Histoire
20 août 1984 (Naissance)Un mois et demi avant la date prévue, Mary-Jane Reid donne naissance à deux enfants au
Raigmore Hospital d’Inverness. Le premier, les yeux déjà bien ouverts, s’appelle Charly-Blake. La seconde, qui referme les paupières rapidement, se nomme Billy-Ann. Les deux ont les cheveux sombres et les grands yeux bruns de leur mère qui, à défaut d’avoir l’énergie pour leur sourire, caresse affectueusement le haut de leur tête. Elle les aime si fort qu’elle a peur de s’endormir et de les voir disparaitre à son réveil.
09 juillet 1985 (11 mois - 1er placement temporaire) Mary-Jane appelle Ms. Bird, sa voisine. Elle n’y arrive pas. Les jumeaux pleurent sans cesse depuis des heures sans qu’elle ne comprenne pourquoi. Elle leur a donné à mangé, les a bercé, a même chantonné mais rien n’y fait. Charly crie plus fort que Billy, les joues rougies par les larmes. Mary-Jane est assise au sol quand Ms. Bird arrive. Elle a le regard dans le vide et les mains contre les landeaux à bascule, les remuant par habitude. Quand la voisine lui demande comment elle peut l’aider, Mary-Jane lui répond par un simple
“Je suis fatiguée”. 14 décembre 1986 (2 ans - 1er retour)Billy a les cheveux qui ont poussé et Charly semble s’être calmé, ne pleure plus autant. Mary-Jane se sent mieux, a suivi quelques séances de thérapie que sa doctoresse lui a préconisé malgré le prix exorbitant et les horaires qui ne convenaient pas à ses heures de travail. Elle a du en rater quelques unes mais sait qu’elle pourra continuer seule. Les jumeaux sont rentrés, tout ira mieux à présent. Elle est heureuse de les avoir pour Noël, leur a acheté plusieurs cadeaux et des peluches. Une à la forme d’un dragon aux écailles pailletées. Ce sera celle de Billy, pour toute la vie.
18 novembre 1991 (7 ans - 2e placement temporaire)Billy regarde d’un mauvais oeil les trois gars assis dans l’escalier de la famille Blackfall. Elle est arrivée il y a seulement quelques jours, car Mary-Jane n’y arrivait plus, à nouveau. Cette fois-ci, on n’a pas pu trouver une famille d’accueil pour les jumeaux alors Charly est ailleurs. Quand on lui a expliqué qu’elle le retrouvera très vite, Billy a simplement répondu un
“menteur” au monsieur du service. Et les trois gars devant elle, elle a aussi envie de les traiter de tous les noms. Oh, elle n’en connait pas beaucoup, mais certains lui sont restés en mémoire à force d’entendre les adultes parler à côté d’elle en s’imaginant qu’elle ne comprend pas grand chose. Son préféré, c’est
bawbag*, car Billy aime la sensation du B qui se répète. C’est comme faire des bulles dans le bain, avec la mousse du shampoing.
Quand le plus grand des gars touche ses longs cheveux bruns pour l’ennuyer, elle lui balance son pieds dans le tibia. Quand il réplique en la poussant, elle le pousse aussi. Mais Billy est petite pour son âge, tombe la première sous les sourires des trois gars. Ils n’ont que quelques années de plus mais ça leur suffit pour se croire les plus malins. Ms. Blackfall les punira et Billy aura le droit à un pansement sur le front. Mais ça ne guérit que les plaies ça, pas l'égo. Alors quand la nuit tombe, la fillette se glisse dans leur chambre et place silencieusement pleins de punaises devant leur lit, qu’elle a chipé dans le bureau. Elle a vu ça dans “Maman j’ai raté l’avion” qu’elle a été voir avec Mary-Jane et Charly, avant d’arriver ici. Billy ne se rendormira pas, trop impatiente d'entendre les cris aigus des trois gars demain matin.
* bawbag = trou du cul
12 juillet 1992 (8 ans - 2e retour)Charly sent bon le sucre de la tarte et Mary-Jane, les agrumes. Il faut chaud ce jour-là à Inverness et la famille est partie pique-niquer. Billy a décidé de ramasser toutes les fleurs du champ pour en faire des couronnes, dont la plus longue sera pour sa maman. Iels ont parlé à leur retour, Mary-Jane leur a expliqué pourquoi parfois, ça ne va pas trop et que les jumeaux doivent partir ailleurs. Billy n’a pas tout bien compris mais elle a retenu que sa maman fait de son mieux et que parfois, c’est juste difficile, d'avoir une famille et surtout des enfants. Mary-Jane leur a même donné des consignes au cas où un jour, Charly et Billy voyaient qu'elle n’arrivait pas à se lever pour leur faire le petit déjeuner. En attendant, Billy continue de picorer le champ car Maman et Charly méritent les plus belles couronnes du quartier. Maman et Charly méritent ce qu’il y a de mieux et peut-être qu'ainsi, iels pourraient rester ensemble.
10 octobre 1994 (10 ans - placement de longue durée) Billy rentre de l’école avec le cartable rempli de pierres. Elle a semé Charly sur la route, qui ne comprend pas comment elle réussit à courir aussi vite malgré les 12 cailloux sur son dos. Quand elle entre, elle reconnait la radio de Maman qui tourne en fond sonore. Mais Mary-Jane n’est ni aux fourneaux, ni dans le salon ni dans sa chambre. L’appartement est vide et Billy en est bien contente : elle va pouvoir cacher ses cailloux avant que Mary-Jane ne les trouve et lui demande, encore, de les laisser dehors. Billy a beau lui expliquer qu’il fait trop froid pour les laisser sur le perron, elle l’écoute mais n’accepte jamais les arguments de sa fille. Une fois, Charly a même rentré un caillou gelé au petit déjeuner pour aider sa soeur dans sa plaidoirie. Mais rien à faire, les pierres restent toujours dehors et l’incompréhension de Billy, au creux de son palpitant.
Quand 7pm sonne, les jumeaux se mettent à table après avoir sorti du frigo le tupperware de purée qu’iels ont mangé le soir d’avant. Billy explique à Charly qu’elle a trouvé du tissu pour recouvrir ses cailloux la nuit car eux aussi, on le droit à une couverture. Charly lui raconte son aventure avec Max le chien, qu’il a croisé en rentrant. Max adore Charly.
7:30pm, l’heure de ranger la cuisine. La vaisselle est faite par Charly, Billy essuie avec le torchon avant de se l’enfiler autour de la tête et de grimper sur l’une des chaises.
“Ploie devant moi, matelot !“ qu’elle dit d’une grosse voix, Charly lui répond
“Non merci”. Alors Billy quitte son bateau et attrape un second torchon pour continuer d’essuyer les assiettes.
9pm, Billy est au lit, Charly aussi. Les cailloux sont recouverts d’un tissu rouge carmin et dorment profondément. Billy leur a même raconté une histoire en faisant les voix avec Charly pour l’aider sur celle de la vieille dame. Mary-Jane n’est toujours pas rentrée quand les jumeaux s’endorment.
Elle n'est toujours pas là le lendemain matin, quand Billy se réveille la première et attrape un bol, ses
cheetos et arrache quelques feuilles à la plante du salon pour les cailloux. Elle n'est toujours pas là quand 12pm sonne et qu’il n’y a plus de purée dans le tupperware. Charly et Billy savent ce qu’iels doivent faire mais c’est Billy qui prend la décision d’attraper le téléphone et de composer le numéro. Charly pleure mais pas sa soeur. Maman a pensé à tout, comme toujours. Billy sait ce qu’elle doit dire quand une voix accueillante lui répond. Billy se rappelle parfaitement des explications de Mary-Jane alors elle répond aux questions de la voix du téléphone, sans hésitation.
"Elle est partie en vacances. Oui. Charly va bien. Oui, on a mangé ce matin. Ah non, je n'ai pas fait ma douche. Je ne sais pas. La voisine ? D'accord. À tout à l'heure." Avant qu’on vienne les chercher, Billy range dans son sac à dos toute la famille cailloux et donne à Charly M. Dragon, au cas où on oserait encore les séparer.
“Si un jour, je ne me réveille pas pour le petit déjeuner ou que je ne suis pas à la maison après un dodo entier, vous appelez ce numéro et vous dites que je suis partie en vacances et qu’il faudra vous aider à préparer vos valises.”
21 juillet 1995 (Bientôt 11 ans - rencontre) Billy n’a jamais prié. Elle connait les religions les plus connues grâce à l’école mais ne s’est jamais demandée en quoi ça consistait vraiment, de croire en quelque chose d’invisible. Elle, elle croit seulement en Charly, Mary-Jane et elle. Le reste… Si l’invisible existait vraiment, il les aurait aidé depuis longtemps.Mais Ms. Caldway est gentille et fait de son mieux pour que les jumeaux se sentent chez eux, à Edimbourg, alors Billy ne se voit pas dire non, quand elle leur propose d’aller au Temple.
“J’y vais chaque semaine mais vous ne serez pas obligés si cela ne vous convient pas”. Charly et Billy n’ont que 10 ans mais Ms. Caldway leur parle comme des grands et ça, Billy aime.
Il y a du monde et Billy s’ennuie. Heureusement, elle a apporté un livre. Ms Caldway lui a dit qu’elle pourrait lire uniquement si elle ne gênait personne. Mais sortir son exemplaire de “L'île au trésor” sans qu’on ne la remarque risque d’être compliqué. Devant elle, il y a toute une famille dont l’un des fils a l’air si grand qu’il pourrait toucher le plafond (Billy a tendance à exagérer pour rendre le monde plus amusant). Mais il est un peu trop à gauche pour la dissimuler. Elle se rapproche doucement et tapote sur le banc derrière son dos.
- Pssst, vous pouvez vous décaler un peu sur la droite ? S’il vous plait.Il s’exécute rapidement et Billy peut commencer son aventure.
Elle retournera au Temple finalement. Oh, elle n’apprécie pas particulièrement mais elle n’aime pas embêter Ms. Caldway, qui doit trouver un baby-sitter pour la garder. Et puis, Billy fait toujours au mieux pour s’asseoir derrière la même famille, avec le grand garçon. Il s’appelle Frank. Enfin, elle a entendu son père l’appeler comme ça. Et maintenant, Billy n’a même plus besoin de lui demander qu’il se décale dès que le pasteur commence à parler d’un ton morne. Elle le remercie toujours, avec un long souffle de contentement, juste avant de se plonger dans son roman. Billy aime déjà beaucoup ce Frank.
01 janvier 2000 (15 ans - nouvelle passion)Il n’y a pas eu de bug de l’an 2000, au grand dam de Billy qui avait mis de côté pas mal de paquets de céréales et de boites de conserves. Ms. Caldway l’avait laissé faire, plus attendrie qu’agacée, habituée à l’exubérance de Billy (ou à son instinct de survie bien trop développé). Mais maintenant, il est temps de ramener tout ça quelque part où ce sera bien plus utile à l’instant T. Elle ne peut décemment pas garder les piles de conserves dans sa chambre (les céréales, oui). Ms Caldway lui a proposé de les amener à la soupe populaire.
Les sacs chargés, les cheveux emmêlés et les yeux cernés d’être restée éveillée en attendant le-dit bug, Billy se retrouve devant le bâtiment de l’association. Il y a foule comme souvent. Alors l’adolescente se retrouve à aider, embarquer elle-ne-sait comment avec une louche dans la main et les sourcils froncés de ne pas savoir bien doser.
- Ce n’est pas grave si tu m’en donnes plus, j’ai bon appétit !Un rire amusé lui fait relever les yeux. La femme face à elle a les cheveux roux et court. Elle pourrait avoir 30 comme 50 ans. Alors Billy lui sert deux louches même si elle sait que ce n’est pas autorisé. Personne ne fait trop attention à elle de toute façon.
- C’est un couteau ? À votre ceinture.La femme baisse la tête et acquiesce.
- Tu veux le regarder de plus près ?L’adolescence hoche du menton à son tour, curieuse de savoir pourquoi la femme ne le cache pas plus que ça. Elle semble en être si fière. Billy ne le sait pas encore mais Martha, 43 ans, coutelière au chômage, deviendra sa mentor dans quelques années.
17 février 2004 (19 ans - soudeuse)- Tu sais dégraisser ?- Oui.- Et utiliser un chalumeau ?- Oui.- Et différencier une soudure TIG d’une MAG ?- Non, sinon vous me paierez un salaire décent et pas celui d'une apprentie.Il y a une hésitation dans le regard du chef soudeur, qui finit par sourire et tendre sa main à Billy.
- Bienvenue à bord, j’espère que tu n’as pas peur de te brûler !S’il savait ce que Billy trafique dans le garage depuis 3 ans, surement n’aurait-il pas osé poser la question. La jeune femme n’en a pas vraiment parlé dans son entretien, qu’elle forgeait et façonnait. Elle n’avait pas envie de partager ce qui la passionne vraiment. Et puis… Même Charly trouve ça étrange, qu’une
fille créé des couteaux. Billy déteste quand il utilise ce ton.
6 septembre 2013 (28 ans - Billy Justicière)- Ton loyer, petite.Le gérant de l’immeuble est sur le pas de sa porte, la regarde avec la tête en arrière. Car petite, Billy ne l’est plus, au vu de son mètre 75. Mais les hommes cis aiment toujours la rabaisser et elle, leur répondre avec la même confiance et plus de jugeote.
- J’ai encore deux jours.- Et dans deux jours, tu auras miraculeusement 422£ en poche ?Billy garde le silence quelques instants, l’aplomb comme second prénom.
- Et vous, les autorisations pour louer vos appartements insalubres ?Edgar Morrison lui laissera 1 semaine en plus pour payer son loyer. Billy quittera l’immeuble le mois suivant, après avoir balancé sur les Internet le nom du marchand de sommeil et les adresses où il loue à prix d’or.
23 octobre 2022 (37 ans - lancement de la boutique)- Mon portable vibrera à chaque commande passée. Attends toi à ne pas dormir de la nuit, Verstappen !Billy est assise à son bureau, l’air concentré sur son ordinateur. Elle a les yeux rougis à force de fixer l’écran. Frank est allongé dans son lit, aussi calme que sa meilleure amie est électrique. Elle a travaillé d’arrache-pied pour ouvrir sa boutique Etsy, a pris plus de temps à comprendre comment ça fonctionnait qu’à produire la première collection : elle a voulu rendre hommage à Martha et a façonné des lames comme celle que son ancienne mentor portait. Les manches sont finement décorés, la moitié en bois sombre, l’autre en métal, inspiré des
Higonokami. Billy y a mit tellement de passion qu’elle ne sait pas trop ce qu’elle ressentira, en les voyant disparaitre de son appartement.
- C’est en ligne !Elle a levé les mains du clavier, d’une façon théâtrale, avant de se retourner vers Frank : il n’y a bien qu’avec lui, qu’elle sourit avec tant de sincérité.
4 heure plus tard, toujours aucune vibration. Billy a fini par se réfugier dans les bras de Frank, là où son coeur palpite. Elle préfère entendre ça que le ronflement du voisin d’à côté. Foutu appartement mal isolé. Billy n’est pas naïve, elle sait que lancer un commerce prend du temps. Ses réseaux sociaux ont beau être rempli de commentaires, cela n'équivaut pas à des ventes. Mais au fond d’elle, il y a toujours cette enfant qui espère réussir du premier coup et ne pas être ballottée comme un cadeau déplaisant.
03 mars 2024 (39 ans - disparition de Charly)- Charly-Blake Reid, je te jure que lorsque je mettrais la main sur toi, je vais défriser tes jolies boucles avec un lisseur Babyliss.Billy raccroche sans même lui dire au revoir. C’est le 5e message qu’elle laisse à Charly, après 2 visites à son appartement et 3 appels à son boulot. Personne ne l’a vu depuis une semaine. Billy à l’habitude que Charly se referme sur lui-même et ne donne pas de nouvelles pendant quelques jours. Mais il l’a prévient toujours avec un message. Là, rien. Billy ne croit pas à ce qu’on raconte sur les jumeaux, que quand l’un ne va pas bien, l’autre le sentirait mais quelque chose la dérange, depuis quelques jours. Une boule dans la gorge qui gonfle à mesure que le silence remplace leur relation.
L'après-midi, elle retourne à son appartement. Même si Billy déteste y venir quand Charly n’y est pas, elle doit aller plus loin que juste se rendre compte qu’il n’y est toujours pas revenu. Billy sent qu’elle doit fouiller et ça ne lui plait pas. L’armoire à bordel, la cuisine, le dressing, tout y passe. Charly a un appartement bien plus grand que le sien alors il lui faut bien trois heures pour tout inspecter. S’attaquer au bureau est plus délicat. Billy sait que Charly garde dans les tiroirs de nombreux carnets, dans lesquels il écrit depuis qu’il en a la capacité.
- Allez Reid. Au point où t’en es.Elle ouvre le premier carnet. Rien d’intéressant et elle ne va pas plus loin que les dernières pages, l’impression de violer l’intimité de son jumeau. Elle ouvre le second carnet : des recettes de cuisine du Texas. Typiquement Charly. Elle ouvre le troisième carn… Ses sourcils se froncent en lisant les dernières lignes écrites. Si elles n’ont pas plus de sens que les recettes, il y a une telle émotion dans l’écriture de son frère que Billy ne peut s’empêcher de continuer. De revenir en arrière, de reprendre à la 1re page et de tomber sur des informations qui la font respirer un peu plus vite.
- Qu’est ce que c’est que ce bordel…Sorcellerie. Charly y parle de sorcellerie. Et aussi de leur père.