Armand O'Moran ⨳ Bal en fa dièse mineur

Les escaliers qu'il descend sont empreints d'une mémoire qu'il sent à chaque fois. N'a pas été le premier, ne sera pas le dernier à les fouler, se rappelle de ceux du petit manoir là-bas en Irlande, redécouvrant leur état à chaque souvenir rappelé. Armand est une énigme et une étape dans la vie de beaucoup de ses pairs, comme ces escaliers le sont pour lui. Ils le ramènent à l'enfant qu'il a été, à celui qui est encore au fond de lui, n'en déplaise à l'ego d'un sorcier qui aimerait le voir étouffer.

Il a pourtant tant à lui offrir : son empathie dissimulée sous des strates de voiles et qui ne cachent parfois plus rien, son besoin insatiable d'apprendre et mieux, d'accompagner. Ce n'est guère l'adulte qui souhaite tout ça, puisque l'adulte se résume à l'ambition qu'on lui a fait porter, aux croix qu'il se doit d'endurer pour lui, pour eux. Armand a pourtant un lien indéniable avec le fil éternel, celui qui va d'une réalité à une autre, d'une vie à une mort. Il tisse ce qu'il parvient à récupérer entre ses doigts et son esprit, artisan dont la réserve laisse parfois perplexe, mais rassure ces autres qui souhaitent qu'ils se taise. Cela entretient une aura de sagesse froide, mais de pilier aussi. Pourrait-il endurer de nouveaux maux, Armand se sentirait prêt à les subir : parce qu'il sait qu'il a été capable d'endurer pire par le passé, et que la résilience a gorgé ses veines par la suite. Armand est une gargouille qui ressent l'indicible et parcours des territoires que lui seul peut comprendre, voire envisager. Armand est nécromancien mais c'est la vie qu'il protège autant qu'il entretient celle des morts.

Etant en contact si intense avec les ancêtres, son respect pour eux va au delà de celui qu'il a pour sa propre chair. Détient le savoir et se doit de le préserver, Armand prend très au sérieux la mission qu'on lui a confié. Il est d'ailleurs un être dont le respect est marqué pour l'autre, quant bien même ce dernier se rendrait agressif. Les batailles, il les évite par nature : elles ne valent rien face à cette Volonté qui les dépasse tous et toutes. De même qu'il n'inspire pas l'envie de devenir belliqueux, Armand ne s'en défendra que par sa quiétude ou mieux, par une altération de la mémoire afin d'avoir une issue favorable. Son temps n'est guère apprêté pour tisser la violence, les humains s'en chargent de toute façon bien mieux que lui.

Pour autant Armand retient. C'est bien là son mal premier : il n'oublie ni le bien, ni le mal qu'on a souhaité lui asséner. Il a donc fâcheuse tendance à être envahi par la nostalgie, la mélancolie d'un temps qu'il croit lui-même avoir connu, alors qu'il n'en est rien. Les informations transmises par les anciens sont un cadeau autant qu'un fardeau, qui s'impriment dans son esprit à l'encre indélébile. Il se sent connecté à plus grand que lui.

“Les âmes perdues seront étoiles filantes.
Les âmes aimantes, elles, seront étoiles aimantes et aimantées ;

“Sans devenir, il n'y aurait pas de vie ; la vie n'est vie qu'en devenant. Dès lors, nous comprenons l'importance du temps. C'est dans le temps que cela se déroule. Or le temps, c'est précisément l'existence de la mort qui nous l'a conféré.”

Aspiré vers l'avant, l'enfant se redresse comme si l'on venait de lui couper le souffle, la vie. La main sur la gorge, comme s'il allait en sortir quelque chose de chaud et visqueux. Il se met à gémir, puis à pleurer — il sait ce qu'il a vu, ce qu'il a vécu, et ressent encore la douleur fugace et pourtant qui l'imprègne tel un poison, celle d'une lame qui s'échoue sur sa nuque. Des frissons chaud et froid amènent à leur tour la dose naturelle d'anxiété, d'angoisse. Armand a dix ans et c'est la sixième fois qu'il fait ce rêve. A chaque fois en se réveillant, il croit entendre encore la voix de ceux qui l'ont condamné à mort, mais surtout cette interpellation, dans un français au rasoir : Mort à Jacques ! Mort à Jacques O'Moran !



Le rituel arrivant à son apothéose, le Tisseur alors dit : "Jacques t'aidera à devenir, un jour, ce que je suis."


Les cartes sautent du paquet qu'Armand brasse, l'œil lointain et vitreux. Elles dessinent un microcosme, forment des constellations d'énergies qui canalisent l'esprit des ancêtres. La question était : Suis-je prêt à Tisser à mon tour ?

La Mort à l'endroit et son Jugement lui disent : oui.

Merci.


L'ancien Tisseur était son père. Là était la nuance.
Armand a ingurgité son savoir comme l'on découvrirait un vieux dessert d'enfance. L'excès aurait pu le faire ployer.
Toutes ces choses qu'il n'avait pas pu lui dire... enfin délivrées dans les règles et le respect.
Je t'aime.
C'est ce que l'âme du vieux nécromancien lui livre en guise d'au revoir.
En retour, un sourire candide éclaircit le visage de son fils.
La marée est haute, il faut partir.


"Armand ? Tu ne viens pas ?" Il n'y a qu'entre ses lèvres que son prénom est prononcé de manière si parfaite. S'attardant sur l'horizon, le concerné s'arrache finalement à la contemplation de la mer. En remontant à son niveau, il enfile son bras sous le sien avec une prévenance assurée. Armand est là, même si parfois, souvent, il se trouve loin.


Le Tisseur qu'il est aujourd'hui dit : "Ils avaient le don de soigner l'esprit des vivants par la parole ; aussi le don t'a été transmit."


Un oniromancien ne serait-il pas ton salut ? L'esquisse d'un sourire sur le visage de son ami n'est qu'amertume. Jacques a toujours été là, Armand portera sa couronne comme sa fin jusqu'à ce que la sienne ne le cueille. Seule l'aurore lui sera fatale, comme à chaque fois.


Le réveil est aussi abrupt que les dernières fois, le scénario figé dans son âme comme dans sa nuque. Armand a grandi et autour de son cou, cette même médaille qui n'a pas bougée de là depuis des années. Pourquoi la porte t-elle ? Jacques est mort. Jacques est mort mais il vit encore en lui grâce à l'objet qui ne le quitte pas, lorsque la lune est noire.

N'a jamais souhaité se déraciner davantage en abandonnant sa nationalité irlandaise. — Serait le descendant de Jacques O'Moran, fantasque révolutionnaire du XVIIIème siècle. — Mélange audacieux entre le rationnel et l'empathe, cette hybridation dérange parfois. — Se ressourcer est souvent une évidence qu'il s'oblige à s'octroyer, ayant l'âme et l'esprit bien souvent saturés. — Si la musique adoucit les mœurs, elle rend son monde encore plus vivant. — N'est pas hydromancien, se prête toutefois à la contemplation de la mer comme un écho planant des Esprits.