant qu'on est encore en vie et qu'on n'a fait de mal à personne. Ou à un animal innocent. Tant que l'on est moralement une bonne personne, pour lui, il n'y a jamais de soucis. Qu'importe que Sky n'ait pas d'argent : lui a assez pour payer les courses pour deux le temps qu'il se remette financièrement. Qu'importe que Sky n'ait pas encore de logement ou de papiers : Amor a un canapé convertible utilisable le temps qu'il faudra. Son cottage n'est pas bien grand, mais suffiras amplement. Et puis, ça leur rappelleras leurs jeunes années à l'Académie Texane, lorsqu'ils partageaient leurs chambres.

D'ailleurs, une fois passés par le portail, il ne faut pas rouler bien longtemps pour voir le dit cottage se dessiner en haut d'une petite colline. Isolé sans l'être réellement, on y voit autour d'autres petites maisons semblables, toutes séparées d'un jardin plus ou moins grand et plus ou moins bien entretenu. Lui n'a pas réellement de voisins : le cottage en contrebas de sa colline est inhabité, depuis qu'il habite ici il n'a jamais vu personne y aller. Le champ de coquelicot prolifère donc sans doute plus qu'il ne le devrait, mais le Zoomancien préfère les pavots aux pavés.

Garant donc finalement sa voiture dans l'allée de la maisonnée, Amor s'empresse de sortir ses clefs pendant que son ami récupère sa valise. C'est dingue de se dire que toute une vie peut tenir là-dedans. C'est un peu ce qu'il a fait lui aussi en arrivant ici, les araignées ne sont venues qu'une fois installé convenablement. Il faut dire qu'avant de venir à Edimbourg, le portoricain vivait dans la forêt Amazonienne... Alors forcément, il n'y avait pas de meubles à rapatrier en urgence du brésil. Non, seulement lui, Marisol et quelques vêtements. En rejoignant le foyer familier d'ailleurs, la tarentule s'empresse de sortir pour rejoindre la table du salon où elle trône fièrement.

« On feras les présentations au fur et à mesure, il y a du monde. Mais personne n'est dangereux, à part dans la cave comme je te disais. Le truc le plus venimeux de la maison, ça doit être moi finalement ! En fonction des jours et des humeurs... »

Les tarentules, ça peut faire mal, rendre très malade en fonction des espèces. Mais ça n'est jamais mortel. Les tégénaires elles, sont juste mal lunées bien qu'incapables de mordre un humain à cause de leur taille. Amor lui par contre, s'il le voulait... Pourrait très bien se transformer en veuve noire ou en Atrax robustus s'il le voulait. Rejoignant sa cuisine après avoir jeté ses basket dans son entrée encombrée et ses clefs près de sa mygale (n'est-ce pas le meilleur anti vol de tous les temps ?) le voilà à fouiner dans son réfrigérateur à la recherche d'un plat rapide à préparer. C'est qu'il manque souvent d'idées, lorsqu'il est confronté à la réalité...

« Euh, un Mac and Cheese Sky ? »
Crédits : Mayfare group ; Jessica Johnson