[Abandonné] Small Disasters

Il a failli rebrousser chemin à trois reprises depuis le départ de chez lui. A hésité à 300 mètres de son appartement, puis après cinq minutes de bus, puis devant la porte de l’immeuble. Dans sa tête, les excuses et réprimandes se mêlent en un tintamarre étouffant : tu n’en as pas besoin, tu peux guérir seul ; tu n’as rien à guérir, tout va bien ; tu veux les oublier, quel égoïste ; tu vas laisser quelqu’un fouiller dans tes rêves, pas trop peur qu’elle y voie tes échecs ?

Échecs. Le mot résonne encore en lui quand il ose enfin sonner à la porte du cabinet de la Cartographe des rêves. Il lui a fallu des mois pour sauter le pas et prendre rendez-vous avec Maïa Hamilton, après en avoir entendu parler en de bons termes. D’abord, il y a eu ce matin de juin, où il a noté dans le carnet qui lui sert de porte-pensées “Je crois que j’ai besoin d’aide”. Puis cette nuit d’août, lors d’une énième insomnie qu’il a passée à se documenter sur les Enfants Vagabonds d’ici et leur façon de travailler. Dans ses relations, seul Armand était de ce Coven mais il n’a pas osé lui demander des réponses. Il y a des secrets que Davi est bien incapable de partager, tant ils l’embrasent comme les flammes sur des ailes effilées.
Il a pris rendez-vous par téléphone, a écrit sur une feuille de papier tout son texte, pour éviter de raccrocher en pleine discussion, sous le coup de la panique. Malgré la préparation, le trentenaire a fini l’appel à la va-vite, sans un au revoir ni un “à la semaine prochaine”, avant de se ruer vers la salle de bain. La nausée défiait toujours la gravité quand il était question de ses sentiments. Mais le jour J, il n'a pas rebroussé chemin. Il n'a pas raccroché quand, à l’interphone, on lui a demandé son nom pour le faire entrer. Il n'a même pas découvert les toilettes du cabinet. Il s'est juste assis dans la salle d’attente, le menton haut et le regard dur, prêt à s’attaquer au seul ennemi qu’il connaissait.

Le cabinet est cosy, agrémenté de plantes qui viennent enlacer son cœur de zoomancien. L’attente n’en est pas une, Davi se retrouve assez rapidement dans le bureau de la Cartographe, qu’il salue sans une poignée de main.

- Je préfère vous prévenir, je ne suis pas là pour une vraie séance.

Il prend place et continue dans sa lancée, sans la laisser parler. Malpoli !

- Je viens juste discuter pour jauger votre façon de faire. Pour voir si ça peut m’être utile.

Pas rebrousser chemin, ni raccrocher mais être brut de décoffrage pour ne pas se laisser aller. Pour montrer que des deux, c’est lui qui maitrise alors qu’il devrait juste apprendre à lâcher.

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Elle était étrangement calme, la voix glissant dans la pièce sans aucun soubresaut. C’en était rassurant. Comme si elle savait, au fond, que le zoomancien avait besoin d’un cadre serein pour poser toutes ces questions. Davi n’était pas quelqu’un de foncièrement curieux, n’avait jamais pris l’habitude d’interroger ses nouvelles connaissances plus que ce qu’elles voulaient lui partager. Mais aujourd’hui, c’était différent. Mrs Hamilton n’était pas une simple rencontre, ne deviendrait pas une amie. Elle n’était qu’une potentielle aide, une main tendue qu’il payerait grassement et qu’il pouvait encore refuser. Après tout, il n’avait qu’à glisser les billets sur le bureau et en sortir, sans avoir à lui donner des explications. Oui, c’était encore possible et personne ne pourrait l’arrêter. Cela ne lui demanderait qu’un geste vif vers sa poche, des doigts dépliés, un mouvement de bassin vers le haut et…

- Votre nom de famille me dit quelque chose, Monsieur. Avez-vous une boutique dans la ville ?

Coupé dans ses idées de fuite, il fronça des sourcils par habitude plus que par suspicion. Ou alors était-ce la vue du familier gigantesque derrière la Cartographe qui le surprit. Davi ne l’avait pas vu en entrant, tellement il était pris dans son engrenage de pensées, à s’imaginer la séance et un plan pour s’en échapper. Je te signale que c’est toi qui l’as appelé ! La frêle voix de Liz lui fit clore les yeux un instant, rien que pour la savourer comme un bonbon à la menthe.

- Oui, je suis styliste. Sur Old Town.

Si la voix de la Cartographe était douce, la sienne était plate comme une terre aride où rien ne pouvait plus y pousser. Elle était loin l’époque où le coeur de Davi n’attendait qu’à être ensemencé. À présent, son anxiété était telle que même l’évocation du métier qu’il chérissait tant n’arrivait pas à détendre la ride du lion qui se creusait jour après jour. Pourtant, il aurait pu lui parler pendant des heures de sa boutique. De la saveur des tissus sous ses doigts, des nuances colorées qui le faisaient fredonner. De tout l’amour qu’il portait à l’unique activité qui le maintenait à flot. Mais il n’en fit rien, silencieux comme une tombe.

Finalement, ses bras se croisèrent devant son buste et le menton se releva légèrement. Davi ne pouvait pas s’empêcher de lorgner sur l’ours polaire. Quel drôle de contraste, entre la sorcière et son familier.

- Ce ne sont pas des choses que vous devriez demander en amont d’une rencontre ? Pour… préparer correctement une séance ?

Il n’y avait pas une once de méchanceté dans la question, bien que le ton se voulait agacé (et agaçant). Mais si lui n’y avait pas mis de virulence, la perception extérieure était certainement différente. Oui, il avait fait des recherches sur le métier de Cartographe des rêves mais cela ne faisait pas de lui un professionnel. Alors peut-être se trompait-il sur les méthodes employées. Mais il savait de source sûre qu’en thérapie, il était préférable de partager quelques informations lors de la prise de rendez-vous. Pas grand chose mais au moins quelques bribes sur la personne qui venait consulter, histoire de ne pas faire payer pour des infos dénichables dans le bottin. Tu commences à me faire honte. Et toi à m’emmerder.
Ses bras se contractèrent un peu plus, ses doigts fermement ancrés contre ses côtes. Il détestait avoir ce genre de pensée envers Liz. Non. Tu te détestes tout court, c'est différent.

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