[Terminé] unexpected opportunities | davi

Les nocturnes étaient nécessaires pour la simple et bonne raison que les risques étaient décuplés lorsque la clarté du jour ne savait dissimuler quelque potentiel méfait. Pas que ce soit monnaie courante à l'Hermitage, mais le risque zéro n'existait pas et Adama mettait un point d'honneur à ne pas baisser sa garde à ce sujet. Qu'importe la saison, la confiance ne pouvait être accordée les yeux fermés ; ses expériences personnelles l'ayant trop souvent justifié. Ladite saison était même particulièrement éprouvante pour lui actuellement, que ce soit dû aux températures qu'à ce besoin devenu naturel d'hiverner, leg de son alter-ego aux poils tachetés. Aussi, s'il prenait à cœur son ouvrage, il regrettait, lorsque c'était son tour de faire ses rondes la nuit tombée, de ne pas pouvoir partager ne serait-ce qu'un repas avec sa moitié. Leur profession comportait bons et mauvais côtés, et Adama était de ces maris qui souhaitaient être au plus proche de ses aimés, du mieux qu'il le pouvait. C'était son langage d'amour, sa façon de dire qu'il était là et ne partirait pas ; quant bien même, encore une fois, il se sentait effronté de ses propres obligations ce soir-là.

La panthera uncia déambule entre les feuillus, racines et autres chemins plus ou moins balisés, discrète et à l'affût, sa vision étant parfaitement adaptée aux environnements nocturnes. L'errance solitaire est salvatrice, mais il en faut beaucoup pour se forcer à ne pas se laisser s'échouer pour siester, l'esprit de l'humain luttant avec brio. La brise est légère et en remontant lentement un fossé pour traverser un chemin battu comme un sentier, l'animal se statufie en sentant les sons, les odeurs, et plus encore, l'instinct lui sifflant non pas le danger mais la présence d'un bipède, non loin de là.

Les flancs se collent lentement à l'herbe, et la panthère observe, muette, l'étranger qu'il finit par reconnaître de faciès, grâce à cette nyctalopie providentielle. Alors elle sort du fossé, avec la lenteur et précision féline, l'œil ne quittant pas Davi Galhardo, frère de Gabriela Galhardo. Il n'y a pas d'agressivité, et au contact visuel appuyé entre les deux êtres, la voix d'Adama traverse l'espace invisible qui les séparent pour se loger dans l'esprit de son confrère zoomancien. Bonsoir M. Galhardo, et l'instant d'après, après ses battements de cils, poursuit. Adama Ofori, vous m'avez contacté il y a trois jours pour des affaires personnelles ; c'est une belle coïncidence de vous trouver ici, car après l'avoir sollicité, Davi n'avait guère répondu à son retour, laissant le lieu de leur rendez-vous inconnu. Au moins jusqu'à cette nuit, le hasard faisant parfois bien les choses.

Prendre l’air dès que le soleil se couchait était devenue une habitude pour Davi. Bien loin des insomnies qui transformaient ses nuits en partie d’échecs contre ses angoisses, ces moments au crépuscule, il les choisissait de lui-même, pour s’aérer l’esprit et oublier le brouhaha de la journée. Ils étaient rares, ces espaces inoffensifs, où Davi redevenait pour quelques heures maitre de son quotidien.
Il était près de 20h30 quand il termina sa longue balade par un passage par Hermitage of Braid. Il en aimait les longues étendues d’herbe et les forêts ensommeillées, attentif à chaque bruit qui indiquaient la présence d’animaux nocturnes ou, comme lui, parés à aller se poser dans leur tanière. Presque, ces instants le renvoyaient dans un autre pays, une autre forêt et une autre étendue d’herbe, là où la chaleur moite abandonnait quelques perles humides sur sa peau ambrée. Des souvenirs positifs de Rio Branco, le zoomancien en avait à la pelle, mais s’en rappeler était une autre paire de manches. Alors, avoir l’illusion que quelques images lui revenaient en tête quand il passait par ces fourrées lui tirait toujours un sourire doux, comme l’esquisse d’un souvenir qui exaltait ses sens.

Il s’arrêta net en sentant les poils de ses bras se dresser sous une sensation glaçante. Son 6e sens plus alerte que chez les autres Coven, il releva la tête, les yeux plissés et la vue aiguisée au ciel d’encre. Rien, mais Davi savait pertinemment que quelqu’un ou quelque chose approchait. Le zoomancien resta statique, hésitant entre disparaitre en trottinant ou attendre le supposé danger. Il aurait pu se transformer en un insecte ou une musaraigne, mais Davi n’avait pas utilisé cette forme de magie depuis des années. Devenir ce qu’il avait perdu était trop difficile et la panique l’étouffait toujours avant même d'avoir d'essayé.

Pris de court par l’apparition soudaine d’une panthère au pelage de neige, il baissa ses épaules par réflexe. Humain dominé qui n’irait pas chercher le combat, les prunelles claires suivirent le chemin…. avant de se relever, accompagnés de sourcils froncés par la surprise. Un autre zoomancien. De magie supérieure étant donné la voix dans son esprit, qui se présenta comme le gardien du parc. Et merde.

- Oh. Euh oui… J’ai oublié de vous répondre.

Faux, il avait juste pas su quoi dire après sa première missive. Prendre contact n’était pas un souci pour le brésilien, mais dès qu’il y avait une réponse… C’était une tout autre histoire. Davi avait un faible pour les échanges unilatéraux.

- On peut décider d’un rendez-vous dans la semaine si vous souhaitez. Je ne voudrais pas vous déranger lors de votre balade.

Ça lui donnerait le temps de préparer ses explications et de croiser Gabriela - qui n’était toujours pas au courant de son plan au relent de contrôle.

Il ne faut pas bien longtemps pour s'apercevoir que le promeneur, pourtant connu d'une certaine manière, est on ne peut plus surpris de le trouver là. Prit de court même, s'il fallait y mettre les termes exacts, et Adama n'aimerait pas le mettre plus mal à l'aise que ça. Pour autant, sa demande et le silence qui avait suivi suscitaient l'intérêt naturel du zoomancien qui n'avait qu'un souhait, répondre à ses attentes ; car s'il l'avait contacté, sans doute y avait-il un tant soit peu les probabilités que ce soit le cas.

Oh. Euh oui… J’ai oublié de vous répondre.

Là où le Ofori aurait répondu aussitôt, le calme de la panthère le tempère étonnamment.

On peut décider d’un rendez-vous dans la semaine si vous souhaitez. Je ne voudrais pas vous déranger lors de votre balade.

Le sujet est balayé comme fétu de paille, sans doute pour camoufler un malaise que l'homme n'est guère en position de réellement cerner. Tout ce qu'il sait, c'est que Gabriela Galhardo est passée le voir la veille et qu'il est ainsi plutôt au fait, sans le savoir, de ce qui l'avait amené à le contacter sans plus de cérémonie. Oh, je ne suis pas vraiment en balade, mais plutôt en ronde. Autant dire, il travaille, mais toute la ferveur et l'engagement qu'il pouvait y mettre avait raison de beaucoup de sacrifices. J'ai reçu votre sœur justement hier, je crois, Gabriela, glisse t-il naturellement, ne se remettant que très peu en mouvement, le contact visuel leur permettant de communiquer sans froisser des lèvres. Elle tenait à me voir elle aussi. ce qui n'est qu'anecdotique, soit dit en passant, pour cet Adama qui déroule le fil sans s'imaginer un seul instant de la réalité des choses. En tout cas, vous ne me dérangez pas, et je me rendrais disponible en semaine quand vous voulez, j'ai toujours quelques collègues sur qui compter, ils me remplaceront sans hésiter. le verbe est posé, ce qui est moins chantant que lorsque la forme humaine est présente, l'aplomb n'étant guère le même lorsqu'il foule les sols de l'Hermitage à quatre pattes. Enfin, quoiqu'il en soit, il espère pouvoir aider ce Galhardo-là, la précédente ayant démontré un intérêt déjà certain pour les activités du gardien.

Une ronde. Il faisait sa ronde et n’était pas en balade. Davi ne sut s’il devait s’en vouloir un peu plus de le déranger dans son travail ou se demander pourquoi le Gardien de Hermitage of Braid s’arrêtait pour discuter alors qu’il était en ronde. Ne devait-il pas rester concentré sur sa tâche ? Après, Davi avait-il le droit de se balader en pleine nuit par ici ? Le zoomancien ne s’était jamais vraiment posé la question, bien trop habitué à une nature ouverte et disponible, quelle que soit l’heure de la journée. Mais peut-être avait-t-il loupé un panneau avec des horaires d’ouverture bien précis et que, depuis tout ce temps, le couturier enfreignait une loi sorcière ou de son coven. Et merde.

- J'ai reçu votre sœur justement hier, je crois, Gabriela. Elle tenait à me voir elle aussi. En tout cas, vous ne me dérangez pas, et je me…

Le prénom de sa sœur cadette le fit sortir de son agglomérat de pensées, toutes plus intempestives les unes que les autres, sans écouter la suite des explications. Pourquoi Gabi lui avait-elle rendu visite ? Lui n’avait pas encore eu le temps de la croiser pour lui exposer les idées échangées avec Armand. Il ne lui avait même pas envoyé de message pour la prévenir de cette discussion ! Pendant une fraction de seconde, le brun se demanda si sa petite sœur n’avait pas installé un micro chez lui avant de balayer la pensée : si ça avait été le cas, il le saurait. Gabriela n’aurait pas apprécié que son frère tente de lui trouver un travail dans son dos.

- Pourquoi ma sœur est venue vous parler ? Enfin, non, laissez tomber, ce ne sont pas mes affaires.

Peut-être que cela n’avait rien à voir avec sa recherche de travail. Peut-être avait-elle un souci et qu’elle n’osait pas en parler à Davi ? Une figure aussi proche de la nature qu’Adama Ofori lui aurait semblé être la bonne personne. Meilleure que son frère en tout cas.
L’air un peu grognon, les sourcils froncés, il planta à nouveau ses prunelles dans celles de la panthère-humaine. Plus la moindre soumission cette fois-ci, maintenant qu’il savait que devant ses yeux ce n’était qu’un autre sorcier comme lui. Si ses lèvres ne bougeaient pas, on y sentait une certaine inquiétude de par leur pression.

-Est-ce que je dois m’inquiéter ? Pour elle, je veux dire. Elle n’a pas de soucis à se faire ?

Pourquoi Davi pensait toujours que sa sœur cadette se mettait dans des situations périlleuses ? Le zoomancien le savait pertinemment, mais n’en avait jamais discuté avec elle. Si lui s’était jeté à corps perdu dans l’incendie meurtrier de Rio Branco sans que personne ne le sache, Gabriela avait dû être tenue fermement pour l’empêcher d’y retourner. Alors oui, Davi avait peur constamment pour sa sœur car il y avait un feu en elle qu’il craignait de voir grandir au point de la consumer.

Pourquoi ma sœur est venue vous parler ? Enfin, non, laissez tomber, ce ne sont pas mes affaires.

Adama a bel et bien senti l'attention du Galhardo s'échapper, à tel point qu'il ne saurait vraiment dire jusqu'où ses mots avaient pu être captés. Toujours est-il que l'énonce du prénom de sa sœur a suffi à réveiller quelque chose chez le concerné, que l'homme-panthère ne saurait vraiment décrire, faute de ne pas mieux le connaître. Il y a de ces personnes qui vont et viennent, parfois de l'étranger, pour intégrer le coven local, et les Galhardo font partie de ceux-là. Tout ce qui avait pu être dit à leur sujet tenait surtout de la rumeur, et ici comme ailleurs, Adama n'était pas vraiment sensible à tout ça. Car c'est ces mêmes types de comportements qui l'avaient amené à être considéré comme un voleur à Dar es Salaam, lorsqu'il était plus petit, alors qu'il n'avait osé faire ça qu'une seule fois, avec une argumentaire bétonné pour le justifier. Il était malheureusement un peu resté le petit voleur du marché, et si ça ne lui faisait plus rien aujourd'hui, Adama savait d'expérience et d'observation que les mots pouvaient abattre n'importe qui, même les plus endurants.

Parlant d'observation, ce sont les lèvres un peu plus pincées chez Davi qui attire l'attention du gardien. Heureusement ou pas, ses mots confirment l'inquiétude qui semblait alors transpirer de ses pores ; comme si un danger planait au dessus de la petite Gabriela. Qui pourrait bien en vouloir à une jeune femme comme ça ? Adama saurait s'imaginer à peu près n'importe quoi, et pourquoi pas d'un passif qui pourrait lui amener les problèmes. Il ignorait que les peurs de son aîné étaient aussi fondées qu'infondées - les traumatismes parlaient probablement pour lui. Encore une fois, il ne savait pas. Tout ce que le Ofori avait retenu, c'est que le prénom de sa sœur avait court-circuité quelque chose dans son train de pensée, raison pour laquelle il ne lui a pas répondu concernant le rendez-vous. Toute l'attention était portée sur elle désormais.

Est-ce que je dois m’inquiéter ? Pour elle, je veux dire. Elle n’a pas de soucis à se faire ? — Vous m'avez l'air déjà inquiet. En ce qui me concerne, et du peu que je sais, je ne vois pas pourquoi il y aurait souci à se faire. Ils semblent dialoguer sans réellement s'exprimer, ce qui peine Adama, au fond, de ne pas vraiment pouvoir lui céder tout sans artifices, comme il a l'habitude de faire. Tout ce qui pourrait se permettre tiendrait dans ces quelques termes. Gabriela cherche du travail, c'est quelque chose que vous savez peut-être déjà ? c'était précisément le sujet de sa visite à l'Hermitage, ce qu'il laisse sous-entendu. Il ne voudrait pas provoquer des rixes dans leur fratrie en étant trop loquace, ce n'est pas quelque chose de désiré. Le zoomancien poursuit. Quel était le sujet de votre sollicitation à mon égard, en un mot ? aussi pourrait-il se fier à la réalité des choses et non pas à des impressions, des projections. Si peu que le brésilien soit en mesure de lui répondre, avec honnêteté. Ils pourraient ainsi démystifier la demande initiale et avancer - ronde ou balade, peu importerait.

- Vous m'avez l'air déjà inquiet. En ce qui me concerne, et du peu que je sais, je ne vois pas pourquoi il y aurait souci à se faire.

Il n’en dit rien, mais la remarque du gardien sur sa propre réaction lui resta en travers de la gorge. Davi réussissait aisément à dissimuler ses angoisses, mais premièrement, Adama était un zoomancien de magie bien supérieure à la sienne et son empathie devait être au niveau de sa faculté à tisser des discussions avec des inconnu·es. Deuxièmement, Davi ne s’était pas préparé à rencontrer quelqu’un et dans ces instants solitaires, il détendait son visage ainsi que le moindre muscle crispé tout au long de la journée. Lors de ses balades, il redevenait un simple trentenaire au regard doux et aux pensées presque distraites.

- Gabriela cherche du travail, c'est quelque chose que vous savez peut-être déjà ? Quel était le sujet de votre sollicitation à mon égard, en un mot ?

Ses lèvres s’entrouvrirent en un oh de surprise alors que ses épaules s’affaissaient légèrement. Gabi avait donc bel et bien pris la question au sérieux et… Armand avait vu juste, comme toujours. À se demander qui était le véritable grand frère entre les deux, qui la connaissait mieux et qui pensait à ce qui était le plus agréable pour elle. Le brun fronça des sourcils, encore, pour se retirer cette idée douloureuse de la tête.

- Oui, on en avait parlé, mais… J’aurais imaginé qu’elle attende un peu avant de vous contacter.

Faux, il s’était simplement attendu à ce que Gabriela aille davantage chercher des missions du côté des rôles où il n’y aurait personne à lui donner des consignes. Un métier où sa franchise n’irait pas lu causer du tort et ou elle pourrait se dépenser physiquement et… Davi arrêta dans son fil de pensée, soufflant pour lui-même. Oui, finalement, il était logique que sa sœur ait pensé à contacter le Gardien d’Hermitage. Qui à force de le voir gamberger en silence devait se demander s’il ne complotait pas quelque chose, à se balader si tardivement sans répondre à sa question.

- Je me sens un peu stupide, car je venais justement vous parler de ça. Si Hermitage of Braid recrutait en ce moment et si… quelqu’un comme Gabriela, avec un CV… léger pourrait candidater.

Dans ses mots, il sentit toute la maladresse et la toxicité de sa demande. Le jugement porté à la carrière de sa sœur, bien qu’il ne le voulait pas négatif, le fit grimacer. Quant au reste… Davi n’avait pas de mauvaises intentions, mais il avait conscience de dépasser une frontière que seul Armand avait réussi à lui faire maintenir en douceur.

- Enfin pas léger juste… Elle débute et… Vous discutez souvent avec des inconnus pendant vos rondes ?

Et nous y voilà, à nouveau. Comme une ritournelle sans fin, où l’ainé des Galhardo ne pouvait s’empêcher de remettre en question le professionnalisme des gens quand il était question de la protection des siens ou de sa personne.

Oui, on en avait parlé, mais… J’aurais imaginé qu’elle attende un peu avant de vous contacter.

La réponse est aussi surprenante qu'incongrue. Pourquoi attendrait-elle ? Adama, encore une fois, parait spectateur de quelque chose qu'il ne connait pas, préférant même se garder d'imaginer Davi Galhardo se mêler de ce qui ne le regarde pas. L'homme-panthère part donc du constat qu'il s'agit d'une histoire entre frère et sœur, ni plus ni moins, et qu'il n'a rien à en juger, ni à y redire.

Je me sens un peu stupide, car je venais justement vous parler de ça. Si Hermitage of Braid recrutait en ce moment et si… quelqu’un comme Gabriela, avec un CV… léger pourrait candidater.

Des bribes d'informations conviennent finalement d'un curieux hasard, encore une fois, mais tout à fait bien tombé. Au moins aux jugements du zoomancien sous sa forme animale, qui lui, n'aura fait que tirer un peu les vers du nez au brésilien qu'il avait reconnu au détour d'une ronde plutôt bien menée jusqu'ici. Stupide, ce n'est pas le terme qu'il aurait employé d'ailleurs, le trouvant bien lourd pour se l'infliger à soi-même. Sans doute que ce sujet lui tenait réellement à cœur, et à vrai dire, tout portait à croire que c'était bel et bien le cas. Adama aimait profondément ses sœurs, lui aussi, et s'inquiète naturellement de leur état, de là où leur pas les mènent. L'une d'elle travaille à l'Hermitage avec lui, une autre est fourrée sur son continent d'origine... autant dire que même s'il le voulait vraiment, il ne saurait surveiller, et protéger ces dernières comme on l'a toujours inculqué à l'aîné. L'individualité et le sens des responsabilités étaient parfois traîtres. Le Ofori ne voulait pas être un protecteur violent. Car selon lui, un protecteur violent imposait ses défenses par le contrôle.

Enfin pas léger juste… Elle débute et… Vous discutez souvent avec des inconnus pendant vos rondes ? — Seulement ceux que je reconnais et me souvient d'être dans le besoin. Ne vous en faites pas, son entretien s'est bien passé, rétorque t-il doucement, l'on aurait même pu s'imaginer sa voix sourire, s'il n'y avait pas que des babines à observer sur le moment. Je vais devoir vous laisser. Je vous suggère de ne pas sortir des sentiers balisés. annonce t-il, le gardien prenant l'ascendant sur le bienfaiteur. Passé vingt-trois heures, je discute effectivement beaucoup moins avec les inconnus qui se baladent à l'Hermitage. pour la simple et bonne raison que ces dernières sont réglementées, pour ne laisser la place qu'à une nature prête à se reposer, et à renaître le lendemain à l'aube. La panthère se meut dans le sens inverse de la marche du brésilien, lui accroche une dernière fois le regard alors qu'il se trouvent côte à côte. Si jamais Gabriela est recrutée, sachez qu'elle serait tout à fait à sa place ici. La nature et les bonnes intentions battent en elle. l'animal le scrute de ses iris glaciers, Prenez soin de vous, Davi. avant de se remettre en mouvement, coupant le contact télépathique une fois les derniers mots échangés. Démarche lente, un peu pataud avec ses grosses pattes élargies par l'épaisseur de sa toison grisonnante, Adama Ofori s'en va terminer ce qu'il a commencé, le cœur un peu plus léger... et les sens plus éveillés.

Il ne sut trop quoi répondre et préféra garder le silence bien que chaque mot fut écouté avec attention. Gabriela, entretien, dans le besoin, sentiers balisés, bonnes intentions… Tant d’informations que le zoomancien savait importantes, mais qui glisseraient rapidement hors de son esprit s’il ne prenait pas en note des détails de cette étrange rencontre. Car à ses yeux, elle l’était, étrange. De par la présence animale et la conversation uniquement par pensées interposées qui, sans être une première, le touchait toujours autant. À Rio Branco, il avait prit l’habitude de converser ainsi avec une ancienne de leur communauté qui, au fil des années, avait fini par préférer ses plumes de cacatoès au duvet brun de ses bras. Mais ça ne lui était pas encore arrivé à Édimbourg. Il ne savait pas trop quoi ressentir face à ce souvenir agréable qui venait de se parer de neige.

Étrange aussi de par son propre comportement, à la limite de l’impolitesse sur la fin. Davi aurait préféré se préparer mieux à cet échange, mesurer ses réactions, choisir ses mots avec précaution et savoir en amont que sa sœur était déjà venue sur le terrain. Elle n’a pas besoin de toi pour ça, tu le sais. Oui, il en avait conscience. Mais entre la conscience et l’acceptation, il y avait un gouffre que Davi avait bien du mal à traverser. Comme d’autres, Gabriela avait dû grandir trop vite au goût du zoomancien, qui lui-même, avait eu une enfance et une adolescence ponctuée par les attaques violentes des humain·es contre leur lieu de vie. Comme d’autres, Gabriela avait vu des évènements qu’aucun être vivant ne devrait être témoin. Et comme d’autres, Davi en oubliait qu’elle était avant tout une personne, capable de prendre ses décisions, au-delà d’être la sœur qu’il devait protéger.

Immobile jusqu’à la disparition totale de la panthère blanche, le brun ne put s’empêcher de refaire la conversation dans sa tête, en se demandant ce qu’il aurait pu dire de différent. Mais il n’y arrivait pas, trop occupé par les mots du Gardien qui se répétaient, comme un écho à ses propres pensées.

“La nature et les bonnes intentions battent en elle”.

C’était bien ce qui l’inquiétait au fond. Lui aussi avait grandi avec de bonnes intentions.