[Terminé] Moonlight drowns out all but the brightest stars. - Luciero

Journée de nuages gris, temps pluvieux idéal pour un enfant vagabond et habituel du le climat édimbourgeois. Le soleil n'a pas encore fait son grand retour, s'il y a eu quelques belles journées sans nuages, l'Ecosse n'est pas le pays le plus lumineux du monde. Son Massachusetts natal n'est pas forcément plus ensoleillé d'ailleurs, à Salem il ne fait jamais très chaud. En même temps, il vaut mieux pour lui être sous la pluie en un sens. Si c'est désagréable d'avoir les cheveux mouillés, au moins, Lucius ne risque pas le coup de soleil.

La journée a été particulièrement calme, en ce Lundi tout le monde reprend ses activités après le week-end et les clients ne se sont pas tous précipités. Le nez penché sur les chiffres de la matinée, il constate qu'il y a eu un peu de clients, sans pour autant que ce soit ingérable et apocalyptique. Scannant ses bouquets qui commencent un peu à dater, l'Oniromancien s'applique ensuite à les mettre en ligne sur une application de récup' et d'anti gaspillage. Certes, la boutique les vend moins cher mais ça évite de jeter. C'est toujours quelques pounds en plus dans le tiroir caisse et puis si ça peut faire des heureux pourquoi pas ? Les fleurs fraîches c'est un budget relativement conséquent, il en a conscience Lucius. Tout le monde ne peut pas s'offrir un bouquet toutes les semaines pour offrir ou décorer son intérieur. C'est un privilège réservé aux personnes aisées, qui dépensent encore plus lorsqu'ils organisent des réceptions.

Et c'est justement pour ça que Jager est arrivé en avance ce midi, pour pouvoir s'occuper du cas des Karlsson. Nero lui a signalé par SMS hier soir qu'il viendrait chercher lui-même les fleurs commandées pour un centre de table. L'Oniromancien n'a pas jugé utile de demander pourquoi ils avaient besoin d'une composition florale. S'est simplement renseigné au près de la personne qu'il avait eu au téléphone pour la commande sur les couleurs et le thème, pour savoir s'il devait composer quelque chose de spécifique. Habituellement, c'est surtout de l'Ikebana ou des couronnes mortuaires qu'il confectionne.

Jager a pris deux bonnes heures en début d'après midi pour sélectionner les meilleures fleurs fraîches dans les teinte de blanc. Sélectionné les plus jolies feuilles pour étoffer le centre de table floral qu'on lui a commandé. Oh, il connait la famille. Du moins, indirectement via leur fils qu'il fréquente, comme disent les gens plus âgés. Se fréquenter, c'est avoir un petit ami ou une petite amie quand on est jeune, Lucius a retenu l'expression désuète qu'on lui a déjà soufflée pour lui demander si justement, il fréquentait. Ce à quoi il avait répondu non en rougissant. C'est un médecin qui lui avait posé la question lorsqu'il avait à peu près dix sept ans, pour savoir si sa fatigue chronique pouvait être une mononucléose et donc une IST. Sur le moment, il était un peu honteux de répondre non et d'assurer qu'il n'y avait aucun risque quand on a insisté. Parce qu'il n'avait pas encore la moindre expérience romantique à l'époque. Ce n'était pourtant pas l'envie qui lui manquait, il se serait sans doute jeter du haut du toit à l'époque si Moira le lui avait demandé. Avec le recul, l'expression le fait rire et lui repense à sa propre stupidité adolescente. Comprend également pourquoi Armand ne lui en a pas voulu d'être un peu stupide à cette époque, qu'il fallait juste attendre encore quelques années pour finir de maturer correctement.
En pensant à Moira d'ailleurs, Lucius espère que ce n'est pas pour un dîner quelconque entre les Karlsson et la famille de l'hydromancienne. Les fiançailles sont annoncées, tout le monde pense que ce mariage aura lieu et pourtant : les concernés n'en veulent pas. Font tout pour trouver une solution qui éviteras qu'on ne leur passe la bague au doigt.

Assis sur sa chaise, Lucius effectue quelques mouvements pour étirer son dos. C'est que les plans de travail chez le fleuriste sont toujours trop bas pour lui et que ça lui a pris un certain temps pour faire le centre de table qu'on lui a commandé. L'Oniromancien s'est efforcé de faire quelque chose d'assez classique, regrettant comme à chaque fois que personne ne demande plus de compositions épurées d'Ikebana de ce côté du globe. Sa collègue s'occupe d'un couple de retraités à la recherche de plantes pour leur jardin, beaucoup de gens viennent ici chercher de quoi planter maintenant que la belle saison revient. Une autre jeune femme est prise en charge par une autre collègue pour trouver le bouquet idéal à ramener à l'une de ses amies venant d'accoucher. La boutique vit, sans être prise d'assaut et Jager apprécie grandement. Lui, se réserve le cas du fils Karlsson. Espère qu'il sera satisfait et feras preuve de plus de souplesse étant donné la relation que tout les deux entretiennent.

TW : dépression, alcoolisme

J’ai l’impression que le temps file à toute allure ces derniers mois. Comme si je ne pouvais pas le retenir, comme s’il allait m’échapper et me précipiter un peu plus vite vers le grand vide qui me tend les bras. Il approche à grands pas, ce mariage. Trop vite à mon goût, en tout cas. Et sans aucune solution pour l’éviter, notre dernière tentative s’étant soldée par un échec, je comprends que je ne pourrais pas y échapper. Pas cette fois.

Mon apparence a drastiquement changé depuis l’annonce. Incapable de manger, je perds du poids à vue d’oeil et sens mon corps commencer à lâcher. Mes cernes sont de plus en plus difficiles à camoufler, mes os saillent sous une peau abîmée, mon visage est marqué par les excès d’alcool qui sont pourtant les seuls à me faire tenir au quotidien. Tous les matins, je me lève et descend la moitié d’une bouteille de whisky, le début d’une longue série. Les Karlsson se fichent bien de mon état à partir du moment où je fais des efforts pour le masquer lors des soirées mondaines. Je ne suis plus sobre, plus depuis longtemps. Et même si je donne le change au quotidien, certaines personnes commencent à s’en rendre compte.

Jager ne dit rien, mais je sais qu’il s’inquiète. Je le vois quand je le rencontre quelques fois, quand ses mains redessinent mon corps lors de nos ébats. Je sens son regard me caresser, me prendre en pitié même, et je n’aime pas ça. Mais je préfère ne rien dire, ne rien laisser paraître. En discuter, c’est rendre la vérité tangible, et je n’en ai absolument pas l’intention.

Je perds pied dans cette vie-là, et c’est parce que je m’en rends compte que je décide d’enfin faire quelque chose pour y remédier. Me raccrocher à ce que je connais, ce que je suis, ce que j’ai toujours été. Agir plutôt que de rester planté passivement en arrière, me placer sur le devant de la scène, montrer que je n’ai pas dit mon dernier mot. Il me faut retrouver celui que j’étais à l’Académie, ce gamin plein d’assurance qui masquait si facilement ses fêlures, celui qu’on admirait tous.

Je veux montrer à Jager que je ne suis pas une petite chose fragile à protéger. C’est pour cette raison et uniquement pour cela que j’ai décidé d’accompagner les domestiques des Karlsson ce jour-là, afin de récupérer une décoration florale pour le repas de ce soir. Quelque chose de très politique une fois de plus ; une alliance, encore une, entre notre famille et ceux qui ont déjà placé leurs pions vers le conseil. Ils veulent me placer à mon tour ; n’est-ce pas merveilleux ? L’aîné des Karlsson, Conseiller des Enfants des Vents. Peut-être Excellence même, qui sait ? Ca sonne bien. Ce n’est pas moi et je ne saurais pas que foutre en politique, mais ça sonne prestigieux. Et s’il y a quelque chose qui doit plaire aux Karlsson, c’est le prestige qu’un tel placement de notre nom apporte.

Tout de noir vêtu - qui est-ce que cela étonne, sérieusement ? - je me fais conduire jusqu’au magasin en question, la fameuse “Symphonie Verte”. Je n’y ai jamais mis les pieds moi-même je dois dire, et si je masque mon enthousiasme derrière un masque de neutralité absolue, voire de mépris, mon coeur ne cesse de battre dans ma poitrine. Ca va bientôt faire une semaine que je n’ai pas pu voir Jager…et le rencontrer dans un tel environnement m’amuse plus que j’oserais l’avouer.

J’ai envie de l’embêter un peu, mon cher et tendre amant. Envie de lui faire mériter son salaire. Il ne sait pas à quoi je ressemble hors des moments où nous sommes ensemble, ne me connaît pas sous le jour que j’offre au commun des mortels. Mais là, accompagné de mes deux sbires prêts à mériter leur salaire, je ne peux pas me présenter comme son amant. Je suis Nero Karlsson, riche héritier d’une des familles les plus influentes du pays, et je vais mériter mon nom.

“Vous, là, jeune homme. J’attends une commande au nom de Karlsson. J’espère que vous l’avez préparée correctement, mon temps est précieux.”

Mon ton est sec, mon menton levé et le regard que je pose sur un Jager certainement désemparé par mon comportement est méprisant. Le reste des clients fait semblant de ne pas remarquer notre altercation ; tant mieux pour eux, je n’ai pas envie de les conduire à la sortie, même si j’apprécierais être seul avec Jager en ce moment.

“Allez, dépêchez-vous ! Je n’ai pas toute la journée !”

Comment réagira-t-il à un petit coup de pression ? Je sais qu’il peut perdre le contrôle, même si je ne veux pas le pousser dans ses retranchements. J’ai déjà dû gérer une crise par un client absolument insupportable, lui faire retirer sa plainte et forcer son supérieur à enlever un blâme de son dossier. Loin de moi l’envie de le lui remettre par ma faute !

Quand la clochette de la porte d'entrée sonne, par réflexe Lucius relève les yeux pour observer les arrivants. Il ne peine pas à reconnaître Nero, entouré de deux autres personnes. Connaissant la situation de la famille Karlsson, le fleuriste imagine sans mal quil s'agit d'employés travaillant pour la famille. Probablement là pour porter le centre de table à la place du fils Karlsson. Souriant comme il le fait pour tout le monde, Jager se crispe néanmoins au ton employé par son amant. Oh, il veut donc tenir son rôle de Karen et de type exigeant ?...

« Bonjour Monsieur, bien entendu, votre commande est prête. Elle a été faite cet après midi avec des fleurs fraîches qui nous ont été livrées aujourd'hui spécialement pour votre réception. »

Cela fait maintenant quelques mois que la Symphonie verte a décroché un contrat exclusif avec les Aéromanciens. Lucius sait qu'il ne doit pas merder, que ça lui couterais probablement son travail. Une erreur de plus, de trop, en si peu de temps. Car même si officiellement, le casse burnes de la Saint Valentin a retiré sa plainte contre lui, il n'empêche que ça reste dans les mémoires. Et ça, on ne peut rien y faire. Il faudrait filer un pot de vin à un nécromancien aguerri pour laver le cerveau de son employeur, lui effacer cet évènement de la mémoire et ça... Lucius pense que c'est aller un peu trop loin. Il n'a même jamais osé demander à Nero ce qu'il avait fait pour que le pire des Roméos se rétracte. Lui qui semblait si déterminé à le faire virer pourtant...

Mais Nero ne feras pas d'histoire. Pas trop, du moins. Lucius le sait au fond de lui que jamais, il ne lui ferait perdre son travail. Pas pour une simple commande à la con qui dans le fond n'avait rien de compliqué à mettre en place. Surtout quand on lui a envoyé un détail complet des choses à faire pour correspondre à la vision de Madame Karlsson pour la décoration de table.

ça a du bon, de vivre une relation cachée : Jager est certain de ne jamais rencontrer sa belle-mère qui est une femme odieuse. Nero lui en a dressé un portrait rapide, lui l'a déjà vue de loin en amenant des fleurs et n'a pas très envie de la rencontrer personnellement quoi qu'il arrive.

Partant donc dans l'arrière boutique pour aller chercher la composition florale relativement imposante, le fleuriste se montre délicat pour ne rien abimer et la déposer sur un comptoir dégagé :

« L'assistante personnelle de Madame Karlsson nous a transmis les informations sur la vaisselle qui sera utilisée lors de votre réception, et a particulièrement insisté sur les verres sélectionnés. J'ai également respecté le code couleur demandé, et tenté d'équilibrer aussi bien les textures que les senteurs. Le parfum n'est pas trop prononcé, pour ne pas déranger vos invités lors du repas. Cette pièce est donc plus visuelle que réellement parfumée, étant donné le contexte. »

Crispé ce petit, mais il y a de quoi. J’ai établi un sentiment de dominance déjà, en me comportant avec lui comme si nous ne nous connaissions pas. Pourquoi en aurais-je fait autrement ? Je préfère noyer le poisson, que personne ne sache quoi que ce soit de notre relation et ignore même que nous ne sommes pas étrangers. Ce n’est qu’un petit fleuriste de Old Town, je n’ai pas à lui parler en-dehors de son travail dans cette boutique. Pourtant, c’est parce qu’il nous a déjà livré des fleurs par le passé que nos chemins se sont croisés. Le destin, parfois, arrive malgré les décisions extérieures. Nous étions destinés à nous rencontrer…c’est du moins ce que n’importe qui d’autre dirait de notre situation. Pour moi, il ne s’agit que du fruit du hasard, et le hasard fait parfois bien les choses.

Si mon visage reste de marbre comme à l’accoutumée, intérieurement, je ris de cette situation. J’ai un petit côté joueur que peu connaissent, même si mes “jeux” se font généralement au détriment des autres. Je ne vais pas très loin depuis que j’ai atteint l’âge adulte ; cependant à l’Académie, les conséquences me passaient au-dessus de la tête, et je pouvais pousser la moquerie parfois trop loin. Ca ne sera pas le cas ici ; j’aime Jager, suffisamment pour ne pas vouloir risquer de le faire virer d’un travail dans lequel il s’épanouit. Oh, je pourrais corriger ça quoi qu’il arrive ; menacer son patron s’il essaye de le virer, le protéger de mon influence en priant pour que le reste des Karlsson ne sache rien de mes actions. Mais si je pouvais éviter d’en arriver là…hmm…disons que ça m’arrangerait. Il y a trop de facteurs inconnus à la suite de cette histoire pour que je me risque à emprunter ce chemin-là.

Il s’éloigne et récupère ladite commande, tandis que j’affiche mon impatience en croisant les bras et en tapotant du pied face au comptoir. De part et d’autre, les domestiques attendent sagement comme des plots silencieux, ce que j’attends d’eux en réalité. Ils sont bavard lorsque Madame Karlsson les sollicite, mais ont appris à être de véritables statues avec moi. Ils savent que n’importe lequel des Karlsson peut les virer sur un coup de tête, et obéissent au doigt et à l’oeil. Mais pour moi, ce qui est le plus important…c’est cette propension à garder des secrets. A savoir tant de choses sur chacun d’entre nous, et ne jamais rien dévoiler aux autres. J’ignore tout des secrets des aïeuls, et eux ignorent les miens. Mais ces hommes et femmes qui évoluent autour de nous ? Ils savent…oh oui, ils savent. Jusqu’où s’étendent leurs connaissances ? Je n’en ai aucune foutue idée…mais ce sont bien ces connaissances qui les sauvent d’un potentiel licenciement, plus que leurs compétences. Et ça, pour le moment, ils l’ignorent tous.

Le petit - grand - fleuriste revient, caché derrière une immense pièce de table d’un blanc immaculé qui me fait frissonner sans que je n’en sache la raison. Est-ce que c’est parce que je sais à quoi va servir cette chose ? Parce que je sais que le repas en question est avec une famille bien connue maintenant…oui, le blanc du mariage avant même que celui-ci n’ait lieu. Je serre les dents, la mâchoire crispée en me penchant sur l’objet en question. Il est absolument parfait, oui…je n’ai malheureusement rien à en redire. Mais je peux tout de même…

“Hmm. Le code couleur ? Pour des fleurs blanches ? Ridicule.”

Je me redresse alors, l’air suffisant qu’on me connait bien sur le visage. Désignant le côté gauche de la pièce, je laisse échapper un petit rire.

“Vous appelez ça du bon travail ? Cette fleur n’est même pas encore ouverte ! Et les pétales ici…tombent mal. Cette feuille n’a rien à faire là. Allons, jeune homme ! Nous n’acceptons pas un travail amateur.”

Est-ce que je vais trop loin ? Non, ce n’est jamais trop loin. Je ne l’ai pas insulté, n’ai pas quitté la boutique en trombes en pestant que je ne voudrai jamais plus avoir affaire à eux. Ce ne sont que des taquineries…et rien qu’à sa tête, j’avoue que je ne suis pas peu fier de moi. Ca me permet au moins de reposer mon esprit, et oublier certains soucis du quotidien.

“Allez hop hop, corrigez-moi ça tout de suite !”

Qu'il est affreux. La plupart du temps, Lucius n'a le droit qu'aux bons côtés de son amant. Il fréquente un homme plus relaxé, dans leur intimité de couple. Certes, bien souvent, le fleuriste se rend compte de leur différence d'éducation et de standards. La classe sociale de la quelle ils proviennent n'est pas la même, mais ça le fait plus souvent rire qu'autre chose quand Nero s'étonne que l'on puisse manger avec les doigts dans un contexte moins guindé que celui au sein du quel ce dernier évolue normalement.

Pourtant aujourd'hui au sein de la boutique, Nero se doit de tenir un rôle. Lucius sait bien qu'il ne peut pas faire comme s'ils se connaissaient, qu'il doit faire semblant de ne pas le connaître : c'est logique, un Karlsson et qui plus est l'héritier de la famille, n'a rien à faire avec un type comme lui. Simple fleuriste, qui gagne un salaire très moyen ne lui permettant pas de vivre dans l'opulence. Jager n'est pas un nom de famille très connu de ce côté de l'Atlantique ici personne ne sait que la famille a une place importante au sein du Coven des enfants des volcans. Un coven au quel, Lucius n'appartient d'ailleurs pas, le sort s'étant acharné sur lui.

Alors l'Oniromancien garde bonne figure. Souris aux réflexions de Nero.

« Ce sont les directives de Madame Karlsson. »

Oh qu'il est vilain lui aussi, de rapporter la mère du brun. Il sait que les relations entre les deux sont terribles. Qu'il n'y a pas d'amour dans cette famille. Encore une différence. Mais Nero l'agace. Pourtant c'est la vérité : s'il n'a pas parlé à la terrible belle mère lui-même, on lui a bien fait comprendre que c'était le code couleur à respecter lors des échanges qu'il a eu avec son assistante. Du blanc uniquement.

Regardant les parties de la composition que l'Aéromancien point du doigt, le tatoué hoche la tête avec une patience infinie. Il retire d'abord la feuille, qui selon Nero n'a rien à faire là. Puis observe les fleurs à changer. Contournant le comptoir, pour rejoindre le fils Karlsson de l'autre côté Lucius lui indique d'un geste de la main poli de le suivre vers l'étal de fleurs :

« Je vous laisse choisir une pivoine blanche, pour commencer, afin de remplacer celle qui ne vous satisfait pas au niveau de la tombée des pétales Monsieur. »

Autant le laisser décider par lui-même, dans ce cadre là. Ce ne sera donc pas de sa faute, jamais Nero n'avoueras qu'il a fait le mauvais choix de fleur, n'est-ce pas ? Alors autant qu'il choisisse celle qui lui convient, parmi celles présentes dans le pot à disposition pour la création des bouquets.

Oh…le…con. A l’entente du nom de ma mère, mon corps se tend immédiatement et un frisson d’horreur parcourt mon dos. Evidemment, c’est elle qui a fait faire la commande…elle qui a dû insister longuement sur tous les détails, elle qui a dû mettre en jeu la réputation de cet établissement dans son entier. Mais le fait qu’il utilise ce nom comme une arme contre moi ne passe pas, et je serre d’ailleurs les poings pour ne pas exploser tout de suite.

Non content de me rappeler l’existence de cette personne, Jager met instantanément ma vie en jeu en me forçant à choisir moi-même le remplacement de ce que je lui ai fait modifier. Droit comme un piquet, je l’accompagne vers son étal de fleur en sachant déjà que rien ne me satisfaira dans le lot. Rien qu’il puisse faire pour rattraper cette bourde, lui qui devrait pourtant savoir que le sujet “Karlsson” est délicat pour moi. Alors quoi, est-ce une attaque ad hominem ? Est-ce qu’il veut se venger sur moi ? Qu’ai-je fait pour mériter sa colère…? Je n’ai rien fait. Je suis juste là, un client comme un autre, peut-être un petit peu plus exigeant que la moyenne puisque je suis au-dessus de cette moyenne. Rien qui ne justifie de près ou de loin ce comportement. Il me déçoit beaucoup.

“Alors non seulement vous n’êtes pas foutu de faire votre travail correctement, mais en plus il me faut le faire à votre place ? C’est très décevant, jeune homme.”

Ma voix est froide, mon ton acerbe, et mes bras croisés sur ma poitrine pour masquer un inconfort grandissant. La panique qui monte en moi ne doit certainement pas être visible, pas de lui en tout cas…et certainement pas des deux autres qui m’accompagnent et attendent simplement que je finisse mes affaires. D’ailleurs, leur présence elle-même suffit à me forcer à reprendre contenance. Je fais volte-face, revenant vers le comptoir où je fais signe d’un air agacé à mes sbires d’embarquer le tout.

“Je n’ai pas le temps pour ces conneries. Si l’objet en question ne plaît pas à madame, vous allez en entendre parler, croyez-moi. Allez, partons.”

Un dernier coup d’oeil en arrière, un regard assassin qui semble frapper mon amant en pleine tête. Oui, Jager. Tu as merdé…et je ne sais franchement pas comment te le pardonner.

Les fleurs en question plaisent à Madame Karlsson - tout du moins, elle ne fait aucun commentaire à ce sujet, ce qui est l’équivalent d’une composition parfaite. Pour ma part, je suis distrait par ces jolies plantes qui me rappellent avec trop de vivacité le visage de Jager ; au point de paraître mou, de me prendre quelques remontrances déguisées et d’être certain de passer un sale quart d’heure plus tard.

La nuit est tombée depuis longtemps lorsque mes pas me mènent jusqu’à l’appartement de Lucius. Encore un peu endolori, je grimpe péniblement les marches - flottant même sur les dernières par commodité - et frappe à la porte avec fermeté.

“Jager ? C’est moi. Je sais que tu fais semblant de m’ignorer, là.”

Il est tard, certes, mais pas “si” tard. Il n’a pas le choix, il doit m’accepter ! Je ne vais pas rentrer chez moi la queue entre les jambes quand même, si ? En plus, nous devons nous expliquer. C’est important. Il y a des sujets avec lesquels je ne plaisante pas, surtout lorsqu’ils sont abordés en public. Il faut que je lui parle. Je frappe donc avec plus de fermeté encore, impatient. Je rassemble mes forces tant bien que mal, sens la magie affluer vers mes lèvres alors que je prononce de nouveau ma demande.

“Ouvre la porte, allez !”

Aucune réponse. J’ai l’impression de parler à un mur, et d’un coup la frustration prend le dessus et je laisse échapper un juron de rage. Un aéromancien incapable de manipuler la psyché d’un autre, c’est quand même ridicule ! Je sais que j’ai toujours été moyen dans ce genre d’exercice, que je ne l’ai pas pratiqué depuis longtemps, mais quand même !

Lucius n'avait pas besoin de ça aujourd'hui. Ni jamais, en réalité. Entre l'idiot du village à la Saint Valentin et Nero aujourd'hui, il commence à se demander si Fleuriste c'est un travail réellement si calme que ça. Sans compter la fois où il s'est sectionné un doigt assez grièvement, mais ça encore... C'est ce qu'on appelle les risques du métier. Un coup de sécateur peut encore être pardonné, surtout si c'est l'œuvre de sa propre maladresse. Par contre, les insultes, ça commence à sérieusement l'ennuyer. Oh. L'Oniromancien sait bien que son amant doit garder les apparences, qu'il ne peut pas dévoiler leur relation à tous les deux en publique et encore moins devant des gens qui travaillent pour sa famille. Mais ça n'excuse pas la manière dont il lui parle, surtout quand en retour, le Fleuriste ne fait qu'essayer de lui rendre service pour satisfaire ses exigences stupides et bien trop hautes. Les fleurs sont naturelles, elles ne sont pas parfaites et c'est justement ça lui les rend si belles. Si l'on veut quelque chose de parfaitement symétrique et de la couleur PARFAITE, il faut prendre des fleurs en plastique et ici, il n'y en a pas. Lucius lui, est confiant en son travail : il a déjà travaillé pour la famille Karlsson et personne n'a jamais rien eu à redire. C'est bien pour ça qu'ils continuent de venir ici. S'ils n'étaient pas satisfaits, la symphonie verte en aurait entendu parler et les murs auraient tremblé.

Alors encore une fois, Jager prend sur lui. Se force à adresser un sourire crispé, avant de hocher la tête et d'emballer soigneusement sa composition dans une boite prévue pour que le transport se fasses en toute sécurité. C'est eux qui livrent généralement, pour éviter que les fleurs soient trimballées n'importe comment. Mais une fois de plus, aujourd'hui, on a demandé à venir chercher les fleurs sur place au lieu de se les faire livrer. Au fond de lui, il espère qu'ils feront ça correctement. La commande est réglée en avance. Tant mieux. ça lui éviteras de parler plus que nécessaire dans cette situation qui lui déplait fortement.

« Aurevoir Monsieur Karlsson, bonne soirée. »

Les salutations sont froides, d'ordinaire Lucius se serait sans doute déplacé pour tenir la porte et aider le client à sortir, surtout quand ce dernier est encombré. Mais pas aujourd'hui. Non, ce soir... Lucius se rend à la salle de sport qu'il fréquente du côté humain d'Edimbourg. Paradoxe du gentil géant, lui qui a si peur des humains va pourtant de l'autre côté pour s'entrainer : commodité et habitude. Plutôt que de taper dans un sac de boxe pourtant, alors qu'on pourrait s'y attendre étant donné sa pratique de la boxe thaïlandaise, il jette son dévolu sur un cours de vélo en groupe. L'instructeur donne un rythme soutenu mais c'est exactement ce qu'il lui faut. Et contre toute attente, malgré la sueur qui coule et la bouteille d'eau descendue Jager est le seul à tenir bon ce soir-là.

Avachi dans son canapé avec les muscles engourdi, Nuggets sur ses genoux, le sorcier ne parle pas. Son familier a eu un résumé de l'incident, lui a dit une fois de plus qu'on l'a déjà prévenu au sujet de Nero et qu'il ne faut pas s'en étonner. Peut-être que finalement... Sa meilleure amie a raison depuis le début. Que cette relation ne lui apporteras que des choses compliquées, que malgré les sentiments tout sera rude constamment. C'est dur, de garder l'espoir à force quand on fréquente Nero Karlsson.

La maladie... ce n'est pas de sa faute, il n'y peut rien et Lucius sait maintenant que les alters ne sont que les résultats d'un traumatisme dont il ne lui a jamais parlé. Du moins, pas en détails. Car il sait aussi, que la vie familiale au sein d'un manoir si parfait est loin d'être aussi lisse que ce que laissent paraître les choses. Les cauchemar de Nero sont très perceptibles, et Lucius peine souvent à les faire partir, à les tenir à distance lorsqu'ils partagent un rêve.

Le fait qu'il soit un con... ça, il n'arrive pas à lui trouver d'excuses. Si, la différence d'éducation. Mais est-ce que c'est vraiment une raison pour être imbuvable ? Pour jouer autant la comédie ?

Grimaçant en entendant frapper à sa porte, il échange un regard avec le chat toujours installé sur ses genoux sans répondre. Oui, bien vu, il est chez lui à cette heure-là. Mais le familier n'a pas l'air de vouloir se lever pour le laisser ouvrir à l'enfant des vents. Lui-même n'est pas certain de vouloir. Posant pourtant son portable avec un long soupir, il accorde une gratouille derrière les oreilles du chat qu'il prend dans ses bras avant d'aller ouvrir la porte. Sorcier comme compère lancent un regard accusateur à l'arrivant venant troubler la sérénité apparente de leur foyer.  

Il ouvre, enfin. Je pensais qu’il allait vraiment me laisser pourrir là, sur le palier, comme un malpropre ! Je soutiens son regard lorsqu’enfin son visage est visible, soutient ce mépris que je connais si bien depuis le temps. C’est celui dont je suis habitué, qu’il s’agisse de ce à quoi j’ai droit à la maison comme de ce que les autres en-dehors me montrent. Je suis un Karlsson, et les Karlsson n’ont pas de vrais amis…mais de vrais alliés. Alors ce n’est jamais très grave lorsqu’on finit par blesser l’un de ceux qui nous tournent autour. Jamais grave de soutenir ce genre de regard, puisqu’ils finissent toujours par s’écraser, rester autour de nous pour briller en société et gagner des avantages non négligeables. Ca fait toujours bien dans la haute, de dire qu’on côtoie la famille Karlsson. Mais Jager n’en a que faire de la haute.

“Tu vois que tu sais ouvrir une porte.”

Mon ton est plus sec que je l’aurais aimé, peut-être un peu trop pour mon pauvre amant qui n’a pas à subir tout ça. Je me glisse entre lui et le mur pour entrer dans son appartement, m’assurer qu’il ne puisse pas simplement fermer le panneau sur moi et me laisser comme un con devant sa porte close. Non, là, s’il veut me déloger, il va devoir me pousser lui-même dehors. Son chat me regarde de ses petits yeux sournois ; évidemment, son maître a dû sortir des horreurs pas possibles sur moi, entre le moment où il est rentré et maintenant. Ca ne m’étonnerait même pas.

Mais je ne suis pas responsable de ce qu’il a ressenti. Je voulais m’amuser un peu, pour une fois, le tourmenter gentiment pour me faire pardonner ensuite. Je voulais jouer avec lui, lui montrer que moi aussi je sais user d’humour, que moi aussi je peux endosser un rôle et le faire tourner en bourrique jusqu’à ce que je décide de mettre fin à la caméra cachée. Mais il m’a blessé et je ne savais pas à quel point je pouvais encore saigner. Je le jauge du regard, le mien lançant des éclairs, avant de soupirer et de m’éloigner en flottant, les mains dans le dos.

“C’était stupide de ma part de penser que tu aurais assez de jugeote pour séparer le monde extérieur de celui dans lequel nous vivons ici, toi et moi.”

La responsabilité lui tombe sur les épaules, et je ne me cache même pas pour l’enfoncer encore davantage. Evidemment que je ne me remettrai pas en question, et puis quoi encore ? Je grimace en posant le pied par terre, et décide de flotter à nouveau. J’aurais peut-être dû me soigner avant de venir, mais il fallait qu’on parle. Je me retourne donc, les bras croisés sur la poitrine en signe de défense.

“Je voulais m’amuser un peu, c’est tout. Je pensais pas que tu irais si loin.”

Pour moi, c’est lui qui a dérapé. Lui qui a fait tourner le jeu du mauvais côté, et qui m’a poussé hors de sa boutique avant que je puisse me faire pardonner. Je lui aurais offert des fleurs tiens, pour la peine…même si d’un coup je doute que ça aurait pu le détendre un peu. Dans tous les cas, me voilà au milieu de son salon à l’accuser de tous les maux.

“Il y a des sujets à ne pas aborder, et je t’en avais déjà parlé. Alors pourquoi tu l’as fait ? Ca t’amuse tant que ça de me blesser ? Qu’est-ce que tu veux de moi, Jager ?”

La paranoïa me prend une nouvelle fois aux tripes. J’ai l’impression qu’il veut me détruire, lui aussi. Qu’il n’a fait que me tester jusque là, qu’il va se transformer en monstre également. J’ai l’impression de le perdre…et cette simple idée fait battre mon coeur à toute vitesse, trembler mes mains et ma voix. J’aimerais entendre Thanikos, pour une fois. J’aimerais qu’il soit là, dans mon crâne, à me dire que je suis sûrement stupide et que j’ai encore tiré les mauvaises conclusions. Mais une fois n’est pas coutume, mon alter si énervant n’est pas là. Et je me sens plus seul que jamais.

TW gaslight
Il n'aurait probablement pas du ouvrir cette foutue porte. Grimace avec son chat dans ses bras à la première réflexion. Crispe ses doigts sur la fourrure du familier à la suivante. Nero le croit-il si bête ?... Pourquoi donc ? Parce qu'il est Américain et que c'est un cliché sur les gens qui viennent de là-bas ? Il a pourtant grandi en europe, a plus vécu sur le nouveau continent qu'ailleurs. Parce qu'il n'est pas toujours très fin ? C'est plutôt qu'il est d'un tempérament trop innocent pour comprendre les choses généralement. Nuggets finit par sauter sur le dossier du canapé, probablement agacé qu'on s'accroche ainsi à son long manteau si difficile à entretenir.

« Donc ça t'amuse d'être mauvais avec les gens. C'est bien ça, ou est-ce que je suis trop bête pour comprendre ça aussi Nero ? »

L'Aéromancien a été le premier à cracher son venin dans cette situation. Si l'Oniromancien sait bien qu'il ne pouvait pas se permettre publiquement d'être trop affectueux en vers lui, au moins aurait-il pu rester dans la neutralité la plus totale lors de sa visite. Simplement demander sa commande et repartir, avec pour prétexte de voir Lucius un court instant en plus. ça aurait convenu à tout le monde, ça n'aurait pas non plus été suspect. Mais non, il a fallu qu'il sorte son petit numéro pour faire son intéressant au sein de la fleuristerie.

« J'attend tes excuses, tu as commencé les hostilités. En venant tu aurais simplement pu rester neutre sans chercher des problèmes où il n'y en avait pas. Juste pour ton divertissement à toi, sans songer à ce que ça me ferait ressentir à moi. »

Car il n'y avait pas le moindre soucis dans la composition florale que Lucius a présenté. Nero a cherché des défauts inexistants et quand lui s'est empressé de trouver une solution en prenant sur lui, ça n'allait pas non plus. Rien n'allait, rien ne conviendrait parce que Nero en avait décidé ainsi en se levant le matin.

Ouvrant la fenêtre de son salon d'un geste dramatique, Jager plonge son regard sombre dans celui de l'autre :

« ça veut dire que tu ne m'aimes pas, si tu ne pense pas à mes sentiments, hm ? On m'a déjà dit que je méritais mieux que toi dans ma vie et je suis encore assez con pour te défendre. Finalement t'as raison, je dois manquer de jugeote pour encore t'ouvrir la porte. Mais tu peux sortir par ici. Figures toi que je sais ouvrir une fenêtre aussi, on arrête pas le progrès de nos jours. »

Sa réaction me choque plus que je n’oserais l’avouer. Je n’ai pas l’habitude qu’on me réponde avec autant de hargne, sûrement pas venant de la part de mon petit ami. Lucius est la douceur incarnée…et pourtant, c’est déjà la deuxième fois que je le fais sortir de ses gonds sans comprendre pourquoi.

“Mauvais ? Rien n’est mauvais, je…”

Il ne m’écoute pas. Sa question n’en était pas une il semblerait, et je le comprends un peu trop tard. Il exige des excuses, pourquoi ? Sa réaction m’a blessé. Ses paroles m’ont blessé. J’ai été suffisamment perturbé pour avoir en plus eu droit à une petit interaction pas très amusante à la maison, de quoi achever une journée terrible. Et lui, alors que je viens le voir dans l’espoir de trouver un peu de réconfort…il me repousse ? Non, c’est pire que ça. Il me blâme pour tout. Me prend pour un monstre. Je ne peux pas le supporter.

Mes mains tremblent déjà, la rage envahit mon coeur, mêlée d’une profonde tristesse que je n’assume clairement pas ressentir. Je le suis du regard alors qu’il me provoque encore, ouvre la fenêtre comme un idiot en prenant bien soin d’en remettre une couche. Je dois prendre sur moi, puiser dans toutes mes ressources pour ne pas le frapper, là tout de suite. Un petit éclair dans la gueule, ça le calmerait, non ? Les poings fermés, les ongles rentrés dans la chair de mes paumes, je ne dis rien. Je sens seulement gronder en moi, une créature qui ne devrait pas se réveiller.

Tuer ?
Non, certainement pas.
Il va frapper. Attaquer. Attaquons-le avant. Déchirons-le. Détruisons-le.
Il ne fera rien, et toi non plus.

Le rire de Jake ne me dit rien qui vaille. Je fronce les sourcils, et me détourne immédiatement pour flotter tranquillement vers la cuisine. D’un geste brusque, j’ouvre la porte de son frigo et en sort une bouteille de bière, que je décapsule d’un coup de dents. Me retournant vers lui je le fixe d’un regard noir, avant de me descendre immédiatement la moitié de la bouteille.

“Tu te fous de moi, et ça je l’ai compris.”

C’est plus une constatation qu’autre chose. Moi qui peine à capter les moqueries des autres, qui prend souvent tout au pied de la lettre, je comprends aujourd’hui qu’il use de sarcasme. C’est presque une fierté de le pointer du doigt, et j’en serais fier si je n’étais pas tant dans une rage folle. Mes yeux lancent des éclairs alors que je flotte de nouveau vers lui, ma bouteille à la main, incapable de poser le pied par terre sous peine de m’effondrer.

“Tu crois que je t’aime pas ? Moi ? Que je viens ici, chez toi, alors qu’on pourrait me reconnaître, parce que j’ai juste envie de tirer mon coup ? Après tout ce que j’ai fait pour toi ? Ce que je t’ai dévoilé ? Tous les secrets qui signeraient mon arrêt de mort ? Tu crois que je risque ma putain de vie tous les jours parce que je t’aime pas ?!”

Ma voix tremble, mes mains aussi de nouveau. Des larmes de rage coulent sur mes joues, mais je ne les sens même pas à ce stade. Ses paroles…elles sont injustes. Je ne peux pas les supporter. La boule dans ma gorge, j’ai envie de la lui cracher au visage. Je porte de nouveau la bouteille à mes lèvres, et la termine cul sec. Elle est trop faible, cette bière. C’est un whisky qu’il me faudrait, un verre de tequila, de vodka, n’importe quel alcool plus fort qui pourrait m’anesthésier. Je lâche l’objet, qui s’écrase par terre en un bruit sourd sans se briser.

“Tu crois…que je passerais…mes dernières années…avec toi…si je t’aimais pas ?”

Ma voix se brise, je ne sais même plus ce que je ressens. Ma vision est floue. Je prie intérieurement pour que ça ne soit pas un signe que je perds le contrôle. S’il y a bien une chose que je crains par-dessus tout, c’est de lui faire du mal. Vraiment mal, je veux dire. Que le monstre sorte, le prenne pour l’ennemi et l’élimine. Je n’aurais pas dû venir.

« Arrêtes s'il te plaît. »

La voix de Lucius s'adoucit, bien que son corps soit encore tendu. Oh, il lui en veut de le faire souffrir comme ça. Il lui en veut aussi de ne pas juste demander pardon pour assumer ses erreur. Mais il ne lui en veut pas, d'aller mal. Et il ne voit bien, que ça ne va pas. Que ça ne va plus. Ne cherchant pas à réellement fermer sa fenêtre malgré le temps encore frais d'une nuit de mois d'Avril, l'Oniromancien se dirige vers son amant pour le prendre dans ses bras. Il veut qu'il arrête d'être mal. Pas qu'il cesse de parler. Et Jager espère qu'il comprenne le fond de sa pensée avec cette étreinte. Il espère, mais sait bien qu'il ne comprendra pas. Nero a besoin qu'on lui dise les choses clairement, avec le temps, Lucius le sait.

Glissant l'une de ses grandes mains tatouées dans les boucles noir sans le laisser s'échapper de son emprise, bien qu'il ne semble pas s'en débattre, il dépose un baiser sur le haut de son crâne.

« Je sais que tu ne peux pas arrêter d'aller mal, même si c'est ce que je souhaiterais. »

Peut-être que lui-même devrait aller faire un vœu, lors de la célébration des Aéromantiens qui y est consacrée. Il ne pourrait pas compter sur sa magie, pour faire voler son souhait plus haut mais n'est-ce pas plus réaliste de ne pas tricher pour demander l'aide des ancêtres afin que ses prières soient exaucées ? Des requêtes, il en aurait tout un tas. Mais toutes se résument à son envie d'un avenir heureux et serein accompagné de l'enfant des vents qu'il ne lâche toujours pas.

« ça fait du bien de pleurer. »

Le fleuriste doute qu'il en ait envie. Ou du moins, qu'il se laisse aller puisque les larmes coulent déjà par réflexe. Pourtant, il faudrait qu'il pleure un bon coup pour évacuer. Lucius sait que rien n'est facile dans la vie de Nero. Qu'il est sa seule stabilité, sa seule bouffée d'air frais et son seul moyen de réellement respirer. Alors pourquoi s'est-il lâché sur lui par méchanceté ? Quoi que, ce n'était pas de la méchanceté, l'Oniromancien le comprend maintenant. C'est qu'il n'a jamais appris à maîtriser ses propres émotions, ou plutôt qu'on ne l'a pas autorisé à le faire. Ce n'est pas assez courant, de grandir au sein d'une famille progressiste comme la sienne, malheureusement.

« Ma proposition de fuir au Japon tiens toujours. Ou aux états-unis, si tu préfères... Je pourrais demander qu'on te fasses des faux papiers, à Leith tu sais ? »

Pas que lui-même saches où aller, Jager étant bien sous tout rapport. Mais il connaît suffisamment de gens pour savoir à qui s'adresser pour obtenir ce genre d'informations en ayant grandi dans ce quartier de la capitale sorcière. Des faussaires il doit bien y en avoir n'est-ce pas ? C'est la seule solution à laquelle il est capable de penser, ne pouvant envisager la pire et pourtant la plus probable de toutes pour régler les problèmes de Nero. Il n'y a pas d'autres options, pour Lucius, que celle de fuir avec lui comme deux amants maudits. Ce qu'ils sont, au fond.

Parce qu'ils n'ont rien à faire ensemble. Lucius est trop doux pour lui, leur milieu social est bien trop différent et surtout, Nero n'a pas le droit de vivre sa sexualité librement. Et pourtant, malgré la colère qu'il a pu ressentir envers l'enfant des vents, le rêveur n'est plus capable de rester froid en constatant qu'il va si mal ce soir. Encore une fois de plus. Nero est simplement venu trouver refuge chez lui pour, comme il le dit... Vivre ses dernières années. Cette pensée lui glace le sang. Si bien qu'il resserre encore d'avantage son étreinte contre le corps frêle de son amant.

Sa voix...sa putain de voix qui entre dans mes veines, et fait battre mon coeur un peu plus vite. Je voudrais le haïr. Ce serait si simple si je n'étais pas tombé amoureux de cette gueule d'ange ! Je serais sûrement malheureux, et alors ? Ca ne changerait rien à ma vie. Je sortirais toujours hors des frontières du monde sorcier, à me taper des inconnus lorsque la frustration s'accumule suffisamment. Je serais en sécurité. Au lieu de ça, j'ai choisi de mettre ma vie en jeu...pour quoi au juste ? Le bonheur ? Stupide. Je n'ai pas droit au bonheur, et de toute façon, c'est déjà mal barré avec lui. Combien de fois devrons-nous nous déchirer pour comprendre que ça ne fonctionne pas, cette relation ?

Je pensais qu'il me repousserait encore...et au lieu de ça, je sens ses bras m'entourer, m'attirer à lui, me serrer dans une étreinte que je n'espérais même pas. Choqué tout d'abord, je sursaute mais me laisse faire. J'ai un peu mal, la faute à ce que je cache sous ces vêtements...mais je passe outre cette douleur pour profiter de cette étreinte. Et alors qu'il me parle encore, je ne tiens plus.

Les larmes coulent toutes seules sur mes joues, je ne les sens toujours pas. J'ai une boule dans la gorge, et alors que je pose enfin le pied à terre, je sens mes jambes fléchir et m'abandonner. C'est Lucius qui me maintient debout avec son étreinte, et même si je me sens déjà honteux de le laisser me porter ainsi, c'est agréable de se reposer de temps en temps.

Il me demande presque de pleurer là, tout de suite. Me dit des mots doux, me propose de fuir avec lui. Mais je ne peux pas fuir. Pas maintenant, plus maintenant...ils tiennent littéralement ma vie entre leurs mains. Comment lui expliquer ? Je n'arrive même pas à parler, pour le moment. Je suis juste là, à tenter de respirer alors que mon coeur bat la chamade et que mes poumons ne semblent pas réussir à se remplir d'oxygène. Mes muscles se crispent, un nuage de pensées sombre envahit mon esprit. Je retiens mon souffle en sentant cette immense vague m'engloutir, me pousser vers le fond. J'essaye de retenir le tsunami depuis si longtemps...et voilà que celui-ci touche enfin les côtes, et détruit tout sur son passage. Mes barrières tombent les unes après les autres, je tente de les maintenir mais c'est peine perdue.

Je me rends compte que je n'ai pas pleuré depuis mon enfance. Peut-être une fois à l'adolescence, lors de mes visites au camp durant l'été...mais les sévices subis là-bas m'ont suffisamment brisé pour que je cesse de ressentir quoi que ce soit. C'est peut-être pour ça que je ne parviens pas à arrêter ces larmes de dévaler mon visage, comme si elles avaient sagement attendu, s'étaient accumulées pendant tout ce temps avant d'enfin être libérées.

J'ignore combien de temps je suis resté là, à m'accrocher à Lucius en laissant échapper toute la détresse et le désespoir qui m'habitent depuis si longtemps. Quand je reviens enfin à moi, nous sommes tous les deux à genoux à même le sol, glué l'un à l'autre. Son T-shirt est trempé contre ma joue, et d'un coup, la honte revient en moi. Par réflexe, je le repousse et baisse le regard sur mes mains. Je ressemble à un gamin comme ça, mais...non, il n'y a pas de mais. Je suis un gamin. Mais c'est ce que je redeviens sans cesse, lorsque Madame Karlsson n'est pas satisfaite.

"Je...t'aurais pas dû voir ça."

"Je suis désolé", sont les mots qui voulaient sortir mais que je ne peux décemment pas prononcer. Pourquoi ? Parce que...c'est un aveu de faiblesse, un autre. Je tourne la tête, cherche n'importe quoi pour attirer mon attention et ne surtout pas croiser le regard de Lucius. Je ne veux pas de sa pitié. Je n'en ai pas besoin. Je me racle la gorge, tente d'effacer toutes traces de larmes sur mon visage bien que mes yeux rouges et gonflés trahissent mon état.

"Je peux pas partir de toute façon."

Il va croire que c'est de mon fait, que je veux accomplir mon devoir de Karlsson...mais un sourire triste s'affiche sur mon visage quand je daigne enfin le relever pour le regarder avec un air fataliste.

"J'ai pas de passeport. Pas de carte d'identité non plus. Juste une accréditation du travail avec mon nom dessus, et même ça je dois le laisser à la maison par...hmm..."sécurité". Alors...non, on ne s'enfuira pas, toi et moi. On vivra ici jusqu'à..."

"Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien pour moi". Je ne peux décemment pas lui sortir ça, déjà parce qu'il ne comprendrait pas, et...parce que je ne veux pas de sa pitié encore une fois. Je détourne donc le regard, et m'éloigne définitivement pour me relever. Enfin, c'est ce que je voudrais faire ; mon corps est encore trop faible, et voyant mes jambes tremblantes, je décide à la place de flotter doucement, assis en tailleur. On dirait un fakir, quand on y pense. Dans un autre contexte, ça aurait pu être amusant.

« Je sais. »

Le ton de Lucius est grave, plus qu'à son habitude lui qui est d'un naturel enjoué. Il est un jeune homme globalement positif, souvent égal dans ses humeurs. Le tempérament calme aide probablement à rester aussi zen, pourtant, il comprend parfaitement la gravite de la situation. Les tenants et aboutissants de toute cette histoire. Il sait dans quelle situation vit Nero. ça le révolte, Jager. Mais qu'est-ce qu'il peut bien y faire ? Il n'est personne, n'a pas d'influence pour contrecarrer celle des Karlsson. S'il était chef de coven encore, il aurait pu le sauver ainsi pour éviter un scandale politique qui aurait mis la famille dans l'embarras. Et encore. Mais il n'est qu'un petit fleuriste d'Old town, et même s'il est manager, force est de constater qu'il n'est personne.

Posant son menton sur le haut du crâne de Nero, l'Oniromancien songe de nouveau. Même sa magie n'y ferait rien. Il n'est pas encore un maître des rêves et des illusions et puis, son élément est naturellement moins tourné vers l'offensif que celui des Aéromanciens capables de produire des éclairs et des bourrasques. Lui au mieux, serait un mauvais rêve dans leurs esprits... Certes, c'est ainsi que son coven dissuade les ennemis. En les harcelant moralement. Mais même ça, il en serait incapable : la faute une fois de plus à son tempérament mais aussi à une magie qu'il ne maîtrise pas assez bien. Jager n'est pas un virtuose, tout juste moyen voire carrément mauvais s'il faut décrypter une prédiction.

Il ne peut même pas lui dire que ça iras. Qu'ils trouveront une solution. Parce qu'il n'y en a pas réellement. On ne peut s'en remettre qu'aux esprits des anciens dans ces moments-là, pour leur demander un coup de main, un signe du destin pour améliorer leur futur. Aucun des deux hommes n'étant particulièrement spirituels, Lucius sourit pourtant. Se force à le faire, pour rester fort. Il le doit, pour Nero. Ne peut pas montrer de moment de faiblesse.

Relevant son amant en même temps que lui pour l'amener dans la chambre à coucher, fermant au passage sa fenêtre de salon, Lucius cherche dans sa table de nuit un petit briquet. Dépose une bougie parfumée sur le rebord de sa fenêtre.

« Ma grand-mère, elle était oracle des flammes à Salem. On est pas très spirituels toi et moi, ni des enfants des volcans. J'vais te demander de faire un effort et d'essayer d'y croire, parce que ça coute rien. Quand j'étais petit et que ça n'allait pas, elle me faisait allumer une bougie sur le rebord de la fenêtre en faisant un vœu pour que ça aille mieux. Le but, c'est de la laisser brûler toute la nuit pour qu'au petit matin, tu sois moins triste. »

Et ça lui arrivait souvent d'être triste quand il était petit. Parce que maman était occupée, lui restait avec ses grands parents lors des premières années. L'entrée à l'académie aussi avait été difficile. Elle l'est pour la plupart des enfants, qui sont ainsi séparés de leurs familles. Mais surtout, c'est en arrivant à Edimbourg que la consommation de bougies a augmenté au sein du foyer Jager. Nouveau pays, ville inconnue, plus aucun repères : les premiers mois ont été compliqués pour lui lorsque la famille est arrivée en Ecosse. Alors, peut-être bien que c'est un peu enfantin. Mais le voilà à partager quelque chose avec Nero. A espérer comme quand il était gamin, que ça ailles mieux demain matin grâce à la bougie pour demander aux esprits de les guider.

« Tous mes ancêtres, du moins ceux que je connais, sont pyromanciens. On peut essayer de leur demander un coup de main. »

Jager ne veut pas me lâcher, et je comprends pourquoi. Même si je m'éloigne de lui, il reste irrésistiblement attiré, si bien que je me retrouve de nouveau contre son torse. Je ne veux pas me remettre à pleurer ; c'est indécent, honteux, et je n'ai clairement pas besoin de me ridiculiser de nouveau. Même s'il a déjà mentionné ce comportement comme étant quelque chose de normal, je ne peux pas en quelques minutes oublier des années d'éducation. Je soupire donc et me laisse mollement faire, comme une poupée de chiffon, sa peluche personnelle s'il le désire. Je n'ai de toute façon pas la force de le repousser, ni l'envie je dois dire. Je suis épuisé, tant physiquement que mentalement.

Il doit s'en rendre compte, mon cher petit ami, puisqu'il me traîne doucement vers sa chambre. Avant de passer le pas de la porte pourtant, je me fige sur place ; j'ignore pourquoi moi-même, mais d'un coup, mon esprit réagit trop vite et trop mal. Je serre sa main, le retiens un peu avant de le laisser m'échapper. Roulé en boule, à tenter de disparaître, je fais peine à voir. Il est loin, le Karlsson arrogant qui prend toute la place qui lui est due. Mon dos est arqué, mes jambes croisées en l'air, mes mains désormais rassemblées à se tordre dans tous les sens.

Je respire longuement, comme on m'a appris à le faire il y a un petit moment déjà, et tente de m'ancrer dans la réalité. La lumière allumée aide déjà à comprendre qu'il s'agit de la chambre de Lucius, et que je la connais déjà depuis longtemps. Lucius qui est d'ailleurs là, devant moi, l'homme que j'aime et pas...n'importe qui. Mes bras se croisent sur ma poitrine, tentative vaine de me protéger. Tout va bien...je suis en sécurité, ici. C'est une safe space, un endroit où je ne risque rien. Jamais rien.

Détendu - du moins, dans la mesure du possible - je m'approche timidement de Jager en écoutant attentivement ce qu'il me raconte. C'est...très spirituel, et très lié aux pyromanciens. En quoi ça peut avoir un quelconque impact sur ma vie à moi ? Je suis loin de partager leurs croyances. Les miennes sont érodées de toute façon, la faute à une vie infernale qui me pousse à croire que les grands esprits comme les ancêtres sont pourris jusqu'à la moelle, s'ils existent seulement dans un autre plan. Intérieurement, j'espère que c'est le cas ; pas pour mes ancêtres du moins, mais pour mon cher Aurelius. J'espère qu'il a pu vivre dans un autre monde, lui aussi, libre comme l'air. Que mon sacrifice n'ait pas été vain.

"Je ne sais pas si..."

Il veut m'aider, Lucius, fait même un effort colossal d'oublier sa colère précédente pour partager sa pseudo spiritualité héritée d'un être bien plus spirituel que lui. Je soupire longuement, et finis par acquiescer. Oui, on peut demander de l'aide à ses ancêtres...et certainement pas aux miens, qui m'enfonceraient sûrement la tête sous l'eau s'ils le pouvaient. Après tout, il s'agit des Karlsson, pourris jusqu'à la moelle. Il y a du bon à ce que notre lignée se termine avec Ichabod et moi, tous les deux refusant de transmettre notre sang à une future génération.

Je prends le briquet tendu, et avec un petit effort, allume la bougie que je pose sur le rebord de sa fenêtre. La flamme est faible, vacillante, mais elle est tout de même loin de s'éteindre et c'est presque un exploit. Je la fixe du regard pendant un petit moment. Est-ce que c'est du blasphème que de s'en remettre à une autre magie ? Est-ce que ça fonctionnerait pour quelqu'un comme moi, lié à un autre Esprit ? J'ignore tout du monde des ancêtres et de celui des esprits, je l'avoue sans mal. Parce que je n'ai jamais vraiment été spirituel, ma famille étant ancré dans le matériel plutôt. Mais je suis à court d'idées, et j'espère tout de même m'en sortir...même si l'espoir s'amenuise de jour en jour, et que les chances sont minces.

Nous restons silencieux un petit moment, avant de finalement décider de quitter le rebord de la fenêtre pour le lit. Une fois de plus, je me fige sur place ; avec la lumière allumée...je n'ai pas envie qu'il me voit ainsi. D'ordinaire, je trouve des excuses pour ne pas le voir, ou pour justifier mon état par une mission éprouvante au travail. Mais là ? Là...je n'ai pas d'excuse. Il saurait. Je serre la mâchoire, et usant de ma magie pour ne pas bouger, j'éteins la lumière de la chambre pour ne laisser que la petite lueur de la bougie non loin. Ce n'est pas le noir complet...mais ça suffira bien. Je retire mon jean, conserve mon T-shirt et mon blazer avant de me glisser sous les draps. C'est étrange, oui...mais je ne veux pas qu'il voit. Qu'il touche. Je ne veux pas de sa pitié.