Histoire
Maman est une victime et je ne le saurais jamais.
On m’a retrouvé non loin de là où on lui a cueilli la vie comme une mauvaise herbe, je devais avoir quatre ans et demi. L’odeur des poubelles près desquelles je m’étais caché, j’ignore que c’est pour cette raison que j’en ai horreur aujourd’hui ; et que tout se doit d’être le plus propre possible.
On m’a récupéré et officiellement placé dans un orphelinat catholique. La vérité, c’est que j’étais là au mauvais endroit, mauvais moment, et il ne fallait pas me laisser partir avec ces idées-là, s’il venait un jour où j’irais m’en rappeler. Alors ils se sont arrangés entre eux, collégialement, et sous couvert de leur foi, pour que l’un des leurs m’adopte et fasse de moi quelqu’un d’autre.
Il m’arrive parfois de faire des cauchemars qui n’ont ni queue ni tête. Je fuis tout en sachant que je laisse derrière moi quelque chose à qui je tiens férocement, et je m’en veux à chaque fois parce que j’ai écouté ce que cette voix m’avait dit :
va te cacher. Je n’ai jamais compris que c’était un fragment d’une vérité qu’on m’a toujours caché, et je le comprendrais probablement jamais.
Ca a commencé tôt à vrai dire, le fait d’être réveillé par une odeur de brûlé qui n’existe pas. J’ai été aussitôt baptisé, les Selvaggi m’ont accueilli à bras ouverts. La famille était déjà nombreuse lorsque je suis arrivé. J’ai été scolarisé comme tout enfant qui se respecte, à Edimbourg. Je pense avoir eu une belle enfance, s’il on omet les séances de psychothérapies répétées que j’ai dû suivre, et la sévérité naturelle de l’éducation que l’on m’a octroyée. La religion, elle, était partout ; à commencer par les repas, et puis le coucher, où ma mère adoptive m’a apprit le Ave Maria, vérifiant que je n’oubliais rien, pas même la ferveur, en le prononçant sous ses yeux. J’ai appris à lire tout seul parait-il, mais ce que j’aimais par dessus tout, en plus de la mer, c’était la musique.
Ils se sont douté très vite que ma voie était tracée, quant bien même cela ne réjouissait pas nécessairement les concernés. Un enfant qui arrivait à reconnaître les notes, les accords, les tons, sans avoir reçu les bases nécessaires de solfège, cela sortait de l’ordinaire. Tout de même fiers de cette différence, s’en vantant à demi-mot aux repas avec des amis. On m’a demandé plusieurs fois, môme, de jouer pour impressionner la galerie. J’étais mal à l’aise, pour ne pas dire contrit d’angoisse. Pourtant, c’est par là que j’ai commencé à voir de la lumière, la vraie, dans leur regard. Et puis d’autres ont entendu, d’autres ont souri, d’autres se sont illuminés. Poussé par ce je ne sais quoi, j’ai commencé à chanter.
Les cours à l’école ne m’intéressaient que par pure curiosité et celle-ci savait s’envoler aussitôt que la chose ne m’intéressait plus, préférant dessiner sur les marges pour évacuer la frustration. Ni bon ni mauvais, je savais seulement me démarquer là où il le fallait. Je n’ai pas bien vécu l’arrivée au collège, où les gosses se sont avérés être plus méchants que je l’imaginais. Sans doute que mon teint pâle, mon gabarit de crevette et longs doigts de pianiste, sans compter mes yeux trop clairs cernés de violet, leur inspiraient la vulnérabilité. C’est à partir de ces années-là que tout a commencé à dérailler, jusqu’à me faire cramer la peau sans jamais n’avoir rien dit, de peur de représailles. Je n’ai jamais voulu faire aucun problème, ni même en être un. Pourtant, on me faisait d’ores et déjà entendre que c’était inévitable.
Pour y échapper au moins psychologiquement, j’ai sur-pratiqué mes instruments, mon chant ; parfois ça ne suffisait pas, alors je me faisais du mal à mon tour, pour que ça puisse passer. J’ignorais que j’allais m’en faire encore davantage les années qui ont suivi, pour des raisons qui m’ont prit de court.
L’événement n’est pas unique ni isolé. Depuis toujours, je prévenais qu’il allait pleuvoir avant même que la dame de la météo ne vienne à en parler. J’arrivais à nous pousser, en mer, là où il fallait, parce que je disais simplement :
Papa, le vent va tourner. Et le vent a tourné plus que je l’aurais imaginé.
J’avais seize ans, trop de poids sur les épaules et une copine qui ne voulait plus de moi,
pour changer. Elle me disait : “
si tu m’embrasses pas tout de suite, c’est que tu m’aimes pas”, et pourtant, Dieu sait que je l’ai aimé, cette fille-là.
Quand j’ai voulu lui apporter une lettre que je lui avais écrite, pour essayer de lui expliquer mes sentiments et tout ce qui faisait de moi quelqu’un de différent et qui plus est dans ses relations intimes, elle a ouvert la porte et m’a incendié comme si le Diable s’était posté là. Je suis rentré chez moi, en pleurs, et j’ai croisé mon frère aîné. Il m’a juste dit : “
qu’est-ce qu’il y a, Raph ?”, j’ai répondu “
Rien”, il m’a répondu “
Les mecs ça pleure pas, arrête ça” et l’instant d’après, une impulsion l’a fait voler sur trois mètres, et chuter méchamment. Ce jour là, son regard a changé, lorsqu’il se pose sur moi. Le sien, et celui de tous ces autres que je considère encore comme ma famille, malgré tout.
Je suis devenu à mon tour la victime de quelque chose qui me dépassait.
De fil en aiguille, on m’a révélé des choses, à commencer par ce pour quoi les Selvaggi travaillaient dans l’ombre depuis toujours. Mais j’ai surtout passé de très mauvais moments au sein d’un endroit dont je ne sais toujours pas où il est localisé. J’y suis resté longtemps, après qu’un médecin m’ait griffonné un arrêt maladie et un aménagement scolaire. Je ferais les cours “à la maison” pour cette année, et l’année qui suit. C’est ce que j’ai fait, englouti par tout un tas de secrets que je devais désormais taire. Au début, tous et toutes me regardaient bizarrement, comme s’ils hurlaient en silence :
qu’est-ce qu’on fait de lui ? et puis, rester vivant, c’était peut-être bien la seule chose que je voulais encore, bizarrement ; et c’est quelque chose qu’on m’a promit.
J’ai été entraîné, même si je devrais plutôt dire que je me suis entraîné moi-même, fort de mes problèmes de régulation émotionnelle. C’est “grâce” à ces jours, ces semaines, ces mois que je parviens aujourd’hui à ne pas faire valdinguer le premier venu lorsque je suis en crise de larmes, pour dire vrai. Mais c’est aussi à cause de tout ça que j’ai perdu le fil qui me maintenait sur le chemin, parce que je ne me sens plus appartenir à rien.
L’université m’aura au moins permit de goûter la cigarette et des alcools que je ne connaissais pas. J’ai perfectionné mon jeu à la guitare-harpe à cette période, j’ai commencé à traîner pour jouer çà et là, au lieu de bachoter mes partiels. J’étais complètement déconnecté de la réalité, pour la simple et bonne raison que je ne pouvais la supporter qu’en essayant de la transcender par la musique. C’est tout ce qui me restait.
Ca a payé, des années plus tard. Entre temps, j’ai rencontré quelqu’un qui m’aura jamais vraiment quitté, malgré toutes ces années à se dire célibataires. J’ai été son pansement et inversement, là où la vie n’était que tâche d’encre. Et puis, à mes vingt-huit ans, tout s’est arrêté. C’est étrange de me dire que c’est aussi grâce à cette souffrance innommable que j’ai su m’en sortir. Il m’a fallu deux ans après ça pour signer dans une maison de disque, horriblement seul pour le fêter. J’ai découvert une industrie que je n’imaginais pas aussi hostile, rencontré des personnes qui parfois m’avaient inspiré depuis des années.
Malgré la reconnaissance, malgré les efforts, je ne sais pourtant pas plus qui je suis aujourd’hui qu’hier. Suis-je une arme, une erreur, un espoir ? Tout ce que je sais, c’est que je devrais encore dormir ce soir avec ces
je ne sais pas.
oreilles percées d’anneaux courts et fins en or blanc —
cicatrice de brûlure sur une de ses côtes, une mauvaise blague de ses camarades lorsqu’il avait treize ans — avant de faire
carrière dans la musique, il a été forcé d’aller sur les bancs de l’université (sciences politiques), ses échecs répétés (à force de
pratiquer plus que réviser) ont amené les Selvaggi à revoir leur décision, en lui posant un
ultimatum d’efficacité — promesse tenue, sa carrière a été propulsée depuis quatre ans, et s’il se laisse penser qu’il s’agit peut-être d’un miracle, les critiques elles, n’en démordent pas de son
virtuose musical — cerné dans une fratrie adoptive de trois frères et deux sœurs, dont deux ont fini par rejoindre la Garde — son père adoptif est originaire de
Rome, il a toujours eu des contacts privilégiés avec les pieux du Vatican : ironie du sort ou non, son vrai père, lui, est
Sarde.
on lui a fait apprendre le piano très tôt, s’est intéressé lui-même à la guitare, puis s’est laissé dériver vers la harpe, qui a donné davantage place à sa créativité — envers et contre tout, Raphael est
croyant —
music nerd — il chante et joue à la guitare-harpe le morceau
scarborough fair de Simon & Garfunkel lorsqu’il se sent trop envahi par sa sensation de
manque — il a d’ailleurs insisté pour aller voir lui-même le luthier qui lui a fabriqué l’instrument — plus que tatillon sur l’
hygiène et la propreté, Raphael est particulièrement
triggered au point d’en faire une obsession qui ne se remarque pas toujours au premier coup d’œil — les réseaux sociaux, sur lesquels il est présent, lui drainent beaucoup d’énergie et d’estime de lui, il est toutefois poussé à s’y montrer pour
communiquer — consomme des
anxiolytiques régulièrement.
sa magie découverte par sa famille adoptive et elle-même issue de l’Ordre de St Patrick, il s’est retrouvé forcé à être scolarisé à domicile pendant plusieurs années, craignant (par intérêt) qu’on leur ôte Raphael —
here or elsewhere, I’m not normal, I will never be —
allergique à la poussière, ce qui entretient son besoin viscéral de tout nettoyer — profondément gêné lorsqu’on l’arrête dans la rue, parce qu’on le
reconnaît — la plupart des
siens prennent soin de lui tout en le
traitant différemment des autres, ce qui est parfois allé plus loin que des mots :
ils ont besoin de lui autant qu'il a besoin d'eux
pour donner un sens à sa vie.