Boite aux lettres d'Alasdair Galbreath

À l’inconnu,

Entre nous, j’ai toujours eu une préférence pour les lettres plutôt que le téléphone. Quelque chose dans la lenteur de l’activité, l’attention portée au stylo choisi ou à la plume gorgée d’encre, l’intention dans chaque information donnée... Car oui, nous pouvons recommencer à la moindre erreur, prendre un nouveau papier et réécrire ce qui convenait et supprimer ce qui ne convenait pas, mais… Serait-ce aussi naturel ? Aussi réel ? Je ne sais pas. Alors qu’un SMS, il est si facile de revenir en arrière et de se reprendre. Avec les lettres, j’ai l’impression d’être au plus proche de ma sincérité et de qui je suis, sous les couches que la société nous impose à porter. Peut-être vas-tu t’imaginer que je mens au quotidien ou dissimule mes intentions à mes proches, mais ce n’est pas le cas, promis. Juste que dans ces lettres, j’ose un peu plus, sans crainte de blesser.

Si je commence à te parler du ciel d’où je viens, nous en avons pour dix pages au moins. Mais je vais essayer de te le présenter sans trop m’appesantir. La première constellation que j’ai pu nommer était celle de la Croix du Sud qui, comme tu te doutes à son nom, était une croix verticale composée de 4 étoiles : Gacrux, Mimosa, Imai et Acrux. Ma grand-mère me l’a montré lors d’une nuit d’octobre et l’étoile Mimosa m’est restée en mémoire (j'adore cette fleur). C’est la plus connue d’où je viens et je l’aime beaucoup même si ici, elle ne peut être vue. J’aime me la dessiner de mémoire, en levant mon index vers le ciel nocturne d’Édimbourg. Et même si c’est différent, le geste me réconforte à chaque fois. Quant au reste… En une phrase, je dirais que ma maison sentait l’herbe humide et la limette, un type de citron doux qu’on ne retrouve pas ici. J’aime décrire le parfum de ce fruit comme une nuance de roses :  délicat comme un rose nangaille et frais comme un incarnadin (je t’ai mis dans l’enveloppe deux petits bouts de papier coloriés pour te donner une idée des nuances dont je parle. Je les ai aussi parfumé à la saveur de mon sorbet favori, à toi de la deviner). Quant à l’odeur de l’herbe humide, je pense que tu vois bien de quoi je parle, mais elle était différente de celle d’ici. Plus chaude, plus entêtante : imagine la rosée écossaise humidifier le sol du levée au coucher, ça te donnera une idée de l'ambiance de ma maison. Certaines personnes n’apprécieraient pas la sensation, mais moi, c’était mon quotidien et ici tout me semble sec, presque sans vie. Tu vas peut-être me dire que, vu la quantité de pluie qu'il tombe à Édimbourg, la vie est bien là mais... c'est différent. La pluie est glaciale ici, monocorde. Il n’y a bien que dans les étendues magiques d’Hermitage que je retrouve cette impression agréable de la moiteur de ma région. Tout ça me manque, mais il y aussi de bons côtés à vivre ici. Comme ceux d’avoir rencontré tes mots et ta sensibilité.

(As-tu une constellation de préférées ? Si oui, pourrais-tu me la dessiner pour que je la cherche, lors d’une prochaine nuit où la lune se ressourcera et que les nuages ne s’inviteront pas à sa place ?)

J’aime tellement la façon dont tu as de parler des rêves et de ce que tu en fais, de leur modularité et de la liberté que tu y as créée. Il fallait vraisemblablement un esprit aussi doux et ouvert que le tien, pour cette magie si puissante. Je ne l’imagine pas aux mains de quelqu’un qui préférerait engloutir les âmes endormies sous des torrents de crainte et de violence. Je te vois avec une baguette en main - oui, un stéréotype de sorcier, mais que veux-tu, l’idée m’amuse - à effleurer de son extrémité les murs de nos rêves pour les colorer ou leur apporter une texture plus duveteuse avant de t’occuper du sol, en le gonflant d’air pour y rebondir. Même si l’idée du Tyrannosaure me plait aussi, j’ai un faible pour les espèces du Crétacé. Ce qui m’amène à une question peut-être stupide : peux-tu te blesser ? Je veux dire, dans nos rêves ? Où ton corps est immatériel, comme il s’agit de ton esprit ? Je n’ai jamais osé poser la question à ma grand-mère, qui était oniromancienne elle-aussi mais cela m’intrigue étant donné que les rêves peuvent faire souffrir les rêveurs.

Entre cette lettre et mes bouts de papiers colorés et parfumés, j’ai l’impression de te donner beaucoup de travail à nouveau. Prends le temps qu’il te faut pour me répondre : la patience n’est pas mon fort habituellement, mais attendre ta lettre m’aide à la travailler. Mes proches te remercient sans le savoir et moi aussi.

D.M