[Terminé] Got kicked out of a bar, so I hit the Boulevard

TW : Alcool

- Moira, repose cette bouteille tout de suite !

La jeune femme ignora superbement son familier. Situé contre sa hanche, dans le bocal qu’elle portait en bandoulière, l’hippocampe fulminait. Son humaine venait de porter une nouvelle fois à sa bouche la bouteille de jus d’orange qu’il savait emplie plus qu’à moitié d’un autre liquide bien moins inoffensif.

L’hydromancienne n’avait vraiment pas besoin d’ajouter ces quelques gorgés de vodka à son estomac. Alternant entre les appartements et les taxis au fil de la soirée, la brune avait enchaîné les verres de vin et les shots de toute sorte. Le petit poisson observait d’un œil inquiet sa liée avancer en zigzag dans la rue. Il se demandait comment elle parvenait à marcher dans son état, juchée sur des talons de dix centimètres.

A dire vrai, Moira n’en savait pas plus. Le monde lui semblait bien trop rapide, les lumières extrêmement vives. Elle percevait les feux de signalisation sous un filtre trouble. Elle se cogna plusieurs fois à des passants qu’elle avait vu au dernier moment.

Consciente qu’elle commençait à perdre pied, elle s’était arrêtée contre un mur pour fermer les yeux un petit instant.

Le reproche de Sùmaid faisait sens. Sa consommation de ce soir dépassait très largement ce qu’elle s’autorisait d’ordinaire. Mais il s’agissait de l’anniversaire d’une de ses amies d’Académie, l’une des seules personnes chez qui ses parents la laissaient dormir sans broncher. Bien qu’elle puisse théoriquement se rendre où elle le souhaitait depuis sa majorité, découcher lui valait encore des scènes monstrueuses qu’elle préférait éviter à tout prix.

Elle n’avait donc pas hésité à rejoindre son groupe de camarades, déjà éméchés à son arrivée. Après quelques verres, beaucoup de mots pour ne rien dire et un peu de danse, il avait été décidé de quitter les beaux quartiers pour se rendre chez un ami d’un ami dans la rue de Cougait.

Moira commençait à perdre le fil de sa soirée à partir de ce moment-là. Elle se souvenait vaguement qu’une impulsion avait été donné pour que le groupe fasse la tournée des bars, et elle ne s’était pas privée pour prendre part aux festivités.

Elle s’était basée sur sa résistance d’étudiante, lors de nuits si arrosées qu’elle se souvenait à peine de son propre nom le lendemain matin. Peu importait à l’époque quelle quantité d’alcool elle ingérait ou auprès de qui elle se réveillait, tant qu’on lui accordait un peu de répit au milieu de ses cours difficiles et de sa famille loin d’elle.

C’était sa manière de relâcher la pression : voir du monde, des personnes avec qui elle appréciait passer son temps et une bonne bouteille – ou cinq – pour découvrir son entourage d’une toute autre manière. Tout paraissait moins sérieux, d’un coup. Le rire venait plus facilement, les responsabilités du lendemain oubliées pendant quelques heures au lieu de l’obséder.

Son apprentissage en tant que Gardienne des écrits l’avait privée d’une grande partie de son temps libre. Plongée dans l’étude des nombreux ouvrages dans cette caverne isolée, elle avait eu l’impression de ne plus sortir la tête de la surface depuis des années.

Son instructrice, l’ancienne Gardienne, avait été une professeure juste mais incroyablement exigeante. Entre elle et les moult conseils de sa mère en revenant le soir, Moira avait cru imploser. Nombre de nuits furent sacrifiées, blanches lunes pour retenir tout le savoir que cette position nécessitait. Chaque heure de la journée était rythmée par le son de ses leçons, les rappels sur le meilleur moyen de préserver les livres. Elle s’était enfoncée les différents rites, leur signification et les protocoles dans le crâne à force de migraines carabinées.

Et ce fut une torture de chaque instant. La jeune femme avait conscience de l’honneur qui lui était donné d’occuper une telle place dans son Coven, surtout si jeune. Son rôle sera prépondérant à l’avenir, chargée de faire le lien entre foi et pratique, mémoire de tous jusqu’au prochain passage de flambeau.
Cette insigne preuve d’appréciation de la part de ses pairs ne provoquait qu’angoisse chez elle. Malgré ses airs assurés, Moira dissimulait une envie de bien faire tremblante. L’éventualité de commettre un impair dans le futur la paralysait.
Sans parler que, tout au fond d’elle, elle aspirait à autre chose. A explorer des horizons plus lointains que sa caverne.

Elle sera intronisée dans peu de temps maintenant, ce n’était plus qu’une formalité. Bientôt, elle sera confinée au lieu secret sous les mers, et à l’art de l’érudition.

Moira enviait donc ses compagnons de ce soir – elle ignorait si une soirée de beuverie telle que celle-ci pourrait se reproduire. Son office n’était pas un bagne, mais elle devra présenter un visage d’exemplarité. Elle aurait dû le conserver même ce soir, à vrai dire. Il n’était pas de bon ton de s’enivrer de la sorte, même en période d’apprentissage.

Mais personne ne lui tiendra rigueur de s’amuser un peu avant son entrée dans le monde, surtout en cette période estivale. Elle comptait donc en profiter allégrement.
Elle n'avait juste pas anticipé que sa tolérance au poison était moindre après une pause aussi importante. Peu importe, elle avait tout prévu pour rester en sécurité.

Jusqu’à ce que toutes ses amies ne se décident à soit dormir chez leurs copains, ou à simplement disparaitre sans prévenir.
Il avait été prévu à l’origine que Moira dorme chez la jeune fille fêtant son anniversaire, mais celle-ci lui avait annoncé que, finalement, il n’y avait plus de place pour elle. La brune avait protesté, indiquant à juste titre que revenir sur cet arrangement maintenant était totalement inadmissible, mais rien n’y avait fait.

Vêtue de sa robe de soirée pailletée lui arrivant mi-cuisse et sans manche, de son blouson et de sa petite pochette en plus du bocal de Sùmaid, elle tentait de composer de nouveau numéro, en commençant par la personne l’ayant lâchée précédemment.

Elle ne pouvait absolument pas rentrer chez elle dans cet état. Moira en entendrait parler jusqu’à la fin de l’année, et elle n’avait aucune envie qu’on lui rappelle qu’elle devait se montrer raisonnable désormais.

Lorsqu’elle ne reçu aucune réponse, elle commença à appeler ses autres connaissances, recevant des réponses négatives à chaque fois.

Excédée, elle commença à rire. La situation était presque comique, d’avoir autant de personne dans son répertoire et personne pour l’accueillir.
Se forçant à se calmer, elle composa un énième numéro.

- Allô ? J’aurais un service à te…

- MOIRA FAIS ATTENTION !!

La jeune femme fut aveuglée par les phares de la voiture qui approchait alors qu’elle se trouvait sur le passage piéton. Le véhicule s’arrêta juste à temps, et elle agita le bras d’un air nonchalant. Cela lui valut un coup de klaxon qui lui perça les tympans, et elle se couvrit les oreilles en grimaçant.

- Oh ça va, ça va…

Un regard vers les petits indicateurs de couleur lui indiqua qu’elle avait traversé au vert. Pour les conducteurs.

- Oooooooups… - lâcha-t-elle, le visage un peu embarrassé.

- Tu as failli nous tuer, arrête des bêtises et appelle un taxi pour rentrer à la maison !

Moira finit par atteindre le trottoir d’en face en titubant, désormais à peine capable d'avancer sur ses échasses.

- Je suis sérieux Moira, j’ai eu la peur de ma vie !

- Tu es toujouuuuuuuuuuurs siiii dramatiiiiiiiique Sùmaid. Regarde, nous allons très bien.

Elle ôta son blouson pour le poser sur le sol, et s’assit par-dessus sur le rebord du trottoir pour délacer un peu ses talons quelques instants. Hors de question de marcher pieds nus, une pause s’imposait donc.

- Mais qu’est-ce que tu fais ?? Relève-toi et appelle ton père !

- Plutôt me jeter sous une autre voiture.

La jeune femme passa ses mains sur son visage dans un espoir d’y voir plus clair. Un regard vers la vitrine non loin la rassura au moins sur son apparence – bien qu’elle y vît flou. Son maquillage n’avait pas coulé, ses cheveux lâchés n’avaient pas trop mauvaise mine. Hormis ses yeux verts un peu trop brillant pour que cela soit naturel et les traces rouges laissées par le vin sur la partie inférieure de sa bouche malgré son rouge à lèvres, elle n’était pas trop mal en point. A première vue.

Un dernier regard sur son visage anguleux lui apporta la satisfaction vaniteuse qu’elle cherchait. Elle soupira.

Elle devait vraiment trouver un plan B. Se balader dans cette tenue allait finir par lui attirer des problèmes.

Ne trouvant pas d’autres solutions, elle finit par ramener la bouteille et la déboucher.

- MAIS TU TE MOQUES DE MOI ?!...

Agacée par son familier, elle tapota le dessus du bocal d’un mouvement vague tout en buvant pour l'inciter à se taire. Ça ne pouvait pas être pire, autant en profiter.

Veronika and her man

TW : Sans

L’été était là. Haesik affectionnait cette période de l’année où ses précieuses abeilles batifolaient parmi les fleurs chatoyantes à la recherche de pollen à ramener aux ruches.

Son prédécesseur continuait de lui porter main forte à certaines occasions mais, puisque son corps était désormais trop faible pour supporter la charge de travail qui incombait au mystique des essaims, il lui avait officiellement passé le relai, quelques mois plus tôt, après avoir âprement défendu sa candidature.

Leur relation n’avait fait que se renforcer depuis son arrivée en Ecosse, jusqu’à devenir un lien de filiation symbolique. Le vieil homme lui avait apporté un soutien indéfectible, sur tous les plans, et démontré une affection sincère, exprimée abruptement certes, mais il ne pourrait jamais le remercier assez pour tout cela.

Grâce à lui, l’adolescent réservé et blessé par la vie qu’il était une dizaine d’années plus tôt s’était mué en un jeune homme équilibré et plus confiant en ses capacités qu’il l’avait jamais été. Il n’était pas le plus populaire des zoomanciens mais, enfin, il avait le sentiment d’avoir retrouvé une place quelque part.

Ce jour-là, il avait passé plusieurs heures à prêter main forte aux insectes dont il prenait soin, sous la forme d’un bourdon. Il aimait se mêler aux butineuses de cette manière, même si leurs tâches étaient ardues et le laissaient fourbu lorsqu’il reprenait forme humaine car il savait que cette proximité et le respect qu’il leur vouait étaient toujours appréciés et récompensés.

Il était près de 17h lorsqu’il avait regagné son domicile pour prendre une douche et se reposer un peu, avant de s’installer dans sa voiture pour rallier la civilisation. La date de l’offrande des récoltes approchait à grands pas et il était prévu qu’il rencontre un groupe de volontaires pour échanger au sujet de nombreux points d’organisation.

Les heures avaient filé à une vitesse folle aussi, la nuit était déjà bien avancée lorsqu’il avait repris le chemin de son cottage, impatient de retrouver son lit. Il traversait Cougait, pourtant à allure modérée, lorsqu’il avait été contraint de piler brusquement. Visiblement très avinée, une jeune femme venait littéralement de se jeter sous ses roues.

Agacée par ce comportement irresponsable et désireux de la réveiller un peu pour l’inciter à la prudence pour le reste de son trajet, il l’avait klaxonnée vigoureusement. Lorsqu’elle s’était tournée dans sa direction pour protester toutefois, exposant son visage à la lumière de ses phares, il s’était aperçu qu’il n’avait pas affaire à une inconnue et cela l’avait troublé pendant quelques instants.

Moira Auchincloss…

Que diable faisait-elle seule dans un état et à une heure pareils dans un quartier qui pouvait s’avérer dangereux ?

Malgré une savoureuse après-midi passée en sa présence, bien des années plus tôt, Haesik ne pouvait pas prétendre être l’un de ses amis. Son père l’avait menacé pour qu’il rompe tout lien avec elle après leur petite escapade et cela avait fonctionné à merveille. Après l’académie, où ils s’étaient appliqués à s’ignorer, ils ne s’étaient aperçus qu’en de rares occasions.

Au vu de ces éléments, il ne saurait être tenu responsable de ce qui pourrait lui arriver s’il se contentait de faire comme si de rien n’était et de passer son chemin… Et puis, elle n’était probablement pas aussi seule qu’elle en avait l’air. Comment l’aurait-elle pu, alors qu’elle avait tant d’amis ?

Mu par une forme d’affection qui ne s’était pas estompée depuis leur première rencontre et un sens moral aiguisé, il s’était arrêté sur le bas-côté pendant un instant pour analyser davantage la situation. Lorsqu’elle s’était avachie sur le trottoir pour soulager ses chevilles, les jambes dépassant largement sur la chaussée, il avait laissé échapper un soupir avant de quitter son véhicule pour partir à sa rencontre.

Il détestait se montrer paternaliste mais il ne pouvait s’empêcher de vouloir la mettre en sécurité.
La belle ingurgitait de nouveau une boisson odorante qui ne laissait aucun doute sur sa nature lorsqu’il s’était immobilisé devant elle, sourcils légèrement froncés.

- Ça ne me regarde pas mais je pense que tu devrais appeler un taxi…

Allait-elle le reconnaitre malgré son ébriété et les changements physiques assez importants qui s’étaient opérés chez lui ? Elle dégageait sensiblement la même chose que lors de leur dernière entrevue, si ce n’était qu’elle avait perdu ses rondeurs enfantines…

Cette considération faite, sa main s’était tendue dans sa direction.

- Tu crois que tu peux te relever ?
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TW : Alcool

Elle venait de terminer sa troisième gorgée lorsqu’une silhouette lui cacha la lumière du lampadaire. Le contrejour lui donnait l’impression d’être en pleine après-midi, et elle dû plisser les yeux avant de pouvoir distinguer les traits de la personne lui ayant adressé la parole. Elle rassembla le peu de capacité de concentration dont elle disposait encore pour user de sa vue en double.

- Hum ? Quoi ? Nan je ne fais pas la manche, je suis trop riche pour ça…

Moira reboucha la bouteille avant de la poser à côté d’elle, toujours en fixant le jeune homme. Le point se fit enfin sur son visage, et il fallu quelques secondes supplémentaires à la jeune femme avant d’écarquiller peu à peu les yeux.

- Haesik ?!

Elle l’avait à peine reconnu. Si elle était restée sensiblement la même que le jour de leur rencontre, elle ne pouvait pas en dire autant de lui. Sa minceur inquiétante s’était transformée en carrure pleine de santé, son visage avait prit des couleurs. Ses cheveux qui cachaient ses traits fins étaient désormais coupés correctement, mettant en valeur ses attraits.

L’hydromancienne tenta de se lever précipitamment, toute à sa hâte de l’observer.

Elle n’avait jamais oublié le petit livreur de miel qui l’avait amenée à la mer. Les premières semaines, elle ne pensait à presque rien d’autre. Elle avait brûlé de courir derrière lui dans les couloirs de l’Académie, seulement retenue par les menaces de son père en épée aiguisée au-dessus de leurs chevelures brunes.

Avec le temps, son souvenir s’était affaibli. Moira recherchait de moins en moins le pull qu’elle avait caché chez elle, se replongeait peu dans le souvenir d’une après-midi insouciante. Dix ans avaient tôt fait d’emporter l’écume de leurs rires passés. Avec le temps, ses rêveries avaient laissé place à une nostalgie distante, jusqu’à s’échouer sur des rivages de conscience lointains.

Elle n’avait pas pensé à lui depuis des années, mais le revoir ramenait instantanément les embruns salés de l’hiver dans son été enivré.

Moira prit sa main pour s’appuyer, mais cela ne l’empêcha évidemment pas de trébucher. Elle avait oublié dans son excitation que les lacets de ses sandales beaucoup trop hautes étaient défaits. Se rattrapant comme elle put aux épaules du coréen, elle rit un peu, amusée par sa propre maladresse.

Sous ses paumes, le changement était physique, perceptible malgré l’alcool et la décennie les ayant séparés.
Souriante, elle plaça ses mains sur ses joues afin d’avoir une meilleure vue de sa peau lisse et ses yeux sombres.

- Wow… tu as tellement changé !

Elle émit un nouveau petit rire ravi, se tenant à lui lorsqu’elle menaçait de tomber. Elle alternait d’un pied à l’autre pour se maintenir, tanguant de droite à gauche.

- Eh bah… tu es encore plus mignon qu’avant maintenant !

Elle n’aurait jamais pensé lui parler de nouveau un jour. Moira était trop saoule pour se poser la question, mais elle n’aurait sûrement pas bravé l’interdit sans l’aide de son ami liquide. La vodka dans ses veines l’aidait à oublier tous les avertissements, et les mots de son père était le dernier de ses soucis.

Derrière les volutes de l’alcool, elle était toute à sa joie d’avoir retrouvé son compagnon d’un jour.

- Bonsoir, Haesik.

Sùmaid levait la tête vers le jeune homme, plus discret mais tout aussi curieux que son humaine. Il gardait un excellent souvenir du garçon timide mais sympathique qui avait supporté la sorcière pendant des heures. Le familier avait estimé que le zoomancien exerçait une bonne influence sur l’adolescente d’antan, au point de se mêler de la dispute familiale qui avait suivie leur incartade. D’ordinaire du côté des parents de Moira, il n’avait eu d’autre choix que de se ranger du côté de l’enfant cette fois-ci.

Était-il assez chanceux pour compter sur l’aide inattendue du métamorphe une nouvelle fois ?

Moira reprit ses habitudes comme par réflexe, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Elle s’accrocha à son bras pour se tenir, toujours aussi souriante.

- Si je m’attendais à te voir ici !

Elle parlait un peu trop fort, les têtes se tournaient sur eux, mais elle n’en avait absolument rien à faire. Sous le prisme des bulles de champagne, tout paraissait plus beau, plus innocent.

Comme les yeux qu’elle posait sur le nouvel arrivant.

- Tu sais où je peux trouver un hôtel pas loin ? Mon téléphone est presque mort… Attends…

Cherchant à tâtons le cellulaire sur ses hanches, s’attendant à trouver des poches, elle fronça les sourcils de confusion. Elle se rappela ensuite qu’elle avait un sac, et commença à en extraire un par un les objets à la recherche du dernier modèle qu’elle venait d’acquérir.

Agacée, elle laissait tomber ses possessions au sol sans y prendre garde. Ainsi, un tube de rouge à lèvres, des écouteurs, son porte-cartes et un petit sachet de médicaments qu’elle gardait toujours sur elle finirent sur le goudron.

Sùmaid secoua la tête, consterné.

- Tu l’as laissé dans ton blouson. Qui est sur le trottoir.

Confuse, Moira baissa lentement la tête vers son familier. Il s’écoula une poignée de seconde avant que l’information ne monte à son esprit et ne redescende. Son visage s’illumina de compréhension.

- Ah ! Oui c’est vrai.

Elle essaya de récupérer le vêtement tout en se tenant à Haesik, avant de renoncer et de se laisser tomber pour extraire le téléphone de la poche de cuir.

Triomphante, elle se redressa difficilement, montrant la batterie à un chiffre s’affichant sur l’écran.

- Tu vois ? J’ai essayé d’appeler toutes mes amies, mais elles m’ont lâchée ces traitresses… j’ai plus de quoi appeler un taxi et l’attendre…

Reprenant sa place légitime contre son soutien, elle tira un peu sur sa robe d’une main. Elle avait beau ne plus avoir totalement conscience de tout ce qui l’entourait, son apparence restait sa priorité. Elle savait sa dignité dans le caniveau, mais tout de même.

- Je peux pas rentrer chez moi comme ça. Tu peux me chercher l’hôtel le plus proche ? demanda-t-elle de nouveau, ne se rendant pas compte qu'elle se répétait. Sinon je suis à la rue…

Penaude, elle joignit ses deux index ensemble, dans une petite moue contrite en se balançant légèrement.

Sùmaid jeta un regard inquiet à Haesik.

- Je pense même qu’il faudra la conduire à sa chambre à ce stade. J’ai perdu le compte du nombre de verres qu’elle a bu, elle va être malade d’ici une petite heure.

Ignorant les protestations véhémentes de la brune aux mots de l’hippocampe, il poursuivit, imperturbable. Il avait suffisamment vu son humaine ivre pour savoir à quoi s’attendre.

- Les établissements des parages ne me semblent pas très bien équipés. Je ne suis pas tranquille de la savoir seule là-dedans.

Ce n’était pas une preuve de snobisme de sa part. Habitué aux idées douteuses de Moira, le petit être avait développé un instinct de protection exacerbé pour sa liée. Il n’aimait pas ce quartier et rien ici ne lui inspirait confiance. Dans son état, elle serait capable de ne pas bien refermer la porte derrière elle. Il n’était pas non plus très enthousiaste à l’idée de la savoir seule dans un taxi. Nombre de faits divers avaient débuté de cette manière.

- Je suis désolé de te demander ça, mais tu pourrais la ramener devant le portail de chez nous ? Tu n’auras pas à rentrer cette…

- C’est HORS DE QUESTION.

Moira était désormais indignée. Revenir ainsi chez ses parents signerait son arrêt de mort, tous les verres du monde ne pourraient lui enlever sa crainte de leur jugement.

Par ailleurs, elle refusait catégoriquement de soumettre de nouveau Haesik à cette torture. Elle se rappelait de leur rencontre tendue, la brune ne voulait absolument pas retenter l’expérience. Cela non plus, les grammes dans son sang ne l'empêcheraient pas de protéger le zoomancien de ce poids.

- Je vais me débrouiller, je le jure. Aide-moi juste à trouver une chambre, s’il-te-plaiiiiiit !

Elle dirigea ses yeux verts vers le jeune homme, lèvre plissée dans une petite moue demandeuse, et poings sous son menton. Elle trépignait contre lui, jusqu’à ce qu’elle ne ferme les yeux et pose sa main sur ses cheveux.

- Ah. Je commence à avoir mal à la tête. Pas bon ça. Pas bon du touuuuut –

- Oh c’est pas vrai…

Veronika and her man

TW : Sans

Elle l’avait reconnu. Cela avait eu le mérite de la pousser à se remettre debout mais, lorsqu’elle était venue enserrer son visage avec ses mains moites, Haesik s’était figé. Il avait brusquement été renvoyé dix ans en arrière et, pendant une poignée de secondes, il s’était trouvé incapable de faire quoi que ce soit pour la canaliser, impuissant à dissimuler la gêne qui était apparue en voile rouge sur ses pommettes.

“Encore plus mignon qu’avant” ??? Cela aurait pu être flatteur, mais il avait honnêtement peine à croire qu’elle ait pu le trouver à son goût lors de leur première rencontre tant le soin qu’ils mettaient dans leur apparence et leur milieu social différaient. A l’évidence, l’alcool lui faisait perdre le sens des réalités…

Lentement, ses mains étaient venues se refermer sur ses poignets pour lui faire lâcher la prise qu’elle exerçait sur ses joues. Ils étaient destinés à se re-perdre de vue dès que la demoiselle serait en sécurité, inutile donc d’instaurer la moindre proximité. Il s’était bercé d’illusions une fois et cela l’avait plongé dans une profonde mélancolie dont il avait peiné à se défaire, il n’avait pas l’intention de retomber dans le panneau une seconde fois…

La voix de l’hippocampe qu’il avait accidentellement fait tomber lors de leur première rencontre l’avait tiré de ses pensées et détourné temporairement de la belle brune.

- Bonsoir Sumaid.

La jeune Auchincloss avait un discours étonnamment cohérent au vu de son état mais elle semblait tout de même assez désorientée et avoir des difficultés à coordonner ses mouvements.

Elle venait d’étaler la moitié du contenu de son sac sur le sol pour retrouver son téléphone lorsqu’elle lui avait appris qu’elle ne pourrait pas compter sur ses amies pour l’héberger et lui avait demandé de l’aide pour trouver une chambre d'hôtel.

Agrippée à son bras comme elle l’était, avec sa robe courte et ses petites moues aussi irritantes qu’adorables, elle paraissait vulnérable aussi, l’asiatique n’avait pu que partager les inquiétudes de son minuscule familier.

Le quartier était effectivement assez mal famé à des heures comme celle ci et certains énergumènes n’hésiteraient probablement pas à abuser de l’état de la jeune femme si leurs chemins venaient malencontreusement à se croiser.

La conduire jusqu’à sa chambre ne posait aucun problème au zoomancien, mais serait-elle seulement capable d’y rester en sécurité jusqu’au lendemain ?

Il venait de commencer à rechercher les avis au sujet des établissements à proximité lorsque la petite créature marine lui avait demandé s’il accepterait de les reconduire jusqu’à l’imposant manoir où leur histoire éphémère s’était brutalement terminée durant leur adolescence.

Il avait été assez soulagé que Moira s’oppose fermement à cette idée car il n’avait absolument aucune envie d’y remettre les pieds après s'être contraint tant d’années à en rester soigneusement éloigné et, pourtant, il n’avait pu s’empêcher de penser que c’était auprès de ses parents, aussi prompts à la juger soient-ils, que la demoiselle serait le plus en sécurité pour finir la soirée.

Il allait donc insister pour commander un taxi qui la reconduirait jusqu’à son domicile lorsqu’elle avait semblé être prise d’un malaise. Allons bon…

Prenant soin de ne pas la déséquilibrer, il l’avait de nouveau incitée à s'asseoir puis, après avoir rapidement ramassé ses effets personnels pour les remettre dans son sac à main, il avait désigné ses chaussures d’un petit signe de tête.

- Remets-les correctement. J’ai de l’eau dans ma voiture, je pense que ça te fera du bien.

Il avait patienté une poignée de minutes puis, constatant que l’entreprise allait s’avérer délicate, il s’était autorisé à lui porter assistance, nouant grossièrement les lacets autour de ses chevilles sans se préoccuper nullement de l’effet visuel obtenu, avant de la remettre sur pieds pour se mettre en mouvement.

Une fois devant son véhicule, il lui avait ouvert la portière du côté passager et il l’avait aidée à se hisser sur le siège, avant de confisquer sa bouteille d’alcool pour la substituer par une boisson moins dommageable pour elle.

- Si tu as besoin de vomir, essayes d’éviter l’habitacle…

Adossé contre la carrosserie, il avait poursuivi sa recherche d’une chambre rassurante mais les seules disponibles étaient à l’autre bout de la ville et relativement onéreuses.

- (A Sumaid) Ça ne s’annonce pas très bien. Tu as raison, je pense que la meilleure option est de la reconduire chez vous, à New Town.

Une nouvelle fois, Moira avait protesté bruyamment, attirant l’attention des quelques passants suffisamment sobres pour s’inquiéter de son sort.

Ne souhaitant pas donner l’impression de la kidnapper, le coréen s’était efforcé de la faire baisser d’un ton.

- Ok, ok, tu as une meilleure solution ?? Les chambres d'hôtel les plus proches sont toutes réputées pour avoir des punaises de lit et pour accueillir la crème de la crème d’Edimbourgh, tu as vraiment envie de ça ?

Il semblait qu’une bonne soufflante serait préférable. A son âge, ses parents n’allaient de toutes façons pas la consigner à la maison, si ??

- Tu es sure que tu ne connais personne d’autre chez qui tu pourrais passer la nuit ?
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TW : Alcool

Oscillant de gauche à droite, Moira se tenait la tête d’une main. Elle tentait de la secouer pour montrer sa désapprobation aux mots de son familier, ce qui avait pour seule conséquence d’accentuer ses douleurs.

Qu’est-ce qui était passé par la tête de Sùmaid de proposer de rentrer chez eux ? Il savait très bien comment cela allait se terminer : par une magnifique dispute demain matin, alors qu’elle tiendrait à peine debout et que la migraine la tiraillait. Elle se revoyait la dernière fois que cela était arrivé, elle dans son lit, sa mère l’y sortant de force en lui reprochant son manque de responsabilité et ses mœurs dissolues. La jeune fille d’alors n’avait pu que pleurer face aux remarques et son corps endolori.

Elle était prête à tout pour ne pas revivre l’expérience. D’autant plus qu’Haesik ne méritait clairement pas de nouvelles remontrances injustifiées. Si la réaction de ses parents avait été disproportionnée dix ans auparavant, cela ne serait rien s’ils voyaient le zoomancien la ramener sur leur perron ivre morte. Elle ne donnait pas cher de la peau du coréen.

Ce fut donc à grands renforts de cris qu’elle refusa fermement de retourner au manoir, avant que les élancements au creux de son cerveau ne se manifestent.

Haesik dut avoir pitié d’elle, car il l’incita à s’asseoir de nouveau. Elle comprit vaguement qu’il lui parlait de voiture, et le reste fut un flou complet. Elle ne se souviendrait certainement pas de cette partie de la soirée demain. Encore moins d’avoir de nouveau secoué la tête en répondant :

- Hum hum. L’eau, c’est tricher.

Ironique pour une hydromancienne, songea Sùmaid tandis qu’il appuyait les propos de leur compagnon inattendu.

- Pour une fois dans ta vie Moira, écoute ce qu’on te dit…

S’avouant vaincue entre les céphalées, Haesik et son familier, Moira prit place sur le trottoir. Elle nota distraitement que son sac était réapparu rempli à ses côtés, et elle fronça les sourcils. Elle aurait juré qu’il était plus léger quelques instants auparavant…

La brune se pencha au maximum pour atteindre ses chevilles. Frustrée, elle agita les mains pour qu’elles cessent de trembler… ce qui n’était absolument pas le cas, elle voyait juste double.

Elle prit lentement en mains les deux bouts du lacet de sa sandale droite. Le front plissé par la concentration, elle commença à créer son nœud.

- Alors… on tourne la corde, on étrangle le Monsieur, on passe l’aiguille dans son œil… non, c’est pas ça…

Manquant grandement d’autonomie quand elle était enfant, la brunette avait appris à nouer ses lacets sur le tard. Seule cette méthode imagée avait fonctionné sur elle. Sa mère avait évidemment choisi des illustrations plus innocentes, mais Moira aimait bien la version qu’elle utilisait au quotidien.

Sauf que cela n’avait pas l’air de marcher aujourd’hui, et bien qu’elle parvînt resserrer la première chaussure à grand peine, le nœud était bien loin d’être assez réussi pour lui tenir à la cheville. Moira soupira en arrachant sans ménagement l’œuvre qu’elle avait pourtant mis plusieurs minutes à réaliser. Elle allait s’y remettre, lorsqu’Haesik la rejoignit, genou à terre.

Moira resta hébétée pendant qu’il prenait soin de l’assister dans sa démarche, finalisant les deux nœuds en quelques secondes. Elle cligna des yeux quelques fois en l’observant, avant de se fendre d’un petit sourire malgré les pulsations de ses tempes.

- T’es sûrement le garçon le plus gentil que j’ai eu à mes pieds tu sais ? Tu as toujours été gentil d’façon. J’aimais bien ça.

Elle se laissa guider sans plus de difficulté jusqu’à la voiture. L’écossaise se jeta très littéralement sur le siège passager, soupirant de contentement en posant l’arrière de son crâne sur l’appui-tête. Elle balança son sac à main sur la moquette à ses pieds, avant de prendre le bocal de Sùmaid sur ses genoux et le caler contre son ventre pour qu’il soit plus confortable.

Elle tira une petite moue offusquée aux paroles de son compagnon.

- Je ne vais pas vomir, non mais…

Elle tut le fait que les nausées commençaient déjà à lui monter à la gorge, mais elle saura les tenir. Elle avait plus d’honneur que cela.

Tant qu’elle n’était pas dans une salle de bain, du moins.

En preuve de bonne foi, elle ne se révolta pas lorsque la bouteille de « jus d’orange » lui fut enlevée au profit de l’eau. Lentement, elle ôta le bouchon pour boire de longues gorgées du liquide transparent. Dans son état, elle voyait cela comme une perte de temps. Une toute petite partie de sa conscience se rappelait cependant des bienfaits futurs, ce qui la motiva à continuer sa lancée.

Elle manqua de recracher l’eau lorsque l’idée saugrenue de la ramener à la demeure Auchincloss revint sur le tapis. Affolée elle leva les yeux vers Haesik, en agitant son index dans un mouvement de négation apeuré.

- Non non non !! C’est pas « la meilleure option », c’est pas une option du tout !! Tu veux ma mort, en fait !! Noooooooooooon, je veux paaaaas ! Je préfère encore dormir sur le trottoir !

Et elle disait vrai. Elle esquissa même un mouvement pour sortir de la voiture avant d'être retenue.
Elle continua ses protestations jusqu’à ce qu’Haesik ne se penche vers elle pour essayer de la contenir, soutenu dans cette entreprise par Sùmaid qui l’incitait à baisser d’un ton.

Moira comprit à peine ce qu’il lui disait, jusqu’au moment où il évoqua des punaises de lit. Son nez se retroussa de dégoût, et ses lèvres s’étirèrent en grimace.

- Beuuuurk, merci mais non merciiii.

Plaçant sa tête dans ses mains, Moira tenta de réfléchir malgré les vapeurs d’alcool. Elle devait avouer qu’elle n’avait aucune envie de dormir dans un hôtel miteux, mais à bien y réfléchir, elle préférait les punaises à ses parents – ce n’était pas si différent, de toute manière ? Mais si elle revenait avec les vêtements infestés, ils allaient forcément la griller…

Inconsciente qu’elle émettait ses réflexions à voix haute, elle reposa ses mains autour du petit bocal, avant de relever les yeux vers Haesik. Elle avisa de son regard sombre, et l’ensemble de son visage invitant à la douceur. C’était ce qu’il lui inspirait, et ce depuis leur première rencontre. Il avait quelque chose de rassurant, et même si son jugement était totalement faussé par la liqueur, elle se sentait bien avec lui.

Ses yeux verts le fixèrent avec un petit éclat suppliant, tandis que sa bouche se muait en une mimique exultant une innocence à laquelle la vodka l’avait faite revenir.

- Emmène-moi avec toi ?
Encore ?...

Peut-être qu’elle aspirait un peu à cela, à se retrouver dans un endroit sécurisant et chaleureux, tel que celui où il l’avait menée si longtemps auparavant ? Certes, il ne s’agissait pas de plage ou de cinéma, mais ça ne devait pas être si différent s’il était là ? Elle lui faisait confiance pour choisir un endroit approprié, où que cela soit.

Se rendant compte qu’elle en demandait sûrement trop, elle haussa les épaules en détournant enfin le regard de ses yeux d’amande.

- Bah oublie ça. Je vais trouver… Ohlala, ils vont vraiment me tuer. Peut-être que je pourrais ressortir avant mes trente ans. Peut-être.

Fermant les yeux, elle commença à énumérer à haute voix les noms de ses connaissances, amies et même cousines qu’elle pourrait contacter sans risque.
Abi ? Elle dormait chez son petit-ami. Sophie ? Elle vivait beaucoup trop loin. Anna avait déjà dit non, Charlotte aussi…

Elle continua son énumération, sans se rendre compte que sa voix se faisait de plus en plus faible, jusqu’à mourir sur sa langue.

Tête penchée sur le côté, traits enfin détendus, elle venait de s’endormir sur le siège. Sùmaid s’agita aussitôt dans son bocal.

- Oh non Moira, ce n’est pas le moment. Réveille-toi !! Allez, bon sang !

Mais la belle n’entendit absolument pas son familier, ni secousse ni cri ne pourraient la tirer de ses songes pour l’heure. Elle était partie pour une bonne demi-heure minimum de coma. Elle dodelina légèrement de la tête lorsqu’on posa une main sur son épaule cependant, un petit sourire aux lèvres. Peut-être un souvenir d’embrun marin -

Ce fut au tour de Sùmaid de porter son attention sur le coréen.

- On ne la réveillera pas pour le moment. Je suis vraiment désolé… Tu n’as pas un bout de canapé chez toi ? Avec un peu de chance, tu pourras l’y amener et elle ne bougera plus de la nuit.

Soucieux pour son humaine, Sùmaid se colla à la vitre de son récipient pour se donner l’impression de toucher la main de sa sorcière, qui avait gardé les mains autour de lui dans un geste inutile de protection. S’il était sa conscience, elle était son bouclier. L’hippocampe enragea une fois de plus de ne pas être plus grand et ne rien pouvoir faire pour s’assurer que l’hydromancienne soit plus disciplinée.

Il détestait abuser de la politesse d’Haesik, mais il n’avait pas vraiment le choix s’il souhaitait que la jeune femme dorme avec une porte close.

- S’il-te-plait. Pour elle ?

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« Emmène-moi avec toi ? Encore ? »

Les yeux d’Haesik s’étaient écarquillés, avant de fuir ceux, presque suppliants, de son interlocutrice. L’emmener ?! Mais l’emmener où ?!

Il était indéniable que la demoiselle éveillait quelque chose en lui, quelque chose qu’il s’était pourtant soigneusement efforcé d’enfouir pour pouvoir passer à autre chose après leur rencontre, mais pouvait-il pour autant céder à ce genre de caprice ?

Il allait lui répondre que ce n’était ni prudent ni raisonnable, qu’il pourrait tout à fait vouloir abuser de la situation et qu’elle ne devrait pas faire confiance de la sorte à un presque inconnu mais elle avait été plus prompte que lui à ouvrir la bouche, se lançant dans une litanie qui n’avait accroché son attention que quelques secondes.

Sa journée, qui avait commencé bien avant le lever du soleil, l’avait épuisé. Une part de lui lui soufflait de se débarrasser du problème que représentait Moira de la manière la plus simple et efficace possible – après tout, il n’était nullement responsable de son état, ni de la situation délicate dans laquelle elle s’était mise- mais une autre se souciait trop de ses intérêts pour qu’il puisse se résoudre à l’expédier de la sorte.

Plongé dans ses pensées et légèrement somnolent, il n’avait remarqué que tardivement que le silence avait fini par revenir dans l’habitacle, lorsque le familier de la jeune femme avait recommencé à la gourmander. Tête légèrement penchée sur le côté, elle venait en effet de s’endormir sur son siège…

Tout d’abord inquiet pour sa santé, puisqu’il ignorait les détails de sa consommation et, donc, si elle était à risque de sombrer dans un coma éthylique ou pas, Haesik s’était autorisé à poser une main sur son épaule et à la secouer légèrement. Il n’avait obtenu pour toute réaction qu’un petit sourire et un bref mouvement de tête mais cela, couplé à sa respiration régulière, avait suffi à l’apaiser.

Sa tête avait légèrement basculé en arrière et un long soupir avait franchi ses lèvres lorsque Sumaid lui avait annoncé que son humaine aller demeurer endormie pendant un moment et lui avait suggéré de lui permettre de passer la nuit chez lui.  

- … Ecoutes… je ne crois pas que ce soit une bonne idée…

Ses yeux en amande étaient retombés sur le visage désormais serein de l’Ecossaise.  Il comprenait les intentions de la créature, impuissante à protéger sa liée, mais…

Devait-il vraiment prendre le risque de se mettre à dos une famille aussi influente que la sienne ? De voir son père débarquer pour la récupérer de bon matin en l’accusant de l’avoir débauchée ?

Sa détermination à refuser la demande insolite de l’hippocampe faiblissait à mesure qu’il couvait sa protégée du regard. Il n’était plus un enfant et elle non plus. Quel mal y avait-il à la mettre à l’abri, si telle était sa volonté… ?

- Aish…

Sa contrariété ainsi exprimée et un nouveau soupir plus tard, il s’était redressé sur son siège et penché légèrement au-dessus de la demoiselle pour être en mesure de boucler sa ceinture de sécurité, puis il s’était mis en route.

Peinant à croire ce qu’il était en train de faire, il avait pris le chemin de son cottage, en silence. Une vingtaine de minutes plus tard, les derniers 500 mètres du trajet, sur un chemin bourré d’ornières, avaient finalement tiré Moira de son sommeil.

Laissant au familier le soin de lui expliquer ce qu’il s’était passé, il s’était extrait de son véhicule, avait ouvert la portière du côté passager pour lui faciliter la vie puis il s’était dirigé vers la porte de son habitation pour allumer la lumière sur le porche.

Dalsoon, qui l’avait entendu arriver de loin, s’était immédiatement glissée à l’extérieur avant de se figer en découvrant leur invitée surprise.

Dalsoon : Moira Auchincloss ?!

Sa truffe inquisitrice était allée se poser brièvement sur les genoux de la demoiselle avant qu’elle revienne se frotter aux jambes du coréen, pleine de pensées malicieuses.

Dalsoon : Je crois que j’ai loupé un épisode !

- Pitié, ne t’y mets pas aussi…

Un bref contact avec la peau de la louve lui avait permis de lui transmettre télépathiquement les informations essentielles à retenir avant qu’il ne se déchausse dans son entrée et jette un rapide coup d’œil dans sa pièce à vivre. Heureusement, il était un homme plutôt ordonné, son intérieur était donc suffisamment décent pour recevoir quelqu’un sans avoir à rougir.

Dalsoon : Bon et bien, bienvenue je suppose ! Fais comme chez toi !

Conscient que leur temps de trajet était largement insuffisant pour avoir permis à la belle brune de dessaouler, Haesik l’avait avisée avec une pointe d’inquiétude…
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Elle avait fermé les yeux pendant une seconde. Une seule petite seconde, et lorsqu’elle les rouvrit, elle se trouvait sur un chemin obscur, seulement éclairé par les phares puissants d’une voiture.

Voiture ?

Moira se tourna de droit à gauche, lentement. Son mal de crâne ne lui permettait guère de s’agiter trop vite, aussi prit-elle conscience de son environnement petit à petit. Elle fronça les sourcils, un peu perdue. Un regard vers sa gauche lui révéla la présence d’Haesik. Il lui fallu quelques secondes avant de vaguement se rappeler des événements de tout à l’heure – c’était bien tout à l’heure ? La nuit était encore bien au-dessus d’eux, il ne devait pas s’être écoulée beaucoup de temps…

La vue du coréen l’intrigua derrière un mur de pensées volatiles, mais elle ne put l’interroger avant que la voiture n’heurte plusieurs bosses qui lui relevèrent l’estomac. Hoquetant, elle porta sa main à sa bouche pour retenir la nausée qui la menaçait. Malgré son état lamentable, elle se refusait à rendre la – maigre – pitance de sa soirée dans l’habitacle de son hôte. Elle fut ainsi incapable d’articuler plus de quelques mots, intensément concentrée sur la retenue qu’elle s’imposait. L’hydromancienne n’était pas peu fière d’avoir conservé son repas là où il était supposé se situer.

Devant son air désorienté, Sùmaid leva la tête vers elle. En quelques murmures rassurants, il lui expliqua qu’elle était en sécurité et qu’ils se dirigeaient vers la maison du Mystique des essaims. D’abord incrédule, Moira avait fini par fermer de nouveau brièvement les yeux, crâne contre l’appui-tête pour faire taire sa migraine.

Etrangement, elle n’était pas inquiète. Si l’idée de passer la nuit chez un garçon qu’elle n’avait vu qu’une fois en dix ans l’aurait terrifiée en temps normal, elle n’éprouvait aucune crainte. Cela était sûrement dû à l’alcool, elle ne voyait aucune autre explication.

Quand la voiture s’arrêta, elle poussa un petit soupir de soulagement. Elle nota les manières de gentleman de son compagnon qui lui avait ouvert la portière, avant de se diriger vers l’entrée de sa petite maison.

Il aurait pu l’aider à marcher, quand même…

Moira lutta quelques secondes avec sa ceinture de sécurité – elle l’avait mise ? elle ne s’en souvenait plus – lorsqu’une tête blanche vint se poser sur ses genoux. Reconnaissant la louve après quelques instants, Moira écarquilla les yeux avant de poser affectueusement ses mains entre ses oreilles.

- Dalsoon !!! Oh je suis contente de te voir !!

Son exclamation blessa ses propres oreilles, et elle secoua la tête tandis que la louve s’éloignait.

- Chut, il ne faut pas faire de bruit, essaya-t-elle de murmure pour elle-même.

Elle finit par détacher sa ceinture, et c’est d’une démarche hésitante qu’elle tenta de rejoindre son hôte. Elle manqua de se casser la figure une première fois en sortant du véhicule, puis deux autres fois entre la voiture et l’entrée. Sùmaid, littéralement attaché à sa hanche, émit quelques glouglous mécontents.

Moira parvint finalement sous le porche, et c’est tout sourire qu’elle observa Haesik. Passant juste la tête à l’intérieur de la demeure, se tenant au mur, elle rit de nouveau.

- C’est tout chou chez toi ! Ça te va bien, ça te ressemble !

Bien qu’elle fût extrêmement maladroite, Moira essaya visiblement de ne pas salir l’intérieur avec ses chaussures. Elle resta à la limite de l’embrasure de la porte. Après avoir essayé de se baisser pour retirer ses souliers, elle finit par tout simplement se laisser tomber au sol. Jambes devant elle, l’héritière s’affaira à défaire les lacets noués par le zoomancien. Agacée, elle usa de ses ongles pour y arriver, pestant sur la fin.

- Mais ma manucuuuuuuuuuure…

Elle ôta finalement les talons, puis posa une main sur la porte et l’autre sur le bras du coréen pour se hisser sur ses pieds. Fière d’elle, elle rit aux éclats avant de complètement s’appuyer sur l’homme à côté d’elle, abandonnant le mur qui la maintenait.

- Hihi. Coucou.

A quelques centimètres du visage d’Haesik, elle estima qu’elle aimait bien ce qu’elle voyait, avant de passer à autre chose.

Pieds nus, elle déposa son blouson du côté qui n’avait pas touché le trottoir sur une chaise, avant de détailler l’intérieur de son compagnon. Elle y voyait totalement flou, mais elle statua que c’était charmant.

Son inspection aurait pu être plus poussée, si elle était capable de percevoir à plus d’un mètre d’elle. Avec ses yeux troubles, elle finit par percuter un petit buffet, qui trembla sous l’impact.

Par des mouvements désordonnés et arborant une grimace contrite, Moira posa ses mains sur le meuble pour le stabiliser.

- Ouuuuups ! Pardon, pardon !!

Voyant qu’un petit objet non identifié s’apprêtait à tomber, la jeune femme le rattrapa de justesse. Sa prise était malheureusement peu ferme, et elle dut alterner entre ses deux mains pour finalement le récupérer en bonne et due forme.

- Ouf, c’était moins une !

Déposant un peu trop violemment l’objet sur le meuble dans un bruit sourd, Moira continua son exploration avant d’arriver vers la cuisine.

- Oh, je peux avoir un verre d’eau ?! S’te plait ? Merci !

Elle avait déjà oublié qu’elle n’avait pas eu de réponse, quand elle commença à ouvrir les placards. Au fur et à mesure, elle occultait son action précédente, et l’ensemble des petites portes furent ouvertes sans jamais être refermées. Abandonnant très vite sa recherche, Moira se pencha sur l’évier pour se désaltérer, puis se souvint qu’elle devait se laver les mains.

Ouvrant à fond le jet d’eau, elle s’aspergea du liquide glacé, ce qui la fit pousser un petit cri. Elle réajusta le tir à tâtons, et finit son savonnage avant de s’essuyer les mains sur sa robe. Moira se mordit les lèvres en voyant toute l’eau qu’elle avait répandu.

Dans un geste de bonne volonté, elle utilisa son don pour faire revenir le liquide dans l’évier, bien qu’elle manquât une large quantité ici et là.

- Désoléeeeeee !

Estimant qu’elle en avait assez fait, l’hydromancienne recula de la cuisine.

- Où est la salle de bain ?

Finissant pas trouver la bonne porte, elle s’applaudit elle-même avant de se tourner vers Haesik.

- Tu aurais un pyjama à me prêter ? Je veux pas mouiller ton canapé avec ma robe !
Attends, on va régler le problème -

Sur ces mots, elle commença à chercher quelque chose pour se couvrir. Tombant sur un plaid qui trainait là, elle émit un petit bruit de satisfaction.

- Boh, ça ira bien.

Elle enleva la bandoulière de Sùmaid pour la poser sur la table, s’y reprenant à plusieurs fois – inutilement – pour s’assurer qu’il était bien placé au milieu de la surface.

Une fois cela fait, elle posa ses mains sur le bas de sa robe pour la tirer vers le haut. Moira respira un grand coup de ne plus être ainsi restreinte, se retrouvant vêtue de son seul sous-vêtement – car impossible d’arborer un soutien-gorge avec une robe bustier. Elle frissonna de froid, tout son corps soigneusement entretenu et musclé par des années de natation intensive tendu par le changement de température. L’alcool lui donnait cependant l’impression d’avoir chaud, aussi tarda-t-elle à se couvrir.

Sùmaid n’eut même pas le temps de réagir, qu’elle prit le plaid pour se diriger vers la salle d’eau, inconsciente de ce qu’elle venait de faire.

Une fois dans la salle de bain – mal fermée – elle cria :

- T’aurais du démaquillant ?!

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A peine entrée dans son salon, après avoir toutefois fait l’effort de se déchausser et avoir complimenté son intérieur, Moira avait heurté son vaisselier avec force, faisant trembler son contenu dans une symphonie de tintements inquiétants.

Crispé, Haesik avait regardé le bibelot qui se trouvait au-dessus tanguer entre les mains maladroites de la demoiselle, jusqu’à se stabiliser enfin après quelques secondes de lutte, à son grand soulagement. L’objet n’avait pas de valeur particulière à ses yeux mais son invitée étant pieds nus et avinée, il ne tenait pas particulièrement à ce que des morceaux de verre se répandent partout sur le sol.

Lorsque l’Ecossaise avait réclamé de l’eau, le coréen avait commencé à prendre le chemin de la cuisine pour satisfaire sa demande mais elle l’avait devancé, pour commencer à ouvrir frénétiquement ses placards, probablement à la recherche d’un verre.

Dalsoon : A la réflexion, j’aurais peut-être dû m’abstenir de lui demander de faire comme chez elle…

-(en coréen) « Pour elle Haesik ! » « Elle s’installera sur le canapé et ne bougera plus de la nuit Haesik ! » Tu parles, ouais !

Dalsoon (en coréen) : Ca vaaa, ce n’est jamais qu’un peu d’eau. Je la trouve plutôt amusante, moi.

-(en coréen) On voit que ce n’est pas toi qui fait le ménage…

Le jeune homme avait déjà eu un aperçu du culot de la demoiselle mais ce soir, amplifié par l’alcool, il semblait prendre une toute autre ampleur.

Bras croisés sur sa poitrine, devant se faire violence pour ne pas intervenir, il l’avait regardée inonder le sol, puis aggraver la situation en tentant de faire usage de son don pour rectifier le tir.

* Bon sang, mais c’est pas vr… *

La seconde d’après, la tornade se lançait à la recherche de sa salle de bain, poussant toutes les portes jusqu’à atteindre son objectif, sans se préoccuper aucunement de son intimité.

A nouveau, Haesik s’était apprêté à ouvrir la bouche, pour lui annoncer qu’il allait tenter de lui trouver quelque chose de décent à enfiler, lorsqu’il avait été brusquement interrompu dans son mouvement.

Postée en plein milieu du salon, son invitée surprise s’était débarrassée de sa robe, se retrouvant soudainement en petite culotte.
Il lui avait fallu une poignée de secondes pour réaliser ce qui venait de se passer et quelques autres pour avoir la présence d’esprit de se détourner d’elle en grommelant quelque chose d’inintelligible. Sérieusement, était-elle toujours aussi sans gêne ?!

Mi troublé, mi agacé, il avait baissé ses yeux en amande sur le bocal dans lequel baignait Sumaid.

- Elle va se tenir tranquille, hum ?

Un long soupir plus tard, il était entré dans sa chambre pour extirper de son armoire un tee-shirt et un pantalon de jogging larges, qu’il était venu placer sous le nez de Dalsoon.

- (en coréen) Apporte-lui, s’il te plaît, ça évitera qu’elle me saute dessus…

Au même moment, la voix de la jeune femme s’était élevée depuis la douche, pour réclamer du démaquillant.

- ...Est-ce que j’ai l’air d’utiliser ce genre de produit ?

Son ton s’était radouci lorsqu’il s’était aperçu qu’il avait peut-être semblé un peu sec.

- … Il y a un savon doux à base de miel sur la commode, ça devrait faire l’affaire.

Tandis que la louve rejoignait la belle brune pour lui remettre sa tenue de secours, le jeune homme s’était installé en tailleur sur le canapé, non loin de l’hippocampe

- Est-ce qu’il y a autre chose que je dois redouter, venant de ta sorcière ?
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Sùmaid tentait de se faire encore plus petit qu’il ne l’était déjà en voyant le comportement de son humaine. L’hippocampe n’avait d’autre choix que d’assister aux déboires de Moira depuis son bocal, secouant la tête plusieurs fois. S’il avait été doté de bras, il se serait probablement frappé sa petite tête avec de consternation. A défaut, il appuyait son crâne contre la vitre, clairement à bout.

Il remercia tous les dieux d’avoir mis Haesik sur la route de sa liée plutôt qu’un dégénéré, surtout au moment où elle se dévêtit. Le coréen alla même jusqu’à détourner le regard, et Sùmaid fut infiniment soulagé. Une vague d’inquiétude l’avait saisi l’espace d’un instant. Moira n’était peut-être pas capable de voir qu’elle se mettait ostensiblement en danger, mais un autre qu’Haesik n’aurait sûrement pas hésité à prendre avantage de son état et ses manières désinhibées. Le poisson avait cru qu’elle avait apprit sa leçon la dernière fois, mais visiblement non.

Entendant leur hôte s’adresser à lui, visiblement excédé lui aussi, Sùmaid baissa les yeux. Il en voulait parfois à Moira de le pousser à se trouver honteux d’actes qu’elle entreprenait, et pour lesquels il n’avait aucune voix au chapitre.

Son petit corps violet commença à noircir, comme les représentants de son espèce le faisaient lorsqu’ils étaient malades ou stressés.

Yeux baissés vers le plan de travail derrière le verre, il réfléchit à quelle folie son humaine pourrait bien inventer par la suite.

- Je pense que le pire auquel on peut s’attendre désormais, ce serait qu’elle vomisse. Sinon, elle est assez imprévisible, mais quand elle se rendormira, ce sera fini jusqu’au matin.

Un éclat de voix joyeux leur parvint, et Sùmaid enragea d’avoir été laissé dans le salon. Sa place était auprès de Moira. Déjà qu’il était limité dans ses mouvements, comment était-il censé l’aider si elle ne lui permettait pas de lui prodiguer ses conseils ?

De son côté, Moira tirait une petite moue en regardant le savon au miel. Doux ou pas, ce genre de produit n’était pas du tout adapté pour les yeux. Mais elle n’avait pas le choix, elle ne pouvait pas se permettre de rendre les oreillers d’Haesik noir avec son maquillage. Ainsi qu’un peu orange, probablement.

Elle commença par ôter le maquillage sur l’ensemble de son visage, en évitant ses paupières, quand Dalsoon entra dans la pièce.

L’hydromancienne s’étira en un sourire tout en se baissant à hauteur. Elle ignorait pourquoi, mais elle se sentait toujours apaisée et ravie en voyant le familier. Avec plus de douceur qu’elle n’en avait démontré depuis le début de la soirée, elle récupérer les vêtements de la gueule de la louve. Dans un geste d’affection, elle caressa sa tête de nouveau.

- Merci ma belle.

Elle plaça les vêtements sur le côté, attendant d’avoir effacé toutes les traces d’artifice de son visage. Autant éviter de salir ces atours qu’on lui prêtait si gentiment.

Elle émit quelques petites exclamations de protestations en se lavant les yeux à l’eau froid uniquement, se les frottant allégrement. Ce n’était pas parfait, il lui restait encore du mascara, mais son regard vert avait perdu tout son aspect charbonneux. Cela devrait faire l’affaire.

Elle revêtit ensuite le t-shirt, délaissant le pantalon. Moira se sentait mieux sans.

L’héritière s’apprêtait à sortir de la salle de bain, lorsqu’une violente nausée la saisit de nouveau. Maintenant qu’elle se trouvait en sécurité, et dans les dernières affres de l’alcool, elle ne trouvait plus l’énergie de se retenir.

Fonçant jusqu’aux toilettes, elle se tint les cheveux comme elle put pour faire son office, décidée à ne déranger personne cette fois. Elle ferma les yeux au-dessus de la vasque, retenant un petit pleur pathétique. Son ventre lui faisait mal, sa tête lui faisait mal, parfait…

Pour la énième fois de son existence, elle se jura de plus jamais boire. Au moins, jusqu’au mois prochain.

Elle entendit des pas approcher, et elle secoua la tête en tapotant le sol.

- Je vais bien ! Tout va bien !

Hors de question qu’on la voit dans cet état, et qu’elle s’impose de la sorte.

Une fois qu’elle n’eut plus rien à recracher, elle se redressa pour se rincer la bouche, le visage et les mains. Ayant perdu quelques couleurs, elle se permit une fois propre de prélever un peu du dentifrice du propriétaire sur son index pour se laver les dents sommairement, du mieux possible en tout cas. Elle but également jusqu’à l’écœurement, soudainement consciente qu’elle allait souffrir demain matin, et probablement ne pas se souvenir de la moitié de ce qu’il venait de se passer.

Après avoir réglé le plus gros du désastre, elle tira la chasse et – très précautionneusement – usa de son don pour s’assurer que le tout était propre. Pour le coup, le travail fut bien fait. Elle avait l’habitude de ce genre d’opérations, depuis le temps.

Elle réapparu dans le séjour, et eut la bonne idée d’avoir l’air vraiment désolée. Moira avisa Haesik, qui semblait si confortablement installé dans le canapé…

Soudain écroulée de fatigue et les paupières lourdes sous l’effet du vin, elle menaçait en effet de sombrer d’un instant à l’autre.
N’ayant pas le cœur de le déranger pour lui demander de s’installer, elle se dirigea vers l’une des portes où elle avait trouvé un lit. Elle supposa qu’il s’agissait de la chambre d’ami – parce que les gens avaient plus d’une chambre dans leur maison, non ? – et se roula en boule sur le matelas, sans défaire les couvertures.

Alors qu’elle entendit vaguement de nouveaux pas, elle partait déjà dans les bras de Morphée. Un petit sourire lui vint en devinant qu’il s’agissait d’Haesik.

- Ça manque de vert chez toi. Tu aimes bien, le vert, je me souviens.

Et s’endormit aussitôt.




Elle avait l’impression qu’un marteau piqueur s’enfonçait dans son crâne. Mains sur le front, Moira ouvrit les yeux d’un coup, aussitôt paralysée par le peu de lumière qu’elle entrevoyait. Cela faisait beaucoup trop mal.

En plus de cela, des nouveaux coups se répercutaient dans sa boîte crânienne avec violence, et elle enfouit sa tête dans l’oreiller pour se protéger un peu.

Cela la fit également réagir. Car elle ne se trouvait absolument pas dans sa propre chambre, et l’odeur entre les draps – elle était enveloppée sous des couvertures, réalisa-t-elle – n’était pas ce parfum caractéristique de jasmin qu’elle aimait tant. Mais ce n’était pas désagréable non plus.

Affolée, elle se redressa. Elle essaya de se remémorer la soirée précédente, mais ses souvenirs s’arrêtaient à une déambulation sans but dans les rues de Cougait. Le reste était un flou artistique qui faisait souffrir ses yeux.

Repliant les couvertures, elle cligna des yeux en se voyant vêtue d’un t-shirt manifestement masculin, et de pas grand-chose d’autre. Un pantalon de jogging était déposé au pied du lit, et elle s’empressa de l’enfiler. Lui-aussi, était beaucoup trop grand pour elle.

Ce n’est pas vrai… avait-elle repassé la nuit avec un inconnu, chez lui ? Visage dans les mains, elle se maudit pour ses comportements irresponsables. Elle ne se rappelait d’absolument rien, mais cela sonnait très mauvais.

Ce qu’elle avait prit pour des coups dans sa tête se révélaient en réalité être une personne qui tentait de rentrer dans la maison, et Moira entendit ensuite des éclats de voix inintelligibles non loin.

Le plus discrètement possible, tout en fermant les yeux par instant sous le coup de la douleur, elle se glissa près de la porte, et l’entrouvrit juste assez pour voir si le chemin était libre. Sur la pointe des pieds, elle chercha à récupérer son téléphone et Sùmaid. Ne pas l’avoir auprès d’elle au réveil l’avait terrifiée.

Elle prenait ces deux éléments, et elle fuyait.

En voyant de la lumière, elle approcha de ce qui semblait être un salon. Moira distingua deux silhouettes, et elle recula trop tard.

Ils venaient de la voir.

Le vieil homme qui s’occupait du miel pour sa mère, et…
Haesik ?!

Elle mit quelques secondes avant de le reconnaitre, hébétée par les changements physiques chez celui qu’elle avait croisée dix ans auparavant. C’était donc chez lui qu’elle avait atterri hier soir ?!

Sùmaid se tenait sur le plan de travail, et sa robe gisait sur le sol.

Elle ne se séparait de son familier, et spécialement chez des hommes, que pour une raison.

Oh non…

Les yeux écarquillés d’horreur, à moitié dissimulée par la pénombre, elle fut tentée de courir vers la chambre et de s’y enfermer pour mourir de honte.

Mais elle avait déjà été repéré. Autant ne pas ajouter du ridicule à tout cela…

Passant en coup de vent, elle récupéra son hippocampe, convaincue que son visage exprimait toute la douleur qu’elle cachait entre ses oreilles.

- Bonjour, parvint-elle à articuler d’une voix rauque, et de fuir dans la salle de bain qu’elle apercevait.

Elle s’était mise dans de beaux draps…

Sùmaid dormait encore. A l’image de son humaine, l’hippocampe avait le sommeil lourd. D’autant plus que ce petit poisson avait besoin de beaucoup de sommeil, dont il était souvent privé à cause d’elle. Il se rattrapait toujours le matin, malgré le bruit.

Soupirant, Moira rabattit le couvercle des toilettes pour s’asseoir, plaçant de nouveau son visage dans ses mains.

Avait-elle passé la nuit avec Haesik, dix ans après leur rencontre ? Tout laissait à le penser. Cette idée était somme toute…
Pas vraiment désagréable. Gênante, mais pas désagréable.

Ses parents n’auraient jamais à le savoir, le problème serait plus de lui expliquer qu’absolument rien ne pouvait se passer entre eux de manière polie. Elle devait être dans un sale état la veille. Qu’il la ramène depuis Cougait jusqu’ici était déjà bien gentil. Bon, ils avaient visiblement profité de l’occasion, mais c’était prévisible.

Elle allait devoir se montrer polie et distante, malgré son mal de crâne. Et prétendre ne pas être honteuse des agissements qu’elle avait entrepris la veille, et qui ne lui revenaient pas.

Et ce qui la dérangeait par-dessus tout,
Était qu’elle ne se souvienne absolument pas de leur échange. Quitte à commettre une erreur aussi agréable, autant s’en rappeler…

Soupirant de nouveau, elle se rafraichit un peu, avant de se décider à réapparaitre en société.

Ramassant sa robe et son sac avec toute la dignité qu’elle pouvait réunir, elle sentit son visage s’empourprer malgré elle.

Et merde.

- Hum… pardon du dérangement. Je vais y aller…

Récupérant son téléphone portable, elle retint un juron.
Déchargé.

- Puis-je emprunter ton chargeur ? demanda-t-elle en regardant Haesik, tout en évitant ses yeux. Le temps d’appeler un taxi.

Elle voulait fondre sur le parquet, et disparaitre à tout jamais.

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Haesik avait été un peu inquiet de voir l’hippocampe se mettre à noircir mais, très vite, ayant compris que cela n’était qu’une manifestation de gêne, il avait reporté son attention sur la porte de la salle de bain, non sans se promettre d’être plus précautionneux avec le minuscule petit familier à l’avenir.  Il avait beau être intimement lié à Moira, il était injuste de le tenir pour responsable de ses débordements.

La fatigue était de plus en plus présente mais le jeune homme luttait pour garder les yeux ouverts, souhaitant s’assurer que son invitée surprise ne retourne pas complètement son intérieur avant de s’assoupir de nouveau et, surtout, ne se mette pas bêtement en danger.

Lorsqu’il avait entendu que l’Ecossaise se mettait à vomir, il avait quitté le divan pour se rapprocher de la pièce dans laquelle elle était toujours enfermée, mais ses mots l’avaient dissuadé d’aller plus loin. Bien qu’il préférait s’épargner ce genre de spectacle, il se serait résigné à la soutenir, si elle en avait exprimé le besoin.

Tandis qu’il attendait qu’elle se sente mieux, en épongeant rapidement le sol de la cuisine et en refermant les nombreux placards que l’hydromancienne avait laissé ouverts, Dalsoon, assise à proximité des toilettes, posait parfois une truffe réconfortante dans le dos de cette dernière.

Une grosse poignée de minutes plus tard, Moira réapparaissait dans le salon, à peine plus couverte que lorsqu’elle l’avait quitté. Aucun reproche ne s’était pourtant échappé de la bouche du coréen car le repenti affiché sur le visage de la belle brune semblait sincère et que, dépouillée de tous ses artifices, elle lui avait soudainement paru très vulnérable.

Mi amusé, mi incrédule, il l’avait regardé entrer dans sa chambre et s’écrouler sur son lit, aussi naturellement que si elle était la propriétaire des lieux. La sorcière avait raison : son intérieur manquait cruellement de couleurs. Il s’était néanmoins surpris à penser qu’il lui paraissait étonnamment plus vivant depuis qu’elle y avait fait irruption.

Aussi silencieux que possible, pour éviter de la réveiller, il avait délicatement rabattu les pans de ses couvertures sur son corps, l’enveloppant d’un cocon protecteur puis, après s’être fait violence pour détacher ses yeux de son visage, qu’il avait brièvement détaillé avec une fascination qui l’étonnait lui-même, il avait quitté la chambre.

Son canapé était un peu court pour qu’il y soit réellement confortable mais, sa tête à peine posée sur l’accoudoir, le regard tourné vers la porte entrebâillée, il s’était senti glisser dans les bras de Morphée. Ses habitudes avaient été bousculées, ce soir-là, mais il ne regrettait pas d’être venu en aide à la demoiselle. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait eu aucune visite, trop, peut-être et force était de reconnaître qu’une part de lui avait trouvé la compagnie agréable…


Les coups qui avaient été assénés sur sa porte l’avaient brusquement tiré de son sommeil. Yeux encore à demi clos, il avait tâtonné pour se saisir de son téléphone portable avant de se redresser brusquement en apercevant l’heure.

8h…

Il n’avait pris le temps que de se rincer le visage avant d’ouvrir au mystique des essaims, qu’il était censé avoir retrouvé une heure plus tôt.

- Je suis vraiment désolé, je n’ai pas entendu mon réveil.

Il n’avait rien eu le temps d’ajouter car, très vite, il avait vu l’expression du vieil homme changer. Mortifié, il s’était retourné pour découvrir une Moira échevelée, qui avait récupéré quelques effets personnels en coup de vent avant de se réfugier dans sa salle de bain.

Eoghan : AH ! Je comprends mieux pourquoi !

- Hé ! Ce n’est pas ce que vous croyez, je…

Eoghan : Relax gamin, j’ai été jeune moi aussi.

- Je…

Eoghan : Moira Auchincloss ahaha ! Si je m’attendais à ça !

Sa main calleuse s’était posée sur l’épaule de son apprenti, qu’il avait légèrement secoué jusqu’à ce qu’il s’en libère avec un peu plus de véhémence qu’il l’aurait souhaité, très embarrassé par la situation dans laquelle la jeune femme l’avait mis.

Sa relation avec son mentor était suffisamment développée pour qu’il se permette ce genre de familiarité, aussi s’était-il permis de le pousser légèrement vers la sortie.

- Vous savez quoi ? Partez devant ou, mieux, prenez votre journée.

Eoghan : Si tu veux en profiter, ....

- Une demie heure, c’est tout ce que je vous demande, ok ?

Sans attendre de réponse supplémentaire, il avait refermé la porte avant, comme souvent depuis la veille, de laisser sa tête basculer en arrière et de pousser un soupir.

Il venait de commencer à préparer un petit déjeuner rapide lorsque Moira avait refait surface, manifestement aussi embarrassée que lui. Il lui avait donné le chargeur qu’elle lui avait réclamé sans dire un mot avant que Dalsoon, désireuse de dissiper tout quiproquo entre les deux humains, tourne sa grosse tête vers l’Ecossaise et lui adresse un sourire lupin.

Dalsoon : Il ne s’est rien passé, pour ta gouverne. Le grand nigaud a dormi avec moi, dans le canapé.

Un regard noir du nigaud en question avait salué son intervention.

- Je t’ai ramenée ici parce que Sumaid me l’a demandé, rien de plus.

Cette justification apportée, il avait fait chauffer du thé, terminé la cuisson de ses œufs et de ses toasts puis il avait sorti de son réfrigérateur du riz blanc et du kimchi, qu’il avait pour habitude de manger avec.

Une fois ses préparations achevées, il en avait disposé une partie sur la table, à proximité de son invitée.

- Ne te gêne pas si tu as faim.

Ne souhaitant pas la gêner, il n’était pas venu s’installer en face d’elle, préférant prendre son petit déjeuner face à son plan de travail.
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TW : Alcool

Une fois son téléphone branché, Moira s’était tournée vers son hôte, les joues toujours aussi rouges. Malgré une migraine carabinée et un immense trou noir dans ses souvenirs, sa tête fonctionnait encore assez pour se plonger dans l’observation discrète mais appuyée de ce revenant. Elle peinait à croire que le jeune garçon croisé dix ans auparavant l’avait menée chez lui la veille – quelles étaient les chances qu’ils se retrouvent dans ces circonstances ? D’ailleurs, comment avait-il pu se trouver sur sa route, hier soir ? Il n’était clairement pas le genre d’invités que l’on appelait pour rejoindre les petites fêtes organisées par ses amis.

Quoique.

Plusieurs de ses amies auraient sauté sur l’occasion pour se montrer au bras d’un jeune homme tel que lui. Moira n’était pas aveugle : difficile d’ignorer que l’adolescent chétif qui avait renversé son familier s’était métamorphosé en adulte des plus agréables à regarder. Les filles de son entourage se seraient jetées sur lui, avant de le laisser de côté aussitôt pour partir à l’assaut de nouvelles conquêtes.

Du bout des cils encore à moitié maquillés, l’hydromancienne suivait les faits et gestes de l’ami des abeilles tandis qu’il s’activait dans la cuisine. Bien que discrète, elle sentit bien vite le regard de Dalsoon sur elle, aussi cessa-t-elle sa contemplation admirative – purement plastique, évidemment – avant que la louve ne prenne la parole.

En apprenant qu’il ne s’était rien passé entre eux, Moira cligna des yeux. Elle était d’une part clairement surprise que son compagnon n’ait pas profité de l’occasion. Elle doutait qu’elle aurait été contre l’idée la veille, et elle s’était déjà réveillée plusieurs fois aux côtés d’inconnus après une soirée arrosée.

Mais après tout, Haesik lui donnait l’impression d’être gentleman. S’il était resté celui qu’elle avait brièvement connu, cela concordait.

En ce qui la concernait, elle ignorait si elle était soulagée ou déçue de cet état de fait…

L’annonce du coréen l’informant qu’il l’avait accueillie chez lui grâce à son hippocampe radoucit immédiatement le visage de Moira, qui porta son regard sur le petit poisson endormi. Encore une fois, son familier s’était montré plus raisonnable qu’elle. La sorcière savait combien cela lui pesait de dépendre des autres au quotidien. Qu’il en vienne à requérir l’assistance d’un inconnu confirmait que son comportement avait dû bien moins qu’exemplaire.

Touchée par cette énième marque d’affection de la part du petit être, elle passa sa main sur le bocal en une ébauche de caresse.

- Merci, en tout cas.

Sa propre voix la faisait terriblement souffrir, et après s’être assise à la table, elle posa ses coudes sur la surface pour enfouir ses mains dedans. Elle tentait vainement de calmer les élans de douleur qui la saisissait, serrant les dents pour ne rien laisser paraitre. Son air de cadavre devait parler pour elle, de toute manière.

En reprenant les informations transmises par la louve et son humain, elle dirigea son regard vers le canapé qu’il avait donc occupé toute sa – courte – nuit. Mortifiée de l’avoir exclu de sa propre chambre à coucher, et forte du savoir qu’il travaillait également aujourd’hui, la jeune femme ferma les yeux très fort pour se retenir de taper son crâne contre le bois.

Moira avait beau être sans gêne, même elle avait ses propres limites.

Et en plus, il restait si gentil.
Elle ne savait pas si cela la fascinait ou l’agaçait. A sa place, elle serait en train de crier dans toute la petite maisonnée. Mais non. Il était distant – ce qui l’arrangeait bien – mais parfaitement poli.

Peut-être même un peu plus que cela, lorsqu’il déposa un petit-déjeuner devant elle. L’héritière se sentit d’un coup encore plus mal.

A cela s’ajoutait un haut-le-cœur qu’elle parvint difficilement à dissimuler. Probablement encore un peu alcoolisée étant donné la quantité ingérée, l’idée de manger lui soulevait l’estomac. Ayant eu connu suffisamment de gueule de bois par le passé, la jeune femme se força cependant à se servir. N’ayant pas vraiment envie qu’Haesik pense qu’elle fasse la fine bouche, elle mangea lentement pour combler son ventre affamé mais capricieux.

Moira lui jetait parfois un regard presque timide, en le voyant manger sur son plan de travail. Elle ne supportait pas sa propre impolitesse. Bien qu’elle comprenne qu’il souhaite rester loin d’elle après ses esclandres, qu’il se prive de sa propre demeure l’irritait comme si elle était la propriétaire.

Poussant la chaise à côté d’elle d’une main, l’autre maintenant toujours sa tête, elle lui fit un petit signe.

- Tu sais que tu es ici chez toi ? Fais comme si je n’existais pas. Je pense que ça te changera d’hier.

C’est sans plus de mot qu’elle poursuivit son repas, incapable de faire la conversation ou trouver un bon mot à sortir. Elle avait définitivement trop honte pour jouer à ce petit jeu.

Quel jeu, d’ailleurs ? Demain, ils seraient de nouveau de parfaits inconnus. Le destin avait juste souhaité se rappeler à leur bon souvenir. Il était le genre de surprise dont elle se serait bien passée sans parvenir à regretter par la suite. Elle ne devait pas oublier les menaces proférées par son père, ni le fait qu’ils n’avaient absolument rien en commun, et donc aucune raison de se fréquenter.

Son assiette vide, elle but rapidement son thé avant d’aller déposer l’ensemble dans l’évier. Elle se demanda un instant s’il serait de bon ton de faire la vaisselle – et elle n’avait jamais touché une éponge de sa vie – lorsque son téléphone s’alluma sur la table basse sur laquelle elle l’avait posé, signalant une notification.

D’un pas peu assuré, elle vérifia l’état de la catastrophe. Plusieurs appels manqués et de nombreux messages de la part de sa mère. Evidemment, elle avait attendu un signe de sa part l’informant qu’elle était bien arrivée chez la personne supposée l’héberger.

Fort heureusement, un autre message de ladite Birthday girl lui indiqua qu’elle avait menti pour elle et envoyé un message à ses parents, prétendant qu’elles dormaient bel et bien ensemble. Moira la trouva culottée et bien irresponsable d’agir de la sorte, après l’avoir laissée à la rue. Mais elle devait admettre que son « amie » lui avait probablement sauvé la vie en agissant de la sorte.

Se tournant vers Haesik, elle lui tendit le chargeur qu’il lui avait gracieusement prêté.

- Je vais faire un tour pour vérifier que je n’ai rien oublié.

Par tout, cela signifia un nouveau détour par la salle de bain pour revêtir sa robe de soirée de la veille. Moira plia soigneusement les affaires que lui avaient prêtées le coréen, bien qu’elle soit consciente qu’elles finiraient au linge sale, vu qu’ils empestaient l’alcool.

Une fois cela fait, elle se dirigea vers la chambre. Elle savait qu’elle n’avait rien laissé là-bas, mais hors de question de partir comme une voleuse. Tout aussi précautionneuse que pour les vêtements, elle s’appliqua à lisser les couvertures pour dissiper toute trace de sa présence.

Satisfaite, elle repartit récupérer son blouson, son sac et Sùmaid. Une fois prête, elle se trouva bien bête à balancer son poids d’une jambe à l’autre, avant d’approcher d’Haesik. La tentation de baisser les yeux la tenaillait.

De sa voix la plus polie, elle se décida à lever le regard vers le sien.

- Encore merci pour tout, et désolée du dérangement.

L’espace d’un instant, elle eut l’impression que sa migraine s’évanouissait en fixant ses yeux en amande. Ce qui la poussa à rompre brusquement le contact visuel, et se diriger vers la porte d’entrée. Alors qu’elle remettait ses échasses, le jeune homme lui proposa de lui donner son numéro.

Au cas où elle se retrouverait de nouveau dans une situation similaire.

Le premier réflexe de Moira fut de lui signaler qu’elle n’était pas une sans-abri, mais elle se mordit la langue. Elle était bien consciente que son indignation était provoquée par l’humiliation qu’elle ressentait. Il avait été très serviable, il ne méritait absolument pas qu’elle lâche sa frustration sur lui.

- Il ne vaut mieux pas. Je ne te dérangerai plus de ….

Elle ne termina jamais sa phrase, car Sùmaid venait de discrètement s’agiter dans son bocal contre sa hanche.

Baissant les yeux vers l’hippocampe qui flottait toujours en position de sommeil, Moira retint un énorme soupir. Elle connaissait trop son familier pour ignorer lorsqu’il feignait de dormir.

Le message était clair : Prends le numéro, Moira.

Se disant que son poisson souhaitait s’éviter une nouvelle frayeur à l’avenir, la jeune fille céda. Vu les efforts déployés par la miniature violette, elle pouvait bien accéder à sa demande.
Il était également plus commode de prétendre qu’elle ne le faisait pas pour elle.

Déverrouillant le téléphone, elle le tendit à Haesik pour lui permettre de s’enregistrer en contact, tout en enfilant une fois pour toutes ses chaussures.

Lorsqu’elle se redressa, elle se laissa légèrement partir en arrière. Son équilibre était encore un peu perturbé par la vodka toujours dans son système, aussi s’était-elle rapprochée de son hôte sans le vouloir.

Leur proximité soudaine la mit encore plus mal à l’aise qu’auparavant, d’autant plus lorsqu’elle sentit les premières émanations d’une odeur qu’elle croyait avoir oubliée. Celle de miel et de lessive propre, ainsi qu’une trace légère de peau. Revenue dix ans en arrière, Moira reprit son téléphone à la va vite, puis s’éloigna aussi rapidement que possible, à la limite de la panique.

Pourquoi avait-il fallu qu’il devienne aussi beau, nom d’un chien…

- Bon, hum… j’y vais, merci pour tout, bon courage pour ta journée !! Bye Dalsoon !

Elle se précipita dehors sans demander son reste, attendant le taxi. Sùmaid cessa de jouer la comédie et leva la tête vers elle.

- Tu as fait très fort, cette fois.

- La ferme…


Une fois chez elle, Moira essuya comme prévu les remontrances de ses parents, mais rien de bien méchant. Cela ne la dérangea presque pas, hormis que son mal de tête s’accentua terriblement suite à leurs cris.

Ce qui l’intéressait davantage, c’était de s’assurer que le pull qu’elle avait récupéré dix ans auparavant était toujours à sa place, malgré les nombreux mois sans le consulter.

Sans trop savoir pourquoi, elle le déplaça de sous l’aquarium de Sùmaid, pour le placer dans un coin moins abandonné de sa propre armoire.

Bien qu’elle n’ait aucune intention de voir une nouvelle fois le coréen… Eh bien, jamais deux sans trois. Peut-être qu’elle pourrait le lui rendre, un jour.

Elle avisa son numéro dans son téléphone, et hésita pendant de longues minutes avant de lui envoyer un message pour qu’il puisse la contacter également.

Moira revint à elle dans un grognement, avant de placer le cellulaire dans sa table de chevet pour s’éviter une erreur malencontreuse.
Qu’est-ce qu’elle avait dans la tête ?!


Veronika and her man

TW : Sans

Maniant habilement ses baguettes, qu’il avait gardé l’habitude d’utiliser lorsqu’il se trouvait chez lui, Haesik avalait son petit déjeuner en hâte, peu désireux de faire attendre davantage son prédécesseur.

Malgré un âge avancé et de nombreux problèmes de santé, le vieil homme ne manquait jamais une occasion de se mettre en danger et dépassait continuellement ses limites, quitte à ne plus pouvoir mettre un pied devant l’autre le soir venu. Le jeune homme comprenait pourquoi il agissait de la sorte - il était un homme solide et fier et ne voulait pas qu’on le perçoive autrement - mais cela ne l’empêchait pas de s’inquiéter pour lui, malgré leurs chamailleries quotidiennes.

Il avait adressé un petit signe de tête à Moira lorsqu’elle l’avait remercié pour son hospitalité mais il s’était rapidement reconcentré sur son bol de riz, ne souhaitant pas lui donner l’impression de la dévisager.

A l’évidence, au vu de sa gestuelle et de l’expression de son visage, elle payait chèrement ses excès de la veille. Le coréen aurait été heureux que cela la dissuade de recommencer à se mettre dans des états tels que celui dans lequel il l’avait recueillie la veille, pour sa sécurité, mais il ne se faisait pas d’illusions. Dans quelques heures, la leçon serait déjà oubliée.

Lorsque la jeune femme l’avait invité à le rejoindre à table, il s’était exécuté en silence, terminant son thé en lui jetant parfois un regard à la dérobée. Leurs jambes auraient pu se toucher s’ils les avaient étendues et, à présent qu’il était si proche d’elle, il pouvait percevoir ses émotions contradictoires.

Ses “antennes” de zoomancien captaient tantôt une contrariétée assez marquée, tantôt un trouble dont il ne s’autorisait pas à deviner l’origine. La voix de Dalsoon, qui était venue poser sa tête sur ses genoux, avait soudainement résonné dans sa tête, le tirant de ses pensées.

* Eh bien, quelle ambiance ! Je crois que je vous préférais hier soir ! *

Contrairement à eux qui se voilaient la face, elle percevait avec beaucoup de clarté ce qui se jouait en secret entre les deux partis…

* Regarde la. Elle n’a qu’une seule hâte, c’est que son taxi arrive. Je ne veux pas l’embarrasser davantage *

* … Je t’ai connu plus perspicace ! *

Pendant que son invitée surprise regagnait la salle de bain et vérifiait qu’elle n’avait rien oublié, il avait fait une vaisselle rapide avant de sentir la truffe de son familier se coller à nouveau contre sa jambe, insistante.

* Quoi ? *

* Donne-lui tes coordonnées avant qu’elle parte. Tu n’auras peut-être pas d’autre occasion *

Lorsque l’hydromancienne avait refait son apparition, dans sa tenue de la veille, commencé à remettre ses chaussures infernales et l’avait de nouveau remercié de l’avoir mise à l’abri, la louve s’était rapproché d’elle en remuant la queue et en jetant un regard appuyé à son sorcier, qui, à sa grande satisfaction, avait trouvé le courage de se lancer, non sans avoir longuement hésité.

- Je pense que tu devrais prendre mon numéro, au cas où une situation similaire se reproduirait. Ça ne t’engage à rien.

Il n’avait guère l’habitude de se montrer aussi direct mais, alors qu’il avait pensé que son interlocutrice l’enverrait promener sans ménagement, cela avait porté ses fruits, puisqu’elle avait fini par lui tendre son téléphone afin qu’il s’y enregistre.

Il avait esquissé un mouvement pour la rattraper lorsqu’elle avait basculé dans sa direction mais leurs corps ne s’étaient finalement jamais entrechoqués. Presque à regrets, il s’était donc contenté de lui rendre son téléphone, de la saluer et de la regarder quitter son domicile en hâte.

Il l’avait discrètement observée jusqu’à être certain que son taxi l’avait bien récupérée avant de se mettre en route pour le champ où il avait prévu de retrouver Eoghan et de couper immédiatement court aux questions de ce dernier.

- Je ne veux pas en parler.

Eoghan : C’est toi le patron !

Il était bien conscient qu’il ne tarderait pas avant de revenir à la charge mais il avait accueilli le renoncement temporaire de son vieil ami avec un mouvement de tête reconnaissant.


Il venait de terminer une longue journée de travail lorsqu’il avait remarqué, avec un plaisir non dissimulé, que la demoiselle lui avait laissé un message. Lovée contre lui dans le canapé, Dalsoon avait donné un coup de sa grande langue baveuse sur son visage, le faisant marmonner.

Dalsoon : Je t’avais bien dit, que tu ne la laissais pas indifférente…

La louve se faisait sans doute des illusions mais un sourire rêveur s’était affiché sur le visage de son bipède, qui avait senti un espoir trop longtemps étouffé s’exprimer à nouveau. What if…?



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