Caractère
Au fil de ses voyages, notamment en Asie, Caleb a fini par apprécier la théorie des trois visages. Selon les japonais nous avons tous trois visages. Le premier étant celui qu’on montre au monde. Le second étant celui qu’on montre à ses amis ainsi qu’à sa famille et, enfin, le dernier visage qu’on ne montre à personne, car il est celui qu’on est réellement. Alors quels sont les trois visages du Reid, hum ?
Le premier visage de Caleb est un homme intègre et franc, qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui est capable d’un grand sérieux, lorsque cela en vaut la peine. Il est un homme studieux, attentif, et dont les talents l’ont poussé à être extrêmement observateur. Honnête, il l’est, tout comme beau parleur d’ailleurs, car il sait ce que cela fait que de ne pas avoir voix au chapitre. Voilà ce qu’est son premier visage. Celui d’un fonceur, d’un homme direct et franc, qui ne s'embarrasse pas d’étiquette et de convenances.
Le second visage, en revanche, est un peu plus nuancé. Les amis de Caleb diront qu’il est un bon vivant, qui profite de son existence à 200 %, qui croque la vie à pleines dents, et c’est vrai. Le Reid est assurément un bon vivant, une âme solaire et drôle, qui illumine les soirées autant par son sourire que sa simple présence ou sa musique. Il est un homme qui déborde d’énergie et, à ce titre, a beaucoup de difficultés à rester en place, convaincu qu’il doit toujours être actif, toujours apporter quelque chose pour être utile et justifier sa présence. Alors oui, si d’apparence il est un homme charmant au sourire magnétique, il est aussi un homme au sang chaud, même s’il essaye de contrôler ce côté-là de sa personne. Protecteur, Caleb est un être empathique - avec ou sans magie - avec un grand sens de la famille, féroce quand on s’attaque aux siens, et pourtant très au fait de ses propres lacunes, de ses propres manquements. Il est un homme intense, dans tous les sens du terme.
Et le dernier visage, enfin, est celui qu’il ne montre à personne, même pas à sa sœur. Ce visage est celui d’un homme rongé par les regrets, par l’incertitude de ne pouvoir réparer ce qui est brisé. Ce visage est celui d’un homme qui a du mal à faire confiance à son prochain, un homme dont la confiance en soi n’est qu’un masque d’apparence, un voile pour tromper son monde, une lueur vacillante dans l’obscurité. Ce visage est celui d’un homme chérissant sa liberté plus que tout au monde, mais
dont le décès du père a fait remonter beaucoup de non-dit, de remords, de regrets. Il a conscience d’être difficile à supporter, difficile à vivre car la communication réelle et profonde n’est pas toujours son fort, mais il n’est pas homme à baisser les bras pour autant.
Abandonner avant d’avoir essayé n’a jamais été une option, pour lui. C’est valable pour chaque aspect de son existence.
Histoire
Il était encore tôt, ce matin-là, lorsque la silhouette vint s’asseoir sur le bord du capot de son sombre bolide, laissant son regard perçant se perdre dans l’horizon. Cette terre était si familière et pourtant il avait l’impression de la redécouvrir à nouveau, après une décennie d’absence. Un mélange d’appréhension et de tristesse s’emparaient du jeune Reid, alors que son regard se posait sur cette ville qui l’avait vu grandir, celle ville où il n’avait pas pensé revenir un jour. Alors que sa main gauche remonta à son collier, attrapant délicatement la bague qui y était accrochée, le regard du jeune homme accrocha la forme grise et effilée de sa compagne de voyage, Témis, qui ne le quittait jamais. Celle-ci bondit et vint s’asseoir sur le capot, juste à côté de lui.
" Es-tu prêt ? "Caleb ne put s’empêcher de sourire, en resserrant sa poigne autour de sa bague. Prêt ? Prêt à revenir chez lui ? Prêt à faire face à son passé ? Il aurait aimé dire que oui, mais sa louve était présente avec lui depuis le début, il ne pouvait lui mentir.
" Pas du tout. Mais bon…je n’ai pas vraiment l’choix. ”Il sentit le regard perçant de sa louve se tourner vers elle, avant qu’elle ne vienne s’allonger à côté, posant sa tête contre les puissantes cuisses du baroudeur. Sa façon à elle de le rassurer en silence, car elle savait ce que cela allait lui coûter, de revenir ici après tout ce temps. Souriant, Caleb ferma les yeux un instant, laissant sa main libre se perdre dans la fourrure de son amie, en laissant s’échapper un soupir presque silencieux. Laissant la fraîche brise du matin venir caresser son visage, le Reid s’autorisa un petit tour dans le passé, se rappelant du chemin qu’il avait parcouru pour en arriver jusqu’ici.
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Cela faisait 36 années que Caleb avait ouvert les yeux pour la toute première fois, fils de Aylin et Grant Reid. Cette famille-là n’était pas particulièrement aisée, pas plus que d'autres en tout cas mais, si Caleb devait reconnaître quelque chose, c’était qu’il n’avait jamais eu à avoir peur de finir à la rue. Sa mère avait été surprise et émerveillée de le voir naître le matin d’une nuit animale et, si elle y avait vu un signe, son père était beaucoup plus terre à terre et pragmatique.
Aussi loin qu’il se souvienne, Caleb n’avait jamais été seul. Dès qu’il eut l'âge de se souvenir des choses, de comprendre son environnement, il avait compris qu’il avait le plus important des rôles : celui de grand frère. Abigail avait toujours fait partie de sa vie, elle et lui contre le reste du monde, pour ainsi dire.
Si les premières années de sa vie se passèrent sans encombre, Caleb comprit rapidement que le foyer dans lequel il était né ne débordait pas d’un amour inconditionnel. Si leur mère était présente, plus par obligation que par réel désir, Caleb remarqua rapidement sa génitrice se tendre à chaque fois que le père de famille rentrait dans la pièce. Il lui faudrait alors quelques années de plus, afin de comprendre l’origine de cette tension. A cette époque-là, Caleb était un jeune garçon très curieux et presque hyperactif, passant le plus clair de son temps à jouer avec sa sœur, ou avec sa jeune louve qu’il avait nommé Témis.
Si certaines familles étaient très à cheval sur les traditions, Caleb se rappela toujours de sa première leçon. Elle était simple, et pourtant l’avait suivi jusqu’à aujourd’hui. Quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, il devrait toujours agir dans l’intérêt de sa famille avant tout, et faire attention à ne pas ternir l’image du nom qu’il portait. La piété filiale et la réussite de la famille au profit de l’individu, telles étaient les priorités de l’homme à qui il devait la vie, telle était la façon avec laquelle les prochaines années de sa vie allaient être modelées.
Si le petit garçon développa rapidement ses premières capacités, se rendant compte qu’il arrivait notamment à lire plus facilement sans lumière, le soir, sa mère identifia rapidement ses capacités et en fit part à son époux. Caleb était fier, impatient de découvrir ce qu’il pourrait faire, impatient de rendre son père fier mais…la réaction de Grant ne fut pas celle attendue. Au lieu de féliciter son fils, il le toisa du regard et se tourna vers son épouse. “ A partir de maintenant, tu lui apprendras tout ce que tu sais. N’oublie pas ce que j’attends de toi, et de lui. ”
Bien entendu Caleb était trop jeune pour comprendre le sens de ces paroles, cette compréhension ne viendrait que plus tard. S’il était curieux, vint rapidement le temps de ses premières années à l’école, le temps d’embrasser réellement et pleinement la culture dans laquelle il était né.
S’il apprit énormément de choses, ses leçons ne s’arrêtèrent pas pour autant, une fois de retour à la maison. Sa mère le prenait à part pendant au moins deux heures tous les soirs, pour le pousser à pratiquer, à affiner ses sens, alors que tout ce que Caleb voulait c’était de passer du temps avec sa sœur. Il aurait dû comprendre, même jeune, que ce moment-là servait aussi d’échappatoire à sa génitrice, mais il était encore trop naïf pour le comprendre.
Ce fut à partir de ces années-là que mes premiers incidents survinrent, ou du moins que Caleb les remarqua, en tout cas. Il avait toujours remarqué que son père était sec et sanguin, mais il n’en avait rien pensé de plus jusqu’à
la première gifle qu’il retourna à leur mère. Caleb resta planté là, tout près de sa soeur, les yeux ronds comme des soucoupes, ne sachant ni ce qu’il ne passait ni ce qu’il était supposé faire. Il était supposé respecter son père et protéger sa famille, mais que devait-il faire lorsque les deux s’opposaient ? Quelle responsabilité prévalait sur l’autre ? Ce fut à cette époque que le vrai visage de chef de famille se révéla à la fratrie et que, en même temps, Abigail et Caleb se plongèrent dans la musique comme méthode de distraction, pour ignorer les violentes disputes dans la pièce d’à côté. Musique qui continuera à bercer la vie du zoomancien, même plusieurs décennies plus tard. Ce fut sans doute également à cette époque que l’instinct protecteur du jeune zoomancien s’éveilla.
Quelques années plus tard, la famille recueillit une nouvelle âme égarée en la personne de Jamie, cousin de Caleb et de Abigail. Pendant longtemps Jamie avait seulement vécu avec sa mère, la soeur de Grant, mais celle-ci venait
de lui être arrachée, dans un terrible cambriolage qui avait mal tourné. Bien sûr, les enfants Reid firent de leur mieux pour accueillir Jamie et le traîter comme leur propre frère, malgré les évidentes tensions qui régnaient dans la maison.
Talentueux, Caleb poursuivit autant ses études que ses exercices et, au début de sa puberté, fort de ses capacités nouvellement découvertes, il se sentit pousser des ailes, il se sentit posséder le courage suffisant pour faire face, pour faire cesser ces disputes incessantes. Un soir il se leva et, n’écoutant que son courage, osa répondre à son père avec un langage aussi fleuri que celui que ce dernier utilisait. Pendant quelques instants Caleb se sentit fier, le torse bombé, avant
qu’un retard de baffe ne le repousse en arrière, secouant autant sa tête que son monde tout entier. . C’était la première fois. La première fois qu’il fit les frais du tempérament du chef de famille et, malheureusement, ce ne serait certainement pas la dernière.
Au fil des ans, Caleb ne courba pas l’échine, malgré les suppliques de sa mère. Il ne parvint pas à accepter de baisser la tête et les “leçons” se poursuivirent, chacune transformant son impuissance en frustration, puis en colère. Ce qui devait être un don au départ, un cadeau précieux, devint un outil entre les mains du chef de famille. Un outil pour espionner, pour apprendre, pour ressentir, mais surtout pour se remplir les poches. Car la cupidité était sans doute le pire défaut du père Reid, en plus de tout le reste. Il était né modeste et ne l’avait jamais supporté, alors il en voulait plus, toujours plus et ne voyait en ses enfants qu’un moyen de l’aider à obtenir ce qu’il désirait. Plus. Toujours plus.
Seulement voilà, Caleb avait son petit tempérament et ne se laissa pas faire. Il apprit à se battre, autant pour défendre sa fratrie que pour canaliser sa colère, mais la tension restait toujours la même, dans le foyer Reid, jusqu’à ce que le point de non-retour ne soit finalement dépassé. Quelques jours après son 26ème anniversaire, une violente dispute éclata, la plus grosse dispute jamais vue à ce jour. Caleb laissa éclater toute sa colère, toute sa rage, toute cette frustration accumulée pendant deux décennies et enfin
durant cette orageuse nuit, se jeta sur son père. Enragé, tel un démon, un possédé, Caleb jeta sa retenue par la fenêtre et se rua sur Grant, fracassant son visage de ses poings rageurs, jusqu’à ce que le père perdre connaissance.
Si vous lui posiez la question aujourd’hui, le zoomancien serait incapable de vous dire comment il a su s’arrêter. Peut-être était-ce grâce à Témis, à Abi, à Jaime ou même à sa mère absente et abattue mais…non, son esprit devint noir et il ne se souvint de rien, jusqu’à reprendre conscience. A partir de ce jour il savait qu’il ne pouvait plus rester ici, car Grant serait capable de détruire ou corrompre toute trace de bien qu’il y avait encore en lui ou en sa magie. Alors il décida de prendre la route, invitant Jaime et Abi à en faire de même, à trouver la même liberté qu’ils méritaient, eux aussi.
Pendant longtemps sa magie n’avait été qu’un outil, mais il ne voulait plus que cela le soit. Il voulait retourner aux origines de sa magie, se rappeler pourquoi elle lui plaisait autant. Il commença donc par changer de continents, et visiter les covens d'Amérique du Nord, pour finir par celui de Salem. Ce fut l’occasion pour lui de se découvrir, de découvrir qui il était réellement au-delà de ce qu’on attendait de lui, de sa place dans sa famille ou la société. Chaque coven visité fut riche en leçons, riche en culture, riche en enseignement et, dans celui de Salem, il fit également la rencontre de Riley, sa première partenaire de voyage qui deviendrait bien plus que cela, par la suite.
Il n’avait aucune direction, aucun plan, aucune carte en tête. Caleb se contentait de visiter les covens, mais aussi les régions les plus reculées des pays qu’il pouvait visiter, à la recherche de nouvelles rencontres, de nouvelles créatures avec qui communiquer, avec qui apprendre. Riley, elle, était une botanomancienne et, si leur collaboration se transforma rapidement en idylle, celle-ci ne dura pas plus de deux ans. Ils étaient très bons amis, très bons amants, mais ce n’était pas suffisant pour faire en sorte qu’une histoire dure…il leur fallu simplement du temps pour le réaliser.
Si Caleb accepta la fin de cette histoire pour ce qu’elle était, il garde encore aujourd’hui son alliance attachée à un collier, autour de son cou, comme un rappel de ce qu’il considérait comme un échec de sa part. Sa route ne croisa plus jamais celle de Riley, par la suite. Mais son propre chemin reprit à nouveau, l’amenant vers l’Afrique, puis l’Asie, et enfin l’Australie. C’était amusant de se dire qu’il avait eu à traverser des milliers de kilomètres pour se sentir enfin lui-même, parfois à des heures et des heures de toute civilisation.
Chaque créature rencontrée était une nouvelle expérience, une nouvelle révélation, une nouvelle leçon sur lui-même et sur l’étendue de ses capacités. Une nouvelle façon de percevoir la nature. Pendant cette décennie Caleb décida de ne vivre que pour et par sa magie, pour ainsi dire. Passant de forêt en forêt, de réserve en réserve, ce fut au cours de cette décennie que le Reid fut plus proche de la nature, que ces expériences lui ouvrirent véritablement les yeux sur cette magie qui était la sienne, sur ce qu’il pouvait en faire et ce qu’il devait en faire.
Il avait la chance de pouvoir communiquer avec les animaux, avec la nature, avec le monde qui l’entourait. Il avait la possibilité de devenir une meilleure version de lui-même, et non pas ce que son père avait voulu qu’il soit. Comment aurait-il pu passer à côté de pareille occasion ? De regarder dans les yeux certains des plus féroces prédateurs de cette terre ? De vivre au milieu de ces animaux, le temps d’un instant qui lui paraissait si court, et pourtant si unique ? Cette décennie lui servit à lui ouvrir les yeux mais, malheureusement, le retour à la réalité fut difficile. Ce retour lui arriva sur son téléphone, alors qu’il s’extirpait de la région amazonienne. Ce retour prit la forme d’un message de sa mère.
“ Ton père est décédé. Rentre à la maison.” Un message terriblement court mais qui secoua le monde tout entier du Reid, ce dernier réalisant que, dans cette course à la découverte de soi, il ne serait plus jamais capable de régler ses différends avec son père, comme deux adultes devraient être capables de le faire.
Si une vague de regret manqua de submerger le jeune homme, il observa Témis un instant et, dans le regard de sa partenaire, il sut ce qu’il avait à faire. Son voyage l’avait transformé, plus qu’il ne l’aurait imaginé, mais à présent il était temps de mettre en application ces capacités. Il était temps de rentrer chez lui, d’être présent pour cette distante famille, de revoir des visages familiers. De se retrouver à nouveau.
Son errance n’avait jamais eu vocation à être définitive, après tout.
Si le jeune homme n’est pas du genre à marquer son corps par quelques tatouages indélébiles, il a passé une décennie à brûler son existence par les deux bouts, jusqu’à l’extrême. Au physique puissant et athlétique, le Reid n’a jamais manqué une occasion de boire, fumer ou simplement s’amuser jusqu’à complètement perdre la notion du temps et, irrémédiablement, le regretter le lendemain matin. Son corps porte encore les marques de certaines de ses mésaventures, d’ailleurs.
Si Caleb a surtout voyagé pour rencontrer d’autres sorciers, et pour renouer avec l’origine de sa magie, sa connexion au monde animal, cette expérience fut riche en leçons. Il a notamment plongé à corps perdu dans deux domaines qui sont, à ses yeux, deux langages universels : la musique et la cuisine. S’il ne part jamais en voyage sans sa fidèle guitare, la cuisine est un domaine que peu de personnes lui connaissent et qui, pourtant, est un domaine qui lui permet de se recentrer sur le moment présent, de garder les pieds sur terre plutôt que de laisser son esprit dériver à droite et à gauche, comme il en a la fâcheuse tendance.
Depuis son retour, Caleb a décidé de lever le pied sur la fête, d’arrêter de brûler la vie par les deux bouts. D’une part parce qu’il n’a plus vingt ans et que, ensuite, il est peut-être temps pour lui de se responsabiliser enfin.