Frank Verstappen ⨳ You're always on time

Enfant naïf qui a grandi avec une structure qu'on a bien voulu lui imposer, et qu'il s'est par la suite infligé à son tour, Frank est d'une bonté d'âme parfaitement ridicule qui l'amène à se mettre dans des situations rocambolesques. De stature imposante et d'une endurance à toute épreuve, investi de la mission de protecteur de par son métier et de par ses croyances profondes frôlant parfois la pensée magique, il est étonnamment le premier à refuser de frapper qui que ce soit. Gargouille candide, il préfère encaisser que d'avoir à lever la main sur qui que ce soit, quant bien même cela tiendrait de la légitime défense. Force est de constater que son ascendant bouclier humain se suffit parfois, car les autres, s'ils sont téméraires et s'attaquent à lui, se blessent malgré eux à vouloir s'y essayer. Heureusement ou pas, son presque deux mètres de haut et son large d'épaules intimide déjà, alors que cela ne devrait pas. Il est son propre mur qui le sépare des autres, alors que Frank est un être prompt à partager et à s'enquérir de son prochain, on pourrait même le dire bon vivant, si sa joie innocente n'était pas en demi-teinte.

Cela fait de lui un être qui s'accroche aux âmes blessées comme un papillon de nuit cherchant la lumière, à moins que cela ne soit l'inverse. Que ce soit au sein de son propre métier ou en dehors, il aimerait rendre le monde meilleur, là où il est étouffé par les pécheurs. Les besoins de l'autre priment donc avant les siens. Il se justifie souvent, comme s'il était un coupable né ; porte la croix de ceux avant lui, et peut-être même d'un martyr qui pourrait s'étendre à la honte nationale que porte encore l'Allemagne toute entière vis à vis de son passé. Trop de choses pourraient expliquer que le sensible qu'il est se sente fautif partout, et souvent où il ne l'est pas.

Ses rêves de gamin inaccessibles sont stoppés par la responsabilité traditionnelle et familiale, il a pourtant la chance de rouler avec des voitures qu'il n'aurait jamais pu se payer lui-même, faute de foncer tête baissée dans une carrière de pilote automobile qui aurait gratifié son âme pour l'éternité. Casse-cou, il n'estime le danger que lorsqu'il est accompagné. Sa liberté et ses envies s'arrêtent souvent là où les il faut guettent, ceux des autres précisément, ce qui les ravit bien souvent, car ils ne font que profiter de lui. Lui dont les fers sont enfilés comme de simples et justes bracelets.

Amen.

"Frank, va chercher ton frère !"

Ils ont trois ans d'écart, les frères Verstappen, et le cadet doit aller chercher son aîné parce qu'on le lui a demandé : énième tournure que prend sa vie et qui ne défie pas l'habitude. Lorsqu'il arrive à le dénicher, c'est bien souvent près du loch, qui borde la propriété. Et à chaque fois, le même cirque éternel. "C'est maman qui t'a dit de venir me chercher ?" Et au début, Frank, il lui répondait, quand il posait la question. Avec le temps, il a apprit à se taire, parce qu'il était fatigué de courir aussi loin pour faire le pêcheur. "A chaque fois que je viens là, elle veut que je revienne. Comme si elle savait... — Viens Klem, on rentre à la maison." parce qu'il lui a fallu au moins deux ans avant de comprendre qu'il venait là pour pleurer mamie, parce que selon lui, on aurait pu la sauver. Sauf que mamie, c'était son esprit tout entier qui était parti, et ils n'avaient rien pu faire : de toute façon, elle ne les reconnaissait même plus, avant qu'elle ne se donne la mort par erreur. Quand Klem se retourne et se relève, lui qui est plus petit pourtant, Frank parvient à voir ces yeux qui larmoient. Parfois, il la porte, cette culpabilité-là, parce que mamie, elle était seule sur la fin, à Hamburg, et les responsabilités d'ici les avait arrachés à cet ailleurs qu'ils chérissaient pourtant beaucoup. Klem, lui, était aussi triste qu'en colère, parce qu'il se rendra compte plus tard que leur famille, ce n'est pas d'eux dont ils auront prit le plus soin. Et ça, Frank, le portera aussi des années durant, beaucoup plus aveugle, cependant.


"On dirait qu'il a très mal... je, tu crois qu'on peut faire quelque chose ?"

Frank a dans ses bras le prédateur que chassent pourtant ses parents depuis toujours, sur la propriété. Ils ne savent même pas dire comment il a pu le prendre sans qu'il ne se fasse déchiqueter les bras, à croire que même sa candeur avait su éteindre le feu de l'instinct chez le renardeau agonisant. Son père, furieux, s'est mit à lui beugler dessus dans un allemand parfait, comme s'il avait insulté la Sainte Vierge : "Lâche-moi ça ! C'est de la saleté !"

Alors il l'a lâché aussitôt, sans broncher, et il voit encore la carcasse à ses pieds, le son qu'elle a fait en chutant de si haut, et tout le mal qui lui serre encore le cœur rien que d'y penser. Le mal, le bien. Si on lui dit que c'est mal, alors c'est mal. Pourtant au dedans, et comme en dehors, il s'épanche de larmes face à cette dichotomie qu'il ne comprend pas. Son père lui dit de se pousser, l'achève devant lui. Soit bon avec ton prochain, lui avait-il dit un jour. Tout est création, avait même soufflé sa mère, émue, après une bénédicité.


"Tu as fait le trajet... en dix minutes ? Au lieu de 20 ? Doux Jésus, comment as-tu fait ça ?"

L'homme n'a pas su expliquer telle prouesse sur le moment, se contentant de s'excuser. La pointe moyenne de vitesse serait toutefois sujet à débat, et étonnamment, on ne lui a jamais vraiment demandé plus d'explications : les passagers récurrents, eux, savaient déjà de quoi il était question, bien qu'il savait relativement bien se tenir lorsque la famille dont il avait la charge se trouvait sur la banquette arrière. A vrai dire, il y a bien peut-être une fois où il a été rappelé à l'ordre, mais de la plus amusante des façons. L'un des fils s'était exprimé, après avoir été ramené de l'école comme un prince : "Woa, c'était trop bien comment ça allait vite !"

Et par vite, le môme voulait bien entendu dire très vite.


"Là où ils seront faibles, fils, tu seras leur bastion."

Sermon de son vieux père lorsqu'il s'est retrouvé incapable de soulever une bêche, et tout juste de pouvoir respirer correctement sans bouteille d'oxygène. Il savait à cet instant que c'est Frank qui devrait s'occuper de porter cette responsabilité, car Klemens lui, n'était qu'un artiste raté qui était tout juste bon à tondre la pelouse. Ce dur jugement n'était pas partagé par son frère, il va de soi ; mais lorsque Jan le prenait à parti pour pouvoir lui céder ses avis sur le fils absent, Frank en souffrait. Le sculpteur et le bouclier. C'est à peu près ce à quoi l'on pourrait résumer ladite fratrie. Dans l'argile comme dans la pierre, la beauté de son art est de l'ordre du superbe. Frank le voit. Jan, lui, perçoit l'inutilité que cela induit face aux employeurs qui attendent une loyauté efficace, et pas un bouffon du roi. Pourtant dans cette mission qu'on lui a confié, Frank ne parvient pas à être l'épée. Il laisse le soin à St Michael de l'être pour lui, là où la violence induite par ses propres moyens le préoccuperaient profondément.


"Votre père va tous nous manquer. Je ne me fais pas de soucis à votre sujet cependant, je sais que vous serez son digne successeur, Frank."

Ce que lui a répondu Frank ce jour là tint dans une formulation impersonnelle : Oui monsieur.

A vrai dire, il le gratifiait d'une confiance qu'il lui avait déjà donnée, bien avant même le décès de Jan Verstappen. Il aura emporté avec lui l'amertume, et des secrets de famille qui les lie encore aujourd'hui auxdits employeurs, qui seraient presque relayés au rang d'idole, s'il le pouvait (blasphème). "Je sais qu'il m'aimait pas...", a dit Klem en pleurs, à l'enterrement de papa, enserré par un des bras de son cadet. Cela fait des générations que quelque chose traîne sous le tapis. Des décennies qui englue ces deux familles, par une loyauté qui défie le temps et les conceptions. Il faut rester, préserver, protéger. L'une se sent profondément coupable, et redevable. L'autre profite de ce qui leur est dû depuis toujours. Frank ignore encore de quoi il s'agit, et pourquoi ces affres vibrent en lui comme s'il avait été le premier à leur dire oui.

a fait partie d'une chorale de sa paroisse lorsqu'il était enfant — féru de voitures, roule vite par habitude et s'en veut systématiquement d'outrepasser les réglementations de vitesse locales — polyvalent, il a beaucoup apprit à force d'être au service de ses employeurs — participe à la messe dominicale depuis ses jeunes années, il a d'ailleurs passé sa confirmation depuis longtemps déjà — écoute principalement des vieilleries, mais aussi beaucoup de variété italienne — on lui a déjà dit qu'il avait des airs de cathédrale, celle de Köln précisément — s'excuse en permanence — il a apprit le piano à force d'avoir dû participer aux cours d'un des aînés de la fratrie — le concernant, il a d'ailleurs un frère qui s'occupe lui aussi de la propriété — logés sur place dans une maison quelque peu excentrée du manoir, Frank et son frère s'occupent de leur mère vieillissante en plus des autres responsabilités qui leur incombent — élevé dans un entre-deux, il parle allemand avec les siens et anglais avec ses employeurs, qui lui ont d'ailleurs demandé de donner des cours à une de leur fille — sa mère est malade, elle ne souhaite pas se faire soigner et Frank est (malheureusement) le seul à le savoir. — le seul blasphème auquel il s'adonne est de prier St Michael. — s'est intégré dans la société principalement par mimétisme, bien qu'il n'ait vraiment jamais su se sentir à sa place là où il se trouvait : il est le bastion de ses employeurs plus que tout le reste.