[Terminé] Now, we are free

Si pour certain·es, la nouvelle année démarrait en janvier et rimait souvent avec résolutions et autres conneries, pour une majorité des Covens, c’était en février. Davi ne fêtait ni l’un ni l’autre, mais avait décidé cette année de tenter une liste d’envies, pour l’accompagner dans la longue route qu’il avait difficilement entamée en décembre. Si pas grand-chose ne s’était passé comme il l’avait espéré et que janvier s’était déroulé dans un brouillard dont il se relevait à peine, février serait différent. Davi avait tellement d’espoir qu’il avait tout mis en place en amont pour que les premiers jours se passent correctement : commandes de repas à congeler pour le mois, factures payées en avance, post-it de rappels mis en double et surtout, draps changés, non sans mal après plus de deux mois sans avoir le courage de retirer ses taies d’oreillers. S’il ne pouvait vivre dans un appartement en désordre, son lit portait toujours les stigmates des nuits agitées : changer ses draps à chaque suée nocturne, c’était un douloureux rappel que ses cauchemars gagnaient à chaque fois. Ça, Davi ne l’acceptait pas. Et puis, l’odeur iodée ne le dérangeait pas, lui rappelait même le parfum chargé des aprés-midi cache-cache quand il était enfant. Personne n'allait venir sentir ses draps de toute façon.

Arrivé à 9h à sa boutique, il avait installé les tables ainsi que le matériel le soir d’avant pour ne pas être pris de court. Au centre trônait un établi où de nombreuses chutes de tissus rangées par matière, fils à coudre, rubans et autres broches et boutons trouvés en brocante se battaient pour gagner la faveur des futur·es élèves. Le couturier avait pris soin de ranger les vêtements fragiles dans son atelier situé en dessous de la boutique, et de pousser les portants sur les côtés, en s’assurant qu’aucune pièce ne soit trop serrée contre une autre. Il avait fini par installer des chaises confortables ainsi que des tabourets qui se relevaient. Rien ne manquait, pas même les collations et boissons qu’il avait commandées à un service traiteur réputé.

Cet atelier d’initiation à la couture et précisément à la réparation de vêtements, il y pensait depuis l’année dernière, mais avait pris du temps pour l’organiser. Entre la fermeture officielle de la boutique ce jour-là, le chinage de matériaux que le zoomancien n’avait pas, la préparation des tissus qu’il voulait mettre à disposition, l’écriture des fiches techniques pour celleux qui préféraient lire plutôt qu’écouter et les nombreux moments de down où il en avait oublié le dit projet, il sentait aujourd’hui une drôle d’émotion l’envahir en voyant le fruit de son labeur devant ses yeux fatigués. Pas de Liz à l’horizon, aucune voix qui venait susurrer à son oreille. Rien que le coeur battant d’excitation, mais aussi l’appréhension de ne pas être à la hauteur de ce qu’on s’imaginait de lui. Mais février serait différent. Cette fois-ci, il ferait un pas en avant sans reculer. C’était la première chose qu’il avait écrite sur sa liste, “Avancer”.

9h55. Le zoomancien savait précisément le nombre de personnes qui viendrait, huit, mais avait aussi conscience que les absences étaient de rigueur dans les évènements à prix libres. Il s’était répété devant son miroir que ce n’était pas grave si cela arrivait, que ce n’était en rien contre lui et que ça leur laisserait plus d’espace dans la boutique. Pourtant, lorsqu’on sonna à la porte, il eut un moment d’hésitation : s’il n’allait pas ouvrir, personne ne pourrait entrer. Si personne ne pouvait entrer, il n’y aurait aucune possibilité d’absence. L’évènement serait juste annulé et il n’aurait pas à se poser dix mille questions sur le pourquoi on ne l’avait pas prévenu en amont.
La sonnette retentit une seconde fois. Après “Avancer”, il y avait “Ne te déçois pas” dans sa liste. Alors Davi prit une longue inspiration et ouvrit la porte, avec un semblant de sourire qu’il n’espérait pas trop fermé.

- Bonjour. Entrez... Bonjour. Installez-vous où vous souhaitez, il y a des fiches informatives à remplir pour que l'atelier se déroule bien. Bonjour ! Oui, une par place normalement, vous avez des stylos ou des crayons à papier.

Déjà cinq personnes. Il sentit les larmes monter mais se retint pour ne pas craquer avant même que l'atelier ne débute. Ce serait dommage, lui qui avait même pris soin de dissimuler les cernes sous un peu de fond de teint.

On s’installait, on papotait, certaines personnes se connaissaient, d’autres non. Davi se souvenait de quelques têtes, mais les noms lui échappaient, comme souvent. L’agacement était sincère, de ne pas réussir à mettre des prénoms sur les visages, de triturer sa mémoire en silence sans que rien que ne remonte à sa surface. Mais il n’en montra rien, devenu habitué à des souvenirs défaillants qui lui rappelaient sans cesse de toujours noter sur son carnet de notes ce qu’on lui disait ou ce qu’il apprenait.

Une personne d’un certain âge s’approcha, lui tendit sa fiche en commençant à discuter des différents tissus à disposition. D’un coup d’œil efficace, le zoomancien trouva le prénom et répondit à Ms Amanda Caldway que oui, il avait bien pensé à apporter quelques pièces de velours, vegan bien entendu. Et que oui, il n’avait pas oublié d’acquérir des aiguilles avec un chas ouvert, pour faciliter le passage du fil pour les petites mains tremblantes (même lui en utilisait pour gagner du temps). Elle fut conquise et repartit à sa place !
Un sourire plus tard, sincère, mais toujours un peu trop statique, il vit les trois dernières personnes arriver et s’installer comme les autres. Tout le monde était finalement venu et la sensation fut aussi grisante qu’oppressante. Devait-il commencer à prendre la parole et se présenter officiellement ? Ou continuer son petit tour plus intime ? L’hésitation le cloua au sol alors que ses yeux clairs se perdaient déjà au fond de la boutique, là où tous les vêtements étaient rangés. Il aurait dû tous les descendre, pas que les pièces fragiles. Il aurait…

- Bonjour Davi. Je ne savais pas trop quoi ramener alors... J'ai pris du liquide et des shortbread. Ils sont vegan, j'ai pris du beurre végétal.

L’intéressé cligna des yeux, ramené sur terre par la voix de… Son regard lorgna sur la fiche avant de se relever. Aster ! Lae nécromancien·ne en quête de légumes. Ou de fruits de saison, il ne savait plus. Face à la boite de shortbread et à la petite liasse de billets, le zoomancien resta quelques instants sans réagir, hésitant sur quoi prendre en premier.

- C’est… C’est parfait. Je ne m’attendais pas à autant.

Que ce soit l’argent ou les gâteaux. En fait, il ne s’attendait pas à grand-chose ni à la présence de tout le monde.

- Vous pourriez poser les shortbreads sur la table du fond ? Je suis sûr qu’ils sont délicieux, ça fait bien longtemps que je n’en ai pas mangé.

Le dernier qu’il avait gouté venait d’une épicerie d’Edimbourg humain, ouverte en pleine nuit, dégoté après une énième sortie pour se changer les esprits. Il avait fini par s’agacer contre un cycliste qui n’avait rien demandé, mis à part de passer avant lui sur le passage clouté.

- On s’occupera de l’argent à la fin si ça ne vous dérange pas. J’ai préparé une boite pour le prix libre, mais je ne l’ai pas encore sorti et… Enfin, je préfère qu’on voit ça plus tard. Installez-vous et vous pouvez sortir ce que vous avez amené pour l’atelier.

Il ne voulait pas se montrer impoli, encore moins face à quelqu’un de si sympathique qui avait fait attention à la cuisine (tout le monde ne pensait pas à utiliser du beurre vegan ou de la margarine en pâtisserie), mais si le zoomancien commençait à perdre le fil de son programme, l’atelier se terminerait bien trop vite.

Alors il retourna à sa table, griffonna sur la fiche d’Aster “cheveux longs noir et coloré, maquillage paupières, shortbread” puis sur celle d’Amanda “lunettes rondes, cheveux courts roux, col claudine” et laissa les autres participant·es les garder devant elleux. Il les récupérera après et prendra le temps de noter des indications qui lui permettront de ne pas se perdre dans les prénoms.

- Bonjour à tout le monde, euhm…Merci d'être venu·es. Pour me présenter rapidement, je suis Davi Miguel Galhardo Assunção, couturier et styliste et…

En dehors des interviews, il précisait rarement d’où il venait, des débuts de sa passion, d’où il tirait sa créativité. Il craignait toujours que quelqu’un ramène sur la table les actualités.

- J’ai conscience que la mode peut souvent paraitre… élitiste. Surtout dans mon secteur. Alors j’ai voulu... Je ne sais pas, essayer de proposer des alternatives pour que… Vous n’ayez pas à me payer 150£ de l’heure pour vous créer une tenue de soirée !

Davi avait peu d’humour, mais il espérait que celle-ci fasse mouche.

- Enfin, je prends moins cher bien entendu. Un peu.

Mais il préféra se rattraper, au cas où.

- Avant de vous expliquer l’organisation, est-ce que quelqu’un veut raconter l’histoire du vêtement qu’iel a apporté ?

Car lui avait déjà trop parlé et une pause serait la bienvenue.

S’il y avait bien un moment que Davi appréciait particulièrement dans son métier, c’était lorsqu’on se mettait à lui partager plus que le nécessaire. Qu’au-delà d’un simple “j’aurais besoin d’un pantalon à pince pour une réception”, d’autres informations filtraient sur le pourquoi venir chez lui et pas ailleurs. Une histoire, une anecdote, des valeurs importantes, une remarque glissant entre deux indications. Car il y avait souvent un besoin viscéral à exprimer en se procurant un nouveau vêtement : envie de se plaire à soi-même, de faire passer un message, de se sentir plus en confiance ou de dévoiler ses engagements au-delà de l’esthétisme. Alors à chaque nouvelle visite dans sa boutique et même en dehors, Davi prenait le temps d’écouter et de comprendre ce qui se tramait derrière chaque demande. D’une création à un raccommodage en passant par l’achat d’une pièce sur un portant. Au-delà de conseiller, il adorait tendre l’oreille pour comprendre l’importance de la recherche et ce qu’elle dissimulait. Et aujourd’hui, il n’allait pas être déçu en écoutant la première personne à prendre la parole. Le zoomancien ne put s’empêcher de poser son menton sur sa paume, le coude contre sa table en bois. Il y avait dans l’histoire de cette vieille dame l’importance du passage à la génération d’après, celle qui continuerait de se battre pour une société meilleure sur bien des plans. Et l’amour de sa petite-fille pour des pièces plus anciennes, aux tissus intemporels qui avaient la saveur du sel pour le brésilien. De là où il était, il reconnut le tweed et ses bouclettes de laine. Au vu de la demande, elle ne serait pas en mesure de reprendre la longueur et la largeur du vêtement avec un simple cours. Le zoomancien attrapa son carnet et y nota de lui proposer à la fin de finaliser les retouches, gratuitement.

Quand la personne aux cheveux colorés du prénom de… petit coup d’œil à la page précédente… Aster, prit la parole, le brun releva les yeux en se focalisant sur la pièce qu’iel tenait entre ses doigts. Une longue jupe qui portait un bout d’histoire de l’Oracle nocturne. Il y avait une certaine prestance qui se dégageait d’Aster, quelque chose de magnétique surement dû à son rang parmi les Vagabonds. Au vu de la déchirure, il allait être difficile de la réparer, mais Davi avait déjà une petite idée sur ce qu’iels pourraient en faire.
Après ellui, les autres suivirent. Un t-shirt troué appartenant à un fils qui avait des difficultés à sortir de chez lui depuis quelque temps et dont le père voulait essayer de recoudre pour lui faire plaisir. Une robe à laquelle sa propriétaire voulait ajouter quelques breloques appartenant à sa meilleure amie, pour se souvenir toujours d’elle quand elle la porterait. Un cardigan mal taillé, mais dont la couleur avait ravi le cœur de la trentenaire aux lunettes rondes. Quand toustes eurent terminé, Davi comprit que c’était son moment. Il aurait pu les écouter parler de leur vêtement et des sentiments qui en découlaient pendant encore des heures.

-Merci pour ces partages, c’est toujours agréable de voir que nous sommes encore beaucoup à vouloir réparer au lieu d’acheter à chaque fois. La mode est un des secteurs le plus polluant et violent de notre société. Au-delà de tout l’aspect commercial et marketing dont on ne discutera pas vraiment aujourd’hui, la préparation de certains tissus et la confection à la chaine de vêtements abusent des êtres vivants, mais aussi de l’environnement qui nous entoure. Nous ne sommes que des maillons d’une chaine bien trop grande pour l’arrêter, mais je suis convaincu qu’on peut agir malgré tout. S’il manque plusieurs maillons à une chaine, elle finit par se briser.

Davi aimait parler de son milieu, de tout ce qu’il haïssait dans sa passion et même s’il restait aujourd’hui respectueux dans les thermes choisis, celleux qui le connaissaient d’avant savaient parfaitement de quoi il était capable pour arrêter une industrie dévastatrice. Lui et bien d’autres.

-Tous vos projets requièrent un minimum de couture. Pour débuter, je vous invite à prendre une aiguille, un fil et un des carrés de tissus devant vous, pour vous entrainer quelques minutes à passer le fil dans le chas, la boucle de l’aiguille, et commencer à coudre. Ne vous prenez pas la tête sur le type de point ou de coudre en ligne droite, c’est seulement pour réchauffer votre poignet. Comment certain·es semblent déjà avoir une idée précise de ce dont iels ont besoin, vous pourrez aller chiner dans la table centrale les tissus, écussons, boutons et autres ornements dont vos auriez besoin. Thomas, pour le t-shirt de votre fils, il faudrait savoir sa matière avant tout. S’il n’y a plus d’étiquette, j’ai des échantillons dans le catalogue blanc pour comparer. Ce sera votre mission du jour.

Il montra du bout du doigt la longue table avant de relever son bras vers le reste de la boutique.

-Sur votre gauche, vous avez une surjeteuse et une brodeuse. La première nous sera utile pour sécuriser les bords et éviter qu’ils s’effilochent. J’accompagnerai chaque personne qui en aura besoin. La seconde, comme son nom l’indique, est pour broder. Mary, je pense que cela pourrait être sympa en complément des bijoux de votre robe, je vous montrerais. Et là-bas, vous avez une machine à coudre typique. Je crois qu’Amanda, vous savez vous en servir. Clara et… Doris ! Vous avez le même besoin, celui de retailler un vêtement. Je vous laisse vous échauffer en couture et je viens en discuter.

Cela faisait bien longtemps que Davi n’avait pas senti cette vibration en lui, cette étincelle de vie qui étirait son sourire.

-Aster, je viens vous voir de suite, j’ai une petite idée à vous proposer.

Davi préférait laisser de l’autonomie au départ, pour venir personnellement apporter conseils aiguisés et mains affutées à chaque projet et éviter la déception finale de ne pas avoir avancé. Durant les dernières 30 minutes, il leur fera un cours plus magistral, en expliquant les composants des tissus qu’il travaillait et comment il choisissait ses partenaires pour s’assurer du respect des humains, des animaux e de l’environnement.

Carnet en poche, il attrapa quelques chutes de tissus en vol, un pochon de boutons argentés et une bobine et se rapprocha de la table d’Aster.

-À nous. Étant donné la longueur de la déchirure, je ne suis pas certain que recoudre soit la meilleure solution. On perdrait quelques centimètres, ce qui la serrait davantage et… Comme vous avez parlé de monter aux arbres, j’imagine qu’être serré·e dans un tube de tissu n’est pas l’idéal. Peut-être qu’il faudrait plutôt ajouter une pièce de tissu et ce serait intéressant de ne pas opter pour la même couleur ou texture pour la faire évoluer comme vous l'avez dit. Qu'est ce que vous en pensez ?  Et est-ce qu’il y a des… sensations que vous n’appréciez pas ? Comme le velours sur le peau ou le crissement du tulle ? Ou le froid du cuir végétal ?

Davi aimait le velours de lin, car à chaque caresse, il lui donnait une saveur légèrement acide en bouche, comme le souvenir d’une carambole fraiche.

Il l’écoutait avec la plus grande attention, prit des notes sur les couleurs sombres à privilégier, pour des raisons professionnelles, mais aussi personnelles. Aster avait raison, le noir allait globalement avec tout quoique certaines personnes laissaient à croire dans des articles de mode. Davi était partisan du “tant que la personne se sent bien dans un vêtement, cela lui ira” que du contraire. Et même si certaines carnations ou couleurs d’yeux étaient peut-être plus mises en valeur par telle ou telle couleur, qui était-il pour laisser parler la logique plutôt que les sentiments ? Il préférait plutôt conseiller sur le type de tissu et la sensibilité de la personne ou encore toucher les valeurs sociales et écologiques en proposant des alternatives que d’emmerder le monde avec la théorie des couleurs qui était en plus, bien souvent, trop eurocentrée.
Et puis, quelque chose lui disait que quoi que porte Aster, celui lui irait bien. La prestance naturelle de l’oracle et sa façon de se mouvoir nourrissaient la créativité du couturier comme à un apéro dinatoire.

- … Le velours, c'est compliqué à nettoyer et j'ai souvent de la poussière ou de la terre sur moi

Ça le toucha, de s'imaginer lae jeune oracle monter aux arbres et maintenant, vivre sa vie sans se soucier des potentielles éclaboussures ou tâches laissées par ses aventures. Bien loin des demandes de sa clientèle habituelle, même si Davi n'en appréciait pas une plus que l'autre. C'était juste différent et rafraichissant ! Hochant de la tête, il posa sur la table ses coupons de tissu et son sac à boutons.

- Le velours demande un certain entretien, vous avez raison. Quant aux tulles, il en existe des souples qui ne grattent pas, mais le cuir ou la dentelle sont d’excellentes idées ! Le second laissera apparaitre votre peau donc cela dépend si vous êtes à l’aise avec. Je peux aller vous chercher ce que j’ai et…

Il tria rapidement du bout des doigts les chutes de cuir posées sur la table pour les lui montrer. Au cours de la dernière décennie, Davi avait vu le monde de la mode changer et s’ouvrir à de nouvelles alternatives de tissu, pour son plus grand plaisir. Il avait découvert le cuir d’ananas dix ans auparavant, grâce au travail de la designeuse Carmen Hijosa. Et même si elle n’en était pas l’inventrice (les Philippins ayant un vêtement traditionnel réalisé en fibre de feuilles d’ananas), elle avait permis sa commercialisation à plus de monde. Pour autant, Davi aimait en redonner l’origine à chaque fois qu’il en parlait, pour éviter d’invisibiliser les cultures dont il venait.

- … En cuir végétal j’ai plusieurs alternatives en stock : le Piñatex, qui est du cuir d’ananas. Il était utilisé à l’origine pour un vêtement philippin, le Barong Tagalog. Vous avez aussi le Muskin, fait à partir de champignons ou mon préféré, car le plus local, le cuir de pomme.

Les nuances variaient du noir d’encre au gris anthracite. Quant à l’aspect, le dernier était le plus lisse des trois et les deux autres ressemblaient davantage à des cuirs anciens, qui avaient vu bon nombre d’années défiler.

- Je m’occupe personnellement de la teinture du cuir, pour que les couleurs correspondent aux envies de ma clientèle. Si les chutes d’ici ne vous plaisent pas, au lieu de coudre aujourd’hui, on peut faire un atelier de teinture végétale pour préparer la pièce que vous souhaitez ! À vous de me dire ce que vous préférez.

Il y avait dans sa voix autant de passion que de patience, et on sentait que le couturier avait à cœur d’aider l’enfant Vagabond à redonner toute sa beauté à cette jupe si importante. Et même s’il jetait des coups d’œil par-ci par-là pour vérifier que personne n’était en panique avec une aiguille plantée dans le doigt, toute son attention restait dédiée à Aster.

Davi apprécia voir Aster toucher les différents tissus, s’imprégner de leur texture pour s’éloigner de l’aspect uniquement visuel. Cela lui montrait qu’il avait partagé ce qu’il fallait à l’Oracle, lui offrant bien plus que des conseils techniques - qui viendraient par la suite. À chaque nouvelle création, le couturier portait toujours à l’attention de sa clientèle la précision dont il avait fait preuve pour choisir le ou les bons tissus. S’il s’agissait bien d’une question de professionnalisme, Davi souhaitait surtout montrer à la personne en face de lui que tout ce qu’iel avait partagé lors de sa commande avait été pris en compte, même ce qui n’était pas sorti officiellement de ses lèvres : les réactions du visage lors du premier contact avec un velours côtelé, le plissement des yeux face à un tissu miroitant un peu trop ou une expiration de contentement lorsque les épaules se drapaient d’un voile léger. Même le temps de réflexion face à deux teintes de mauve. Davi n’était pas un exécutant, mais un créateur et il le démontrait à chaque entrevue, même ce matin lors de cet atelier avec Aster.

- Mon cœur me dit de choisir le cuir de champignons.
- Partons sur ça alors.

Quant à son envie de partir sur les teintes déjà présentes ici et en particulier le gris anthracite du cuir de champignon, Davi ne put qu’acquiescer. Si lui avait été à sa place, il aurait pris la même décision pour d’autres raisons. Que ce soit par souci d’écologie, d’anti-gaspillage ou de destin, le résultat aurait le même : pas besoin de produire à nouveau.
Arquant un sourcil face à la comparaison avec les cartes, le zoomancien ne put empêcher un doux sourire de naitre sur son visage. L’entendre parler de cartomancie lui rappelait sa grand-mère ainsi que bien d’autres membres de sa communauté de Rio Branco où zoomanciens, botanomanciens, nécromanciens et oniromanciens se mêlaient avec autant de beauté et d’harmonie que la flore environnante. Si cela se rapprochait un peu d'Edimbourg sur le principe des Coven, la comparaison s'arrêtait là : Rio Branco avait ce souffle de vie qui manquait terriblement à la capitale écossaise.

- Je suis quelqu’un d’assez... long sur les réflexions. J'aimerais avoir votre spontanéité, surtout en ce qui concerne les choix du quotidien. C'est inspirant !

Il eut un léger rire, un peu moqueur de sa propre personne au vu de son incapacité à laisser faire les choses - un paradoxe pour un enfant des Vergers. Combien de fois sa mère, plus jeune, lui avait rappelé que tout arrivait pour une raison et que s’inspirer davantage de la Nature pour son quotidien, lui permettrait de prendre la vie plus posément ?

- Je vous propose de s’y mettre ensemble. Avant de coudre, on a deux missions : agrandir un peu la fente pour que l’empiècement ne soit pas trop fin et ne laisse pas une impression de “mauvaise coupe” puis couper la bonne longueur et largeur de cuir pour compléter la jupe. Je vous propose de faire la 1re étape à 2 : vous enfilez la jupe et me montrez la largeur de la fente que vous souhaitez et je vais prendre les mesures sur vous. C’est mieux qu’à plat étant donné le tissu de la jupe qui est légèrement extensible. On sera sûr·e de ne pas faire d’erreur.

Jetant un coup d’œil vers le reste des participant·es, qui semblaient bien occuper à choisir tissus, dentelles et boutons, il vit Amanda s’installer à la machine à coudre avant de reprendre :

- Il y a une cabine tout au fond à gauche si vous souhaitez l’enfiler sans pantalon dessous, mais vous pouvez le garder aussi. Je vais juste voir si Amanda s’en sort et je reviens pour les mesures. On pourra continuer de discuter cartomancie, je ne m’y connais pas vraiment et vous avez l’air d’être la personne qui me faut pour me défaire de mes idées reçues.

Abandonnant Aster avec un dernier regard encourageant, Davi retrouva en quelques pas Amanda et la machine à coudre. Elle se débrouillait à la perfection, tenait bien le tissu pour ne pas qu’il s’échappe de ses mains et la couture fût droite comme une règle. À croire que les quelques conseils qu’il lui avait offerts deux semaines auparavant lors d’une de ses visites à la boutique avaient bien servi ! le zoomancien n’eut rien à redire et continua son petit tour pour s’assurer que le reste des apprenant·es étaient sur la bonne voie de leur projet. Se dirigeant d’abord vers Thomas, l’homme continuait d’explorer les échantillons pour trouver celui du t-shirt de son fils et fut ravi de dénicher enfin la perle rare : il s’agissait d’un jersey de lin, tissu souple et doux au toucher, mais qui, dû au manque d’élasticité, était peu utilisé pour des vêtements. Le t-shirt devait certainement sortir d’une petite collection et non d’une confection à la chaine.

- On va partir sur une couture à la main vu la taille du trou : juste…

Il se pencha sur la table d’à côté et attrape une boite en métal fermée.

- Ici, vous trouverez des aiguilles à jersey. Ça va vous permettre de mieux la glisser entre les mailles du tissu sans les abimer. Pour le fil, il y a plusieurs teintes de vert sur la table centrale, vous choisirez celle qui vous semblera le mieux. Mais en attendant, on va s’entrainer à coudre sur une chute de jersey. Je vous montre.

Et il lui fit la démonstration avec tant de douceur et de pédagogie que même lui en fut surpris. Davi faisait toujours attention à prendre son temps lors d’explications, mais il n’était pas habitué à partager autant de connaissances techniques à des personnes qui avaient des niveaux de compétences différents. Thomas ne connaissait rien à la couture comparée à Amanda par exemple et il était important que le père se sente en confiance avec l’aiguille en main : pas uniquement pour réparer correctement le t-shirt, mais surtout pour être fier du résultat, qu’il y ait passé 10 min ou 1h. Qu’il ait senti entre ses doigts le vêtement retrouver sa splendeur d’antan tout en s’imaginant le sourire de son fils en le recevant. Alors oui, Davi passa de longues minutes à lui expliquer chaque étape, en allant lentement pour lui permettre de visualiser le passage de l’aiguille sous chaque maille. Puis il le regarda faire et malgré les légers tremblements de doigts de Thomas, l’homme se débrouilla comme un chef !

- Entrainez-vous encore un peu puis vous irez trouver la bonne couleur de fil pour vous lancer. Et s’il y a besoin, vous venez me chercher, d’accord ?

Hochement de tête de l’intéressé alors que le couturier passa sur le reste des tables : certain·es cherchaient toujours le bon bouton ou la bonne nuance et personne ne semblait s’ennuyer ! Le sourire du zoomancien n’avait pas été aussi pétillant depuis des semaines. Davi retourna alors du côté d’Aster qui avait enfilé la jupe et…

- Oh, bien le marquage ! C'est parfait. Je me dis que couper juste ici…

Il se pencha légèrement pour lui montrer l’une des démarcations la plus proche de la déchirure sans pour autant toucher le vêtement : respecter l'espace personnel était l'une des règles principales de Davi Galhardo. Même lors des essayages, il demandait toujours le consentement et prévenait à chaque fois que ses doigts allaient devoir effleurer la peau. La base à ses yeux et qui pourtant, échappait encore beaucoup à des collègues qu'il avait pu croiser lors de défilés.

- … sera parfait. Ça n’agrandira pas trop tout en laissant une jolie ouverture pour le cuir. Je vous explique comment on va procéder : d’abord, vous allez retirer la jupe et tracer les lignes de coupe avec la grande règle en bois et votre craie, pour que ce soit plus simple et bien droit. Vu le tissu, ça va se découper tout seul dans la longueur avec la paire de ciseaux que vous avez… Juste ici !

Il tira vers elleux ladite paire avant de finir :

- Je reste à vos côtés si besoin et on peut discuter de cartomancie. Vous avez un tarot favori ou vous pratiquez avec plusieurs en fonction des demandes ? Enfin, désolé, vous avez peut-être besoin de silence pour vous concentrer.

C’était amusant, que cette remarque vienne de sa part, lui qui avait tant besoin de calme pour travailler. Mais la fierté et le bonheur de cet atelier créaient une émotion qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps et cela se voyait : Davi était heureux et la lumière qu'il dégageait se ressentait dans sa sincère curiosité envers l'activité d'Aster.

Se posant à peine sur un tabouret, Davi fut aussi attentif aux gestes d’Aster qu’à ses paroles. S’il y avait bien quelque chose qui lui donnait le sourire, c’était de rencontrer des personnes passionnées par ce qu’elles racontaient, quelle que soit la thématique ! Et si la curiosité de Davi restait souvent discrète, en piochant dans les conversations des informations utiles sans pour autant poser de questions, elle était encore plus comblée quand il entendait la joie dans les paroles de celleux qui osaient donner une vraie place à leurs explications, sans aucune gêne de parler longuement.

Le couturier n’y connaissait rien en cartomancie et s’il avait beaucoup de respect pour les onirmancien·nes et necromancien·nes, il y avait tant de choses qui le mettaient un peu mal à l'aise dans ces magies : la place de la mort déjà, de la communication avec les ancêtres mais aussi la possibilité de se balader dans les rêves d'un·e autre. Et il faisait aussi partie des sceptiques en ce qui concernait toutes les activités liées de près ou de loin à la divination. Alors ressentir quelque chose en effleurant des cartes... Quelle sensation sentirait-il, lui ? De la chaleur ou une impression de froid intense ? Peut-être aucune et se retrouvait bien stupide face aux cartes déployées devant ses yeux. Lui qui goûtait l’orange et entendait les épices, savourait le velours et se pinçait le nez face au son d’un clavecin, avait toujours peur de ne pas ressentir correctement. De ne pas ressentir tout court, comme c’était le cas depuis bien longtemps. Que ferait Aster dans cette situation ? L’inviterait-iel à réessayer ou alors à prendre les cartes en main ? À les sentir peut-être ? Ou pourrait-iel passer outre le manque d'émotions de son client ? Davi se rendit compte qu’il avait bien plus de questions qu’il se l’était imaginé et apprécia cet instant où son esprit se déployait en un magnifique camaïeu d’intérêt.

- Le tarot... Il y a beaucoup de choses à retenir, de combinaisons possibles entre les cartes... C'est plus compliqué à prendre en main et à interpréter.

Il se nota dans un coin de tête de poser plus de questions sur les oracles que sur les tarots plus tard et fut quand même surprit d'apprendre que les deux étaient différents même s’il s’agissait de cartes. Un peu comme les aiguilles qu’il proposait aux participants : il y en avait pour le coton et pour le jersey, pour le cuir ou pour le denim. En prendre une pour un tissu qui ne lui correspondait pas pouvait rendre l’acte difficile, voire abimer le vêtement.
Quand l’Oracle prit la paire de ciseaux, Davi se releva pour se mettre de côté et suivre de près l’acte chirurgical : le tracé avait été réalisé à la perfection et normalement, Aster aurait une découpe parfaitement droite et propre… Ce qui fut le cas, dans un son caractéristique de l’acier contre le coton.

- Parfait. Maintenant, on va pouvoir installer le cuir sur la jupe. Pour ça, retournez-la entièrement pour avoir l'intérieur face à vous et posez-la bien à plat sur la table. Ensuite, vous prendrez la chute de cuir et la positionnerez au centre de la fente, en équilibrant au mieux pour avoir la même largeur de tissu de chaque côté.

Consignes données avec des gestes, pour lui montrer sans faire à sa place.

- Et pour revenir aux oracles, vous faites des tirages dans vos loisirs ou c’est lié à votre rôle ? Je ne pense pas en faire par ou pour moi-même, ça me… enfin, ma grand-mère était oniromancienne et l’un de mes amis est de votre Coven mais… je ne sais pas, ça m’a toujours gêné, de me dire qu’on peut contacter les ancêtres ou encore… entrer dans la tête des gens quand iels… dorment.

Il eut un rire gêné : n’était-ce pas aussi étrange de se transformer en animal ou encore de ressentir les émotions comme une antenne de radio ? Qu’y avait-il d’étrange dans leurs magies, qui faisaient partie de leur identité ? Rien et Davi le savait pertinemment, mais il y avait autre chose, de dissimuler entre ses balbutiements.

-  Quant à tirer des cartes… Je ne sais pas trop, est-ce que c’est une histoire de destin ou le tirage est aussi poussé par les ancêtres ou… enfin, je ne critique pas du tout votre magie, c’est… je…

Il se sentit tout à coup gêné par la situation, prenant conscience qu’il perdait ses moyens là où il y avait eu une étincelle de confiance quelques minutes auparavant. Presque, il jeta un coup d’œil sur la gauche, en espérant que quelqu’un viendrait l’appeler au secours avec une aiguille coincée dans le pouce.

- Je pense que ça me fait juste peur, de… déranger. Dans la mort ou dans les rêves. Ça vous est déjà arrivé lors de vos activités d’Oracle ?

Davi à cet instant :

Plus il l’écoutait, plus Davi se demandait pourquoi il n’y avait pas plus de dangereux nécromancien·ne et oniromancien·ne, au vu de leurs dons. Ou alors, pourquoi il n’en entendait jamais parler si iels existaient. Le zoomancien n’appréciait pas hiérarchiser les magies et si celle du feu avait sa place en haut de son propre podium depuis de longues années, il savait aussi pertinemment que son respect pour les oniromancien·nes et les nécromancien·nes étaient accolés à de la peur. Quand il en parlait dans les lettres échangées avec l’inconnu, il y avait toujours cette forme d’inquiétude de savoir que quelqu’un pourrait pénétrer ses rêves et y voir ce qu’il n’osait jamais évoquer dans le monde réel : de la haine brûlante à laquelle la violence s’accolait systématiquement. Et si Davi avait commencé à la laisser glisser en dehors de ses rêves, elle s’était pour le moment calmée grâce à l’arrivée incongrue d’un humain bien trop désolé et désolant.

Hochant de la tête face à l’image du téléphone, une autre pensée prit naissance dans son esprit, expliquant à nouveau la crainte et le respect qu’il avait pour ce coven : est-ce que ses parents répondraient à ses coups de fil ? Ne les avait-il pas abandonnés au même titre que Liz ? N’avait-il pas fui son pays, adelphes sous le bras car incapable de continuer le combat qui les avait menés à leur perte ? N’était-il pas capable de penser à cette époque sans se remémorer l’odeur des corps calcinés avant de s’inquiéter pour la faune et la flore disparue ? Égoïste en plus d’être un mauvais sorcier. Si Davi demandait à un·e Oracle de l’aider à contacter les siens, il savait que personne ne lui répondrait. Pourquoi sa mère et son père accepteraient de lever les yeux vers lui alors qu’il avait préféré fermer les siens ? Qu’il avait baissé ses poings au lieu de les lever avec fierté ?

- Si l'aventure vous tente, je suis certain.e que mes collègues Oracles des Bosquets seraient ravi.e.s de vous éclairer. Ou même moi, si vous voulez. J'ai toujours un oracle dans mon sac avec moi.
- Merci de vous proposer, j’y penserais si… si un jour ça me tente.

Ce jour ne viendrait jamais, car Davi préférait rester dans ses obscures pensées plutôt que de se prendre la réalité en pleine face, comme avec l’humain. Car c’était bien plus agréable de rester dans la douleur et la colère connue sur le bout des doigts. Car il n’était tout simplement pas prêt à accepter d’être aider, ni à se pardonner. Quant à s’aimer… Cet amour de soi était mort avec le papillon baudroie. Finalement, Davi avait plus de peur que de respect pour les Vagabonds, car iels étaient la clé vers des réalités qu’il n’était pas encore prêt à voir.

- Là, est-ce que le cuir est bien placé ? Est-ce qu'il faut l'étirer un peu plus ou laisser le tissu faire.

Il se rapprocha, vérifia d’un regard approbateur avant d’attraper la boite d’épingle et de les fixer rapidement entre le cuir et le tissu de la jupe.

- C’est parfait. On va passer à la couture maintenant, avec une machine. Je vous explique et vous montre et ensuite ce sera votre tour !

C’était perturbant, de ressentir autant de joie dans l’instant alors que ses pensées ne pouvait se décoller de l’idée de passer un coup de téléphone aux siens. Il s’imaginait les bips résonner dans son oreille pour lui rappeler que lui non plus, n’avait pas répondu assez rapidement à l’écho du danger. Que faisait-il, quand l’incendie avait pris des allures d’enfer ? Il rêvassait et prenait du temps pour lui, tout simplement.

Se dirigeant vers la machine à couture avec la jupe d’Aster et Aster iel-même, il s’installa en relevant légèrement le tabouret (Amanda était plus grande que le zoomancien) avant de commencer son explication, avec autant de pédagogie que possible. À défaut d’être un bon fils au moins pouvait-il être un bon instructeur.

(ellipse flou artistique du tutoriel car je ne suis pas Cristina Cordula de la couture in real life)

Pendant la couture, Davi était passé voir ses autres élèves, s’impliquant autant que possible dans chaque projet. Le t-shirt de Thomas était en bonne voie, tout comme Mary avec son choix de bijoux qu’elle cousait lentement mais surement autour du col de son débardeur. Quant aux robes qui devaient être rétrécies, le travail se ferait surtout du côté du couturier, mais les deux femmes avaient déjà mesurées, marquées et épinglées les vêtements. Un apprentissage bienvenu qui leur avait visiblement plu !

Revenant vers l’Oracle qui semblait avoir terminé, Davi se posa sur le tabouret à côté d’iel. Son sourire révélait des fossettes dissimulées habituellement par son épaisse barbe qui méritait une bonne coupe.

- Alors, le résultat est-il à la hauteur de vos espérances Aster ? Et avant d’oublier, j’aurais une dernière question sur la nécromancie… On peut contacter les personnes, mais…on ne parle jamais des familiers disparus. Est-ce que c’est la même chose ?

Il faisait de son mieux pour ne mettre aucun affect dans la question, tentant d’y mettre une pointe de curiosité pour écraser l’émotion qui tentait de s’infiltrer. Tant que le prénom de Liz ne sortait pas, Davi pouvait garder la face. Et comme Aster ne le connaissait pas, il pouvait même garder un léger sourire, comme si la réponse que lui offrirait l’Oracle n’était pas sur le point de briser un nouvel espoir.

Iel ne savait pas et à vrai dire, Davi n’en était pas surpris. C’était rarement un sujet, les familiers disparus, encore moins ceux des sorciers encore en vie. Il n’avait jamais rencontré quelqu’un dans sa situation. Et même s’iels existaient, iels étaient peut être comme lui, à ne jamais évoquer la situation tant la douleur entaillait le coeur à chaque pensée. Et encore, s’il n’y avait que le coeur qui prenait cher…

Davi pourrait demander à quelqu’un d’autre, de son Coven ou de celui des Vagabonds mais ça signifierait se dévoiler à nouveau, même si finalement rien n’avait été dit à Aster. L’Oracle ne se doutait pas que devant lui, iel n’avait qu’une moitié de personne. Qu’une moitié d’âme dont le demi sourire n’était pas un signe de gêne ou de timidité. Il lui manquait simplement le reste, pour que son visage reprenne son entièreté.

Quand à expérimenter… Le zoomancien était-il prêt ? Liz pourrait ne pas lui répondre mais peut-être que… Malgré tout, cela lui ferait du bien, à Davi, d’essayer. De lui dire qu’il était désolé de ne pas avoir réussi à le sauver. Que tous les jours il pensait à lui, à sa voix fluette, à ses ailes parsemées de fines paillettes dorées. Que chaque matin, il lui préparait une coupelle de fruits frais et s’excusait de ne pas avoir d’ananas à lui proposer. Que chaque nuit, il se couchait en mettant le ventilateur à côté, sur le plus petit chiffre pour ressentir sur sa peau, la caresse de son envol nocturne.

- Je connais quelqu’un de proche. On pourra expérimenter.

Le sourire était presque entier à sa réponse. Comme si son coeur savait, que Liz répondrait malgré sa colère. Davi n’était pas quelqu’un de naïf mais parfois, la crédulité remplaçait la rationalité quand la peine était juste trop difficile à accepter.